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14 septembre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/13716
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2022
(n° 128/2022, 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 20/13716 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCMY3
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Juillet 2020 – Tribunal Judiciaire de PARIS 3ème chambre – 1ère section – RG n° 19/02580
APPELANTE
S.A.R.L. LOBSTER FILMS
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 332 815 224
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
Assistée de Me Ariane FUSCO-VIGNÉ, avocat au barreau de PARIS, toque : P0041
INTIMÉ
Monsieur [L] [T]
Né le 20 mars 1965 à [Localité 5]
De nationalité française
Compositeur de musique et musicien
Demeurant [Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Véronique DE LA TAILLE de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148
Assisté de Me François PALLIN, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 31 mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et Mme Françoise BARUTEL, conseillère chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, présidente
Mme Françoise BARUTEL, conseillère
Mme Déborah BOHÉE, conseillère.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 16 juillet 2020,
Vu l’appel interjeté à l’encontre dudit jugement le 29 septembre 2020 par la société Lobster Films,
Vu les dernières conclusions numérotées 3 remises au greffe et notifiées, par voie électronique, le 26 janvier 2022 par la société Lobster Films, appelante et intimée incidente,
Vu les dernières conclusions numérotées 2 remises au greffe et notifiées, le 19 janvier 2022 par M. [L] [T], intimé et appelant incident,
Vu l’ordonnance de clôture prononcée le 8 février 2022,
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que M. [L] [T] se présente comme un compositeur de musique et musicien professionnel. Il fait valoir qu’il a composé plus de 700 oeuvres déposées à la SACEM, ayant, depuis le début de sa carrière, composé les musiques de nombreux films, téléfilms et documentaires.
La société Lobster Films (Lobster), immatriculée le 20 juin 1985 au RCS de Paris, a, pour activités principales, la restauration, l’édition et la production de films. M. [G] [Y] est le gérant de cette société.
En 2008, la société Lobster a produit un documentaire pour le cinéma sur le film inachevé d'[N] [V] ‘L’enfer’ partiellement tourné en 1964, avec [F] [D] et [G] [I] comme acteurs principaux. Ce film documentaire intitulé : ‘L’enfer d'[N] [V]’ réalisé par M. [G] [Y] et Mme [C] [H], est sorti en salles le 11 novembre 2009.
La société Lobster a confié l’écriture et l’enregistrement de la musique de ce documentaire à M. [L] [T].
En avril 2009, un contrat de commande de musique originale pour le film L’enfer d'[N] [V] a été conclu entre la société Lobster et M. [L] [T], ainsi qu’un contrat de cession et d’édition d’oeuvre musicale.
M. [L] [T] expose que la société Lobster Films n’a rien entrepris en dehors de la divulgation de l’oeuvre musicale dans le film et son exploitation audiovisuelle, et que la musique n’a fait l’objet que de deux exploitations publicitaires faites par son entremise à savoir en 2012, pour la marque Balmain, et en 2018, pour une campagne publicitaire [M] [A].
M. [L] [T] indique que, pour cette dernière campagne, il a pris l’initiative de transmettre, en juin 2018, une offre à la société Lobster Films mais qu’il a été écarté de la suite des négociations, alors qu’il avait seulement donné à l’éditeur un accord de principe préalable, et qu’il a découvert que son oeuvre avait été gravement altérée dans les clips publicitaires réalisés pour [M] [A], tandis que la société Lobster a tenté de lui imposer une rémunération dérisoire de 5% des recettes.
Le 2 janvier 2019, la société Lobster a transmis une reddition de comptes 2018 à M. [L] [T] pour un montant de 7.236,35 euros, cette société indiquant qu’elle incluait la rémunération d’auteur de 5% et celle d’artiste-interprète de 50%.
C’est dans ce contexte que par exploits d’huissier de justice du 22 février 2019, M. [L] [T] a fait assigner la société Lobster et M. [G] [Y] devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire de Paris.
