Le 26 août 2017, la société [D] [E] a contracté deux prêts professionnels auprès du Crédit Agricole, d’un montant total de 250.000 euros, avec des taux d’intérêt respectifs de 0,9% et 0,3%. M. [E] et Mme [E] se sont portés cautions solidaires pour un montant maximum de 75.000 euros chacun. En octobre 2017, un contrat de nantissement a été signé sur les parts sociales de la société. En novembre 2020, la société a été placée en liquidation judiciaire, et le Crédit Agricole a déclaré sa créance. En mars 2021, le Crédit Agricole a mis en demeure M. et Mme [E] de respecter leurs engagements de caution. En novembre 2022, le Crédit Agricole a assigné M. et Mme [E] en paiement. Le tribunal de commerce a rendu un jugement en septembre 2023, déboutant M. et Mme [E] de leurs demandes concernant la disproportion de leurs engagements et le manquement du Crédit Agricole à son devoir de mise en garde, tout en les condamnant à payer 75.000 euros chacun, avec des intérêts, et en leur accordant un délai de 24 mois pour rembourser. M. et Mme [E] ont interjeté appel en novembre 2023, et les dernières conclusions des parties ont été déposées en juin 2024. Le Crédit Agricole a demandé la confirmation du jugement, tandis que M. et Mme [E] ont demandé son infirmation sur plusieurs points. La cour a confirmé le jugement tout en rejetant les autres demandes des parties.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°357
N° RG 23/06505 – N° Portalis DBVL-V-B7H-UIKL
(Réf 1ère instance : 2022002783)
M. [D] [E]
Mme [L] [I] épouse [E]
C/
CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DU MORBIHAN
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me LE BERRE BOIVIN
Me SARRODET
Copie certifiée conforme délivrée
le :
à : TC de SAINT BRIEUC
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 08 OCTOBRE 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Fabienne CLÉMENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER LE GAC, Conseiller,
GREFFIERS :
Madame Julie ROUET, lors des débats, et Madame Frédérique HABARE, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l’audience publique du 24 Juin 2024
devant Monsieur Alexis CONTAMINE, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 08 Octobre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [D] [E]
né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 7]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Tiphaine LE BERRE BOIVIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Madame [L] [I] épouse [E]
née le [Date naissance 3] 1969 à [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Tiphaine LE BERRE BOIVIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DU MORBIHAN
immatriculée sous le RCS de VANNES sous le N° 777 903 816 prise en la peresonne de ses representants legaux domiciliés en cette qualité de droit au siège
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentée par Me Anne SARRODET de la SELARL VIGY LAW, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
Le 26 août 2017, la société [D] [E] a souscrit auprès de la société Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel du Morbihan (le Crédit Agricole) deux contrats de prêts professionnels :
– Le prêt n°10000274872, d’un montant principal de 220.000 euros, d’une durée de 84 mois au taux d’intérêt annuel de 0,9%,
– Le prêt n°10000274873, d’un montant principal de 30.000 euros, d’une durée de 84 mois au taux d’intérêt annuel de 0,3%,
Le même jour, M. [E], gérant de la société [D] [E], et Mme [E] née [I], se sont portés chacun cautions solidaires, par acte séparé, au titre des prêts n°10000274872 et n°10000274873 dans la limite de la somme de 75.000 euros, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de 108 mois.
NB : Le 2 octobre 2017, la société [D] [E] a conclu un contrat de nantissement portant sur ses parts sociales au profit du Crédit Agricole (pièces n°1 et 2 appelant).
Le 18 novembre 2020, la société [D] [E] a été placée en liquidation judiciaire.
Le 16 décembre 2020, le Crédit Agricole a déclaré sa créance entre les mains du liquidateur.
Le 19 mars 2021, le Crédit Agricole a prononcé la déchéance du terme et mis en demeure M. et Mme [E] d’honorer leurs engagements de cautions.
Le 2 novembre 2022, le Crédit Agricole a assigné M. et Mme [E] en paiement.
