République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 1
ARRÊT DU 23/11/2023
N° de MINUTE : 23/994
N° RG 22/01862 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UHFK
Jugement (N° 21-002437) rendu le 21 Février 2022 par le Juge des contentieux de la protection de Lille
APPELANTS
Madame [E] [T]
née le [Date naissance 3] 1963 à [Localité 6]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Monsieur [P] [Z]
né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 7] – de nationalité Française
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représentés par Me Jérémie Boulaire, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
INTIMÉES
SA Cofidis venant aux droits de la SA Groupe Sofemo suite à une fusion absorption ayant effet au 1er octobre 2015
[Adresse 8]
[Adresse 8]
Représentée par Me Xavier Hélain, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
SCP BTSG en la personne de Maître [M] [O] ès qualité de mandataire liquidateur de la SAS Next Génération France SAS immatriculée au RCS de Paris sous le n° 511 236 655 dont le siège social est [Adresse 4] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Défaillante, à qui la déclaration d’appel a été signifiée le 7 juin 2022 par acte remis à personne morale
DÉBATS à l’audience publique du 13 septembre 2023 tenue par Catherine Ménegaire magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Gaëlle Przedlacki
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Yves Benhamou, Président de chambre
Samuel Vitse, Président de chambre
Catherine Ménegaire, conseiller
ARRÊT RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Yves Benhamou, président et Gaëlle Przedlacki, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 1er septembre 2023
EXPOSE DU LITIGE
Le 3 octobre 2011, M. [P] [Z] a contracté auprès de la société Next génération une prestation relative à l’installation de panneaux photovoltaïques pour un montant TTC de 15’500 euros, dans le cadre d’un démarchage à domicile, selon bon de commande n°1109031906.
Le même jour, aux fins de financer cette installation, M. [Z] et Mme [E] [T] ont souscrit une offre préalable de crédit affecté auprès de la société Groupe Sofemo aux droits de laquelle vient désormais la société Cofidis, d’un montant de 15’500 euros, remboursable en 180 mensualités, incluant les intérêts au taux nominal annuel de 4,64 %.
Par jugement en date du 25 juin 2013, le tribunal de commerce de Paris a prononcé l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire de la société Next génération, et a désigné la SCP B.T.S prise en la personne de Me [O], en qualité de liquidateur judiciaire.
L’installation a été livrée et raccordée au réseau électrique. M. [Z] a signé un contrat d’achat avec ERDF le 31 août 2012. Le crédit affecté a été remboursé par anticipation.
Par actes d’huissier délivrés le 15 juillet 2021, M. [Z] et Mme [T] ont assigné la SCP B. T. S. en qualité de liquidateur judiciaire de la société Next génération et la société Cofidis en justice aux fins notamment d’obtenir la nullité des contrats de vente et de crédit.
Par jugement contradictoire en date du 21 février 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Lille a :
– déclaré prescrite l’action en nullité du bon de commande n°1109031906 du 3 octobre 2011 de M. [Z] et Mme [T] sur le fondement de la violation des dispositions du code de la consommation et du dol,
– condamné in solidum M. [Z] et Mme [T] à payer à la société Cofidis la somme de 850 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté toutes les autres demandes,
– condamner in solidum M. [Z] et Mme [T] aux dépens d’instance,
– rappelé que l’exécution provisoire de droit.
Par déclaration reçue par le greffe de la cour le 14 avril 2022 et signifiée à la SCP B. T. S. es qualité de liquidateur judiciaire de la société Next génération par acte d’huissier délivré à personne morale le 7 juin 2022, M. [Z] et Mme [T] ont relevé appel de l’ensemble des chefs de ce jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées par voie électronique le 6 janvier 2023 et signifiées à la SCP B. T. S. es qualité de liquidateur judiciaire de la société Next génération par acte d’huissier délivré à personne morale le 13 janvier 2023, ils demandent à la cour de :
Vu les anciens articles 1109 et 1116 du Code civil,
vu l’article 16 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finance rectificative pour 2012,
vu les articles L.121-23 à L.121-26 du code de la consommation dans leur rédaction issue de la loi n° 93-946 du 26 juillet 1993,
vu l’article L.121-28 tel qu’issu de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008,
– infirmer purement et simplement la décision entreprise,
par conséquent,
– déclarer les demandes de M. [Z] et Mme [T] recevables et bien fondées,
– y ajoutant et statuant au fond,
– prononcer la nullité du contrat de vente conclu entre M. [Z] Mme [T] et la société Next génération,
en conséquence,
– mettre à la charge de la liquidation judiciaire de la société Next génération l’enlèvement de l’installation litigieuse et la remise en état de l’immeuble,
– prononcer la nullité du contrat de prêt affecté conclu entre M. [Z] Mme [T] et la société Cofidis, venant aux droits de la société Groupe Sofemo,
– constater que la société Cofidis a commis une faute dans le déblocage des fonds et doit être privée de sa créance de restitution du capital emprunté, et la condamner à procéder au remboursement de l’ensemble des sommes versées par M. [Z] et Mme [T] au titre de l’exécution normale du contrat de prêt litigieux,
– condamner la société Cofidis à verser à M. [Z] et Mme [T] l’intégralité des sommes suivantes :
– 15’500 euros correspondant à l’intégralité du prix de vente de l’installation,
– 10’699 euros correspondant aux intérêts conventionnels et frais payés par M. [Z] et Mme [T] en exécution du prêt souscrit,
– 5 000 euros au titre du préjudice moral,
– 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter la société Cofidis et la société Next génération de l’intégralité leurs prétentions, fins et conclusions plus amples ou contraires aux présentes,
– condamner la société Cofidis à supporter les dépens de l’instance.
