Email collectif : l’obligation de confidentialité
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Adresser un message sur un outil collaboratif (e-Campus) accessible à l’ensemble d’une communauté (étudiants) et informant l’ensemble des destinataires du non-paiement de frais de scolarité incluant le nom de tous les élèves concernés, constitue une faute justifiant un licenciement.

Le licenciement d’un salarié est justifié en ce qu’il repose sur la violation par le salarié de son obligation de confidentialité, le non-respect des directives qui lui avaient été données par sa hiérarchie, une légèreté blâmable dans l’exécution de ses missions contractuelles, le caractère répété de son attitude laxiste ainsi que le manque de rigueur manifeste avec laquelle il a exécuté sa prestation de travail.

Par son objet, ce message révélait à l’ensemble de la communauté scolaire concernée le nom des étudiants débiteurs de leurs frais de scolarité et, par son contenu et le ton comminatoire adopté, stigmatisait ceux-ci auprès de leurs camarades, indépendamment des raisons des retards de paiement.

Cette circonstance ajoutée au fait que la liste des étudiants débiteurs mentionnait le nom d’une étudiante décédée moins de deux mois auparavant ne donne pas au message le caractère d’une simple maladresse mais lui confère celui d’une légèreté blâmable constitutive d’un manquement du salarié dans son devoir de prudence et de vigilance dans ses relations avec les étudiants dont il avait la charge ainsi que dans la diffusion d’informations sensibles et confidentielles auprès de certains d’entre eux. Elle caractérise également une certaine désinvolture du salarié dans l’application des consignes de l’employeur en ce qu’à l’évidence, celles-ci imposaient une démarche individuelle auprès de chaque étudiant concerné de la part du correspondant des études alors que le salarié a choisi une diffusion collective plus économe en temps et en énergie.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/01634 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7G2E

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Décembre 2018 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRETEIL – RG n° F18/00076

APPELANT

Monsieur B X

[…]

78140 VELIZY-VILLACOUBLAY

Représenté par Me Marie-Béatrix BEGOUEN, avocat au barreau de PARIS, toque : D2080

INTIMÉE

Association ECOLE SPÉCIALE DES TRAVAUX PUBLICS, DU BÂTIMENT ET DE L’INDUSTRIE (ESTP)

[…]

[…]

Représentée par Me Harold BERRIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1423

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 Septembre 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Philippe MICHEL, président de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

— contradictoire

— mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

— signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée indéterminée, M. B X a été engagé à compter du 21 novembre 2012 par l’association École spéciale des travaux public et de l’industrie (ESTP) en qualité de correspondant des études, statut agent de maîtrise, catégorie 4 échelon D.

L’association ESTP est un établissement d’enseignement supérieur privé. Elle compte plus de 11 salariés et ses relations de travail sont régies par la convention collective nationale de l’enseignement privé indépendant du 27 novembre 2007.

Par lettre du 27 mars 2017, M. X a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 5 avril 2017, avant d’être licencié pour faute simple par courrier du 27 avril 2017.

Contestant le bien fondé de son licenciement et réclamant le paiement d’heures supplémentaires, M. X a saisi le conseil de prud’hommes de Créteil, le 19 janvier 2018, de demandes en paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de rappel de salaires.

Par jugement du 17 décembre 2018, le conseil de prud’hommes de Créteil a débouté M. X de sa demande concernant le licenciement, s’est déclaré en partage de voix concernant la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et congés payé afférents, débouté les parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et mis les dépens à la charge des parties.

Par déclaration du 17 janvier 2019, M. X a interjeté appel du jugement.

Par jugement du 11 septembre 2020, le juge départiteur du conseil de prud’hommes de Créteil a ordonné le retrait du rôle de l’affaire à la demande des parties.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 2 avril 2019, M. X demande à la cour de :

— Infirmer le jugement rendu le 17 décembre 2018 ;

— Constater que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

— Condamner l’association l’ESTP à lui verser la somme de 17 780,70 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts de retard au taux légal à compter de la date du prononcé de la décision, outre celle de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er juillet 2019, l’association

ESTP demande à la cour de confirmer jugement déféré, débouter M. X de l’ensemble de ses demandes, juger que la demande initiale de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires prétendument réalisées par M. X n’est pas soutenue et donc abandonnée, condamner M. X à lui payer la somme de 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’instruction a été clôturée le 29 juin 2021, et l’affaire plaidée le 27 septembre 2021.

Par conclusions transmises par voie électronique le 7 septembre 2021, M. X demande à la cour de le recevoir en ses demandes, d’infirmer le jugement déféré, statuant à nouveau, de condamner l’association ESTP à payer à M. X les sommes suivantes assorties des intérêts au taux légal à compter de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation pour les créances salariales et de l’arrêt pour les autres sommes :

—  17 780,70 euros à d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  10 597,46 euros bruts à titre de rappels d’heures supplémentaires, outre 1 059,74 euros bruts de congés payés afférents,

—  10 095 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

et de condamner l’ESTP à lui remettre les documents sociaux conformes sous astreinte dont la cour se réservera la liquidation.