Par jugement dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a statué de la façon suivante:
–
Déclare M. [L] [T] recevable en sa demande de résiliation des contrats de commande de la musique originale ‘L’enfer d'[N] [V]’ et de cession et d’édition d’oeuvre musicale conclus avec la société Lobster Films en avril 2009,
– Condamne la SARL Lobster Films à payer à M. [L] [T] 13.157 euros au titre de la rémunération due en ses qualités d’auteur et d’artiste-interprète de la musique enregistrée adaptée pour le film publicitaire d'[M] [A],
– Condamne la SARL Lobster Films à payer à M. [L] [T] 7.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral d’auteur tiré de la violation du droit au respect de son oeuvre,
– Condamne la SARL Lobster Films à payer à M. [L] [T] 3.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral d’artiste-interprète tiré de la violation du droit au respect de son interprétation,
– Prononce, à compter de la date de prononcé du jugement, la résiliation des contrats de commande de la musique originale ‘L’enfer d'[N] [V]’ et de cession et d’édition d’oeuvre musicale aux torts de la SARL Lobster Films,
– Dit toutefois que cette résiliation n’aura pas d’effet sur la continuation de l’exploitation de la musique dans le film cinématographique :’L’enfer d'[N] [V]’, les contrats se poursuivant uniquement sur ce point,
– Constate qu’à compter de la résiliation ainsi prononcée, M. [L] [T], recouvrant ses droits patrimoniaux d’auteur et d’artiste-interprète sur la musique et son enregistrement, peut exploiter ou faire exploiter par ses soins et à son seul bénéfice, la bande originale enregistrée de sa musique, quelle que soit la forme,
– Condamne la SARL Lobster Films à payer à M. [L] [T] 4.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi en sa qualité d’auteur imputable à l’absence de reddition des comptes,
– Condamne la SARL Lobster Films à payer à M. [L] [T] 4.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi en sa qualité d’artiste-interprète imputable à l’absence de reddition des comptes,
– Condamne la SARL Lobster Films à payer à M. [L] [T] 10.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– Déboute M. [L] [T] de ses demandes indemnitaires relatives au retard dans le paiement de la rémunération due au titre du film publicitaire [M] [A], à la perte de chance de gagner en notoriété et à l’inexploitation de l’enregistrement de la musique,
– Déboute également M. [L] [T] de sa demande de condamnation in solidum avec la SARL Lobster Films formée contre M. [G] [Y],
– Rejette les demandes reconventionnelles formées par la SARL Lobster Films en allocation de dommages-intérêts pour résistance abusive du fait de la contestation opposée à la proposition de rémunération au titre de l’adaptation de l’enregistrement de la musique dans le film publicitaire pour [M] [A], et pour résistance abusive au titre d’un usage abusif du droit moral d’auteur et d’artiste-interprète,
– Condamne la SARL Lobster Films aux dépens, lesquels pourront être recouvrés par Me André SCHMIDT, avocat, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile,
– Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement.
Sur les chefs du jugement non contestés
La cour constate que le jugement n’est pas contesté en ce qu’il a débouté M. [T] de sa demande de condamnation in solidum formée contre M. [Y], lequel n’est pas dans la cause en appel.
Sur les demandes de M. [T] au titre de sa rémunération d’auteur et d’artiste-interprète de la musique enregistrée pour le film publicitaire d'[M] [A]
La société Lobster soutient que le contrat de commande litigieux incluait une cession du droit de synchronisation pour un film publicitaire et une rémunération corrélative ; que M. [T] a donc valablement donné son accord écrit et préalable à une synchronisation de son ‘uvre, accord réitéré dans un mail du 1er juin 2018 ; qu’en présence d’un contrat valide et de l’accord réitéré de M. [T] à cette exploitation, la rémunération stipulée au contrat est bien opposable à ce dernier. Elle demande ainsi à la cour de juger que le montant de 7.236,35 euros qu’elle a fixé et désormais payé au titre de la rémunération due à M. [T] en ses qualités d’auteur et d’artiste-interprète est conforme aux stipulations contractuelles, et d’infirmer le jugement sur ce point.
M. [L] [T] réplique qu’il y a eu des modifications opérées sur son oeuvre de sorte qu’un accord spécifique de sa part était nécessairement indispensable ; que l’article 3 du contrat de commande impose un accord écrit de l’auteur pour tout projet de synchronisation ; qu’un tel contrat n’a jamais été signé, et que son autorisation n’a donc jamais été valablement obtenue ; que lors du projet de synchronisation de 2012 pour la marque Balmain, il avait été associé aux négociations et informé des formes d’utilisation de son ‘uvre dans la publicité, et que les parties avaient accepté une répartition 50/50 du montant total de la synchronisation ; qu’il a été au contraire tenu à l’écart des négociations du projet relatif à la marque [M] [A] ; que le montant négocié en son absence est très bas ; qu’il a composé et arrangé l”uvre, ce qui lui donne la qualité de compositeur, mais également dirigé les musiciens et interprété différentes parties musicales, ce qui lui confère la qualité d’artiste-interprète, et estime en conséquence avoir droit à une double rémunération sur l’exploitation de l”uvre enregistrée.