Aux termes de ses conclusions déposées par voie électronique le 7 octobre 2022, la société Cofidis demande à la cour de :
– déclarer M. [Z] et Mme [T] prescrits, irrecevables et subsidiairement mal fondés en leurs demandes et les en débouter,
– déclarer la société Cofidis recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions,
y faisant droit,
– confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
à titre subsidiaire, si la cour déclarait les demandes des emprunteurs recevables :
– déclarer M. [Z] et Mme [T] mal fondés en leurs demandes, fins et conclusions et les en débouter,
à titre plus subsidiaire, si la cour venait à prononcer la nullité des conventions ;
– ordonner avant-dire droit à M. [Z] et Mme [T] de verser aux débats l’intégralité de leur compte bancaire pour que la société Cofidis puisse faire le calcul des intérêts ;
– condamner la société Cofidis au remboursements des seuls intérêts perçus, le capital remboursé par anticipation lui restant définitivement acquis en l’absence de faute de sa part et en toute hypothèse, en l’absence de préjudice et de lien de causalité,
en tout état de cause,
– condamner solidairement M. [Z] et Mme [T] à payer à la société Cofidis une indemnité d’un montant de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner solidairement M. [Z] et Mme [T] aux entiers dépens qui pourront être directement recouvrés par l’avocat soussigné par application de l’article 699 code de procédure civile.
La SCP B. T. S. es qualité de liquidateur judiciaire de la société Next génération n’a pas constitué avocat.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens.
La clôture de l’affaire a été rendue le 1er septembre 2023, et l’affaire fixée pour être plaidée à l’audience du 13 septembre 2023.
MOTIFS
Sur la recevabilité de la demande de nullité des contrats de vente et de crédit
Les appelants font valoir que le contrat de vente est nul sur le fondement du dol au motif que leur consentement a été vicié par de fausses promesses de rentabilité de l’installation litigieuse faites par le vendeur, selon lesquelles elle s’autofinancerait, ou à tout le moins, leur permettrait une économie d’énergie substantielle. Ils font également valoir que le contrat est nul à raison d’irrégularités formelles affectant le bon de commande au regard des dispositions du code de la consommation en matière de vente à domicile.
Ils soutiennent qu’ils ont eu connaissance du défaut de rentabilité de l’installation après plusieurs années de production, à la lecture du rapport d’expertise amiable qui leur a été remis le 30 avril 2019, et qu’ils n’étaient pas en mesure de détecter, au moment de la signature du contrat de vente les irrégularités l’affectant, en sorte que leur action en nullité du contrat de vente sur le fondement du dol et sur le fondement de son irrégularité formelle n’est pas prescrite.
La société Cofidis fait valoir que l’action en nullité des appelants est prescrite ; que s’agissant de l’action en nullité pour dol, le point de départ de la prescription doit être fixé à la date de la première facture d’électricité, à laquelle les appelants ont nécessairement eu connaissance du défaut de rentabilité allégué, cependant qu’il doit être fixé à la date du contrat de vente s’agissant de l’action en nullité du contrat pour irrégularités formelles.
En vertu de l’article 122 du code de procédure civile ‘Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.’
Les contestations formées par l’emprunteur contre le prêteur sont soumises à la prescription quinquennale prévue à l’article 2224 du code civil qui dispose que ‘les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.’
Aux termes des dispositions de l’article 1304 du code civil , l’action en nullité doit être exercée dans le délai de cinq ans à compter de la découverte du dol ou de l’erreur.
En premier lieu, c’est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a considéré que la découverte du dol allégué doit être considéré comme acquise à réception de la première facture d’électricité. En effet, les acheteurs pouvaient parfaitement se rendre compte dès cette date, par un simple calcul du coût annuel de leur crédit et en le comparant au montant de la première facture de revente d’électricité annuelle, que l’installation ne pourrait s’autofinancer, et ce, sans attendre de faire établir ‘une expertise sur investissement’ le 30 avril 2019.