Par jugement du 25 septembre 2023, le tribunal de commerce de Saint-Brieuc a :
– Débouté M. et Mme [E] de leur demande de juger les engagements de caution disproportionnés par rapport à leurs revenus et patrimoine,
– Débouté M. et Mme [E] de leur demande de juger que le Crédit Agricole a failli à son devoir de mise en garde,
– Condamné M. et Mme [E], à payer au Crédit Agricole la somme de 75.000 euros chacun, outre les intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 2020, date de la mise en demeure, en leur qualité de caution des engagements de la société [D] [E] au titre des prêts n°10000274872 et n°10000274873,
– Ordonné la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil,
– Accordé à M. et Mme [E] un délai de 24 mois pour payer leur dette de 150.000 euros par 22 mensualités d’égal montant et le solde à la 23ème mensualité, sachant que le délai court 1 mois à compter du présent jugement,
– Dit que la première échéance interviendra 1 mois à compter de la signification du présent jugement,
– Dit que M. et Mme [E] seront déchu des délais accordés après une seule mensualité impayée, et que le solde de la dette deviendra immédiatement exigible,
– Dit qu’à la fin de la période de remboursement (après 22 mois), le Crédit Agricole fournira un décompte du capital restant dû et des intérêts capitalisés pour le calcul de 23ème échéance,
– Condamné in solidum M. et Mme [E], à payer au Crédit Agricole la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné in solidum M. et Mme [E] aux entiers dépens,
– Dit que l’exécution provisoire ne s’applique à la présente affaire,
– Débouté les parties de leurs plus amples demandes ou contraires au dispositif du présent jugement.
M. et Mme [E] ont interjeté appel le 16 novembre 2023.
Les dernières conclusions de M. et Mme [E] ont été déposées en date du 14 juin 2024. Les dernières conclusions du Crédit Agricole ont été déposées en date du 13 mai 2024.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 juin 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS :
M. et Mme [E] demandent à la cour de :
– Confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
– Accordé à M. et Mme [E] un délai de 24 mois pour payer leur dette de 150.000 euros par 22 mensualités d’égal montant et le solde à la 23ème mensualité, sachant que le délai court 1 mois à compter du présent jugement,
– Dit que la première échéance interviendra 1 mois à compter de la signification du présent jugement,
– Dit que M. et Mme [E] seront déchu des délais accordés après une seule mensualité impayée, et que le solde de la dette deviendra immédiatement exigible,
– Dit qu’à la fin de la période de remboursement (après 22 mois) le Crédit Agricole fournira un décompte du capital restant dû et des intérêts capitalisés pour le calcul de la 23ème échéance,
– Infirmer le jugement en ce qu’il a :
– Débouté M. et Mme [E] de leur demande de juger les engagements de caution disproportionnés par rapport à leurs revenus et patrimoine,
– Débouté M. et Mme [E] de leur demande de juger que le Crédit Agricole a failli à son devoir de mise en garde,
– Condamné M. et Mme [E], à payer au Crédit Agricole la somme de 75.000 euros chacun, outre les intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 2020, date de mise en demeure en leur qualité de caution des engagements de la société [D] [E] au titre des prêts n°1000274872 et n°10000274873,
– Ordonné la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil,
– Condamné in solidum M. et Mme [E], à payer au Crédit Agricole
la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné in solidum M. et Mme [E] aux entiers dépens,
– Débouté les parties de leurs plus amples demandes ou contraires au dispositif du présent jugement,
– Et statuant à nouveau :
– Juger que les engagements de caution conclus le 26 août 2017 entre les parties sont manifestement disproportionnés par rapport aux revenus et patrimoine de M. et Mme [E] au moment de leur conclusion,
– Juger que M. et Mme [E] sont des cautions profanes,
– Juger que le préjudice de M. et Mme [E] est constitué par leur perte de chance de ne pas contracter les cautionnements litigieux,
– Juger que le Crédit Agricole a failli à son devoir de mise en garde envers M. et Mme [E],
– En conséquence :
– Déclarer inopposables à M. et Mme [E] les engagements de caution conclus le 26 août 2017 entre les parties,
– Débouter le Crédit Agricole de toutes ses demandes fins et conclusions,
– Condamner le Crédit Agricole à payer à chacune des deux cautions, soit, à M. et Mme [E], la somme de 22.500 euros chacun, correspondant à 30% du montant de leurs engagements à hauteur de 75.000 euros, à titre d’indemnisation de leur perte de chance de ne pas contracter le cautionnement litigieux,
– Si par extraordinaire la juridiction de céans condamnait les cautions au paiement de sommes auprès du Crédit Agricole au titre de leur engagements de caution :
– Ordonner pour chacune des deux cautions, la compensation de cette somme de 22.500 euros avec la créance éventuelle détenue par le Crédit Agricole à l’encontre du défendeur,
– En tout état de cause :
– Condamner le Crédit Agricole à verser, directement entre les mains de Maître [V] [M], la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner le Crédit Agricole aux entiers dépens d’instance et d’appel lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– Rejeter toutes demandes, fins et conclusions autres ou contraires aux présentes.
