Épuisement professionnel : 1 juillet 2022 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/01133

·

·

Épuisement professionnel : 1 juillet 2022 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/01133

01/07/2022

ARRÊT N° 2022/379

N° RG 21/01133 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OA2T

CP/KS

Décision déférée du 19 Février 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FOIX

( 19/00100)

M [N]

SECTION INDUSTRIE

S.A.S.U. LE FOURNIL DES PYRENEES

C/

[H] [V]

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

***

ARRÊT DU PREMIER JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX

***

APPELANTE

S.A.S.U. LE FOURNIL DES PYRENEES

12 rue petite des ruisseaux

09000 FOIX

Représentée par Me Jean-paul BOUCHE de la SELARL BOUCHE JEAN-PAUL, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE

Madame [H] [V]

2 rue des Moulins

09000 FOIX

Représentée par Me Regis DEGIOANNI de la SCP GOGUYER-LALANDE DEGIOANNI PONTACQ, avocat au barreau D’ARIEGE

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 31555.2021.010892 du 10/05/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de TOULOUSE)

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. PARANT,magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

S. BLUME, présidente

M. DARIES, conseillère

C. PARANT,magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : C. DELVER

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par S. BLUME, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [H] [V] a été embauchée le 25 février 2019 par la SASU Le Fournil des Pyrénées en qualité de vendeuse suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des boulangeries artisanales.

Mme [V] a été placée en arrêt de travail pour maladie du 15 au 17 juillet 2019, prolongé jusqu’au 21 juillet 2019, puis du 22 au 29 juillet 2019, prolongé

jusqu’au 17 novembre 2019.

Mme [V] a été déclarée inapte à son emploi le 18 novembre 2019 par le médecin du travail.

Mme [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Foix le 21 novembre 2019 pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur et demander le versement de diverses sommes.

Mme [V] a été licenciée pour inaptitude le 16 décembre 2019.

Par jugement du 19 février 2021, le conseil de prud’hommes de Foix a :

-dit que le licenciement de Madame [V] [H] est sans cause réelle et sérieuse,

-condamné la société Le Fournil des Pyrénées à payer à Madame [V] les sommes suivantes :

*1 000 € au titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral,

*9 380,82 € au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, somme correspondant à 6 mois de salaires moyens de 1 563,40 €/mois,

*403,19 € au titre du préavis,

*40,31 € au titre des congés payés y afférents,

*2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

*238,50 € au titre du remboursement des frais de mutuelle,

-condamné la société Le Fournil des Pyrénées à délivrer à Madame [V] les documents de fin de contrat conformes au présent jugement sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la notification du jugement,

-ordonné l’exécution provisoire,

-débouté les parties de toutes autres demandes,

-condamné la société Le Fournil des Pyrénées aux dépens.

Par déclaration du 10 mars 2021, la société Le Fournil des Pyrénées a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.

Par ordonnance du 30 juin 2021, le premier président de cette cour a ordonné l’arrêt de l’exécution provisoire ordonnée par le jugement sur les dispositions suivantes :

*1 000 € au titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral,

*9 380,82 € au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique

le 28 septembre 2021, auxquelles il est expressément fait référence, la SASU Le Fournil des Pyrénées demande à la cour de :

-réformer en toutes ses dispositions le jugement,

-statuant à nouveau,

-à titre principal :

*juger que Mme [V] n’a pas été victime de faits de harcèlement moral et de dégradation de ses conditions de travail,

*juger que le licenciement pour inaptitude est fondé et régulier,

-en conséquence :

*rejeter l’ensemble des demandes formulées par Mme [V],

*rejeter son appel incident,

*condamner Mme [V] à lui payer la somme de 3 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

*condamner Mme [V] aux entiers dépens.

Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique

le 23 décembre 2021, auxquelles il est expressément fait référence, Mme [H] [V] demande à la cour de :

-confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Le Fournil des Pyrénées à lui payer des dommages et intérêts pour harcèlement moral, 403,19 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, 40,31 € au titre des congés payés sur préavis, 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, 238,50 € au titre des frais de mutuelle, à lui délivrer les documents de fin de contrat conformes au jugement sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la notification du jugement et aux entiers dépens de première instance,

-le réformer pour le surplus et statuant à nouveau :

*condamner la société Le Fournil des Pyrénées à lui payer la somme de 6 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral,

*prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, qui produira les effets d’un licenciement nul et/ou sans cause réelle et sérieuse,

*en toutes hypothèses juger que le licenciement notifié le 16 décembre 2019 est nul et/ou sans cause réelle et sérieuse,

-en conséquence :

*condamner la société Le Fournil des Pyrénées à lui payer la somme de 10 500 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et/ou sans cause réelle et sérieuse,

*condamner la société Le Fournil des Pyrénées à lui délivrer les documents de fin de contrat (certificat de travail, attestation pour l’emploi, solde de tout compte) sous astreinte de 300 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

-condamner la société Le Fournil des Pyrénées à lui payer la somme de 2 000 € au visa des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et aux entiers dépens.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 26 mai 2022.