M. [Z] et Mme [T] précisent que leur installation a été raccordée et qu’un contrat de rachat d’électricité a été conclu avec la société EDF le 31 août 2012, et versent des factures d’électricité datées du 26 avril 2015 au 13 janvier 2020. Il reconnaissent toutefois, sans la produire, que la première facture de production date du mois d’avril 2013 (page 15 de leur conclusions). Dès lors, le point de départ de la prescription quinquennale peut être fixé au 30 avril 2013.
En conséquence, confirmant le jugement déféré, il y a lieu de constater que l’action en nullité sur le fondement du dol engagée par M. [Z] et Mme [T] par exploit introductif d’instance du 15 juillet 2021 est prescrite.
En second lieu, le délai de prescription de l’action en nullité fondée sur le non respect des dispositions des articles L. 121-23 et suivants du code de la consommation, à raison d’irrégularités formelles du contrat qui, à les supposer avérées, étaient visibles par les contractants à la date de la conclusion du contrat, court à compter de cette date. Les emprunteurs ne peuvent invoquer une méconnaissance du droit applicable pour faire échec à cette prescription étant relevé, à titre surabondant, que les conditions générales de vente portées au verso du bon de commande litigieux reproduisaient intégralement les dispositions des textes applicables.
Le contrat de crédit ayant été signé le 3 octobre 2011, l’action en nullité sur le fondement des irrégularités formelle de l’acte, formée par M. [Z] et Mme [T] par exploit introductif d’instance du 15 juillet 2021, est prescrite, et le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la recevabilité de l’action en responsabilité à l’encontre de la société Cofidis
Mme [T] et M. [Z] font grief à la banque d’avoir commis une faute en participant au dol commis par le vendeur, ainsi qu’en libérant les fonds sans vérifier la régularité du bon de commande, la banque ayant manqué à son obligation d’information et d’alerte.
La société Cofidis soulève la prescription de l’action en responsabilité dans la mesure où elle n’a pas été engagée dans les cinq ans suivant le paiement de la première échéance par les emprunteurs.
Il est rappelé qu’aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l’exercer.
La prescription d’une action en responsabilité contractuelle ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s’est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas connaissance.
D’une part, à supposer même que la banque ait participé au dol allégué, ce qui n’est pas démontré, force est de constater que le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité à l’égard la banque de ce chef doit être situé à la découverte du dommage causé par le dol allégué, soit à réception de la première facture d’achat d’électricité en avril 2013.
Dès lors, l’action en responsabilité engagée contre la banque à raison de sa faute consistant à avoir participé au dol commis par la société venderesse est prescrite.
D’autre part, aux termes de l’article L 311-20 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi n° 93-949 du 26 juillet 1993 en vigueur à la date de conclusion du contrat de crédit litigieux, dans le cadre d’un crédit affecté, les obligations de l’emprunteur ne prennent effet qu’à compter de la livraison du bien ou de la fourniture de la prestation. En conséquence, le prêteur qui délivre les fonds au vendeur sans s’assurer que celui-ci a exécuté son obligation, ou sans s’assurer de sa régularité formelle du bon de commande, commet une faute.
Le dommage résultant du manquement de la banque dans le déblocage des fonds consiste à devoir rembourser le crédit suite au déblocage et s’est en conséquence réalisé, en l’espèce, dès le paiement de la première échéance du crédit par les emprunteurs.
Mme [T] et M. [Z], malgré la sommation qui leur a été faite par la société Cofidis, ne produisent aucun élément afférent au crédit et son remboursement.
Il résulte cependant du tableau d’amortissement que la première échéance du crédit est datée du 20 novembre 2012. Il y a donc lieu de fixer au 20 novembre 2012 le point de départ de la prescription quiquennale de l’action en responsabilité fondée sur le déblocage fautif des fonds.
L’exploit introductif ayant été délivré le 15 juillet 2021, l’action en responsabilité de ce chef est prescrite.
Sur les demandes accessoires
Les motifs du premier juge méritant d’être adoptés, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.
M. [Z] et Mme [T], qui succombent, seront condamnés in solidum aux dépens d’appel en application de l’article 696 du code de procédure civile, dont distraction au profit de Me Xavier Hélain, avocat, en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Il ne paraît pas inéquitable de condamner in solidum M. [Z] et Mme [T] à payer à la société Cofidis la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et de les débouter de leur demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt réputé contradictoire ;
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
Déclare irrecevable comme prescrite l’action en responsabilité de M. [P] [Z] et Mme [E] [T] à l’encontre de la société Cofidis ;
Condamne in solidum M. [P] [Z] et Mme [E] [T] à payer à la société Cofidis la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles
d’appel ;
Condamne in solidum M. [P] [Z] et Mme [E] [T] aux dépens de première instance et d’appel, dont distraction pour ceux d’appel, au profit de Me Xavier Hélain, avocat, en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Le greffier
Gaëlle PRZEDLACKI
Le président
Yves BENHAMOU