Entreprises de logistique ou portage de presse : quelle convention collective appliquer ?

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Entreprises de logistique ou portage de presse : quelle convention collective appliquer ?

Dès lors qu’une société n’envoie pas directement des journaux ou des messages publicitaires aux abonnés (statut d’intermédiaire entre l’éditeur et les diffuseurs et VPC) et qu’elle ne s’assure pas non plus du façonnage de documents, son activité relève plus du portage que de la communication directe.

Critères de l’activité principale d’une entreprise

En l’espèce, en termes de chiffre d’affaires, celui lié au portage de presse s’élevait à 4.168.840 euros et celui lié aux diffuseurs à 3.743.980 euros. C’était donc l’activité de portage qui était la plus rémunératrice, peu important que les VCP n’étaient pas des salariés de la société dès lors que ces professionnels indépendants au nombre de 70 participaient directement à l’activité de la société en qualité de mandataires.

Il découle de ce qui précède que l’activité principale de la société ne relevait pas du champ d’application de la convention collective de la communication directe mais de celle du portage de presse qui s’applique aux entreprises ayant principalement une activité de diffusion, par portage à domicile, de publications quotidiennes et périodiques d’informations politiques générales et payantes.

Périmètre de la convention collective des entreprises de logistique de communication écrite

Pour mémoire, la convention collective des entreprises de logistique de communication écrite directe du 19 novembre 1999 qui a été étendue par arrêté du 28 avril 1992 s’applique aux entreprises dont l’activité principale est la logistique de la communication écrite directe fournissant aux entreprises l’une des prestations de service suivantes :

— gestion informatisée des fichiers et/ou édition des documents adressés

— conditionnement des documents de gestion, envoi de journaux et périodiques aux abonnés, messages publicitaires adressés ou non adressés, groupage, routage de catalogues,

— façonnage des documents fournis

— colisage et expédition

Il incombe à la juridiction de rechercher à partir de la nature effective des attributions de l’entreprise, de son chiffre d’affaires ou de la répartition de ses effectifs quelle était l’activité principale réelle de la société.

Convention collective applicable

Aux termes de l’article L 2261-2 du code du travail, la convention collective applicable est celle dont relève l’activité principale exercée par l’employeur. En cas de pluralité d’activités rendant incertaine l’application de ce critère pour le rattachement d’une entreprise à un champ conventionnel, les conventions collectives et les accords professionnels peuvent, par des clauses réciproques et de nature identique, prévoir les conditions dans lesquelles l’entreprise détermine les conventions et accords qui lui sont applicables.

Référence au code INSEE indifférente

L’application d’une convention collective est déterminée par l’activité réelle de l’entreprise et non par des mentions contenues dans les statuts de la personne morale dont elle dépend ou par la seule référence à son identification auprès de l’INSEE qui n’a qu’une valeur indicative.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION B

ARRÊT DU 23 JUIN 2022

PRUD’HOMMES

N° RG 20/01232 –��N° Portalis DBVJ-V-B7E-LPXU

Madame [C] [B] épouse [T]

c/

E.U.R.L. SOCIETE DE DISTRIBUTION ET DE DIFFUSION

S.E.L.A.R.L. [V] [W]

Association C.G.E.A. DE [Localité 4]

Nature de la décision : AU FOND

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 janvier 2020 (R.G. n°F18/01019) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d’appel du 02 mars 2020,

APPELANTE :

[C] [B] épouse [T]

née le 04 Mai 1975 à [Localité 3]

de nationalité Française

Profession : Demanderesse d’emploi, demeurant [Adresse 1]

Représentée et assistée par Me Pierre BURUCOA, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉES :

E.U.R.L. SOCIETE DE DISTRIBUTION ET DE DIFFUSION – en liquidation judiciaire

Représentée par Me Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX

Assistée par Me Stéphanie OGEZ de la SELARL SO AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE

S.E.L.A.R.L. [V] [W] La SELARL [V] [W], mandataire judiciaire, au capital de 2 000,00 €, immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le numéro 434 069 779, ayant son siège social [Adresse 2] désigné es qualités de liquidateur judiciaire de l’EURL [T] DIFFUSION PRESSE immatriculée au RCS de BX sous le numéro 478 081 417

Représentée par Me Benjamin BLANC, avocat au barreau de BORDEAUX

Assistée de Me POUPOT-PORTRON substituant Me BLANC

Association C.G.E.A. DE [Localité 4], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 5]

Représentée et assistée par Me Philippe DUPRAT de la SCP DAGG, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 06 avril 2022 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Eric Veyssière, président,

Madame Marie-Paule Menu, présidente,

Monsieur Hervé Ballereau, conseiller,

qui en ont délibéré.

greffière lors des débats : Mme Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Exposé du litige

Selon un contrat de travail à durée indéterminée du 3 novembre 2009, la société [T] Diffusion Presse a engagé Mme [C] [B] épouse [T] en qualité d’assistante secrétaire commerciale. Elle avait, par ailleurs, la qualité d’associée de la société.

Au dernier état de la relation de travail, Mme [T] a occupé le poste de responsable commerciale.

Le 1er juin 2018, l’activité de dépositaire de presse de la société [T] Presse Diffusion a été transférée à la société de Distribution et de Diffusion (société S2d) et les contrats de travail de la société [T] Presse Diffusion ont été transférés au repreneur.

Par courrier du 12 juin 2018, la société S2d a demandé à Mme [T] de transmettre ses documents sociaux individuels.

Le 15 juin 2018, la société S2d a mis en demeure Mme [T] de justifier son absence ou de se présenter à son poste de travail.

Le 18 juin 2018, Mme [T] a dénoncé à la société S2d ses conditions de travail qu’elle estimait non conformes aux droits des salariés .

Par courrier du 22 juin 2018, la société S2d a convoqué Mme [T] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 5 juillet 2018 avec mise à pied conservatoire.

Le 10 juillet 2018, Mme [T] a été licenciée pour faute grave.

Par jugement du 1er août 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société [T] Diffusion Presse et a désigné la société [V] [W] en qualité de liquidateur judiciaire.

Le 29 juin 2018, Mme [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux aux fins de :

voir ordonner la résiliation judiciaire du contrat de travail en date du 10 juillet 2018, à titre subsidiaire, juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

dire que la convention collective nationale de logistique de communication écrite directe du 19 novembre 1991 est applicable aux sociétés [T] Diffusion Presse et S2d,

voir fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société [T] Diffusion Presse diverses sommes :

à titre de rappel de salaire conventionnel, outre les congés payés y afférents,

à titre de rappel de prime annuelle, outre les congés payés y afférents,

à titre de dommages et intérêts pour privation injustifiée de statut collectif

condamner la société S2d au paiement de diverses sommes :

à titre de rappels de prime annuelle, outre les congés payés y afférents,

à titre de dommages et intérêts pour privation injustifiée du statut collectif,

à titre d’indemnité légale de licenciement,

à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

à titre d’indemnité de préavis, outre les congés payés y afférents,

à titre de rappel de salaires durant la mise à pied conservatoire, outre les congés payés y afférents,

sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

voir dire que ces condamnations porteront intérêts au taux moratoire à compter de la saisine du conseil de prud’hommes,

condamner la société S2d à rembourser à Pôle emploi les allocations qui lui ont été versées dans la limite de 6 mois,

se voir remettre les documents de fin de contrat sous astreinte,

déclarer opposable le jugement au Cgea de [Localité 4] dans la limite légale de sa garantie,

ordonner l’exécution provisoire.

