Droits voisins des éditeurs de presse : 250 millions d’euros contre Google

Droits voisins des éditeurs de presse : 250 millions d’euros contre Google

L’Autorité de la concurrence a sanctionné Google d’une amende de 250 millions d’euros pour ne pas avoir respecté certains engagements rendus obligatoires avec les éditeurs de presse, par la décision 22-D-13 du 21 juin 2022.

Les engagements pris par Google

Voici les Points Principaux des Engagements pris par Google :

  1. Détermination de la Qualification :
    • En cas de désaccord sur la qualification d’éditeur ou d’agence de presse, Google et l’éditeur/agence concerné(e) peuvent soumettre le différend à un mandataire, qui consulte un expert en propriété intellectuelle pour émettre un avis dans un délai de dix jours ouvrés.
  2. Négociation de Rémunération :
    • Google s’engage à négocier de bonne foi la rémunération avec les parties concernées pour toute utilisation de contenus protégés sur ses produits et services, conformément à l’article L. 218-4 du CPI.
  3. Communication d’Informations :
    • Google s’engage à communiquer aux éditeurs et agences de presse les informations requises par l’article L. 218-4 du CPI, dans un délai défini.
  4. Maintien des Modalités d’Affichage :
    • Google s’engage à maintenir les modalités d’affichage convenues avec les éditeurs/agences pendant la période de négociations.
  5. Détermination par un Tribunal Arbitral de la Rémunération :
    • En cas de désaccord sur la rémunération, chaque partie peut demander à un tribunal arbitral de déterminer la rémunération, conformément à l’article L. 218-4 du CPI.
  6. Absence d’Impact sur l’Indexation et le Classement :
    • Les négociations ne doivent pas affecter l’indexation, le classement ou la présentation des contenus protégés repris par Google.
  7. Maintien des Relations Économiques :
    • Les négociations ne doivent pas affecter les autres relations économiques entre Google et les éditeurs/agences de presse.
  8. Dispositions pour les Accords Préexistants :
    • Les éditeurs/agences ayant déjà conclu des accords avec Google pour la rémunération de leurs contenus protégés peuvent également bénéficier de ces engagements sans frais liés à la résiliation ou à l’amendement de leurs accords préexistants.

Pour rappel, voici l’intégralité des engagements de Google :

Analyse du non-respect des engagements de Google

Par cette nouvelle décision, l’Autorité sanctionne Google pour avoir méconnu son engagement de coopération avec le mandataire et pour ne pas avoir respecté une partie de ses engagements, dont l’objectif était de garantir les principes suivants :

  1. conduire des négociations de bonne foi, sur la base de critères transparents, objectifs et non discriminatoires dans un délai de trois mois (engagements n°1 et 4)
  2. transmettre aux éditeurs ou agences de presse les informations nécessaires à l’évaluation transparente de leur rémunération au titre des droits voisins (engagement n°2)
  3. prendre les mesures nécessaires pour que les négociations n’affectent pas les autres relations économiques existant entre Google et les éditeurs ou agences de presse (engagement n°6).

Dans le détail, il est reproché à Google :

Un Défaut de coopération avec le mandataire

L’Autorité souligne que Google n’a pas respecté son engagement de coopération avec le mandataire, notamment en retenant des informations cruciales nécessaires à l’exercice de sa mission de contrôle des engagements. De plus, Google a tenté de retarder la communication à l’Autorité en cas de doute du mandataire concernant des manquements éventuels.

Manque de Transparence et négociation de rémunération

Concernant la transparence, Google n’a pas respecté son engagement en ne transmettant pas simultanément sa note méthodologique avec l’offre de rémunération aux parties négociantes, et en rendant cette note méthodologique opaque.

Pour ce qui est de l’objectivité, Google n’a pas mentionné tous ses services pouvant générer des revenus pour la partie négociante, et certains n’ont même pas été pris en compte ou justifiés.

Enfin, en ce qui concerne le critère de non-discrimination, Google a traité de manière identique des éditeurs de presse dont les situations sont différentes, ce qui ne permet pas de rendre compte fidèlement de leur contribution aux revenus de Google.

La Non-conformité des propositions de rémunération

Les propositions de rémunération de Google concernant les revenus indirects ne sont pas conformes aux décisions antérieures de l’Autorité et à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 8 octobre 2020.

La Communication d’informations incomplètes

Les informations transmises par Google ne permettent pas une évaluation transparente de la rémunération, en particulier en ce qui concerne les revenus indirects. Par conséquent, Google a enfreint son engagement de transparence.

Utilisation des contenus pour l’intelligence artificielle

Google a utilisé du contenu issu d’éditeurs de presse et d’agences de presse sans les informer dans le cadre du développement de son service d’intelligence artificielle “Bard”. De plus, Google n’a pas proposé de solution technique permettant aux éditeurs de s’opposer à cette utilisation sans affecter l’affichage de leurs contenus sur d’autres services de Google.

Entraînement d’un modèle d’IA sans l’accord des éditeurs

En ce qui concerne le service d’intelligence artificielle « Bard » lancé par Google en juillet 2023, l’Autorité a en particulier constaté que celui-ci avait utilisé aux fins d’entraînement de son modèle fondateur des contenus des éditeurs et agences de presse, sans avertir ces derniers ou l’Autorité.

Par la suite, Google a lié l’utilisation par son service d’intelligence artificielle des contenus concernés à l’affichage des contenus protégés, en ne proposant pas de solution technique permettant aux éditeurs et agences de presse de s’opposer à l’utilisation de leur contenu par Bard (« opt-out ») sans affecter l’affichage des contenus protégés au titre des droits voisins sur les autres services de Google et en obérant ainsi la capacité des éditeurs et agences de presse à négocier une rémunération.

Le Contexte : la loi du 24 juillet 2019 sur les droits voisins

Pour mémoire, cette décision est la 4ème décision rendue par l’Autorité de la concurrence sur ce dossier en quatre ans.

Ces décisions s’inscrivent dans un contexte marqué par l’adoption de la loi du 24 juillet 2019 sur les droits voisins (transposant la directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins du 17 avril 2019).

Ce dispositif avait pour objectif de mettre en place les conditions d’une négociation équilibrée entre éditeurs, agences de presse et plateformes numériques.

Ce cadre législatif visait à redéfinir, en faveur des acteurs de la presse, le partage de la valeur entre ces acteurs et de répondre aux profondes mutations que connaît le secteur de la presse depuis plusieurs années, en particulier l’accroissement des audiences numériques, corollaire à la diminution de la diffusion « papier », et la captation d’une part significative de la valeur publicitaire par les grandes plateformes numériques.

Condamnation de Google : l’historique de l’affaire

Après avoir, en avril 2020, prononcé des mesures d’urgence sous forme d’injonctions (décision 20-MC-01 du 9 avril 2020, l’Autorité a constaté que ces dernières n’avaient pas été respectées, a sanctionné Google à hauteur de 500 millions d’euros et l’a enjoint de se conformer, sous astreinte, aux injonctions initialement prononcées (décision 21-D-17 du 12 juillet 2021).

Par la suite, se prononçant sur le fond de cette affaire, l’Autorité a, par sa décision 22-D-13 du 21 juin 2022, accepté, pour une durée de 5 ans, renouvelable une fois, les engagements proposés par Google pour mettre un terme aux préoccupations de concurrence exprimées :


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