Aux termes du ‘contrat de commande de musique originale’ litigieux, le producteur commande au compositeur une musique originale d’environ 45 minutes, destinée à être incorporée dans le film, oeuvre cinématographique de long métrage à caractère documentaire.
L’article 1 dudit contrat précise : ‘En rémunération du travail de composition et de l’autorisation d’exploitation du film incorporant la musique originale, le compositeur recevra une prime d’inédit d’un montant de 12.000 euros. (…) D’autre part, le compositeur recevra sous la forme d’une rémunération forfaitaire, et ce en tant que prestataire d’une partie de la réalisation de la musique la somme 3.600 euros (…).
L’article 2 stipule : ‘Le producteur est seul propriétaire du matériel technique, notamment de la bande sonore et bénéficie à ce titre du droit exclusif d’exploitation de l’enregistrement livré et ce, sous toutes formes et par tous moyens actuels et futurs en tous pays et pour la durée de protection légale, sans aucune restriction ni réserve’.
L’article 3 intitulé ‘Autorisation d’exploitation’ stipule : « Le producteur ne pourra en aucun cas utiliser la musique objet du présent accord en association avec des images n’appartenant pas au Film, sauf accord écrit du compositeur ».
L’article 6 intitulé ‘Autres exploitations secondaires’ stipule : ‘En cas d’exploitations secondaires des enregistrements, incluant sans limitation :
a) le droit de synchronisation et/ou de sonorisation d’un film cinématographique, documentaire ou publicitaire, ou d’un programme multimédia, autre que le film objet des présentes ;
(…)
le compositeur percevra 5% des sommes nettes encaissées par le producteur au titre de cette utilisation (…)’.
Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le contrat de commande litigieux stipule d’autres exploitations secondaires de la musique, et notamment la synchronisation et la sonorisation d’un film publicitaire (article 6), sous réserve de l’accord écrit du compositeur (article 3), et moyennant une rémunération de 5% des sommes nettes encaissées par le producteur.
En outre, aux termes du ‘contrat de cession et d’édition d’oeuvre musicale’ également conclu entre les parties, l’auteur cède à l’éditeur, à l’exception des attributs d’ordre intellectuel et moral attachés à sa personne, la totalité du droit exclusif d’exploitation de la musique originale d’une durée de 45 minutes de ‘L’enfer d'[N] [V]’ sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit (article 1).
Concernant la rémunération de l’auteur, l’éditeur s’engage à verser (…) une redevance de 50% calculée sur les recettes nettes perçues par l’éditeur pour les licences d’exploitation consenties par lui à des tiers, ou sur le produit net des recettes perçues par l’éditeur ou pour son compte à l’occasion des adaptations et les reproductions cinématographiques réalisées par tout moyen technique de l’oeuvre ou de ses arrangements accompagnant l’image filmée dans des films destinés à être présentés à la vision du public par quelque procédé que ce soit et notamment par la télévision (article 16).
En l’espèce, l’utilisation, pour des vidéos de la marque [M] [A], du titre ‘[F]’ composé pour le film litigieux ‘L’enfer d'[N] [V]’ constitue bien une synchronisation et/ou une sonorisation d’un film publicitaire au sens de l’article 6 du contrat de commande.
Il résulte en outre de l’email du 1er juin 2018, ‘Une agence newyorkaise vient de solliciter mon éditeur (…) pour l’utilisation publicitaire de [F] pour des spots pour [A] (…). Pour ma part, je suis bien évidemment d’accord pour les utilisations demandées (…)’, que M. [T], auteur de ce mail, a donné son accord pour la sonorisation des vidéos publicitaires pour [M] [A].
C’est à donc à juste titre que la société Lobster a appliqué les dispositions contractuelles en matière de rémunération à savoir 50% en application du contrat de cession et 5% en application du contrat de commande soit la somme totale de 7 236,35 euros, qui a été versée depuis lors à M. [T]. Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.