Par demande reconventionnelle, la société S2d sollicite du conseil de prud’hommes qu’il condamne Mme [T] à lui verser une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 30 janvier 2020, le conseil de prud’hommes de Bordeaux a :

dit que la convention applicable dans la société [T] Diffusion Presse est la convention collective nationale du portage de presse du 26 juin 2007, étendue par arrêté du 3 juin 2016,

dit que Mme [T] a accepté les conditions de son rattachement à la convention collective nationale du portage de presse du 26 juin 2007, étendue par arrêté du 3 juin 2016 par avenant à son contrat de travail signé le 1er avril 2016,

dit qu’en l’absence de convention collective au sein de la société S2d, il est fait application du code du travail et des accords d’entreprise,

dit que le statut collectif des salariés, y compris celui de Mme [T], qui ont été transférés par de la société [T] Diffusion Presse, a été respecté par la société S2d,

rejeté la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [T],

jugé que la société S2d n’a pas commis de faute au regard du transfert, au sein de sa structure, de Mme [T] et n’a pas mis en place des conditions indignes d’accueil pour son personnel,

dit que le licenciement de Mme [T] repose sur des faits relevant de la faute grave,

jugé que le jugement à intervenir, pour les demandes à l’encontre de la société [T] Diffusion Presse, ne sera opposable à l’Ags que dans la limite légale de sa garantie, laquelle exclut l’astreinte et l’indemnité allouée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

débouté Mme [T] de l’intégralité de ses demandes,

débouté la société S2d de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné Mme [T] aux entiers dépens et frais éventuels d’exécution.

Par déclaration du 2 mars 2020, Mme [T] a relevé appel du jugement.

Par ses dernières conclusions du 14 décembre 2021, Mme [T] sollicite de la Cour qu’elle infirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté la société S2d de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau :

Au titre de la privation de statut collectif :

dise que la convention collective nationale des entreprises de logistique de communication écrite directe du 19 novembre 1991 est applicable aux sociétés [T] Diffusion Presse et S2d,

fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société [T] Diffusion Presse les sommes suivantes :

51 764,44 euros bruts à titre de rappels de salaire conventionnel, outre 5 176,44 euros de congés payés y afférents,

15 242,27 euros bruts à titre de rappels de prime annuelle, outre 1 524,23 euros de congés payés y afférents,

8 900,00 euros nets à titre de dommages et intérêts pour privation injustifiée du statut collectif,

condamner la société S2d à lui verser les sommes suivantes :

324,61 euros bruts à titre de rappels de prime annuelle, outre 32,46 euros de congés payés y afférents,

100,00 euros nets à titre de dommages et intérêts pour privation injustifiée du statut collectif,

Au titre de la résiliation judiciaire du contrat :

fixe le salaire mensuel de référence reconstitué de Mme [T] à hauteur de 2 668,49 euros bruts,

ordonne la résiliation judiciaire de son contrat à la date du 10 juillet 2018,

à titre subsidiaire, dise son licenciement privé de cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause, condamne la société S2d à lui verser les sommes suivantes:

5 797,29 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

24 016,43 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

5 336,98 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 533,70 euros bruts de congés payés y afférents,

2 398,78 euros bruts à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire, outre 239,88 euros bruts de congés payés y afférents,

Au titre des demandes accessoires :

dise que ces condamnations porteront intérêts au taux moratoire à compter de la saisine du conseil de prud’hommes en date du 29 juin 2018 valant mise en demeure, et ce avec capitalisation des intérêts,

condamne la société S2d à rembourser à Pôle emploi les allocations d’aide au retour à l’emploi versées à Mme [T] dans la limite de six mois d’indemnités,

ordonne à la société S2d et à la société [V] [W], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [T] Diffusion Presse de communiquer à Mme [T] le certificat de travail et les bulletins de salaire corrigés portant sur la période d’emploi afférente à chaque employeur,

ordonne à la société S2d de lui communiquer l’attestation Pôle emploi rectifiée,

assortisse l’intégralité des condamnations d’une astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

condamne la société S2d à lui verser la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

déclare la décision à intervenir opposable au Cgea de [Localité 4] dans la limite légale de sa garantie,

déboute la société D2d, la société [V] [W] et le Cgea de leurs demandes incidentes.