MOTIFS

Sur la demande de prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail liant les parties aux torts de la société Le Fournil des Pyrénées

Il appartient à Mme [V], demanderesse au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail liant les parties, de rapporter la preuve de la réalité et de la gravité des manquements qu’elle impute à son employeur qui ont rendu impossible la poursuite de la relation de travail.

En application de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

lorsque survient un litige relatif à des faits de harcèlement au sens de

l’article L. 1152 – 1 du code du travail, le salarié présente, conformément

à l’article L 1154-1 du code du travail, des faits qui permettent de supposer l’existence d’un harcèlement ;

au vu de ces éléments, il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Mme [V] allègue avoir été victime d’agissements de harcèlement moral caractérisés par la tenue répétée par M. [X], gérant de la société, principalement devant la clientèle de la boulangerie, d’invectives, de propos humiliants certifiés par 5 témoins, agissements qui ont dégradé ses conditions de travail et sa santé et l’ont conduite à l’épuisement professionnel

Elle verse aux débats 3 attestations de clients de la boulangerie qui certifient :

– M. [A], avoir assisté à des échanges très gênants entre l’employeur et Mme [V] lui demandant pendant sa pause alors qu’elle prenait un café si elle n’avait ‘rien d’autre à foutre’ : il ajoute que son employeur l »engueulait’ alors qu’il achetait le pain sans que Mme [V] ne réponde ;

– Mme [S], qu’alors que Mme [V] était aimable avec la clientèle, elle subissait des brimades devant les clients sans rien dire son employeur lui enjoignant de se ‘démerder’ pour trouver la boîte correspondant à la taille des gâteaux car il n’avait pas le temps, propos tenus devant les clients qui n’en revenaient pas ; elle explique qu’alors que Mme [V] se sentait mal, elle a prévenu la femme de son patron qui n’a pas bougé pour prendre de ses nouvelles ;

– M. [U], qu’alors que Mme [V] était travailleuse et s’occupait aussi bien de la cuisson du pain que du nettoyage de la boutique et des clients, il a été surpris par les remarques désobligeantes et familières tenues par le gérant de la boulangerie envers elle devant les clients et choqué de cette façon de faire ;

– Mme [M], qu’en tant qu’ancienne vendeuse, elle a subi les remarques irrespectueuses, les paroles blessantes et méprisantes du gérant et de sa compagne, sur son physique, son intelligence, son prénom et que M. [X] a développé des comportements abusifs envers un apprenti et une autre vendeuse ainsi qu’un comportement colérique, outre des menaces sur une salariée en accident du travail ;

– M. [C], ancien apprenti, que son patron était souvent agressif, très critique à son égard et l’a même giflé, ce qui a entraîné un dépôt de plainte qui n’a pas eu de suite.

Mme [V] produit encore des certificats d’arrêt de travail de l’hôpital et du service infirmier de Foix du 22 juillet 2019 ainsi que de son médecin traitant faisant état d’un épisode dépressif après épuisement professionnel et sa lettre du 13 août 2019 dans laquelle elle accepte une rupture conventionnelle aux fins de se libérer d’une relation de travail devenue insupportable. Elle produit encore une correspondance de son médecin préconisant d’envisager le 26 août 2019 un placement en inaptitude.

La cour estime que ces éléments présentés par la salariée font, dans leur ensemble, supposer l’existence d’un harcèlement moral, étant ajouté que la relation de travail s’est terminée par un licenciement après déclaration d’inaptitude du médecin du travail.