Le Crédit Agricole demande à la cour de :
– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement, et notamment en ce qu’il a :
– Débouté M. et Mme [E] de leur demande de juger les engagements de cautions disproportionnés, par rapport à leurs revenus et patrimoine,
– Débouté M. et Mme [E] de leur demande de juger le Crédit Agricole a failli à son devoir de mise en garde,
– Condamné M. et Mme [E], à payer au Crédit Agricole la somme de 75.000 euros chacun, outre les intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 2020, date de la mise en demeure, en leur qualité de caution des engagements de la société [D] [E] au titre des prêts n°10000274872 et n°10000274873,
– Ordonné la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil,
– Accordé à M. et Mme [E] un délai de 24 mois pour payer leur dette de 150.000 euros par 22 mensualités d’égale montant et le solde à la 23ème mensualité, sachant que le délai court 1 mois à compter du présent jugement,
– Dit que la première échéance interviendra 1 mois à compter de la signification du (présent) jugement,
– Dit que M. et Mme [E] seront déchu des délais accordés auprès une seule mensualité impayée, et que le solde de la dette deviendra immédiatement exigible,
– Dit qu’à la fin de la période de remboursement (après 22 mois) le Crédit Agricole fournira un décompte du capital restant dû et des intérêts capitalisés pour le calcul de la 23ème échéance,
– Condamné in solidum M. et Mme [E] à payer au Crédit Agricole la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné in solidum M. et Mme [E] aux entiers dépens,
– Dit que l’exécution provisoire ne s’applique pas à la présente affaire,
– Débouté les parties de leurs plus amples demandes ou contraires au dispositif du présent jugement,
– Débouter M. et Mme [E] de l’ensemble de leurs moyens fins et prétentions contraires ou plus amples aux présentes,
– Condamner in solidum M. et Mme [E] à payer au Crédit Agricole la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner M. et Mme [E] aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
Sur la disproportion manifeste :
M. et Mme [E] font valoir que leurs engagements de cautions respectifs seraient manifestement disproportionnés.
L’article L 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur du 1er juillet 2016 au 1er janvier 2022 et applicable en l’espèce, prévoit que le créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un cautionnement manifestement disproportionné :
Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
C’est sur la caution que pèse la charge d’établir cette éventuelle disproportion manifeste. Ce n’est que lorsque le cautionnement est considéré comme manifestement disproportionné au moment de sa conclusion qu’il revient au créancier professionnel d’établir qu’au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet à nouveau de faire face à son obligation.
Concernant la disproportion de l’engagement de M. [E] :
La fiche de renseignements remplie par la caution lie cette dernière quant aux biens et revenus qu’elle y déclare, le créancier n’ayant pas, sauf anomalie apparente, à en vérifier l’exactitude. Cependant, elle ne fait pas obstacle à ce que les éléments d’actif ou de passif dont le créancier ne pouvait ignorer l’existence soient pris en compte, ce, quand bien même ils n’auraient pas été déclarés.
L’antériorité de la fiche de renseignements n’a pas pour conséquence de lui enlever toute force probante. En pareil cas, il y a seulement lieu d’en relativiser les mentions et de prendre en considération les éventuels éléments de preuve contraires produits par la caution.
L’engagement de la caution mariée sous le régime de la communauté légale s’apprécie en prenant en considération tant les biens propres et revenus de la caution que les biens communs, en ce compris les revenus de son conjoint. Ainsi la disproportion des engagements de cautions mariées sous le régime légal doit s’apprécier au regard de l’ensemble de leurs biens et revenus propres et communs.
En l’espèce, à défaut de mention explicite contraire, il y a lieu de retenir que les époux étaient mariés sous le régime de la communauté légale.
En tout état de cause, l’article 1415 du code civil n’a pas vocation à s’appliquer à des engagements simultanés de caution souscrits par deux époux, en des termes identiques, sur le même acte de prêt, pour la garantie de la même dette. Un engagement simultané étant ainsi.
Pour apprécier le caractère disproportionné d’un cautionnement au moment de sa conclusion, les juges doivent prendre en considération l’endettement global de la caution, ce qui inclut les cautionnements qu’elle a précédemment souscrits par ailleurs, bien qu’ils ne correspondent qu’à des dettes éventuelles, à condition qu’ils aient été souscrits avant celui contesté.
