Engagement de caution et prescription : rejet de la demande principale

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Engagement de caution et prescription : rejet de la demande principale

Résumé de l’affaire

La Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine a consenti un prêt à la société [S] Patrimoine pour l’acquisition de neuf appartements, garanti par les cautions solidaires de M. [E] [S] et de Mme [K] [G]. Suite au non-paiement des mensualités, la banque a demandé le remboursement du prêt à M. [S] et à Mme [G]. M. [S] a été condamné à payer une somme importante, mais n’a effectué qu’un règlement partiel. Une saisie immobilière a été initiée, mais n’a pas permis de régler la créance. La banque a ensuite demandé à Mme [G] de payer en tant que caution solidaire, ce qu’elle conteste en invoquant un manquement au devoir de mise en garde de la part de la banque et la disproportion de son engagement de caution par rapport à ses ressources. La question de la prescription de l’action en responsabilité de la caution est également soulevée. La décision finale est en attente.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

14 août 2024
Tribunal judiciaire de Nice
RG
22/03412
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE NICE

4ème Chambre civile
Date : 14 Août 2024 –
MINUTE N°

N° RG 22/03412 – N° Portalis DBWR-W-B7G-ONQD
Affaire : CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE agissant poursuites et diligences de ses représentants, domiciliés en cette qualité audit siège
C/ [K] [G] divorcée [S]

ORDONNANCE DE MISE EN ETAT

Nous, Madame VALAT, Juge de la Mise en Etat,
assistée de Madame BOTELLA, Greffier.

DEMANDERESSE AU PRINCIPAL ET A L’INCIDENT

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’AQUITAINE agissant poursuites et diligences de ses représentants, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Maître Delphine DURANCEAU de la SELARL DURANCEAU PARTENAIRES & ASSOCIÉS, avocats au barreau de GRASSE

DEFENDERESSE AU PRINCIPAL ET A L’INCIDENT

Mme [K] [G] divorcée [S]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Nathalie BEURGAUD, avocat au barreau de NICE

Vu les articles 780 et suivants du Code de Procédure Civile,
Ouï les parties à notre audience du 22 mars 2024

La décision ayant fait l’objet d’un délibéré au 27 juin 2024 a été rendue le 14 Août 2024, après prorogation du délibéré, par Madame VALAT Juge de la Mise en état,
assistée de Madame BOTELLA, Greffier.

Grosse
– Me Nathalie BEURGAUD

Expédition
– Me Delphine DURANCEAU

Le 14 août 2024

Mentions diverses :

Suivant acte authentique en date du 31 décembre 2007, la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine a consenti à la société à responsabilité limitée [S] Patrimoine un prêt  » tout habitat  » n°00046485440 d’un montant de 583.275 euros pour une durée de 240 mois destiné à financer l’acquisition de neuf appartements dans une résidence sous le statut de loueur meublé professionnel.

Le prêt consenti était garanti notamment par les cautionnements solidaires de M. [E] [S] et de Mme [K] [G] divorcée [S].

La société à responsabilité limitée [S] Patrimoine a cessé de régler les mensualités du prêt. La Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine a adressé une mise en demeure, puis a prononcé la déchéance du terme par courrier en date du 2 novembre 2015 et a demandé à M. [S] et à Mme [G] en qualité de cautions solidaires le règlement du solde du prêt d’un montant de 616.977,82 euros.

Par acte d’huissier du 12 janvier 2016, la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine a fait assigner M. [S] devant le tribunal de grande instance de Grasse aux fins d’obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 625.055,23 euros, outre intérêts au taux contractuel de retard de 5,10 %, majoré du taux complémentaire de 3 points à compter du 15 décembre 2015.

Par jugement en date du 15 avril 2019, le tribunal de grande instance de Grasse a condamné M. [S] à régler la somme de 726.022,85 euros au titre du prêt.

Le 3 mai 2021, M. [S] a effectué un règlement partiel.

