Enregistrement musical exclusif : les mesures d’instruction

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Enregistrement musical exclusif : les mesures d’instruction

Face à la retiscence du producteur, la communication des décomptes d’exploitation des oeuvres musicales réalisés par les licenciés et les distributeurs peut être obtenue par voie d’expertise dès lors que les années d’exploitation en cause ne sont pas atteintes par la prescription.

En la cause, toute action en paiement de redevances exigibles depuis plus de cinq ans avant l’introduction de l’instance serait manifestement vouée à l’échec comme prescrite, aucune pièce versée aux débats n’étant par ailleurs de nature à étayer les suspicions de fraude alléguées par l’artiste, aucune dissimulation alléguée n’étant en particulier établie s’agissant de l’exécution des contrats d’enregistrement exclusif. Par ailleurs, la complexité des modalités de calcul et leur incompréhension n’est pas de nature à reporter le point de départ de la prescription. La mesure d’instruction telle que sollicitée par l’artiste apparaît dépourvue de motif légitime s’agissant des périodes d’exploitation exposées à la prescription et en tout état de cause disproportionnée en l’état des éléments versés aux débats.

Il convient en conséquence de limiter la mesure d’instruction sollicitée aux périodes non atteintes par la prescription. La mesure d’instruction étant rendue à la demande et dans l’intérêt de l’artiste, les sommes à consigner sont mises à sa charge.

Pour rappel, en vertu de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé, sauf lorsque la mesure n’est pas de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur, ou que l’action au fond qui motive la demande d’expertise est manifestement vouée à l’échec.

Pour ordonner une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145, le juge des référés doit caractériser l’existence d’un litige potentiel susceptible d’opposer les parties (en ce sens Cass. Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-24.368).

La mesure ordonnée doit être nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du demandeur et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

L’article 263 du code de procédure civile prévoit que « L’expertise n’a lieu d’être ordonnée que dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge ».

L’article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Selon l’article 2233 1° du code civil, la prescription ne court pas à l’égard d’une créance qui dépend d’une condition, jusqu’à ce que la condition arrive. Il en résulte que la prescription quinquennale ne court pas lorsque la créance, même périodique, dépend d’éléments qui ne sont pas connus du créancier et doivent résulter de déclarations que le débiteur est tenu de faire (Cass. com., 28 juin 2017, pourvoi n° 15-20.108).

Résumé de l’affaire : Madame [W] [Y], chanteuse et présidente de la société Visa rejected, a des relations contractuelles avec plusieurs sociétés, dont Think zik group, A Subversive soul society et Punk punk club !, pour la production et l’édition musicale. Elle a signé divers contrats d’enregistrement et de coproduction avec ces sociétés. En septembre 2023, elle a exprimé des préoccupations concernant la gestion de ses droits et a demandé des documents relatifs à ses contrats. Les sociétés ont répondu en fournissant certains éléments, mais Mme [Y] a jugé cette communication incomplète, notamment en raison de l’absence de redditions de comptes antérieures à 2018. En janvier 2024, elle a assigné les sociétés en référé pour demander une expertise judiciaire sur la gestion de ses droits et les sommes dues. Les sociétés ont contesté la compétence du juge et ont demandé le déboutement de Mme [Y]. Le juge a finalement ordonné une expertise pour établir les comptes entre les parties et vérifier les éventuelles irrégularités dans les décomptes. Une provision de 5000 euros a été fixée pour couvrir les frais d’expertise, avec des délais précis pour la réalisation de la mission de l’expert.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les compétences respectives du tribunal judiciaire et du conseil de prud’hommes dans le cadre des contrats d’enregistrement exclusifs ?

La question de la compétence entre le tribunal judiciaire et le conseil de prud’hommes est cruciale dans le cadre des litiges liés aux contrats d’enregistrement exclusifs.

Selon l’article L. 1411-1 du Code du travail, le conseil de prud’hommes est compétent pour connaître des litiges entre employeurs et salariés, notamment en ce qui concerne l’exécution des contrats de travail.

En revanche, le tribunal judiciaire est compétent pour les litiges relatifs aux droits d’auteur et à la propriété intellectuelle, comme le stipule l’article 1er du Code de procédure civile, qui précise que le tribunal judiciaire connaît de toutes les affaires civiles, sauf celles qui sont attribuées à une autre juridiction.

