Élagage : 28 juin 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/06973

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Élagage : 28 juin 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/06973
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1ère Chambre

ARRÊT N°252/2022

N° RG 21/06973 – N° Portalis DBVL-V-B7F-SF45

M. [D] [F]

Mme [X] [G] épouse [F]

C/

S.A.R.L. LOCAREVE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 28 JUIN 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 25 Avril 2022 devant Madame Véronique VEILLARD, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 28 Juin 2022 par mise à disposition au greffe, après prorogation du délibéré annoncé au 21 juin 2022 à l’issue des débats

****

APPELANTS :

Monsieur [D] [F]

né le [Date naissance 2] 1951 à [Localité 15] (94)

[Adresse 11]

[Localité 1]

Représenté par Me Pierre JEAN-MEIRE, avocat au barreau de NANTES

Madame [X] [G] épouse [F]

née le [Date naissance 3] 1960 à [Localité 13]

[Adresse 11]

[Localité 1]

Représentée par Me Pierre JEAN-MEIRE, avocat au barreau de NANTES

INTIMÉE :

La société LOCAREVE, SARL agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 9]

[Localité 10]

Représentée par Me Vincent LAURET de l’ASSOCIATION LAURET – PAUBLAN, Postulant, avocat au barreau de QUIMPER

Représentée par Me Anne THIBAUD, Plaidant, avocat au barreau de BORDEAUX

FAITS ET PROCÉDURE

La sarl Locarêve, dont le gérant est M. [A] [I], était propriétaire de la parcelle cadastrée section AR [Cadastre 4] située [Adresse 14]) sur laquelle se trouve une maison d’habitation construite en 2008 et disposant d’une vue sur la rade de [Localité 12]. Il sera ici précisé que la sarl Locarêve a vendu ce bien à Mme [U] le 20 février 2020.

De l’autre côté de la route de Quélern, en contrebas, M. et Mme [F] sont usufruitiers en indivision des fonds cadastrés section AR [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 8] dont la nue-propriété appartient à leurs enfants, M. [C] [F], M. [V] [F] et Mme [P] [F].

Exposant que les arbres plantés sur les parcelles de leurs voisins leur occultaient la vue sur mer, la sarl Locarêve a, par assignation du 6 octobre 2020, fait convoquer M. et Mme [F] devant le tribunal judiciaire de Quimper en paiement d’une indemnité de perte de valeur vénale et d’impossibilité de louer en saison fondée sur les troubles anormaux de voisinage.

Par conclusions du 15 mars 2021, M. et Mme [F] ont saisi le juge de la mise en état du même tribunal d’une exception d’irrecevabilité de la demande de la sarl Locarêve fondée sur la prescription de son action et sur le fait que l’action devait être dirigée vers les nus propriétaires.

Par ordonnance du 8 octobre 2021, le juge de la mise en état a :

-rejeté les fins de non-recevoir invoquées par M. et Mme [F],

-déclaré recevable l’action introduite par la sarl Locarêve,

-renvoyé l’affaire à l’audience de mise en état du 12 novembre 2021 à 9 h en faisant injonction à maître Lauret de conclure sur le fond,

-condamné M. et Mme [F] aux dépens de l’incident.

M. et Mme [F] ont interjeté appel le 3 novembre 2021 de l’ensemble des chefs de décision.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

M. et Mme [F] exposent leurs demandes et moyens dans leurs dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 8 mars 2022 auxquelles il est renvoyé en application de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Ils demandent à la cour d’appel de :

-réformer en toutes ses dispositions l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Quimper du 8 octobre 2021,

-dire et juger que l’action de la sarl Locarêve est prescrite et en conséquence la débouter de toutes ses demandes,

-condamner la sarl Locarêve à leur payer la somme de 3.600 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-la condamner aux entiers dépens.

La sarl Locarêve expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 1er avril 2022 auxquelles il est renvoyé en application de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Elle demande à la cour d’appel de :

-confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Quimper du 8 octobre 2021,

-juger que l’action de la sarl Locarêve n’est pas prescrite et est recevable,

-rejeter la fin de non-recevoir soulevée par M. et Mme [F] tirée de la prescription de l’action,

-renvoyer l’affaire au fond devant le tribunal judiciaire de Quimper à une prochaine audience de mise en état.

MOTIVATION

A titre liminaire, il convient de rappeler que l’office de la cour d’appel est de trancher le litige et non de donner suite à des demandes de “constater”, “dire” ou “dire et juger” qui ne constituent pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile mais la reprise des moyens censés les fonder.

M. et Mme [F] soutiennent que l’action de la sarl Locarêve est prescrite pour n’avoir pas été introduite dans les cinq ans des premières manifestations des troubles mentionnées dans son propre courrier du 2 octobre 2013 tandis qu’il n’est pas établi qu’il y ait eu une aggravation significative de nature à différer le départ de la prescription et qu’ils ne sont qu’usufruitiers des parcelles concernées, ne disposant que d’un droit de jouissance, les travaux d’entretien relevant de la seule responsabilité des nus propriétaires

La sarl Locarêve soutient que le point de départ de la prescription en matière de trouble anormal du voisinage se situe à la date à laquelle la victime a eu connaissance de l’aggravation du trouble ou lorsque ce dernier est stabilisé, à la date à laquelle elle a pris conscience de son ampleur, que la perte de vue sur la rade de [Localité 12] a été progressive pour devenir définitive en 2016, que la preuve contraire n’est pas rapportée, qu’enfin, la reconnaissance de l’obstruction de la vue sur mer par M. [F] de façon non équivoque dans deux courriels des 20 mars 2014 et 18 février 2019 a interrompu la prescription et qu’enfin, ils disposent de la faculté d’agir à l’encontre de l’auteur du trouble quelle que soit sa qualité.