Une saisie immobilière des biens a été initiée et le juge de l’exécution du tribunal de grande instance d’Avignon a constaté la carence d’enchère par jugement en date du 18 janvier 2018 et a déclaré la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine adjudicataire des neuf lots, sans que la créance puisse être soldée.

Par courrier recommandé du 22 juin 2021, la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine a mis en demeure Mme [G] de s’acquitter de la somme de 241.328,53 euros en qualité de caution solidaire.

Par acte d’huissier en date du 31 août 2022, la banque a fait assigner Mme [G] devant le tribunal judiciaire de Nice afin d’obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 241.328,53 euros, outre intérêts au taux contractuel de 5,10 %, majoré du taux complémentaire de 3 %, soit 8,10 % à compter du 22 juin 2021 et jusqu’à parfait règlement.

Dans ses conclusions en défense notifiées le 7 novembre 2022, Mme [G] a reproché à la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine un manquement au devoir de mise en garde et le fait que son engagement de caution était disproportionné au regard de ses ressources.

Par conclusions d’incident notifiées le 31 janvier 2023, la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine a saisi le juge de la mise en état d’un incident relatif à la prescription de l’argumentation soulevée en défense par Mme [G].

Par dernières conclusions d’incident n°4 notifiées le 18 mars 2024, la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine conclut au débouté de Mme [G] de ses demandes relatives à la décharge ou à la réduction de l’engagement de caution formulées dans le cadre de son action reconventionnelle en responsabilité, celle-ci étant prescrite, ainsi qu’au débouté de sa demande de dommages et intérêts sur le fondement de la procédure abusive. Elle sollicite enfin la condamnation de Mme [G] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

La Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine fait valoir au visa de l’article L 110-4 I du code de commerce que la prescription quinquennale s’applique au cas d’espèce et que le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité exercée par la caution contre la banque est fixée au jour où la caution a su, par la mise en demeure qui lui a été adressée le 2 novembre 2015, que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal.

Elle soutient au visa des articles 64 et 71 du code de procédure civile que la demande de paiement de dommages et intérêts formée par Mme [G] constitue une demande reconventionnelle puisqu’elle tend non pas au simple rejet de la demande en paiement de la banque, mais à l’obtention de dommages et intérêts et à la compensation avec la créance de la banque.
Elle note que le cautionnement d’un investissement professionnel constitue un engagement également professionnel et souligne que les cautions ont conventionnellement renoncé aux bénéfices de discussion ou de division dans le cadre du cautionnement professionnel solidaire.
Elle précise avoir fait le choix de poursuivre M. [S], dirigeant de la société, et qu’elle bénéficie de l’interruption de la prescription contre Mme [G] dès lors qu’elle justifie avoir agi contre M. [S] et avoir obtenu un titre exécutoire définitif, ce titre portant à dix ans la durée de la prescription de la créance applicable à la présente instance.
Elle explique qu’elle pensait que Mme [G] était insolvable alors qu’il s’avère qu’elle détient aujourd’hui un patrimoine suffisant pour assumer ses engagements de caution, reconnaissant expressément dans ses écritures être propriétaire d’un bien immobilier.

Par conclusion d’incident responsives et récapitulatives n°3 notifiées le 15 mars 2024, Mme [K] [G] conclut au rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription et sollicite la condamnation de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine à lui payer une indemnité d’un montant de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, sa condamnation à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux dépens.

