Économie numérique : 23 mars 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 22-13.600

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Économie numérique : 23 mars 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 22-13.600

23 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n°
22-13.600

COUR DE CASSATION
Première présidence
__________
ORad

Pourvoi n° : N 22-13.600
Demandeur : la société Twitter International Unlimited Company
Défendeur : l’union des étudiants juifs de France et autres
Requêtes n° : 607/22, 914/22 et 1399/22
Jonction sous le numéro 607/22
Ordonnance n° : 90382 du 23 mars 2023

ORDONNANCE
_______________

ENTRE :

l’association Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, ayant la SCP Spinosi pour avocat à la Cour de cassation,

l’union des étudiants juifs de France, ayant la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia pour avocat à la Cour de cassation,

l’association SOS racisme, ayant la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia pour avocat à la Cour de cassation,

l’association J’Accuse !… Action internationale pour la justice, ayant la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia pour avocat à la Cour de cassation,

l’association La ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, ayant Me Laurent Goldman pour avocat à la Cour de cassation,

ET :

la société Twitter International Unlimited Company, ayant la SCP Célice, Texidor, Périer pour avocat à la Cour de cassation,

Jean Rovinski, conseiller délégué par le premier président de la Cour de cassation, assisté de Océane Gratian, greffier lors des débats du 2 mars 2023, a rendu l’ordonnance suivante :

Vu les requêtes des 21 mai 2022, 4 août 2022 et 24 novembre 2022 par lesquelles l’association Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, l’union des étudiants juifs de France,l’association SOS racisme, l’association J’Accuse !… Action internationale pour la justice et l’association La ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme demandent, par application de l’article 1009-1 du code de procédure civile, la radiation du pourvoi numéro N 22-13.600 formé le 18 mars 2022 par la société Twitter International Unlimited Company à l’encontre de l’arrêt rendu le 20 janvier 2022 par la cour d’appel de Paris ;

Vu les observations présentées oralement par la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia ;

Vu les observations présentées oralement par la SCP Célice, Texidor, Périer ;

Vu l’avis de Renaud Salomon, avocat général, recueilli lors des débats ;

En raison de leur connexité les trois requêtes seront jointes ;

La ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme sollicite la radiation de l’affaire initiée par le pourvoi de la société Twitter International Unlimited Company à l’encontre de l’arrêt du 20 janvier 2022 de la cour d’appel de Paris, en raison de sa non-exécution.

L’Union des étudiants juifs de France, J’accuse !…Action internationale pour la justice et SOS Racisme-Touche pas à mon pote ont présenté requête connexe aux mêmes fins.

Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) sollicite également la radiation de l’affaire.

La ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme fait valoir essentiellement que la cour d’appel de Paris a ordonné à la société Twitter International Unlimited Company (la société) de lui communiquer, notamment, dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement, sur la période écoulée entre la date de délivrance de l’assignation soit le 18 mai 2020 et celle du prononcé de ce jugement :
– tout document administratif, contractuel, technique, ou commercial relatif aux moyens matériels et humains mis en oeuvre dans le cadre du service Twitter pour lutter contre la diffusion des infractions d’apologie de crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale, à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle, l’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine,
– le nombre, la localisation, la nationalité, la langue des personnes affectées au traitement des signalements, provenant des utilisateurs de la plate-forme française de ses services de communication au public en ligne,
– le nombre de signalements provenant des utilisateurs de la plateforme française de ses services, en matière d’apologie des crimes contre l’humanité et d’incitation à la haine raciale, les critères et le nombre des retraits subséquents,
– le nombre d’informations transmises aux autorités publiques compétentes, en particulier au Parquet, en application de l’article 6-1.7 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) au titre de l’apologie des crimes contre l’humanité et de l’incitation à la haine raciale.

Elle précise que les justificatifs fournis par la société pour justifier de l’exécution de l’arrêt ne sont pas satisfaisants, s’agissant d’une lettre de son conseil et non de documents internes à l’entreprise, contenant des informations insuffisantes et d’un document interne esseulé, constitutif d’un support de présentation non informé sur ses destinataires donnant des informations générales, sans que l’on sache si les données chiffrées qui y figurent concernent le monde entier ou seulement la France. Elle ajoute que les indications figurant dans la lettre d’avocat ne constituent même pas un début d’exécution, s’agissant d’affirmations générales, imprécises et invérifiables faute de documents internes à l’appui (s’agissant notamment des signalements, faute de chiffres sur leur nombre en provenance des utilisateurs de la plate-forme française et sur celui des retraits subséquents) ; que les informations données concernent, sans autre forme de précision, les contenus haineux, alors que l’arrêt exige la communication de données aux seuls domaines de l’apologie des crimes contre l’humanité et de l’incitation à la haine raciale ; qu’aucune référence à la LCEN ou à des transmissions au Parquet n’est faite dans les éléments communiqués, contrairement à ce qui était demandé.