La société Le Fournil des Pyrénées qui a la charge probatoire de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement se contente de contester la réalité de ces prétendus agissements de harcèlement en réfutant le contenu des attestations produites par Mme [V] et en produisant des échanges de sms amicaux entre Mme [V] et la compagne du gérant ainsi qu’une attestation de M. [F], salarié de la société Le Fournil des Pyrénées, qui certifie n’avoir jamais été témoin de faits de harcèlement de la part de M. [X], que ce soit envers Mme [V] ou envers d’autres employés de la boulangerie, mais de la notification d’un avertissement

du 15 juillet 2019 à Mme [V] suivie d’un arrêt de travail pour maladie et il stigmatise les pauses café de Mme [V], son utilisation excessive du téléphone portable et un réassort des produits mal effectué.

La cour estime, comme le conseil de prud’hommes, que la seule attestation de

M. [F], salarié de la société Le Fournil des Pyrénées, ne contredit pas valablement les 5 attestations produites par l’intimée qui émanent, pour 3 d’entre elles, de clients de la boulangerie et, pour les deux autres, d’anciens salariés qui font toutes état du comportement désagréable de M. [X], le gérant de la boulangerie envers Mme [V] et de la tenue répétée de propos désobligeants à son encontre, ce comportement faisant suite à celui que M. [X] avait adopté envers un ancien apprenti et une ancienne salariée de l’entreprise, étant rappelé que les propos étaient tenus devant la clientèle par le patron de la boulangerie.

Ces agissements répétés ont dégradé les conditions de travail de Mme [V] et sa santé, Mme [V] démontrant sa consultation au centre hospitalier de Foix à la sortie du travail, lequel a diagnostiqué un état dépressif en rapport avec le travail.

Ces faits de harcèlement moral ont entraîné des arrêts de travail successifs pour maladie suivis d’une déclaration d’inaptitude par le médecin du travail.

Leur gravité rendant impossible la poursuite des relations justifie le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur.

Cette résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul en application de l’article L. 1152-3 du code du travail.

Le jugement entrepris qui a rejeté la demande de prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail sera infirmé de ce chef et du chef du licenciement.

Il sera confirmé sur les condamnations à paiement d’une indemnité de préavis et des congés payés y afférents et réformé sur le montant des dommages et intérêts alloués pour licenciement nul qui ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois, par application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail ; la cour allouera à Mme [V] qui percevait un salaire moyen de 1 747,19 € des dommages et intérêts pour licenciement nul à hauteur de 10 500 €.

Y ajoutant, la cour fera d’office une application combinée des

articles L.1235-4 et L. 1152-3 du code du travail et ordonnera le remboursement par la société Le Fournil des Pyrénées à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié à hauteur de 3 mois d’indemnités.

Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral

Il résulte des explications qui précèdent que Mme [V] a subi, de février à juillet 2019, des agissements répétés de harcèlement moral qui ont dégradé ses conditions de travail et altéré sa santé, ce qui justifie qu’elle soit indemnisée de son préjudice moral par l’allocation de 3 000 € à titre de dommages et intérêts par réformation du jugement déféré.

Sur le surplus des demandes

Il convient de confirmer la remise des documents sociaux rectifiés sans qu’une astreinte soit justifiée.

La société Le Fournil des Pyrénées qui succombe sera condamnée aux dépens sans qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile, étant précisé que Mme [V] est bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale, le jugement déféré étant confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a alloué à Mme [H] [V] des dommages et intérêts pour harcèlement moral, une indemnité de préavis et les congés payés y afférents, la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ordonné la remise à Mme [V] des documents sociaux rectifiés et condamné la société Le Fournil des Pyrénées aux dépens,

L’infirme en ce qu’il a débouté Mme [V] de sa demande de prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, en ce qu’il a alloué à Mme [V] des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a assorti la remise des documents sociaux d’une astreinte,

Le réforme sur le montant des dommages et intérêts pour harcèlement moral,

statuant à nouveau des chefs infirmés et réformé, et y ajoutant,

Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail liant les parties et dit qu’elle produit les effets d’un licenciement nul intervenu le 16 décembre 2019,

Condamne la société Le Fournil des Pyrénées à payer à Mme [V] les sommes suivantes :

– 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– 10 500 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

Rejette la demande d’astreinte assortissant la remise des documents sociaux rectifiés conformément au présent arrêt,

Ordonne le remboursement par la société Le Fournil des Pyrénées des allocations chômage versées à Mme [V] du jour du licenciement au jour du jugement,

Dit n’y avoir lieu à faire application, en cause d’appel de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Le Fournil des Pyrénées aux dépens d’appel, étant précisé que Mme [V] est bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale.

Le présent arrêt a été signé par S.BLUMÉ, présidente et par C.DELVER, greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

C.DELVER S.BLUMÉ

.

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x