Sur l’atteinte au droit moral d’auteur et d’artiste-interprète
La société Lobster soutient que M. [T] s’est prévalu de l’atteinte à son droit moral uniquement dans la phase contentieuse parce qu’il estimait sa rémunération contractuelle insuffisante ; qu’il ne rapporte pas la preuve de la dénaturation de son ‘uvre et de son interprétation ; qu’il faut caractériser que cette modification dénature l’oeuvre originale en y portant une atteinte substantielle ; que l’ajout de bruitage ne saurait caractériser cette dénaturation dès lors que dans le film documentaire lui-même se superposent les dialogues des acteurs et d’autres bruits à la musique.
M. [T] réplique que toute modification, quelle qu’en soit l’importance, apportée à une ‘uvre de l’esprit, porte atteinte au droit de son auteur au respect de celle-ci ; que l”uvre a été modifiée sans son autorisation ; que le contexte d’utilisation de la musique a été profondément transformé entre le film d’origine et les clips pour [M] [A] ; que s’agissant de son droit moral d’artiste-interprète, son interprétation a été largement défigurée dans la publicité pour [M] [A] par un découpage arbitraire et sans logique, et par l’adjonction d’une « reverb » et de bruitages.
La cour rappelle que l’exploitation d’une musique de film, mode d’exercice du droit patrimonial contractuellement cédé, n’est de nature à porter atteinte au droit moral de l’auteur requérant son accord préalable, qu’autant qu’elle risque d’altérer l’oeuvre ou de déconsidérer l’auteur.
De même, l’atteinte au respect dû à l’interprétation de l’artiste-interprète nécessite d’en caractériser l’altération ou la dénaturation.
En l’espèce, M. [T] ne peut être suivi quand il affirme que la découpe de la musique porte atteinte à l’intégrité de son oeuvre alors qu’il a contractuellement autorisé l’utilisation secondaire d’extraits de la musique pour la sonorisation de films publicitaires, par essence de courte durée, impliquant donc des coupes de l’oeuvre musicale. La suppression de la fin d’une phrase mélodique, l’adjonction d’un reverb et d’un bruitage, ne constituent pas davantage une dénaturation ou un détournement de l’oeuvre ou de son interprétation, les vidéos incriminées reprenant l’univers sensuel et aquatique de l’oeuvre originale, et l’association du nom de M. [T] à celui de la marque [M] [A], créateur réputé dans le domaine du luxe, étant exempte de toute circonstance dévalorisante pour l’oeuvre, son auteur ou son interprète.
Les atteintes au droit de l’auteur au respect de son oeuvre, et au droit de l’artiste au respect de son interprétation ne sont pas caractérisées. Le jugement entrepris sera infirmé sur ces points.
Sur les demandes de résiliation des contrats de commande de musique, et de cession et édition d’oeuvre musicale pour défaut d’exploitation et de reddition des comptes, et d’allocation de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis
Sur la prescription
La société Lobster Films fait valoir que c’est dans son assignation introductive que M. [T] lui a pour la première fois reproché un prétendu défaut de reddition de comptes soit plus de neuf ans après la conclusion des contrats litigieux ; que M. [T] n’a pas davantage émis le moindre grief à l’encontre de son éditeur quant à l’exploitation donnée à son oeuvre, et ce alors qu’il avait connaissance depuis 2010 des prétendus manquements; que ses demandes de résiliation des contrats et de dommages-intérêts pour défaut de reddition de compte et défaut d’exploitation sont donc prescrites, son inertie pendant plus de 8 années prouvant qu’il était d’accord avec les actions menées.
M. [T] réplique que ses demandes sont recevables puisqu’en l’absence de reddition des comptes, c’est le délai butoir de prescription de 20 ans prévu par l’alinéa 2 de l’article 2232 du code civil, qui doit s’appliquer ; qu’en l’espèce, aucun compte ne lui a été transmis de sorte que les contrats en cause datant de 2009, l’action ne peut être prescrite.
Il soutient que les relevés de comptes annuels ne lui ont jamais été adressés à l’exception des paiements ponctuels pour les exploitations publicitaires, et que la carence de la société Lobster en matière d’exploitation est totale soit sous forme de disque soit sur internet ou en streaming.
En application de l’article 2224 du code civil, ‘les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer’.
Il est en outre acquis que la prescription quinquennale ne court pas lorsque la créance, même périodique, dépend d’éléments qui ne sont pas connus du créancier et doivent résulter de déclarations que le débiteur est tenu de faire.