Par ses dernières conclusions du 25 octobre 2021, la société de S2d sollicite de la Cour qu’elle confirme le jugement entrepris et condamne Mme [T] à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions du 7 septembre 2020, la société [V] [W], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [T] Diffusion Presse sollicite de la Cour qu’elle :

A titre principal,

confirme le jugement déféré

A titre subsidiaire,

déboute Mme [T] de ses demandes :

en régularisation de salaire sur la période antérieure au 29 juin 2015,

de qualification niveau 2B,

fixe sa créance au passif de la société [T] Diffusion Presse à :

5 374, 97 euros au titre des primes annuelles de 2015 à 2018,

290,97 euros à titre de congés payés afférents à la période antérieure au 1er janvier 2017,

A titre infiniment subsidiaire,

fixe sa créance au passif de la société [T] Diffusion Presse à :

15 544,78 euros à titre de rappel de salaires au niveau 2B sur la période non prescrite

1 076,07 euros à titre de congés payés afférents

6 774,13 euros au titre des primes annuelles de 2015 à 2018

382,58 euros au titre des congés payés afférents à cette période

En tout état de cause,

déboute Mme [T] de ses demandes :

indemnitaire au regard de la convention collective,

relative aux intérêts,

la condamne à lui verser la somme de 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par ses dernières conclusions enregistrées le 4 octobre 2021, l’Ags Cgea de [Localité 4] demande à la Cour de :

A titre principal,

confirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il a dit que la convention collective des entreprises de logistique et de communication écrite directe n’est pas applicable à la société [T] Diffusion Presse et que la convention collective du portage de presse s’applique depuis le 1er avril 2016,

débouter Mme [T] de l’ensemble de ses demandes salariales et indemnitaires à l’égard de la société [T] Diffusion Presse,

A titre subsidiaire et en cas d’application de la convention collective des entreprises de logistique et de communication écrite directe,

dire prescrite l’action de Mme [T] sur la période antérieure au 29 juin 2015,

dire prescrites, sur la période antérieure au 29 juin 2015, les sommes suivantes :

9 525,02 euros à titre des primes annuelles entre 2009 et 2014

36 316,74 euros à titre des rappels de salaire conventionnel entre novembre 2009 et mai 2015,

déboute Mme [T] de sa demande de qualification au niveau IIB

fixer sa créance au passif de la société [T] Diffusion Presse à :

5 374,97 euros au titre des primes annuelles 2015 à 2018 non prescrites,

290,97 euros au titre des congés payés afférents aux périodes antérieures au 1er juin 2017,

condamner la société S2d à payer à Mme [T] la somme de 246,52 euros au titre des congés payés acquis sur les primes annuelles dues sur la période de juin 2017 à mai 2018,

débouter Mme [T] du surplus de ses demandes,

A titre encore plus subsidiaire,

fixer la créance de Mme [T] au passif de la société [T] Diffusion Presse à:

15 544,78 euros à titre de rappel de salaires au niveau II B sur la période non prescrite,

1 076,07 euros à titre des congés payés afférents aux périodes antérieures au 1er juin 2017,

6 774,13 euros à titre des primes annuelles 2015 à 2018 (prorata temporis),

382,58 euros à titre des congés payés afférents aux périodes antérieures au 1er juin 2017,

condamner la société S2d à payer à Mme [T] la somme de 478,40 euros au titre des congés payés acquis sur les salaires dus sur la période de juin 2017 à mai 2018, et à la somme de 294,82 euros au titre des congés payés acquis sur les primes annuelles sur la même période,

En toute hypothèse,

débouter Mme [T] de sa demande indemnitaire pour violation du statut collectif,

dire que les rappels fixés au passif de la société [T] Diffusion Presse produiront des intérêts du 29 juin 2018 au 1er août 2018,

débouter la société S2d de ses demandes à l’égard de la liquidation de la société [T] Diffusion Presse,

Sur la garantie de l’Ags,

dire non garantie l’indemnité afférente aux congés payés acquis sur les sommes dues sur la période du 1er juin 2017 au 31 mai 2018 dont la S2d est débitrice au titre de son engagement et en qualité d’employeur au moment de la rupture du contrat,

dire que l’arrêt à intervenir, pour les demandes formulées à l’encontre de la société [T] Diffusion Presse, ne sera opposable à l’Ags Cgea de [Localité 4] que dans la limite légale de sa garantie, laquelle exclut toute créance née sur la période postérieure au 31 mai 2018 dont la S2d est seule débitrice à l’égard de Mme [T], l’astreinte et l’indemnité allouée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 mars 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