L’Union des étudiants juifs de France, l’assocaition J’accuse !…Action internationale pour la justice et l’association SOS Racisme-Touche pas à mon pote font valoir essentiellement :
– que les informations communiquées ne portent pas sur la période du 18 mai 2020 au 9 juillet 2021 visée par l’arrêt
– que les données chiffrées sont parcellaires et ne répondent pas aux questions posées
– que le document « #Sérénité de la Conversation Publique» porte quant à lui sur une période postérieure à l’arrêt
– qu’aucun document contractuel, technique ou commercial n’est annexé à la note de la société Twitter, permettant de justifier par exemple des moyens matériels et humains consacrés à la lutte contre la haine en ligne pendant la période visée
– que les chiffres fournis ne portent pas sur le traitement des signalements provenant de la plateforme française, s’agissant de la fourniture des éléments portant sur le nombre, la localisation, la nationalité, la langue des personnes affectées au traitement des signalements provenant des utilisateurs de la plateforme française de ses services de communication au public en ligne
– que les indications fournies dans la réponse de la société Twitter ne permettent pas de répondre avec précision sur le nombre des modérateurs affectés à l’équipe dédiée, leur localisation, leur nationalité et leur langue
– que s’agissant de l’obligation de fournir le nombre de signalements provenant des utilisateurs de la plate-forme française de ses services, en matière d’apologie des crimes contre l’humanité et d’incitation à la haine raciale, les critères et le nombre de retraits subséquents, aucune des informations transmises ne concernent le nombre de signalements dans les domaines visées par l’arrêt confirmatif
– que s’agissant de l’obligation de fournir le nombre d’informations transmises aux autorités publiques compétentes, en particulier au Parquet, en application de l’article 6-1.7 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) au titre de l’apologie des crimes contre l’humanité et de l’incitation à la haine raciale, aucune donnée n’a été fournie sur le nombre des signalements adressés aux autorités publiques, le document annexé à la note du conseil de la société portant non seulement sur une période postérieure à l’arrêt et n’apportant pas de réponse à l’ensemble des questions posées.

La société Twitter International Unlimited Company rétorque qu’elle a pleinement exécuté l’arrêt attaqué en sorte que la requête en radiation ne saurait prospérer, expliquant :
– qu’elle s’est conformée à son obligation de communiquer tout document relatif aux moyens mis en oeuvre dans le cadre du service Twitter pour lutter contre la diffusion de contenus haineux
– qu’il lui incombait de fournir aux associations un document contenant les informations les plus utiles et les plus pertinentes relatives aux moyens mis en oeuvre pour combattre la diffusion de contenus haineux sur la plateforme et plus précisément sur les moyens par lesquels les modérateurs sont formés et préparés à cette tâche
– qu’elle a communiqué un document intitulé «Modération en ligne» destiné à la formation des modérateurs dans sa version actuelle en l’explicitant
– que quand bien même les informations ne seraient pas de nature à satisfaire les associations, elle a bien informé celles-ci que sur les 2 200 employés et contractuels contribuant à temps plein à la modération de la plateforme, une équipe dont le nombre en augmentation depuis les dernières années, variait en fonction du nombre des signalements reçus, était dédié aux notifications de contenus haineux provenant d’utilisateurs en France et que ses membres parlaient couramment français et étaient formées aux lois françaises applicables
– que s’agissant de l’obligation de fournir le nombre de signalements provenant des utilisateurs de la plateforme française de ses services, en matière d’apologie des crimes contre l’humanité et d’incitation à la haine raciale, les critères et le nombre des retraits subséquents, elle a communiqué les informations à sa disposition, précision donnée que la collecte de données est encadrée par la LCEN (le taux d’action combiné pour la période de mai 2020 à juillet 2021, le taux de blocage géolocalisé de contenus signalés comme haineux pour la période mai 2020 à juillet 2021 et le taux de retraite global pour violation des conditions d’utilisation par la société Twitter pour les contenus signalés depuis la France comme étant des contenus haineux pour la même période, le nombre de requêtes relatives à des informations d’identification de leurs utilisateurs émanant des forces de l’ordre et d’autres administrations, le nombre de demandes de retrait de contenu incluant les décisions de justice, les demandes officielles émanant des forces de l’ordre ou des avocats des personnes concernées, le nombre de comptes visés par ces requêtes et le taux de réponses favorables qui y était apportée entre janvier 2021 et juillet 2021)
– que s’agissant de l’obligation de fournir le nombre d’informations transmises aux autorités publiques compétentes, en particulier au Parquet, en application de l’article 6-1.7 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) au titre de l’apologie des crimes contre l’humanité et de l’incitation à la haine raciale, il n’existe aucune obligation légale de conservation et de communication à sa charge, laquelle fait l’objet du pourvoi, et qu’elle est dans l’incapacité de transmettre le nombre d’informations transmises aux autorités publiques compétentes en application de l’article 6.I.7 de la LCEN.