MOTIFS

Sur le rabat de l’ordonnance de clôture

L’article 784 ancien du code de procédure civile devenu 803 dispose que l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.

M. X fait valoir que le juge départiteur a considéré que l’affaire devait être uniquement tranchée par la cour compte-tenu de l’effet dévolutif de l’appel et sollicite, en conséquence, la révocation de l’ordonnance de clôture afin de lui permettre d’intégrer ses demandes et moyens relatifs aux heures supplémentaires qui auraient dû être développés devant la formation de départage.

Cependant, la décision de retrait du rôle du juge départiteur a été rendue à la demande des parties qui invoquaient l’effet dévolutif de l’appel, à l’audience du 10 septembre 2020 alors que la clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée par ordonnance du 29 juin 2021.

Elle ne constitue donc pas une cause grave s’étant révélée depuis l’ordonnance de clôture qui en justifierait la révocation.

Le demande de rabat de clôture sera rejetée.

Sur le licenciement

Selon l’article L.1235-1 du code du travail dans se version applicable à la présente affaire, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, car notifiée avant le 24 septembre 2017, est ainsi rédigée :

« Depuis le 21 novembre 2012, vous occupez au sein de notre établissement les fonctions de Correspondants des études. À ce titre, il vous appartient notamment d’assurer le relais d’information avec les élèves sur le BVE.

En préambule, M. D E, Directeur des Etudes et de l’Innovation, rappelle les faits qui nous ont amenés à initier cet entretien :

Afin d’accélérer le recouvrement des impayés auprès des élèves, chaque Correspondant des Etudes était chargé de mettre en ‘uvre les consignes envoyées par courriel le 8 février 2017 par M. Y d’Z, Chargé de mission auprès du Directeur des Etudes et de l’innovation.

La pièce jointe, à savoir la liste des élèves dont le compte était débiteur à date, ayant été omise lors de l’envoi du 8 février 2017, M. F A, votre supérieur hiérarchique, a renvoyé le 9 février 2017 à l’ensemble des Correspondants des Etudes le courriel de M. d’Z accompagné de ladite pièce jointe, en insistant sur la nécessité d’appliquer les consignes avant toute action et notamment de repérer au sein de la liste des élèves en arriérés de paiement des cas particuliers (élèves ayant quitté l’école,’).

Le 20 février 2017, M. A est alerté par certains de ses collaborateurs de la diffusion d’un message par vos soins sur la plate-forme e’campus, dont ils étaient destinataires. Ils ont surtout été alertés par certains de leurs élèves, émus de constater que des arriérés étaient réclamés à une élève de votre classe décédée en décembre 2016.

Vérification faite, il s’est avéré que le 10 février 2017, vous avez diffusé sur e’campus, un message ayant pour objet Non-paiement des frais de scolarité urgent à l’ensemble des élèves dont vous avez la charge, à savoir 300 élèves environ de GME3, T3, H 12E, H BVD, H AP et H I, faisant ainsi fi du principe de confidentialité requis sur un sujet aussi personnel et potentiellement sensible et du respect des instructions.

Les consignes stipulaient notamment, avant toute action, de vérifier à nouveau l’exactitude des informations fournies dans le tableau récapitulatif. Ceci n’a manifestement pas été fait, car l’élève décédée y figurait toujours, suscitant émotion et incompréhension de la part de ses camarades de classe notamment.

Il aurait été apprécié que vous communiquiez individuellement auprès de chaque étudiant, afin d’éviter cet affichage collectif via le BVE. Lors de l’entretien préalable du 5 avril vous avez évoqué avoir agi de la sorte par maladresse, sans intention de nuire.

Vous n’êtes pas sans savoir que de tels faits sont fortement préjudiciables à l’image de l’ESTP Paris. En effet, nous attendons de nos équipes administratives et pédagogiques qu’elles soient garantes de la confidentialité des données personnelles que nos élèves et leurs familles nous ont confiées.

Vous ne pouvez pas ignorer que les capacités de financement de nos étudiants et de leur famille sont très variables et qu’il est extrêmement délicat que leur niveau d’endettement soit publié aux yeux de tous.

Nous vous rappelons qu’une sanction disciplinaire vous a déjà été notifiée le 19 novembre 2015 pour des faits similaires (mauvaise transmission d’information auprès d’étudiants en vue de la réunion de rentrée présidée par le Directeur Général de l’ESTP Paris) par M. J K, alors Directeur des études et de l’innovation.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute. »

Au soutien de son appel, M. X fait valoir que l’employeur ne rapporte pas la preuve des griefs allégués en ce que les faits fautifs reprochés ne relevaient pas de ses fonctions, qu’ils portaient sur des tâches nouvelles et non contractuellement prévues sans procédure ni consigne précise donnée, qu’il n’a violé aucune information confidentielle et qu’il n’a causé aucun tort à l’ESTP.