Motifs de la décision

Sur la convention collective applicable

La salariée revendique l’application de la convention collective des entreprises de logistique de communication écrite directe, tant au sein de la société [T] diffusion presse qui appliquait celle du portage de presse depuis le mois de février 2016 que de la société S2D qui n’en appliquait aucune.

Au sein de la société [T] diffusion presse

Aux termes de l’article L 2261-2 du code du travail, la convention collective applicable est celle dont relève l’activité principale exercée par l’employeur. En cas de pluralité d’activités rendant incertaine l’application de ce critère pour le rattachement d’une entreprise à un champ conventionnel, les conventions collectives et les accords professionnels peuvent, par des clauses réciproques et de nature identique, prévoir les conditions dans lesquelles l’entreprise détermine les conventions et accords qui lui sont applicables.

L’application d’une convention collective est déterminée par l’activité réelle de l’entreprise et non par des mentions contenues dans les statuts de la personne morale dont elle dépend ou par la seule référence à son identification auprès de l’INSEE qui n’a qu’une valeur indicative.

En l’espèce, ni le contrat de travail, ni les bulletins de paie de Mme [T] ne mentionnent la convention collective applicable. Jusqu’au 1er avril 2016, la société [T] Diffusion Presse n’appliquait aucune convention collective. A compter de cette date, elle a appliqué la convention collective du portage de presse avant que celle-ci soit étendue par arrêté du 3 juin 2016.

Mme [T] revendique l’application de la convention collective nationale des entreprises de logistique de communication écrite directe du 19 novembre 1999 qui a été étendue par arrêté du 28 avril 1992.

Cette convention collective s’applique aux entreprises dont l’activité principale est la logistique de la communication écrite directe fournissant aux entreprises l’une des prestations de service suivantes :

— gestion informatisée des fichiers et/ou édition des documents adressés

— conditionnement des documents de gestion, envoi de journaux et périodiques aux abonnés, messages publicitaires adressés ou non adressés, groupage, routage de catalogues,

— façonnage des documents fournis

— colisage et expédition

Il incombe à la cour de rechercher à partir de la nature effective des attributions de l’entreprise, de son chiffre d’affaires ou de la répartition de ses effectifs quelle était l’activité principale réelle de la société [T] diffusion Presse.

Conformément à son extrait K bis, celle-ci était dépositaire de presse du journal Sud-Ouest dont l’éditeur est la société anonyme de presse et d’édition du sud-ouest (la SAPESO).

Contrairement à ce que soutient la salariée, il ne peut-être déduit de la seule note adressée en 2007 par la SAPESO aux dépositaires de presse pour leur indiquer que leur code APE était celui des intermédiaires spécialisés du commerce et non celui des entreprises de logistique de communication écrite directe l’existence d’une manoeuvre frauduleuse dés lors que ce document émanant du service juridique envisage, avant de prendre position, les différentes hypothèses relatives aux conventions collectives applicables.

De même, les articles de presse versés aux débats retraçant les parcours professionnels des dépositaires de presse et faisant état des contraintes inhérentes à la chaîne de distribution sur leur vie quotidienne ne sont pas de nature à caractériser les prestations définies à la convention collective des entreprises de logistique de communication écrite directe.

En tant que dépositaire de presse, la société recevait dans son dépôt, en provenance de la SAPESO, les journaux et magazines empaquetés à charge pour elle soit de les répartir aux vendeurs colporteurs de presse (VCP) qui venaient en prendre possession au dépôt pour les livrer aux abonnés par portage à domicile, soit de les faire déposer directement par camion aux diffuseurs de presse (buralistes, points- presse, hôtels…). Les camions appartenant à la société [T] Diffusion Presse ou à un prestataire extérieur récupéraient le lendemain les invendus chez les diffuseurs ; après avoir été comptabilisés au dépôt, les invendus était repris ensuite par le camion de la SAPESO.