1) Sur l’exception de prescription de l’action en dommages et intérêts fondée sur le trouble anormal du voisinage

En droit, l’action en indemnisation du préjudice résultant d’un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité extra-contractuelle soumise à la prescription quinquennale de droit commun dont le point de départ est la première manifestation desdits troubles et dont l’interruption ne peut être effective qu’en présence d’une reconnaissance non équivoque de son obligation d’indemnisation par le débiteur contre lequel il est prescrit.

1. En l’espèce, s’agissant de la première manifestation des troubles anormaux du voisinage, il résulte d’un courrier du 2 octobre 2013 adressé par M. [I], gérant de la sarl Locarêve, à M. et Mme [F] qu’il leur présente la demande, “comme bon nombre de propriétaires avoisinants” de “bien vouloir araser à hauteur normale de haies ou de remplacer, voire tout simplement supprimer les plantations” puisqu’en effet, “l’intérêt et la valeur de nos propriétés résident principalement dans la vue sur mer dont nous bénéficions tous”.

Il était précisé que certains locataires ne revenaient plus dans cette location

saisonnière “car au fil du temps cette vue s’amenuise pour bientôt disparaître”.

Il était également indiqué “nous avons alors très récemment pris la décision de vendre notre maison. La première chose que nous a évoqué l’agent immobilier lors de sa visite est que cette haie qui poussait chez vous était un réel handicap et dévalorisait la maison”.

Enfin, M. [I] précisait en caractère gras que “La gêne qui résulte de cette privation de vue excède très largement ce qu’il est normal de supporter du fait des rapports de voisinage, conformément à une jurisprudence constante de la Cour de cassation”.

Ainsi, c’est bien dès ce 2 octobre 2013 que la sarl Locarêve a été en mesure de caractériser un trouble du voisinage, du fait de la hauteur de la haie d’arbres implantée sur les parcelles des appelants, trouble qu’elle considère dès cette date comme anormal puisque conduisant à la dépréciation de son bien immobilier, et dont elle demandait la cessation par l’élagage des arbres litigieux.

La manifestation du premier trouble consistant en une diminution significative de la vue sur mer au point de déprécier le bien se situe donc à cette date, sans qu’il y ait lieu d’attendre que la vue sur mer ait complètement disparu pour prétendre, sous couvert d’une aggravation de ce qui n’a été que la poursuite de la croissance desdits arbres, différer le point de départ de la prescription quinquennale.

Il s’ensuit que la date du 2 octobre 2013 sera retenue comme celle de la première manifestation des troubles, point de départ de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil.

La première décision sera infirmée sur ce point.

2. Si la prescription est interrompue en présence d’une reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il est prescrit, encore faut-il qualifier une reconnaissance non équivoque du propriétaire d’être débiteur d’une obligation d’indemniser le trouble de voisinage invoqué.

Au cas particulier, M. [D] [F] a fait établir deux devis “concernant l’élagage que je suis prêt à accepter”, ainsi que cela résulte d’un courriel transmis par lui le 20 mars 2014 à l’un des voisins de la sarl Locarêve, la famille [W].

Pour autant, il précise dans ce même courriel “Comme je vous l’avais dit, ceci à votre charge à partager entre vous”.

Il réitère cette position dans un courriel du 18 février 2019 adressé au conseil de la sarl Locarêve : “J’ai fait rétablir un devis qui s’élève à 1300 Euros à la charge du demandeur”.

Ainsi, il résulte clairement de ces échanges que M. et Mme [F] ne sont pas opposés à un élagage de leurs arbres mais aux frais des propriétaires avoisinants.

Cette réserve d’importance fait obstacle à caractériser une reconnaissance non équivoque du propriétaire d’être débiteur d’une obligation d’indemniser le trouble de voisinage invoqué.

4

En l’absence de cause d’interruption de la prescription, ayant pour point de départ la date du 2 octobre 2013, l’action de la sarl Locarêve en dommages et intérêts fondée sur un trouble anormal du voisinage et intentée par assignation du 6 octobre 2020 est prescrite.

La première décision sera infirmée sur ce point.

2) Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant, la sarl Locarêve supportera les dépens d’appel. L’ordonnance sera infirmée s’agissant des dépens de première instance.

Enfin, il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de M. et Mme [F] les frais exposés par eux et qui ne sont pas compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour

Infirme l’ordonnance du 8 octobre 2021 en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau,

Déclare prescrite l’action intentée le 6 octobre 2020 par la sarl Locarêve contre M. et Mme [F] en paiement de dommages et intérêts en réparation d’un trouble anormal du voisinage,

Condamne la sarl Locarêve aux dépens d’incident de première instance et d’appel,

Rejette la demande au titre des frais irrépétibles.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE

 


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