Mme [G] affirme que ses demandes formulées au titre du manquement au devoir de mise en garde s’assimilent en une défense au fond et non à une demande reconventionnelle et n’est donc pas soumise à la prescription quinquennale.
Elle précise avoir contesté la mise en demeure du 2 novembre 2015 par courrier en date du 24 novembre 2015.
Elle explique que M. [S], gérant de la société [S] Patrimoine et associé à hauteur de 99 %, était à l’origine de la souscription du prêt, alors qu’elle n’était associée qu’à hauteur de 1 % pour les besoins de la constitution de la société. Elle souligne que la banque n’a agi à son encontre que sept ans après le défaut de règlement des mensualités du prêt et après le jugement de divorce rendu le 18 janvier 2021 lui accordant une prestation compensatoire d’un montant de 300.000 euros qui lui a permis, avec un emprunt, de faire l’acquisition d’un appartement pour se loger avec les enfants communs.
Elle reproche à la banque d’avoir abandonné sans raison l’exécution du jugement obtenu contre M. [S] pour l’intégralité des sommes dues au titre du prêt, alors que sa solvabilité ne fait aucun doute.

L’incident a été retenu à l’audience du 22 mars 2024 et la décision a été mise en délibéré au 27 juin 2024 prorogé au 14 août 2024 par mise à disposition au greffe.

MOTIFS

Sur la demande principale

Selon l’article 64 du code de procédure civile, constitue une demande reconventionnelle la demande par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire.

Aux termes de l’article 71 du code de procédure civile, constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire.

L’article 72 du même code prévoit que les défenses au fond peuvent être proposées en tout état de cause.

En application de l’article 122 du même code, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L’article L 110-4 I du code de commerce dispose que les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

En l’espèce, la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine a initié une action à l’encontre de Mme [G] par acte du 31 août 2022.

Par conclusions notifiées en défense le 7 novembre 2022, Mme [G] a demandé au tribunal de :
– la décharger de son engagement de caution signé le 27 juillet 2007, hors la présence de la banque, pour défaut de mise en garde et disproportion et remise de dettes à hauteur de 99 %,
– débouter en conséquence la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– vu le caractère abusif de l’action, la condamner au paiement de 10.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– la condamner également au paiement de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour frais irrépétibles.

Il convient de constater que la demande principale de Mme [G] ne vise qu’à obtenir la décharge partielle de son engagement de caution en raison d’une faute commise par la banque. Elle ne prétend pas obtenir un quelconque avantage mais le simple rejet de la prétention de la banque à hauteur de 99 %. Elle procède par conséquent par voie de défense au fond qui peut être opposée en tout état de cause.

Il est utile de préciser que, dans le cadre du jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 15 avril 2019 auquel se réfère la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine au soutien de son affirmation d’irrecevabilité, M. [S] avait formulé une demande reconventionnelle tendant à obtenir réparation du préjudice qu’il estime avoir subi en raison du manquement de la banque à son devoir de mise en garde et une demande d’expertise financière permettant d’évaluer ce préjudice. Contrairement aux allégations de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine, la nature des demandes formulées par M. [S] devant le tribunal de grande instance de Grasse diffère de celles formulées par Mme [G] devant le tribunal judiciaire de Nice.

La fin de non-recevoir tirée de la prescription sera par conséquent rejetée.

Sur les autres demandes

La demande de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine tendant au débouté de Mme [G] de ses demandes ainsi que la demande de Mme [G] de paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive excèdent la compétence du juge de la mise en état et seront par conséquent rejetées.

Partie perdante à l’incident, la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine sera condamnée aux dépens de l’incident ainsi qu’à payer à Mme [G] la somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Nous, juge de la mise en état, statuant après débats, par ordonnance contradictoire, en premier ressort, prononcée par mise à disposition au greffe,

REJETONS la fin de non-recevoir tirée de la prescription ;

CONDAMNONS la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine à payer à Mme [K] [G] la somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNONS la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine aux dépens de l’incident ;

REJETONS les autres demandes ;

RENVOYONS l’affaire à l’audience de mise en état du 04 décembre 2024 à 9 heures et invitons la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Aquitaine à notifier des conclusions récapitulatives au fond avant cette date ;

Et le juge de la mise en état a signé avec le Greffier.

LE GREFFIER LE JUGE DE LA MISE EN ETAT


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