Pour apprécier la proportionnalité de l’engagement d’une caution au regard de ses biens et revenus, les biens, quoique grevés de sûretés, lui appartenant doivent être pris en compte, leur valeur étant appréciée en déduisant le montant de la dette dont le paiement est garanti par ladite sûreté, évalué au jour de l’engagement de la caution.
M. [E] a rempli une fiche de renseignements le 28 juillet 2017. Il y a indiqué être marié, avoir un enfant à charge et percevoir un revenu mensuel de 3.300 euros, soit environ 39.600 euros par an. Il a précisé disposer d’une épargne d’un montant de 80.000 euros et être propriétaire d’un bien immobilier d’une valeur nette d’emprunt de 157.549 euros avec sa conjointe.
L’antériorité de la fiche de renseignement par rapport à celle à laquelle les contrats de prêts ont été souscrits, permet à la caution de pouvoir apporter la preuve que sa situation a évolué entre ces deux dates.
Il apparaît que M. [E] verse au débat des pièces contestant le montant des revenus perçu durant cette période.
Pour autant, il ne s’agit d’éléments permettant d’attester d’une éventuelle évolution quant à la situation salariale de M. [E] entre le 27 juillet 2017, date d’édition de la fiche de renseignement, et le 26 août 2017, date de souscription du contrat. L’avis d’imposition sur les revenus perçus au cours de l’année 2017 ne permet en effet pas de dater avec précision les revenus.
Dès lors ces éléments ne pourront être pris en considération.
Il résulte de tous ces éléments que le cautionnement souscrit par M. [E] auprès du Crédit Agricole le 26 août 2017 n’était pas, au jour de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus. En effet, ses biens et revenus, et l’absence d’endettement, lui permettaient, de faire face à un nouvel engagement de caution souscrit dans la limite de la somme de 75.000 euros.
En tout état de cause, la prise en compte des revenus moyens de M. [E] pour l’année 2017, près de 24.000 euros imposables outre près de 1.000 euros pour le couple au titre de revenus mobilier imposables, ne permettrait pas non plus de caractériser le caractère manifestement disproportionné de son engagement.
Partant, il n’y a pas lieu d’examiner la proportionnalité de ce cautionnement au jour où M. [E] a été appelé.
Concernant la disproportion de l’engagement de Mme [E] :
La fiche de renseignements remplie par la caution lie cette dernière quant aux biens et revenus qu’elle y déclare, le créancier n’ayant pas, sauf anomalie apparente, à en vérifier l’exactitude. Cependant, elle ne fait pas obstacle à ce que les éléments d’actif ou de passif dont le créancier ne pouvait ignorer l’existence soient pris en compte, ce, quand bien même ils n’auraient pas été déclarés.
L’antériorité de la fiche de renseignements n’a pas pour conséquence de lui enlever toute force probante. En pareil cas, il y a seulement lieu d’en relativiser les mentions et de prendre en considération les éventuels éléments de preuve contraires produits par la caution.
L’engagement de la caution mariée sous le régime de la communauté légale s’apprécie en prenant en considération tant les biens propres et revenus de la caution que les biens communs, en ce compris les revenus de son conjoint. Ainsi la disproportion des engagements de cautions mariées sous le régime légal doit s’apprécier au regard de l’ensemble de leurs biens et revenus propres et communs.
En l’espèce, à défaut de mention explicite contraire, il y a de retenir que les époux étaient mariés sous le régime de la communauté légale.
En tout état de cause, l’article 1415 du code civil n’a pas vocation à s’appliquer à des engagements simultanés de caution souscrits par deux époux, en des termes identiques, sur le même acte de prêt, pour la garantie de la même dette. Un engagement simultané étant ainsi caractérisé.
Pour apprécier le caractère disproportionné d’un cautionnement au moment de sa conclusion, les juges doivent prendre en considération l’endettement global de la caution, ce qui inclut les cautionnements qu’elle a précédemment souscrits par ailleurs, bien qu’ils ne correspondent qu’à des dettes éventuelles, à condition qu’ils aient été souscrits avant celui contesté.
Pour apprécier la proportionnalité de l’engagement d’une caution au regard de ses biens et revenus, les biens, quoique grevés de sûretés, lui appartenant doivent être pris en compte, leur valeur étant appréciée en déduisant le montant de la dette dont le paiement est garanti par ladite sûreté, évalué au jour de l’engagement de la caution.