Selon le contrat liant la société [T] Diffusion Presse au diffuseur, s’il appartient à la SAPESO en sa qualité d’éditeur de choisir les agents de vente avec le concours du dépositaire et de déterminer le nombre d’exemplaires à fournir, il incombe d’une part, au diffuseur de s’approvisionner exclusivement auprès du dépositaire et de le régler quotidiennement du montant de la vente des journaux et d’autre part, au dépositaire d’approvisionner le diffuseur en quantité de journaux nécessaires à la vente et de répondre aux demandes de réassortiments de celui-ci. Les relations contractuelles entre le dépositaire et le diffuseur font, par ailleurs, l’objet d’avenants dans le cadre d’opérations promotionnelles de collections comme celle dites ‘ Panini S2D’ produite aux débats. Il en résulte que des liens d’ordre commercial sont établis entre le dépositaire et le diffuseur en dehors de prestations de logistique.

La nature commerciale de la relation entre le dépositaire et le diffuseur est confortée par la convention conclue entre la SAPESO et la société [T] Diffusion Presse dont l’article 5 précise que le dépositaire doit entretenir et développer un réseau en diffuseurs, exclusifs si nécessaire, qui acceptent de recevoir en dépôt des exemplaires du journal, de les présenter et de les vendre au public chaque jour de parution, moyennant reprise des exemplaires vendus.

La mission commerciale des dépositaires de presse est, d’ailleurs, considérée par le conseil supérieur des messageries de presse comme l’une des quatre principales missions de ces entreprises.

S’agissant de la relation entre les VCP et le dépositaire, s’il est exact, comme le soutient la salariée, que la société [T] Diffusion Presse préparait la feuille de route des VCP et avait mis en place un service de géolocalisation pour faciliter leurs tournées, il n’en demeure pas moins que d’une part, c’est la SAPESO qui fournissait au dépositaire la liste des abonnés livrés par les VCP et d’autre part, que le déroulement de la tournée relevait de la responsabilité des VCP qui, en tant que travailleurs indépendants, adaptaient l’organisation de la tournée comme ils l’entendaient. La mise en oeuvre des tournées au sens de la logistique et du routage était donc partagée entre la SAPESO, le dépositaire de presse et les VCP. Ce n’était donc pas l’activité principale de la société [T] Diffusion Presse.

S’agissant du colisage et du groupage, outre le fait que la SAPESO, qui dispose de son propre service logistique, livrait les journaux déjà empaquetés, il ressort de l’article 9 du contrat conclu entre le dépositaire de presse et le diffuseur, que ce denier devait confectionner les paquets des invendus et les accompagner de documents faisant apparaître le nom du diffuseur, le nombre de colis, le titre, le prix de vente et le nombre d’exemplaires retournés par titre. Si, comme le relève la salariée, le dépositaire de presse devait, ensuite, regrouper les invendus pour les retourner à la SAPESO, c’est, à tort, qu’elle en déduit que le colisage et le groupage correspondent à l’activité principale de la société [T] Diffusion Presse. En effet, à chaque étape de la diffusion des journaux, ces missions étaient réparties entre la SAPESO, le dépositaire de presse et les diffuseurs.

De même, Mme [T] ne peut valablement soutenir que la société [T] Diffusion Presse assurait une gestion informatisée de fichiers ou de documents dans la mesure où c’est la SAPESO qui gère les fichiers clients.

Enfin, la société [T] Diffusion Presse n’envoyait pas directement les journaux ou des messages publicitaires aux abonnés puisqu’elle était un intermédiaire entre l’éditeur et les diffuseurs et VPC ; elle n’assurait pas non plus le façonnage de documents.

En termes de chiffre d’affaires au 30 septembre 2016, celui lié au portage de presse s’élevait à 4.168.840 euros et celui lié aux diffuseurs à 3.743.980 euros. C’était donc l’activité de portage qui était la plus rémunératrice, peu important que les VCP n’étaient pas des salariés de la société [T] Diffusion Presse dés lors que ces professionnels indépendants au nombre de 70 participaient directement à l’activité de la société en qualité de mandataires.

Il découle de ce qui précède que l’activité principale de la société [T] Diffusion Presse ne relève pas du champ d’application de la convention collective revendiquée mais de celle du portage de presse qui s’applique aux entreprises ayant principalement une activité de diffusion, par portage à domicile, de publications quotidiennes et périodiques d’informations politiques générales et payantes.

Cette convention a été étendue le 14 Juin 2016. La société l’a volontairement appliquée à compter du 1er avril 2016. Pour la période antérieure, faute de relever d’autres conventions collectives, les relations entre la société et les salariés étaient régies par les dispositions du code du travail.

Le jugement entrepris sera, en conséquence, confirmé sur ce point.

Au sein de la société S2d

Aux termes de l’article L2261-14 du code du travail dans sa version applicable au litige, lorsque l’application d’une convention ou d’un accord est mise en cause dans une entreprise déterminée en raison notamment d’une fusion, d’une cession, d’une scission ou d’un changement d’activité, cette convention ou cet accord continue de produire effet jusqu’à l’entrée en vigueur de la convention ou de l’accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d’un an à compter de l’expiration du délai de préavis prévu à l’article L. 2261-9, sauf clause prévoyant une durée supérieure.

En l’espèce, il est constant que la société S2d n’appliquait pas de convention collective contrairement à la société [T] Diffusion.

Il résulte des pièces du dossier qu’à la date du transfert du contrat de travail de Mme [T], elle exploitait à titre principal une activité de commerce d’articles domestiques vendus dans les points presse comme par exemple des cartes de téléphone, de la confiserie, des livres….

L’activité de négoce générait alors un chiffre d’affaires de 1.417.490 euros contre 140.190 euros pour la distribution de journaux et la société employait six salariés dont quatre affectés à l’activité de négoce. Il importe peu que postérieurement au transfert du contrat de travail, la société ait intégré d’autres dépôts de presse.

Mme [T] ne peut prétendre dans ces conditions que la société S2d avait une activité relevant de la convention collective nationale de la logistique de communication écrite directe qui obéit à des critères énoncés ci-dessus non remplis en l’espèce.

De même, la salariée ne démontre pas, contrairement à ses affirmations, que la société S2d, filiale à 100% de la société SAPESO du groupe Sud-Ouest, a délibéremment refusé d’appliquer toute convention collective et notamment la convention collective nationale du commerce de gros.

En tout état de cause, Mme [T] a bénéficié, lors du transfert de son contrat de travail à la société S2d, de la convention collective du portage de presse en vigueur dans la société [T] Diffusion pour une durée de 15 mois conformément aux dispositions de l’article L2261-14 du code du travail.

Par courrier du 2 juillet 2018, la société S2d a informé Mme [T] des conditions du transfert de son contrat de travail en lui précisant que la convention collective du portage de presse appliquée au sein de la société [T] Diffusion poursuivra ses effets pendant 15 mois à compter du transfert et qu’elle bénéficiera, de surcroît, de la prime d’ancienneté et d’un 13ème mois, conformément aux usages de l’entreprise.

Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu’il a débouté Mme [T] de sa demande tendant à l’application de la convention collective nationale de la logistique de communication écrite directe.

Sur les demandes de rappel de salaires et de dommages et intérêts

Mme [T] qui ne peut bénéficier des dispositions de la convention collective qu’elle revendique sera déboutée de ses demandes de rappels de salaires au titre d’une part, de la classification de son emploi dans la catégorie des agents de maîtrise (assistante de direction) tel que prévu par ladite convention collective et d’autre part, de la prime de 13ème mois. Pour les mêmes motifs, la demande de dommages et intérêts pour privation injustifiée du statut collectif sera également rejetée. De ces chefs, le jugement sera confirmé.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

Un salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquements de celui-ci à ses obligations. Lorsque les manquements sont établis et sont d’une gravité telle qu’ils empêchent la poursuite du contrat de travail, la résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l’employeur et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La preuve des manquements incombe au salarié.