SUR CE

La cour d’appel a ordonné, par arrêt confirmatif, à la société Twitter International Unlimited Company de communiquer aux demanderesses et aux intervenants volontaires dans un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, sur la période écoulée entre la date de délivrance de l’assignation soit le 18 mai 2020 et celle du prononcé de la présente ordonnance :
– tout document administratif, contractuel, technique, ou commercial relatif aux moyens matériels et humains mis en oeuvre dans le cadre du service Twitter pour lutter contre la diffusion des infractions d’apologie de crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale, à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle, l’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine,
– le nombre, la localisation, la nationalité, la langue des personnes affectées au traitement des signalements provenant des utilisateurs de la plate-forme française de ses services de communication au public en ligne,
– le nombre de signalements provenant des utilisateurs de la plate-forme Française de ses services, en matière d’apologie des crimes contre l’humanité et d’incitation à la haine raciale, les critères et le nombre des retraits subséquents,
– le nombre d’informations transmises aux autorités publiques compétentes, en particulier au Parquet, en application de l’article 6-1.7 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) au titre de l’apologie des crimes contre l’humanité et de l’incitation à la haine raciale.

La société Twitter international Unlimited Company ne saurait s’exonérer de son obligation d’exécution de l’arrêt au seul motif que le pourvoi porterait notamment sur la détermination du périmètre de l’obligation de communication et que l’exécution de la condamnation aurait pour conséquence de vider le pourvoi de sens, dès lors que, s’agissant des informations communiquées entrant sans contestation dans le périmètre de l’obligation légale, il peut être constaté leur insuffisance au regard des exigences de l’arrêt. En effet, la lettre du conseil de la société Twitter International Unlimited Company ne peut être considérée satisfaisante, au regard de l’exigence de production, aux termes de l’arrêt, de documents administratif, contractuel, technique, ou commercial internes à l’entreprise, relatifs aux moyens matériels et humains mis en oeuvre dans le cadre du service Twitter pour lutter contre la diffusion des infractions d’apologie de crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale, à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle, l’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine. Par ailleurs, le document fourni sous la forme de support de présentation sans indication de son ou de ses destinataires ne peut répondre aux exigences définies dans l’arrêt, en ce qu’il contient des informations générales, imprécises, parcellaires et insuffisantes ainsi que des données chiffrées dont on ne sait si elles concernent le monde entier ou seulement la France, en tout cas non corroborées par des documents internes concernant la plateforme française sur la période concernée du 18 mai 2020 au 9 juillet 2021.

Cette insuffisance peut être constatée :
– s’agissant des signalements, faute de chiffres sur leur nombre en provenance des utilisateurs de la plate-forme française et sur celui des retraits subséquents,
– s’agissant de la justification des moyens matériels et humains consacrés à la lutte contre la haine en ligne pendant la période visée sur la plateforme française (le nombre, la localisation, la nationalité, la langue des personnes affectées dans les services de communication au public en ligne au traitement des signalements provenant des utilisateurs de la plate-forme française)
– s’agissant des informations données sur les contenus haineux de manière générale, alors que l’arrêt exige la communication de données relatives aux seuls domaines de l’apologie des crimes contre l’humanité et de l’incitation à la haine raciale, s’agissant du nombre de signalements, les critères et le nombre de retraits subséquents
– dès lors que, s’agissant de l’obligation de fournir le nombre de signalement provenant des utilisateurs de la plate-forme française de ses services, en matière d’apologie des crimes contre l’humanité et d’incitation à la haine raciale, la société qui prétend ne pas détenir ces informations, fournit pourtant des pourcentages qui ont été nécessairement obtenus sur la base du recensement des signalements qu’il lui serait possible de donner.

En conséquence de l’insuffisance des informations communiquées au regard des exigences de l’arrêt pour la part non contestée par la société au regard de son obligation légale de rendre publics les moyens qu’elle consacre à la lutte contre les activités illicites, il ne peut être valablement allégué par la société Twitter International Unlimited Company une atteinte à son droit d’accès au juge.

Dès lors, la requête doit être accueillie.

EN CONSÉQUENCE :

Les requêtes 607/22, 914/22 et 1399/22 tendant à la radiation du pourvoi n° N 22-13.600 au rôle de la Cour sont jointes sous le numéro 607/22.

L’affaire enrôlée sous le numéro N 22-13.600 est radiée.

En application de l’article 1009-3 du code de procédure civile, sauf constat de la péremption, l’affaire pourra être réinscrite au rôle de la Cour de cassation sur justification de l’exécution de la décision attaquée.

Fait à Paris, le 23 mars 2023

Le greffier,
Le conseiller délégué,

[N] [D]
[P] [J]

 


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