Dans le cas présent, Mme [Y] soutient que ses demandes concernent la reddition de comptes et le paiement des redevances dues au titre de la cession et de l’exploitation commerciale de ses droits d’artiste, ce qui relève de la compétence du tribunal judiciaire.

Les sociétés défenderesses, quant à elles, affirment que les contrats d’enregistrement sont des contrats de travail, ce qui justifierait la compétence du conseil de prud’hommes.

Le juge des référés a conclu que l’exception d’incompétence soulevée par les sociétés devait être déclarée irrecevable, car elles n’avaient pas correctement motivé leur demande de renvoi vers le conseil de prud’hommes.

Quelles sont les conditions pour ordonner une mesure d’expertise judiciaire en référé ?

L’article 145 du Code de procédure civile précise que, pour ordonner une mesure d’expertise judiciaire, il doit exister un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.

Cette mesure est admissible à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé, sauf si elle n’est pas de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur ou si l’action au fond est manifestement vouée à l’échec.

Le juge des référés doit également caractériser l’existence d’un litige potentiel susceptible d’opposer les parties, comme l’indique la jurisprudence (Cass. Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-24.368).

Dans le cas de Mme [Y], le juge a constaté l’existence de questionnements sur les comptes entre les parties et des tentatives inabouties de sa part pour s’assurer qu’elle avait été remplie de ses droits.

Cela a justifié l’ordonnance d’une mesure d’expertise pour établir les comptes entre les parties et déterminer les redevances dues, en se basant sur les contrats d’enregistrement exclusifs.

Comment la prescription affecte-t-elle les demandes de paiement des redevances ?

La prescription des actions personnelles ou mobilières est régie par l’article 2224 du Code civil, qui stipule que ces actions se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

L’article 2233, 1° du même code précise que la prescription ne court pas à l’égard d’une créance qui dépend d’une condition, jusqu’à ce que la condition arrive.

Dans le contexte de Mme [Y], les sociétés défenderesses ont soutenu que toute action en paiement des redevances exigibles depuis plus de cinq ans avant l’introduction de l’instance serait manifestement vouée à l’échec, car ces demandes seraient prescrites.

Le juge a convenu que les pièces versées aux débats ne justifiaient pas de suspicions de fraude et que la complexité des modalités de calcul des redevances ne suffisait pas à reporter le point de départ de la prescription.

Ainsi, la mesure d’instruction a été limitée aux périodes postérieures au 1er juillet 2018, car les demandes antérieures étaient considérées comme prescrites.

Quels sont les droits de Mme [Y] en matière de reddition de comptes et d’audit ?

Les droits de Mme [Y] en matière de reddition de comptes sont encadrés par les dispositions des contrats d’enregistrement exclusifs qu’elle a signés avec les sociétés défenderesses.

Ces contrats prévoient généralement des obligations de reddition de comptes, permettant à l’artiste de vérifier les montants dus au titre des redevances.

L’article 12.07 des contrats stipule que l’artiste a le droit d’auditer les comptes, ce qui lui permet de s’assurer de la bonne gestion de ses droits et des paiements qui lui sont dus.

Dans le cas présent, Mme [Y] a exprimé des inquiétudes quant à la gestion de ses droits, notamment en raison de l’absence de redditions de comptes antérieures à 2018.

Le juge a noté que les sociétés avaient communiqué des redditions de comptes semestrielles depuis 2011, sans que Mme [Y] ne les conteste avant l’instance actuelle.

Cela soulève la question de savoir si elle a effectivement exercé son droit d’audit, ce qui pourrait avoir des implications sur ses demandes de paiement et sur la reconnaissance de ses droits en matière de reddition de comptes.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

11 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
24/50794
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

N° RG 24/50794 – N° Portalis 352J-W-B7I-C3VY4

FMN° : 2

Assignation du :
22 Janvier 2024

[1]

[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 11 septembre 2024

par Anne BOUTRON, Vice-présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSE

Madame [W] [Y]
[Adresse 4]
[Localité 8]
représentée par Maître Laurence CECHMAN de la SELEURL Selarl Laurence CECHMAN, avocats au barreau de PARIS – #C0553