Mme [E] a rempli une fiche de renseignements le 28 juillet 2017. Elle y a indiqué être mariée, n’avoir aucune personne à sa charge et ne percevoir aucun revenu. Elle y a précisé disposer d’une épargne d’un montant de 80.000 euros et être propriétaire d’un bien immobilier d’une valeur nette d’emprunt de 157.549 euros (NB calcul : 180.000 euros de valeur estimative – 22.451 euros de capital restant dû), avec son conjoint.
Enfin, au même titre que pour M. [E], les éléments versés au débat ne concernent par une évolution quant au revenu salarial perçu par Mme [E] entre le 27 juillet 2017, date d’édition de la fiche de renseignement, et le 26 août 2017, date de souscription du contrat.
Dès lors ces éléments ne pourront être pris en considération.
Il résulte de tous ces éléments que le cautionnement souscrit par Mme [E] auprès du Crédit Agricole le 26 août 2017 n’était pas, au jour de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus. En effet, ses biens et revenus lui permettaient, au vu de son endettement global, de faire face à un nouvel engagement de caution souscrit dans la limite de la somme de 75.000 euros.
En tout état de cause, à supposer qu’il faille prendre en compte l’évolution des revenus du couple pour l’année 2017, cette prise en compte ne serait pas de nature à caractériser un engagement manifestement disproportionné.
Partant, il n’y a pas lieu d’examiner la proportionnalité de ce cautionnement au jour où Mme [E] a été appelée.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur l’obligation de mise en garde :
C’est sur le créancier professionnel que pèse la charge d’établir que la caution est avertie, à défaut, elle est présumée profane. Si la caution est profane, l’établissement bancaire doit la mettre en garde lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté à ses capacités financières ou qu’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur.
En effet, le banquier est tenu à l’égard de ses clients, emprunteurs profanes, d’un devoir de mise en garde. Il incombe à la banque de rapporter la preuve qu’elle a satisfait au devoir de mise en garde auquel elle est tenue à l’égard d’un emprunteur non averti. Mais il appartient à l’emprunteur de rapporter la preuve qu’à l’époque de la souscription du crédit litigieux, sa situation financière imposait l’accomplissement par la banque de son devoir de mise en garde. Ainsi, l’emprunteur qui invoque l’existence d’un devoir de mise en garde de la banque doit démontrer que les prêts n’étaient pas adaptés à sa situation financière et créaient, de ce fait, un risque d’endettement contre lequel il devait être mis en garde.
La caution avertie n’est pas créancière de ce devoir de mise en garde, sauf si elle démontre que la banque disposait d’informations qu’elle-même ignorait, notamment sur la situation financière et les capacités de remboursement du débiteur principal.
Pour apprécier la qualité de la caution, il y a lieu de tenir compte de la formation, des compétences et des expériences concrètes de celle-ci ainsi que de son implication dans le projet de financement. Il doit être démontré qu’elle avait une connaissance étendue du domaine de la finance et de la direction d’entreprise. Le fait que la caution ait été, lors de la conclusion du cautionnement, dirigeant de la société cautionnée ne représente qu’un seul des indices permettant d’apprécier sa qualité de caution profane ou avertie.
Les différentes pièces apportées au débat permettent d’affirmer que M. et Mme [E] sont des cautions profanes, ceux-ci ne disposant d’aucune compétence et expérience particulière dans le domaine du financement et de la gestion d’entreprise.
L’existence d’un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur, n’est pas établi. En effet, il résulte des éléments de patrimoine et de revenus, examinés supra au titre de la disproportion manifeste, que les engagements de M. et Mme [E] n’étaient pas inadaptés à leurs capacités financières respectives.
Enfin, M. et Mme [E] ne produisent par ailleurs aucun élément comptable ou autre sur les circonstances dans lesquelles la société a été placée en liquidation judiciaire, ni aucun élément sur sa situation au moment de l’octroi du cautionnement litigieux. La seule importance du montant des échéances de remboursement que la société cautionnée avait à payer ne permet pas de caractériser un risque d’endettement.
Les époux [E] n’établissent pas qu’il existait un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur
Cette demande sera donc rejetée. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner M. et Mme [E] aux dépens d’appel et de rejeter les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour :
– Confirme le jugement,
– Y ajoutant :
– Rejette les autres demandes des parties,
– Condamne M. [E] et Mme [I], épouse [E], aux dépens d’appel.
Le Greffier Le Président