En tout état de cause, il prétend que les griefs ne pouvaient pas justifier un licenciement en ce que, en quatre ans et demi de relation, il avait toujours donné satisfaction dans l’exercice de ses fonctions et que les faits reprochés ne résultent pas d’un acte délibéré mais caractérisent en réalité une seule et même maladresse malheureuse pour laquelle il s’est toujours excusé.

L’ESTP réplique que le licenciement de M. X est justifié en ce qu’il repose sur la violation par le salarié de son obligation de confidentialité, le non-respect des directives qui lui avaient été données par sa hiérarchie, une légèreté blâmable dans l’exécution de ses missions contractuelles, le caractère répété de son attitude laxiste ainsi que le manque de rigueur manifeste avec laquelle il a exécuté sa prestation de travail.

Cela étant, l’association ESTP produit un courriel de M. X du 10 février 2017 adressé au moyen de e-Campus, donc accessible à l’ensemble des étudiants dont le salarié avait la charge, portant comme objet : « Non paiement des frais de scolarité URGENT », mentionnant dans le corps du message : « Les élèves dont les noms suivent sont priés de se mettre à jour concernant les frais de scolarité, je leur demande de venir me voir afin de s’expliquer sur le non paiement », et citant le nom de tous les élèves concernés.

Ainsi, par son objet, ce message révélait à l’ensemble de la communauté scolaire concernée le nom des étudiants débiteurs de leurs frais de scolarité et, par son contenu et le ton comminatoire adopté, stigmatisait ceux-ci auprès de leurs camarades, indépendamment des raisons des retards de paiement.

Cette circonstance ajoutée au fait que la liste des étudiants débiteurs mentionnait le nom d’une étudiante décédée moins de deux mois auparavant ne donne pas au message le caractère d’une simple maladresse mais lui confère celui d’une légèreté blâmable constitutive d’un manquement du salarié dans son devoir de prudence et de vigilance dans ses relations avec les étudiants dont il avait la charge ainsi que dans la diffusion d’informations sensibles et confidentielles auprès de certains d’entre eux. Elle caractérise également une certaine désinvolture du salarié dans l’application des consignes de l’employeur en ce qu’à l’évidence, celles-ci imposaient une démarche individuelle auprès de chaque étudiant concerné de la part du correspondant des études alors que M. X a choisi une diffusion collective plus économe en temps et en énergie.

M. X ne peut utilement se retrancher derrière la nouveauté de la tâche et l’absence de procédure particulière et de consigne précise donnée par l’employeur pour la réalisation de celle-ci pour s’exonérer de son comportement fautif . En effet, il n’a émis aucune réserve ni objection à la suite des messages demandant aux correspondants des études de prendre contact avec les étudiants débiteurs de leurs frais de scolarité. La procédure à suivre était évidente et expliquée puisqu’il était demandé aux correspondants des études de prendre attache avec chaque étudiant concerné. Une simple relance des débiteurs avec transmission de l’information sur les conséquences de leur carence (refus d’une convention de stage avec les étudiants non à jour du paiement des frais de scolarité) était de nature à entrer dans les fonctions de M. X sans imposer à ce dernier de se substituer au service comptable de l’association.

Au regard de ces éléments et d’un avertissement donné moins de deux ans avant au sujet de

manquements du salarié dans la transmission d’informations auprès des étudiants, l’employeur était légitime à considérer que la faute du salarié était de nature à rendre impossible la poursuite des relations contractuelles de travail.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. X de sa demande en dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les heures supplémentaires

L’article 562 dans sa version en vigueur au 1er septembre 2017, et donc applicable à la présente procédure d’appel, énonce que l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

Il résulte de ces nouvelles dispositions que la dévolution pour le tout est strictement limitée à l’annulation du jugement et à l’indivisibilité de l’objet du litige et que l’acte d’appel opère la dévolution uniquement pour les chefs de jugement expressément critiqués.

En effet, le décret n° 2017-891 a abrogé les notions de critique implicite des chefs de jugement et d’appel non limité qui emportait un effet dévolutif pour le tout.

Or, le départage des voix par un conseil de prud’hommes n’est pas un chef du jugement susceptible d’être critiqué.

Il s’ensuit que la cour n’est pas saisie de l’appel concernant les heures supplémentaires et que l’instance sur ce point doit se poursuivre devant le juge départiteur.

Sur les frais non compris dans les dépens

Conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, M. X, partie perdante, sera condamné à verser à l’ESTP la somme de 400 euros aux titre des frais non compris dans les dépens, exposés par l’intimée.

PAR CES MOTIFS

La Cour ,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. X de sa demande en dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Y ajoutant,

DIT que la cour n’est pas saisie de l’appel concernant les heures supplémentaires et que l’instance sur ce point doit se poursuivre devant le juge départiteur,

CONDAMNE M. B X à payer à l’association ESTP la somme de 400 (quatre cents) euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. B X aux dépens d’appel,

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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