DEFENDERESSES

Société THINK ZIK GROUP
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 9]

représentée par Maître Jean-paul YILDIZ de la SELARL YZ AVOCAT, avocats au barreau de PARIS – #C0794

Société PUNK PUNK CLUB !
[Adresse 3]
[Localité 6]

représentée par Maître Jean-paul YILDIZ de la SELARL YZ AVOCAT, avocats au barreau de PARIS – #C0794

Société A SUBVERSIVE SOUL SOCIETY
[Adresse 3]
[Localité 6]

représentée par Maître Jean-paul YILDIZ de la SELARL YZ AVOCAT, avocats au barreau de PARIS – #C0794

DÉBATS

A l’audience du 04 Juin 2024, tenue publiquement, présidée par Anne BOUTRON, Vice-présidente, assistée de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties,

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [W] [Y] est une chanteuse, auteure-compositrice et artiste-interprète, connue sous le nom de scène  » [B]  » et présidente de la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Visa rejected.
La société Think zik group est une société de droit sénégalais constituée le 26 avril 2010 par M. [T] [F], avec lequel Mme [Y] a contracté mariage le 23 juillet 2015. La société A Subversive soul society est une société de droit français constituée le 11 février 2014. La société Punk punk club ! est une société de droit français constituée le 26 février 2019. Ces sociétés ont pour activités principales la production et l’édition musicale.
Dans le cadre de son activité professionnelle, Mme [Y] a notamment conclu: – avec la société Think zik group, un contrat d’enregistrement exclusif daté 24 mai 2010 et un avenant le 4 avril 2012;
– avec la société Punk punk club !, un contrat d’enregistrement exclusif daté du 4 mai 2020.

Les sociétés Think zik group et A Subversive Soul society ont quant à elle conclu le 4 mars 2014 un contrat de coproduction du deuxième album de Mme [Y] et un contrat de réalisation artistique au titre des enregistrements de l’album « Voodoo Cello» a été conclu entre les sociétés Punk punk club ! et Visa rejected représentée par Mme [Y] .
Les sociétés du groupe groupe Think zik ! ont par ailleurs conclu divers contrats avec des sociétés tierces de licence et de distribution pour assurer la production, la promotion et l’exploitation des albums de Mme [Y].
Par courrier du 5 septembre 2023, estimant que des irrégularités avaient été commises dans la gestion de ses contrats et la perception de ses droits, Mme [Y] a, par l’intermédiaire de son conseil, mis en demeure les sociétés Punk punk club ! et Think zik group, de lui communiquer divers éléments et documents.

Par courriel du 10 octobre 2023, le conseil de ces sociétés a transmis certains éléments, notamment : – les contrats d’enregistrement conclu entre Mme [Y] et les sociétés Punk punk club ! et Think zik group;
– 24 contrats de licence et de distribution et 3 avenants ;
– les redditions de comptes semestrielles distributeurs et licenciés 2018 – 2022 ;
– les redditions de comptes semestrielles artiste 2018 – 2022 ; 2019-2022), Punk Punk club ! (période 2021-2022) et A Subversive soul society (période de 2018 à 2020).

Mme [Y] déclare s’inquiéter de la bonne gestion de ses droits en raison du caractère selon elle incomplet de cette communication du fait notamment de l’absence des redditions de compte antérieures à 2018, ainsi qu’au regard des échanges entre les parties concernant la gestion du groupe Think zik, le paiement de sommes dues à la société Visa rejected et la promotion de ses oeuvres aux Etats Unis et au Canada.
C’est dans ce contexte que Mme [Y] a fait assigner, par acte de commissaire de justice du 22 janvier 2024, les sociétés Think zik group, Punk punk club ! et A Subversive soul society à l’audience du juge des référés du 2 avril 2024 afin de voir ordonner une expertise judiciaire. L’audience a été renvoyée au 4 juin 2024, date à laquelle l’affaire a été plaidée.
PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de son assignation, réitérés oralement à l’audience, Mme [Y] demande au juge des référés de :
Débouter les sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk punk club ! de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

