Éclaircissement sur la compétence et la nécessité d’expertise dans un litige automobile

·

·

Éclaircissement sur la compétence et la nécessité d’expertise dans un litige automobile
Ce point juridique est utile ?

Le 7 novembre 2016, Monsieur [X] [I] a acheté un véhicule Jaguar XK pour 9.000 € TTC. Le 3 février 2020, il a confié le véhicule à la SARL [L] Automobiles Asco pour des travaux de peinture et de carrosserie. Après des problèmes de batterie, Monsieur [I] a acheté une nouvelle batterie, mais en récupérant son véhicule le 12 mars 2020, il a constaté plusieurs dysfonctionnements. Une expertise amiable a révélé des désordres électriques. La SARL [L] Automobiles Asco a été dissoute le 19 avril 2021, et Monsieur [I] a assigné la SA Allianz IARD et Monsieur [L] en tant que liquidateur pour une expertise judiciaire. Le juge des référés a ordonné une expertise, dont le rapport a été rendu le 10 janvier 2023. Le 19 juin 2023, Monsieur [I] a assigné la SA Allianz IARD pour obtenir des compensations. La SA Allianz IARD a demandé un complément d’expertise, arguant que l’expert précédent manquait de compétences en électronique. Monsieur [I] a contesté cette demande, affirmant que l’expert était qualifié. L’affaire a été examinée lors d’une audience le 12 septembre 2024 et a été mise en délibéré. Le juge a déclaré recevable la demande d’expertise judiciaire de la SA Allianz IARD, rejeté sa demande d’expertise complémentaire, et renvoyé l’examen de l’affaire à une audience ultérieure.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Tours
RG n°
23/02693
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE TOURS

MISE EN ÉTAT

PREMIERE CHAMBRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ORDONNANCE RENDUE LE 17 OCTOBRE 2024

Numéro de rôle : N° RG 23/02693 – N° Portalis DBYF-W-B7H-I2E5

DEMANDEUR :

Monsieur [X] [I]
né le 16 Avril 1987 à [Localité 5]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 3] – [Localité 2]
représenté par Maître Marc MORIN de la SCP DELHOMMAIS, MORIN, avocats au barreau de TOURS,

ET :

DÉFENDERESSE :

S.A. SA ALLIANZ IARD, RCS de Nanterre n° 542 110 291, en sa qualité d’assureur de la SARL [L] AUTOMOBILES ACSO, dont le siège social est sis [Adresse 1] – [Localité 4]
représentée par Maître Viviane THIRY de la SCP CRUANES-DUNEIGRE, THIRY ET MORENO, avocats au barreau de TOURS,

ORDONNANCE RENDUE PAR :

JUGE DE LA MISE EN ÉTAT : V. ROUSSEAU

GREFFIER : V. AUGIS lors des débats
GREFFIER : C. FLAMAND lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience du 12 Septembre 2024, le Juge de la mise en état a fait savoir aux parties que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 17 Octobre 2024.

Exposé du litige :

Le 7 novembre 2016, Monsieur [X] [I] a acquis auprès des établissements Girondins Autos un véhicule de marque Jaguar modèle XK immatriculé [Immatriculation 6] et mis en circulation le 29 février 2000, pour un montant de 9.000 € TTC.

Le 3 février 2020, Monsieur [I] a confié le véhicule à la SARL [L] Automobiles Asco, assurée auprès de la SA Allianz IARD, pour des travaux de peinture et de carrosserie. Monsieur [L], gérant de la SARL [L] Automobiles Asco, a informé Monsieur [I] d’une défaillance de la batterie acquise par ses soins un an plus tôt et empêchant le redémarrage du véhicule. Monsieur [I] a acheté une batterie neuve le 25 février 2020, installée sur le véhicule par Monsieur [L].

Après avoir récupéré son véhicule le 12 mars 2020, Monsieur [I] a constaté divers désordres affectant notamment le compteur kilométrique, le compteur de vitesse, la pédale de frein et la boîte de vitesse. Il a ramené le véhicule à la SARL [L] Automobiles Asco et déclaré un sinistre à son assureur protection juridique.

Une expertise amiable réalisée par le cabinet Expad Tours a démontré l’existence d’un désordre électrique ou électronique.

Une seconde expertise amiable a été réalisée par le cabinet Référence Expertise.

Suivant procès-verbal d’assemblée générale extraordinaire du 19 avril 2021, les associés de la SARL [L] Automobiles Asco ont décidé à l’unanimité de prononcer la dissolution anticipée de la société et de nommer Monsieur [L] liquidateur. Le 24 août 2021, la clôture des opérations de liquidation amiable de la société ainsi que sa radiation ont été publiées au Registre du Commerce et des Sociétés de Tours.