Lorsque la résiliation judiciaire est suivie d’un licenciement, ce qui est le cas en l’espèce, le juge doit, d’abord, rechercher si la demande de résiliation judiciaire est justifiée.

Au soutien de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail au sein de la société S2d, Mme [T] allègue la privation de tout statut conventionnel et des conditions indignes de travail.

Dés lors que la Cour a jugé que la salariée bénéficiait dés le premier jour du transfert du contrat de travail à la société S2d de la convention collective du portage de presse seule applicable, le grief tiré de la privation de statut collectif n’est pas établi.

S’agissant du deuxième grief, Mme [T] a invoqué des conditions de travail indignes dans un courrier adressé à la société le 18 juin 2018 ; elle dénonçait à cet égard l’obligation de travailler sous un chapiteau et l’absence de toilettes.

Toutefois, il ressort des termes de ce courrier que ces faits lui ont été rapportés par des collègues de travail.

De fait, Mme [T] ne s’est jamais présentée dans les locaux de l’entreprise pour y occuper son poste de travail ; c’est d’ailleurs le motif énoncé dans la lettre de licenciement dont la matérialité n’est pas contestée ; elle ne peut donc se prévaloir de conditions de travail qu’elle n’a pas personnellement constatées.

La société a répondu à ce courrier le 25 juin 2018 en contestant ces allégations et en expliquant que si les porteurs de presse venaient, à titre provisoire, récupérer les paquets de journaux sous un barnum équipé de toilettes mobiles, les salariés permanents de la société travaillaient quant à eux dans les locaux habituels de la société. Sont produits les plans et des photographies de ces locaux et des attestations de salariés témoignant de leurs bonnes conditions matérielles de travail.

En dépit de ces explications, Mme [T] a persisté dans son refus de rejoindre la société S2d.

Ainsi, Mme [T] dont les assertions ne sont étayées par aucun élément de preuve n’établit pas la réalité de ce grief.

Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de résiliation judiciaire.

Sur le licenciement

La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise. L’employeur qui l’allègue a la charge de la preuve.

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige reproche à Mme [T] de ne s’être pas présentée à son poste de travail à la suite du transfert de son contrat de travail de la société [T] Diffusion à la société S2d, effectif à compter du 1er juin 2018, et de ne pas avoir justifié son absence malgré une mise en demeure notifiée le 15 juin 2018, une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 18 juin et des échanges téléphoniques en vue d’une démarche amiable.

La salariée ne conteste pas la matérialité du grief. Elle fait valoir qu’elle a été placée dans l’impossibilité de reprendre le travail au sein de la société S2d en raison de l’absence du statut collectif et des conditions indignes de travail.

La Cour a jugé ces moyens dénués de fondement. Ils ne peuvent, dès lors, caractériser des faits justificatifs propres à rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le refus de la salariée de se présenter à son poste de travail constitue un manquement de la salariée à son obligation de fournir une prestation de travail rendant impossible la poursuite de la relation de travail.

Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes indemnitaires de Mme [T] pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que les demandes accessoires consécutives à la rupture du contrat de travail.

Sur les autres demandes

Tenue aux dépens, Mme [T] sera condamnée à verser la somme de 1000 suros à la société S2d et la somme de 500 suros à la Société [V] [W] es qualité de liquidateur à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La présente décision sera déclarée opposable au CGEA de [Localité 4] dans la limite légale de sa garantie.

Par ces motifs

La cour,

Confirme le jugement entrepris

y ajoutant

Condamne Mme [C] [B] épouse [T] à verser la somme de 1000 euros à la société S2d et la somme de 500 suros à la Société [V] [W] es qualité de liquidateur à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

Déclarée la présente décision opposable au CGEA de [Localité 4] dans la limite légale de sa garantie.

Condamne Mme [C] [B] épouse [T] aux dépens.

Signé par Eric Veyssière, président et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps E. Veyssière


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