Désigner tel expert judiciaire qu’il plaira à Madame, Monsieur le président du tribunal judiciaire de Paris de nommer, avec pour mission de :
o Se faire communiquer tous documents et pièces utiles à l’accomplissement de sa mission,
o Prendre ainsi en particulier connaissance :
 » (i) de la documentation contractuelle liant Mme [Y] à son producteur, le groupe Think Zik !, composé en particulier des sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk punk club ! ,
 » (ii) de la documentation contractuelle liant le groupe Think Zik !, composé en particulier des sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk punk club !, à tous tiers intervenants de l’industrie musicale, en ce compris des licenciés et distributeurs, dans le cadre de l’exploitation commerciale des droits concédés par Mme [Y],
 » (iii) de l’ensemble des décomptes réalisés par le groupe Think Zik !, en ce compris en particulier les sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk punk club !, et tels que transmis par ces sociétés à Mme [Y],
 » (iv) de l’ensemble des décomptes réalisés par les licenciés et les distributeurs à l’attention des sociétés du groupe Think Zik ! dans le cadre de l’exploitation commerciale du travail de Mme [W] [Y], et tels que transmis par les sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk punk club ! à Mme [Y],
 » (v) de toute autre pièce que chacune des parties jugerait utile de lui adresser dans le cadre de l’expertise,
et ce, sans préjudice de toute autre document qu’il jugerait utile pour les besoins de sa mission ;
o Entendre les parties en leurs dires et observations, et éventuellement tout sachant dont l’audition serait utile,

o Établir les comptes entre les Parties, et en particulier le montant de l’ensemble des redevances et autres sommes dues par le groupe Think Zik !, en ce compris en particulier les sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk punk club !, à Mme [W] [Y] conformément à leurs engagements contractuels, et ce, depuis le contrat d’enregistrement conclu entre elles depuis le 24 mai 2010 ;
o Dire si les décomptes transmis par le groupe Think Zik !, en ce compris en particulier les sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk punk club !, à Mme [W] [Y], depuis le 24 mai 2010, ont été réalisés conformément à la loi, à la documentation contractuelle applicable, et aux bonnes pratiques du métier ;
o Relever et décrire les éventuelles omissions, inexactitudes, anormalités ou irrégularités grevant les décomptes transmis par le groupe Think Zik !, en ce compris en particulier les sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk punk club !, à Mme [W] [Y] ;
o En détailler l’origine, les causes et l’étendue, et fournir tous éléments permettant à la juridiction de déterminer à quels intervenants ces omissions, inexactitudes, anormalités ou irrégularités, sont imputables, et dans quelles proportions ;
o Indiquer les conséquences de ces omissions, inexactitudes, anormalités ou irrégularités quant aux redevances et autres sommes dues à Mme [W] [Y], depuis le 24 mai 2010, par le groupe Think Zik !, en ce compris en particulier sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk Punk club !, au regard de la documentation contractuelle applicable ;
o Donner son avis sur l’étendue du préjudice subi par Mme [W] [Y] du fait des omissions, inexactitudes, anormalités ou irrégularités constatées sur les décomptes transmis par le groupe Think Zik !, en ce compris en particulier les sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk punk club !, à Mme [W] [Y] depuis le 24 mai 2010 ;
o Faire toutes analyses utiles à l’accomplissement de sa mission, et toute extension à ce titre ;
o Fournir d’une façon générale tous éléments techniques ou de fait de nature à permettre à la juridiction saisie de se prononcer sur les responsabilités encourues et les préjudices subis.
– Définir le délai au terme duquel, sauf prorogation sollicitée auprès du juge, l’expert devra communiquer son rapport ;
– Dire que l’expert pourra s’adjoindre tous sapiteurs s’il l’estime nécessaire à l’accomplissement de sa mission ;
– Fixer la provision à faire valoir sur les frais afférents à la mesure d’instruction sollicitée ;
– Condamner les sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk punk club ! à supporter les charges des frais d’expertise ;
– Condamner les sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk Punk club ! à payer à Mme [W] [Y] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 28 mai 2024 et réitérées oralement à l’audience, les sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk punk club ! demandent au juge des référés de :
A titre principal,

Se déclarer incompétent au profit du Président du conseil de prud’hommes compétent ;

Débouter en conséquence Madame [W] [Y] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

Condamner Madame [W] [Y] au paiement au profit les sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk punk club ! de la somme de 4 000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner Madame [W] [Y] aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par Maître Jean-Paul Yildiz (SELARL YZ AVOCAT – REALEX (AARPI)) Avocat au Barreau de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile

A titre subsidiaire,

Juger Madame [W] [Y] prescrite à agir en paiement des redevances dues au titre des exploitations antérieures au second semestre 2018 ;

Débouter en conséquence Madame [W] [Y] de toute demande d’instruction relative aux redevances dues pour les périodes antérieures au 1er juillet 2018 ;

Limiter le périmètre de l’expertise à intervenir aux redevances dues par les sociétés Think zik group et/ou A Subversive soul society et/ou Punk punk club ! sur les exploitations postérieures au 1er juillet 2018 en application des contrats d’enregistrement exclusifs du 24 mai 2010 et du 4 mai 2020 liant les parties ;

Réserver les frais et dépens

MOTIVATION

Sur l’exception d’incompétence

Moyens des parties

Les sociétés Think zik group, Punk punk club ! et A Subversive Soul society soutiennent que les contrats d’enregistrements exclusifs les liant à Mme [Y] sont des contrats de travail, de sorte que le conseil de prud’hommes est exclusivement compétent pour connaître de toute demande relative à l’exécution du contrat d’artiste par son producteur. Elles ajoutent que la demande d’expertise judiciaire formée par Mme [Y] porte exclusivement sur le montant des redevances dues en exécution de ces deux contrats d’enregistrements phonographiques et ne vise aucune violation d’aucune disposition du code de la propriété intellectuelle, ni ne nécessite la mise en œuvre de règles spécifiques du droit de la propriété littéraire et artistique.
Mme [Y] oppose que ses demandes portent sur des redditions de comptes et paiement des redevances dues au titre de la cession et de l’exploitation commerciale de ses droits d’artiste en application d’un contrat d’enregistrement exclusif d’artiste, ce qui relève de la compétence du tribunal judiciaire, et non sur des salaires éventuellement perçus par l’artiste-interprète au titre des séances d’enregistrement en studio qui seraient de la compétence du conseil des prud’hommes.

Réponse du juge des référés

Aux termes de l’article 75 du code de procédure civile:“S’il est prétendu que la juridiction saisie en première instance ou en appel est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d’irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l’affaire soit portée”.

La désignation de la juridiction compétente doit être faite dans le déclinatoire de compétence et non ultérieurement (en ce sens Cass. Civ.2e, 29 mai 1979, pourvoi n° 78-11.179) et indiquer tant la compétence matérielle que territoriale de la juridiction de renvoi (en ce sens Cass. soc. 22 janvier 1992, pourvoi n° 90-41.599 et Cass. soc. 11 avril 2018, pourvoi n° 16-13.622).

En l’occurrence, à défaut d’avoir indiqué la juridiction territorialement compétente, l’exception d’incompétence soulevée par les défenderesses doit être déclarée irrecevable.

Sur la demande de désignation d’un expert avant tout procès

Moyens des parties

Mme [Y] fait valoir que l’expertise sollicitée est une mesure légalement admissible et justifiée par un motif légitime tiré des irrégularités constatées dans la gestion de ses droits dans le cadre des contrats conclus avec les défenderesses, de nature à mettre en cause la responsabilité de son producteur, le groupe Think Zik !. Elle conteste le moyen de prescription opposé par les défenderesses au motif que la défaillance du producteur à honorer son obligation de reddition des comptes peut justifier le report du point de départ du délai de prescription, ainsi que la fraude à ses droits.
Les sociétés Think zik group, Punk punk club ! et A Subversive soul society demandent la limitation de la mesure d’expertise aux conventions produites par la demanderesse liant les parties au présent litige et prévoyant le paiement de salaires et/ou de redevances et aux seuls paiements non prescrits, soulignant que la demande d’expertise n’est recevable que s’agissant des contrats d’enregistrement exclusifs du 20 mai 2010 et du 24 mai 2020 et des redevances dues à compter du second semestre 2018.
Réponse du juge des référés

En vertu de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé, sauf lorsque la mesure n’est pas de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur, ou que l’action au fond qui motive la demande d’expertise est manifestement vouée à l’échec.
Pour ordonner une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145, le juge des référés doit caractériser l’existence d’un litige potentiel susceptible d’opposer les parties (en ce sens Cass. Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-24.368).
La mesure ordonnée doit être nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du demandeur et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.
L’article 263 du code de procédure civile prévoit que « L’expertise n’a lieu d’être ordonnée que dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge ».
L’article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Selon l’article 2233 1° du code civil, la prescription ne court pas à l’égard d’une créance qui dépend d’une condition, jusqu’à ce que la condition arrive. Il en résulte que la prescription quinquennale ne court pas lorsque la créance, même périodique, dépend d’éléments qui ne sont pas connus du créancier et doivent résulter de déclarations que le débiteur est tenu de faire (Cass. com., 28 juin 2017, pourvoi n° 15-20.108).

En l’occurrence, les pièces versées aux débats par Mme [Y] et en particulier les correspondances produites en pièces n°16 à 17 d, font état de l’existence de questionnements sur les comptes entre les parties et de ses tentatives inabouties visant pour elle à s’assurer avoir été remplie de ses droits, de nature à justifier l’existence d’un litige potentiel relatif au paiement de ses redevances et à la responsabilité de ses producteurs et d’un motif légitime à solliciter une mesure d’instruction in futurum, dont le bien fondé n’est d’ailleurs pas contesté dans son principe par les défenderesses.

Pour autant, Mme [Y] justifiant sa demande par la nécessité de “reconstituer les données permettant de calculer les redevances et autres sommes dues au titre de la documentation contractuelle la liant à son producteur”, la mesure sollicitée ne pourra porter que sur les contrats liant les parties que sont les contrats d’enregistrement exclusif du 24 mai 2010 conclu avec la société Think zik group et du 4 mai 2020 conclu avec la société Punk punk club !.

De plus, les défenderesses prouvent qu’ont été communiquées à Mme [Y] les redditions de comptes semestrielles du 1er semestre 2011 au 1er semestre 2023 et ce à compter de janvier 2012 pour le premier décompte (pièces défenderesses n°22.1 à 22.25 et 23.0 à 23.19) sans que Mme [Y] ne les questionne avant la présente instance ni n’exerce son droit d’audit annuel des comptes stipulé dans les contrats d’enregistrement exclusif (pièces défenderesses n°8 et 13, articles 12.07 et article 15) ni n’allègue ne pas avoir été payée des redevances ainsi calculées facturées par ses soins (pièces défenderesses n°25.1 à 25.14 et 26). Dès lors, toute action en paiement de redevances exigibles depuis plus de cinq ans avant l’introduction de l’instance serait manifestement vouée à l’échec comme prescrite, aucune pièce versée aux débats n’étant par ailleurs de nature à étayer les suspicions de fraude alléguées par Mme [Y], aucune dissimulation alléguée n’étant en particulier établie s’agissant de l’exécution des contrats d’enregistrement exclusif. Par ailleurs, la complexité des modalités de calcul et leur incompréhension n’est pas de nature à reporter le point de départ de la prescription.
La mesure d’instruction telle que sollicitée par Mme [Y] apparaît ainsi dépourvue de motif légitime s’agissant des périodes d’exploitation exposées à la prescription et en tout état de cause disproportionnée en l’état des éléments versés aux débats. Il convient en conséquence de limiter la mesure d’instruction sollicitée par Mme [Y] aux périodes postérieures au 1er juillet 2018, dans les termes du dispositif, la dernière reddition de compte reçue par Mme [Y] cinq ans avant l’introduction de la présente instance (le 5 décembre 2018) concernant les redevances datant du 1er semestre 2018.

La mesure d’instruction étant rendue à la demande et dans l’intérêt de Mme [Y], les sommes à consigner seront mises à sa charge.

Sur les demandes accessoires :

Les responsabilités n’étant pas encore définies, il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
L’article 491, alinéa 2 du Code de procédure civile précise que le juge des référés statue sur les dépens. L’ article 696 dudit Code dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
La partie demanderesse, dans l’intérêt de laquelle la présente décision est rendue, supportera la charge des dépens de la présente instance en référés.

PAR CES MOTIFS

Le juge des référés, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire en premier ressort

Déclare irrecevable l’exception d’incompétence

Ordonne une mesure d’expertise

Désigne en qualité d’expert :

[K] [G]
[Adresse 5]
[Localité 7]
Tél : [XXXXXXXX01]
Fax : [XXXXXXXX01]
Port. : [XXXXXXXX02]
Email : [Courriel 11]

lequel pourra prendre l’initiative de recueillir l’avis d’un autre technicien, mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne,

avec mission, les parties régulièrement convoquées, après avoir pris connaissance du dossier, s’être fait remettre tous documents utiles, et en particulier l’ensemble des contrats versés dans la présente instance, avoir entendu les parties ainsi que tout sachant, de :

– établir les comptes entre les parties, et en particulier le montant de l’ensemble des redevances et autres sommes dues par les sociétés Think zik group, A Subversive soul society et Punk punk club ! à Mme [W] [Y] en exécution des contrats d’enregistrement exclusif du 24 mai 2010 conclu avec la société Think zik group et du 4 mai 2020 conclu avec la société Punk punk club ! et relatives aux exploitations postérieures au 1er juillet 2018;

– relever et décrire les éventuelles omissions, inexactitudes ou irrégularités, en déterminer la cause et l’étendue et fournir tous éléments permettant à la juridiction de déterminer à quels intervenants ces omissions, inexactitudes ou irrégularités sont imputables et dans quelles proportions;

– donner son avis sur l’étendue du préjudice subi par Mme [W] [Y] du fait des éventuelles omissions, inexactitudes ou irrégularités constatées;

– fournir tout renseignement de fait permettant au tribunal de statuer sur les comptes entre les parties et sur les éventuelles responsabilités encourues;

– faire toutes observations utiles au règlement du litige;

Dit que pour procéder à sa mission l’expert devra :
– convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l’occasion de l’exécution des opérations ou de la tenue des réunions d’expertise;
– se faire remettre toutes pièces utiles à l’accomplissement de sa mission
– à l’issue de la première réunion d’expertise, ou dès que cela lui semble possible, et en concertation avec les parties, définir un calendrier prévisionnel de ses opérations; l’actualiser ensuite dans le meilleur délai:
°en faisant définir un enveloppe financière pour les investigations à réaliser, de manière à permettre aux parties de préparer le budget nécessaire à la poursuite de ses opérations ;
°en les informant de l’évolution de l’estimation du montant prévisible de ses frais et honoraires et en les avisant de la saisine du juge du contrôle des demandes de consignation complémentaire qui s’en déduisent ;
°en fixant aux parties un délai pour procéder aux interventions forcées ;
°en les informant, le moment venu, de la date à laquelle il prévoit de leur adresser son document de synthèse ;
– au terme de ses opérations, adresser aux parties un document de synthèse, sauf exception dont il s’expliquera dans son rapport (par ex : réunion de synthèse, communication d’un projet de rapport), et y arrêter le calendrier de la phase conclusive de ses opérations;
°fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse;
° rappelant aux parties, au visa de l’article 276 alinéa 2 du code de procédure civile, qu’il n’est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au delà de ce délai.

Fixe à la somme de 5000 euros le montant de la provision à valoir sur les frais d’expertise qui devra être consignée par la partie demanderesse à la Régie d’avances et de recettes du Tribunal Judiciaire de Paris au plus tard le 25 septembre 2024 inclus ;

Dit que, faute de consignation de la présente provision initiale dans ce délai impératif, ou demande de prorogation sollicitée en temps utile, la désignation de l’expert sera aussitôt caduque et de nul effet, sans autre formalité requise, conformément aux dispositions de l’article 271 du code de procédure civile ;

Dit que l’exécution de la mesure d’instruction sera suivie par le juge du contrôle des expertises, spécialement désigné à cette fin en application des articles 155 et 155-1 du même code ;

Dit que le terme du délai fixé par l’expert pour le dépôt des dernières observations marquera la fin de l’instruction technique et interdira, à compter de la date à laquelle il est fixé, le dépôt de nouvelles observations, sauf les exceptions visées à l’article 276 du code de procédure civile;

Dit que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 232 à 248, 263 à 284-1 du code de procédure civile et qu’il déposera l’original de son rapport au Greffe du Tribunal judiciaire de Paris (Contrôle des Expertises ) avant le 25 mars 2025, sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile de manière motivée auprès du Juge du Contrôle ;

Condamne la partie demanderesse aux dépens

Dit n’ y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile

Rappelle que la présente ordonnance est de plein droit exécutoire par provision

Fait à Paris le 19 septembre 2024

Le Greffier, Le Président,

Flore MARIGNY Anne BOUTRON


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