Par actes d’huissier des 2 et 8 décembre 2021, Monsieur [I] a assigné devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Tours la SA Allianz IARD et Monsieur [L] en sa qualité de liquidateur de la SARL [L] Automobiles Asco aux fins de voir ordonner une mesure d’expertise judiciaire.

Suivant ordonnance de référé du 22 mars 2022, le juge des référés a prononcé la nullité de l’assignation délivrée à Monsieur [L], fait droit à la demande d’expertise et désigné Monsieur [O] de la SAS Car-e pour y procéder. L’expert a rendu son rapport définitif le 10 janvier 2023.

Par acte d’huissier du 19 juin 2023, Monsieur [X] [I] a assigné devant le tribunal judiciaire de Tours la SA Allianz IARD, aux fins de la voir condamner à lui verser diverses sommes au titre de la perte de valeur du véhicule, de son préjudice de jouissance, des frais d’assurance, des frais de garagiste, des frais de gardiennage et en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions d’incident signifiées par voie électronique le 20 août 2024, la SA Allianz IARD demande au juge de la mise en état, au visa de l’article 789 du code de procédure civile, de :
– Débouter Monsieur [X] [I] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– Ordonner un complément d’expertise judiciaire du véhicule immatriculé [Immatriculation 6] de marque JAGUAR modèle XK, au contradictoire de Monsieur [I] et de la SA Allianz IARD ;
– Désigner tel expert automobile, spécialisé en électronique, il plaira à Madame le Juge de la Mise en État avec pour mission de :
Convoquer les parties pour procéder à l’examen du véhicule ;
Se faire remettre tout document nécessaire à la solution du litige ;
Décrire les désordres et en rechercher les causes ;
Procéder à l’examen de la carte électronique du bloc compteur du véhicule et notamment l’état des microsoudures de la carte électronique de ce bloc compteur
Préciser si cette carte avait fait l’objet d’une ou plusieurs interventions de rattrapage antérieures ;
Préciser s’il existe des traces de chauffe sur cette carte ;
Préciser quel type d’intervention a été effectuée par le constructeur ;
Préciser les conséquences de cette action ;
Donner des éléments de fait permettant de déterminer les responsabilités encourues ;
Dresser un pré-rapport et un rapport définitif ;
– Ordonner le montant de la consignation à valoir sur les frais d’expertise ;
– Réserver les dépens.

La SA Allianz IARD considère qu’en l’état, la cause exacte des désordres n’a pas été déterminée en raison de l’absence de compétences en matière électronique de l’expert judiciaire précédemment désigné, lequel n’a pas de spécialité dans le domaine électronique et ne s’est pas fait assister d’un sapiteur ayant de telles connaissances. Elle sollicite donc la tenue d’une nouvelle mesure d’instruction.

Par conclusions d’incident signifiées par voie électronique le 29 mai 2024, Monsieur [X] [I] demande au juge de la mise en état, au visa des articles 1217, 1231-1 et suivants et 1927 et suivants du code civil ainsi que de l’article 700 du code de procédure civile, de :
– Déclarer la SA Allianz IARD irrecevable en sa demande ;
– Débouter la SA Allianz IARD de sa demande d’expertise judiciaire ;
– Condamner la SA Allianz IARD à verser la somme de 3 000 euros à Monsieur [X] [I] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;

Monsieur [I] fait valoir que la demande de contre-expertise de la SA Allianz IARD aurait dû être présentée devant le juge du fond et non devant le juge de la mise en état dès lors qu’il convient de juger de la qualité de la précédente expertise, de sorte qu’elle serait irrecevable. En outre, il entend la voir débouter de sa demande d’expertise au motif que Monsieur [O] était qualifié pour les diagnostics électroniques et assisté d’un sapiteur disposant d’un haut niveau de technicité.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, et ce, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer à leurs conclusions respectives régulièrement signifiées par RPVA.

L’affaire a été évoquée à l’audience d’incident de mise en état du 12 septembre 2024 puis placée en délibéré par mise à disposition au greffe au 17 octobre 2024.

MOTIFS

I/ Sur la compétence du juge de la mise en état pour se prononcer sur une demande d’expertise judiciaire

Aux termes de l’article 789 du code de procédure civile : « Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et les incidents mettant fin à l’instance ;
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ;
2° Allouer une provision pour le procès ;
3° Accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l’exécution de sa décision à la constitution d’une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5, 517 et 518 à 522 ;
4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d’un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;
5° Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction ;
6° Statuer sur les fins de non-recevoir. […] ».

Le juge de la mise en état est donc, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour ordonner toute mesure d’instruction.

Dès lors, il n’y a pas lieu de déclarer irrecevable la demande d’expertise judiciaire formée par la SA Allianz IARD, le juge de la mise en état étant seul compétent pour se prononcer sur une telle demande dès lors qu’il a été saisi.

II/ Sur la demande d’expertise judiciaire

L’article 144 du code de procédure civile dispose : « Les mesures d’instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer ».

L’article 146 du code de procédure civile ajoute : « Une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver.
En aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve. »

En l’espèce, il ressort expressément du rapport d’expertise judiciaire du 10 janvier 2023 ainsi que des précédents rapports d’expertises amiables des 14 septembre 2021 et 5 février 2021 la présence d’un certain nombre de désordres sur le véhicule tels qu’une panne généralisée du réseau informatique du véhicule, un dysfonctionnement du tableau de bord, un défaut d’affichage du kilométrage et une boîte de vitesse automatique inopérante, lesquels rendent le véhicule impropre à son usage et à sa destination puisqu’il ne peut plus démarrer.

Tout d’abord, il y a lieu de relever que la SA Allianz IARD ne rapporte pas la preuve de ce que Monsieur [C] [O], expert désigné par l’ordonnance de référé du 22 mars 2022, ne serait pas qualifié pour réaliser des diagnostics électroniques. S’il est loisible à l’expert désigné de prendre l’avis d’un sapiteur de son choix dans une spécialité différente de la sienne, Monsieur [O] n’avait aucune obligation de s’adjoindre un sapiteur spécialisé dans l’électronique dès lors que ce n’est qu’une faculté et qu’il a donc pu estimer que ce n’était pas nécessaire. Au surplus, il y a lieu de préciser qu’il était accompagné par Monsieur [F] [U], technicien de niveau 4 du garage Eagle Automobiles, soit le plus haut niveau de technicité du groupe Land Rover Jaguar concernant son personnel d’atelier, et que ce dernier a procédé aux mêmes constatations.

Ensuite, la SA Allianz IARD fait valoir que la cause exacte des désordres n’aurait pas été déterminée aux termes du rapport d’expertise judiciaire alors que l’expert conclut à une surtension ou surintensité engendrée par l’usage d’un booster ou d’une batterie auxiliaire de démarrage, qui a endommagé un composant électronique situé dans le compteur. Il impute la défaillance du compteur du véhicule à l’intervention de démarrage du garage [L]. Dès lors, la cause des désordres a bien été déterminée aux termes de ce rapport, ainsi que son imputabilité.

Dans ces conditions, le recours aux opérations d’expertise sollicitées retarderait inutilement l’issue du litige dès lors qu’aucun élément nouveau ne justifie la nécessité de réaliser une nouvelle expertise, laquelle se bornerait à reprendre une mission identique à la mesure d’expertise précédente et s’apparenterait à une contre-expertise, et dès lors qu’aucun élément sérieux ne démontre que l’expert précédemment désigné n’était pas suffisamment qualifié en matière électronique ou que son rapport d’expertise présenterait des lacunes ne permettant pas au juge du fond d’avoir les éléments suffisants pour statuer.

La réalisation d’une nouvelle expertise ne constitue pas une mesure nécessaire à la solution du litige. La demande présentée par la SA Allianz IARD sera rejetée.

Il n’y a pas lieu de se prononcer sur la demande de consignation formulée par la SA Allianz IARD compte tenu du rejet de la demande d’expertise.

III/ Sur les autres demandes

A ce stade de la procédure, les dépens seront réservés.

Le sort des frais irrépétibles sera apprécié par le juge du fond.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et susceptible d’appel dans les conditions prévues par l’article 795 du code de procédure civile,

Déclare recevable la demande d’expertise judiciaire formée par la SA Allianz IARD,

Rejette la demande d’expertise judiciaire formée par la SA Allianz IARD,

Dit que les dépens de l’incident suivront le sort de l’instance au fond,

Laisse le sort des frais irrépétibles à l’appréciation du juge du fond.

Rejette le surplus des demandes,

Renvoie l’examen de l’affaire à l’audience de mise en état virtuelle du 16 décembre 2024 et dit que Me Thiry devra signifier ses conclusions avant cette date.

Ainsi fait et ordonné au Palais de Justice de Tours les jour, mois et an que dessus.

Le Greffier
C. FLAMAND
Le Juge de la mise en état
V. ROUSSEAU


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x