En l’espèce, M. [T] demande la résiliation des contrats et l’allocation de dommages-intérêts compensatoires en premier lieu pour défaut d’exploitation.
Il est constant que les contrats de commande et de cession de droit ont été conclus en avril 2009, que le film documentaire illustré par la musique composée et interprétée par M. [T] est sorti en salles en 2011, et que M. [T] invoque des manquements de son éditeur remontant aux termes de ses écritures en 2011 au sujet de l’exploitation graphique de son oeuvre ou de sa supposée carence dans l’exploitation sur disques, ce dernier reprochant notamment à la société Lobster d’être peu intervenue dans le contrat de licence phonographique conclu en 2011. Il allègue également des sollicitations de ses fans, datant de 2009 à 2012, lui demandant où et comment se procurer sa musique. Ainsi alors qu’il avait connaissance de ces prétendus manquements depuis 2011, il n’a formé aucune récrimination à l’encontre de la société Lobster au sujet des modalités d’exploitation de son oeuvre ni engagé à son encontre aucune action avant l’assignation introductive du 22 février 2019, de sorte que son action en résiliation des contrats et en allocation de dommages-intérêts pour défaut d’exploitation est prescrite.
Il en est de même pour sa demande de résiliation et d’allocation de dommages-intérêts pour défaut de reddition de comptes. En effet, M. [T] n’a émis aucun grief à ce titre avant l’assignation introductive, et ce alors que l’article 6 du contrat de commande précise que le compositeur peut demander une fois par an la communication de tous justificatifs. Il ne justifie pas davantage que sa créance devait résulter des déclarations de son éditeur, alors que l’article 6 du contrat de commande stipule que si le montant de la recette est inférieur à 500 euros la redevance et le décompte seront automatiquement reportés à la période suivante, et qu’il résulte de ses propres écritures que la musique n’a fait l’objet que de deux exploitations publicitaires, celle de 2012, pour laquelle il n’a soulevé aucune contestation, et celle de 2018 pour laquelle il a bien reçu le récapitulatif des comptes.
Les demandes de M. [T] en résiliation des contrats et allocation de dommages-intérêts pour défaut d’exploitation et défaut de reddition des comptes sont donc prescrites. Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.
Sur la demande de la société Lobster au titre de la résistance abusive
La société Lobster sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive faute pour elle de rapporter la preuve d’une faute de la part de M. [T], qui a pu légitimement se méprendre sur l’étendue de ses droits, et d’établir l’existence d’un préjudice autre que celui subi du fait des frais exposés pour sa défense.
Sur la demande de la société Lobster en restitution
La société Lobster demande la condamnation de M. [T] à lui restituer la somme de 35 743,86 euros versée au titre de l’exécution du jugement entrepris.
Le présent arrêt infirmatif emporte de plein droit obligation de restitution, de la somme totale de 35 743,86 euros et constitue le titre exécutoire ouvrant droit à cette restitution.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a rejeté les demandes reconventionnelles de la société Lobster pour résistance abusive,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute M. [L] [T] de ses demandes indemnitaires au titre de sa rémunération d’auteur et d’artiste-interprète de la musique enregistrée pour le film publicitaire d'[M] [A] ;
Déboute M. [L] [T] de ses demandes indemnitaires au titre de l’atteinte au droit moral d’auteur et d’artiste-interprète ;
Déclare prescrites les demandes de M. [L] [T] aux fins de résiliation du contrat de commande de musique originale de ‘L’enfer de [N] [V]’et du contrat de cession et d’édition d’oeuvre musicale, pour défaut de reddition des comptes, et d’allocation de dommages-intérêts de ce chef ;
Déclare prescrites les demandes de M. [L] [T] aux fins de résiliation du contrat de commande de musique originale de ‘L’enfer de [N] [V]’ et du contrat de cession et d’édition d’oeuvre musicale, pour défaut d’exploitation, et d’allocation de dommages-intérêts de ce chef ;
Dit n’y avoir lieu de statuer sur la demande de restitution de la somme de 35 743,86 euros versée par la société en vertu de l’exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour ;
Condamne M. [L] [T] aux dépens de première instance et d’appel, et vu l’article 700 du code de procédure civile le condamne à verser à ce titre à la société Lobster pour les frais irrépétibles de première instance et d’appel une somme de 8 000 euros.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE