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28 juin 2023
Cour d’appel de Lyon
RG n°
22/06987
N° RG 22/06987 – N° Portalis DBVX-V-B7G-OSDB
Décision du Président du TGI de LYON en référé du 26 septembre 2022
RG : 22/00807
S.E.L.A.R.L. [Adresse 5]
C/
S.A.S. PRESTIG’IMMO
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 28 Juin 2023
APPELANTE :
La société [Adresse 5], SELARL au capital de 1 000 euros, immatriculée au registre du commerce et des sociétés sous le n° D 892 506 353 RCS LYON, dont le siège social est situé [Adresse 1] à [Localité 3], représentée par son représentant légal en exercice, domicilié ès-qualités audit siège.
Représentée par Me Laurent BURGY de la SELARL LINK ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1748
INTIMÉE :
PRESTIG IMMO, société par actions simplifiée immatriculee au registre du commerce et des sociétés de LYON sous le numero 353 824 873 dont le siege social est situé [Adresse 2] à [Localité 4], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice y domiciliés en cette qualité au dit siege, propriétaire et bailleur. Ci-après dénommée PRESTIG’IMMO
Représentée par Me Etienne TETE, avocat au barreau de LYON, toque : 2015
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 09 Mai 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 09 Mai 2023
Date de mise à disposition : 28 Juin 2023
Audience tenue par Bénédicte BOISSELET, président, et Karen STELLA, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier
A l’audience, un membre de la Cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
– Bénédicte BOISSELET, président
– Karen STELLA, conseiller
– Véronique MASSON-BESSOU, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
Exposé du litige
Par acte sous seing privé du 23 décembre 2011, [K] [Z] a consenti à [N] [I] un bail commercial portant sur divers locaux dépendant d’un immeuble situé à Caluire (département du Rhône), [Adresse 1].
Ce bail a été consenti pour une durée de neuf ans moyennant un loyer annuel en principal HT/HC de 3.794,03 € payable par trimestre d’avance et prévoit que les locaux sont à usage exclusif de pharmacie.
Par acte notarié du 18 décembre 2017, [K] [Z] a vendu ces locaux à la société Prestig’Immo.
Par acte sous seing privé du 14 janvier 2021, [N] [I], preneur, a cédé son officine de pharmacie à la société [Adresse 5].
Le 12 octobre 2021, la société Prestig’Immo a délivré à la société [Adresse 5] un commandement d’avoir à respecter les clauses du bail, visant la clause résolutoire.
Elle reprochait au preneur, constats d’huissier à l’appui, un défaut d’exploitation.
Le 7 février 2022, la société Prestig’Immo a délivré à la société [Adresse 5] un second commandement visant la clause résolutoire.
Considérant qu’il n’avait pas été satisfait à ces deux commandements par le preneur, la société Prestig’Immo, par exploit du 26 avril 2022, a assigné la société [Adresse 5] devant le juge des référés du Tribunal judiciaire de Lyon aux fins de voir au principal constater l’acquisition de la clause résolutoire au 7 mars 2022 et statuer sur ses conséquences.
Par ordonnance du 26 septembre 2022, le Juge des référé a :
Constaté la résiliation du bail à la date du 8 mars 2022,
Condamné la société [Adresse 5] et tout occupant de son chef à quitter les lieux, si besoin est par expulsion, avec le concours si nécessaire de la force publique et d’un serrurier,
Condamné la société [Adresse 5] à payer une indemnité d’occupation provisionnelle d’un montant équivalent à celui des loyers et des charges jusqu’au départ effectif des lieux,
Dit n’y avoir lieu à application de la clause pénale,
Condamné la société [Adresse 5] aux dépens,
Condamné la société [Adresse 5] à payer à la société Prestig’Immo la somme de 1.200 € par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Le juge des référés a retenu en substance :
qu’aux termes du contrat de bail, le preneur doit tenir les lieux loués constamment garnis d’objets mobiliers et matériel pour pouvoir répondre en tout temps du loyer en principal et de ses accessoires et de l’entière exécution des charges et conditions du bail et tenir toujours les locaux ouverts ;
que l’obligation d’ouverture ne constitue pas une clause de style car permettant de maintenir une bonne achalandise du commerce et de conserver sa valeur et son attractivité ;
que le défaut d’exploitation des lieux est suffisamment établi par la production de quatre constats d’huissier, le locataire admettant que la pharmacie n’est ouverte que le lundi, ce qui est insuffisant pour considérer que l’exploitation est réelle et suffisante, outre qu’en réalité le commerce n’est pas ouvert certains lundis.
Par acte régularisé par RPVA le 19 octobre 2022, la société [Adresse 5] a interjeté appel de l’intégralité des chefs de décision figurant au dispositif de l’ordonnance du 26 septembre 2022, à l’exception du chef de décision relatif au rejet de la demande au titre de la clause pénale.
Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 5 mai 2023, la société [Adresse 5] demande à la Cour de :
Réformer l’ordonnance rendue le 26 septembre 2022 selon les termes de la déclaration d’appel. (repris dans le dispositif de ses écritures)
Et, statuant à nouveau,
A titre principal
Déclarer nul et de nul effet le commandement visant la clause résolutoire signifié le 7 février 2022 à la société [Adresse 5] dont se prévaut la société Prestig’Immo, de sa particulière mauvaise foi ;
Dire n’y avoir lieu à référé au regard des contestations réelles et sérieuses opposées par la société [Adresse 5] ;
Débouter la société Prestig’Immo de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
A titre subsidiaire :
Si par extraordinaire, la Cour venait à considérer que la clause résolutoire avait vocation à s’appliquer en l’espèce, lui octroyer un délai de grâce de vingt-quatre mois pour quitter les lieux à compter de la décision à intervenir.
En toute hypothèse :
Condamner la société Prestig’Immo à lui verser à la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la société Prestig’Immo aux entiers dépens de la procédure, dont distraction au profit de Maître Richard Benon.
L’appelante reproche en premier lieu au juge des référés d’avoir omis de statuer sur une contestation sérieuse qu’elle avait soulevée, faisant valoir :
que le juge des référés a omis de statuer sur son incompétence au regard de la présence de deux clauses résolutoires dans le bail, nécessitant une interprétation de la volonté des parties ;
qu’en l’espèce, le bail litigieux contient deux clauses résolutoire, qui ne portent pas sur les mêmes manquements puisque la première sanctionne le non-paiement des loyers et charges ainsi que le défaut d’exécution d’une seule des conditions du présent bail, tandis que la seconde ne sanctionne que le non-paiement des loyers et les charges ;
que dès lors, ces deux clauses portent à confusion et sont particulièrement ambigües car le preneur ne sait pas quelle clause doit s’appliquer ;
qu’au regard de l’incertitude sur la clause à appliquer, il est nécessaire que ce contrat de bail soit interprété dans son intégralité à la lueur de la commune intention des et qu’il ne relève pas des pouvoirs du juge des référés de procéder à une telle interprétation, qu’en conséquence il n’y avait lieu à référé sur la demande du bailleur.
L’appelante soutient également, au visa de l’article 834 du Code de procédure civile, qu’il existait une contestation sérieuse s’agissant de l’ouverture des locaux, relevant :
que selon les termes du bail, le preneur doit tenir toujours les locaux ouverts, ce qui ne saurait s’entendre d’une ouverture 24 heure sur 24 et 7 jours sur 7 ;
que le mot « toujours » n’étant ni précis, ni clair, ni sans équivoque, la société [Adresse 5] considère qu’au regard de l’absence de précision expresse quant aux dates et heures d’ouverture, elle est entièrement libre d’exploiter son commerce comme bon lui semble et de l’ouvrir aux horaires et jours qui lui conviennent ;
qu’en réalité, aucune règle portant sur des dates et heures d’ouverture n’existe pour les pharmacie, profession réglementée, la seule obligatoire qui pèse sur un pharmacien étant d’être titulaire d’une seule pharmacie et de l’exploiter personnellement ;
Elle fait valoir qu’il existait aussi une contestation sérieuse concernant l’exploitation réelle des locaux, observant :
que le juge des référés a considéré à tort que les locaux n’étaient pas exploités par la société [Adresse 5] ;
qu’en effet, les locaux sont ouverts tous les lundis de 10h à 12h30 puis de 14h30 à 16h30, la pharmacie étant fermée au public pendant les vacances scolaires et une partie des congés d’été ;
que les constats d’huissier réalisés pour démontrer l’absence d’exploitation ont eu lieu soit en période de congé, soit un autre jour que le lundi et que pour démontrer l’absence d’exploitation, le juge des référés ne s’est basé que sur un seul constat d’huissier du 17 janvier 2021, jour de fermeture exceptionnelle de la pharmacie ;
que les constats d’huissier qu’elle produit aux débats démontrent au contraire la présence de stocks et d’un magasin bien achalandé ;
que la réalisation d’un chiffre d’affaires et la présence d’un stock suffisants, ce qui est le cas en l’espèce, permettent, à elles seules, de justifier d’une exploitation continue du fonds de commerce de pharmacie par la société locataire.
Elle ajoute que l’exploitation limité de la pharmacie est en réalité due aux difficultés liées à l’exercice de l’activité de pharmacie, qu’il y a eu en effet une difficulté liée au transfert de titularité en raison d’un désaccord entre les associés et également des difficultés liées au recrutement d’un pharmacien salarié.
Elle relève enfin, au visa de l’article 1104 alinéa 1 du Code civil, la mauvaise foi de la société Prestig’Immo qui s’oppose à ce que soit constaté l’acquisition de la clause résolutoire, en ce que :
elle a considéré qu’il suffisait d’une seule journée de fermeture, le 17 janvier 2022, pour que les défauts d’exploitation et de garnissement soient caractérisés, ce qui ne peut suffire à constater l’acquisition de la clause résolutoire ;
en outre, à la suite de la délivrance du commandement, la société [Adresse 5] a reçu la visite de tiers lui précisant que ce local serait bientôt à céder, et ce, libre de toute occupation ;
l’activité de vente de médicaments est réglementée et en cas de faillite d’une pharmacie, les médicaments stockés ne peuvent en aucun cas être revendus par le bailleur, celui ci ne pouvant dès lors se prévaloir d’un manquement du preneur à son obligation de garnissement du local pour garantir le bailleur des risques de non paiement de loyers puisqu’il ne dispose pas des autorisations pour vendre le stock de la pharmacie ;
en réalité, la société Prestig’Immo souhaite se séparer au plus vite de la société [Adresse 5] alors que celle-ci est parfaitement à jour du paiement de son loyer et charges, puisqu’elle aurait d’ores et déjà trouvé un repreneur.
A titre subsidiaire, la société [Adresse 5] sollicite l’octroi de délais de grâce pour se conformer aux exigences contractuelles et la suspension des effets de la clause résolutoire, au visa de l’article L.145-41 du Code de commerce, dès lors que si la pharmacie était peu exploitée, c’est uniquement en raison uniquement d’un conflit entre associés, problématique aujourd’hui résolue et que donc les causes du commandement ont aujourd’hui disparu.
Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 8 mai 2023, la société Prestig’Immo demande à la Cour de :
Vu notamment l’article L.145-41 du Code de Commerce,
Confirmer l’ordonnance de référé du 26 septembre 2022 en toute ses dispositions ;
Se déclarer incompétente pour accorder un délai de grâce ;
Subsidiairement, rejeter toutes les demandes de la société [Adresse 5] ;
Condamner la société [Adresse 5] aux entiers dépens et à lui payer la somme de 5.000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
La société Prestig’Immo relève au prélable qu’il n’y a aucune omission de statuer dans la décision du juge des référés, que si la société [Adresse 5] a fait valoir qu’il existait deux clauses résolutoires dans le bail, source de confusion, il s’agissait non d’une demande mais d’un moyen, lequel était inopérant.
Elle ajoute qu’il n’y a pas de débat sur la compétence mais seulement sur l’existence d’une contestation sérieuse.
L’intimée fait valoir principalement que la clause résolutoire est acquise, au visa des dispositions de l’article L145-41 du Code du commerce, en ce que :
selon l’article 2 des conditions générales du bail, le preneur a l’obligation de tenir les lieux loués constamment garnis d’objets mobiliers et de matériel pour pouvoir répondre, en tout temps, du loyer en principal et de ses accessoires, et de tenir toujours les locaux ouverts ;
la clause résolutoire prévue au contrat de bail prévoit qu’à défaut de paiement de tout ou partie d’un seul terme de ce loyer à son échéance ou à défaut d’exécution d’une seule des conditions du présent bail et un mois après une simple sommation de s’y conformer ou un simple commandement de payer signifié à personne ou à domicile ci-après élu, resté sans effet, la présente location sera résiliée de plein droit s’il plaît au bailleur ;
en l’espèce, les manquements du preneur sont établis par quatre constats d’huissier réalisés les 6 septembre 2021, 12 octobre 2021, 13 décembre 2021, 17 janvier 2021 qui ont confirmé que le local était fermé ;
aucun commerce, aucune pharmacie, ne fonctionne un jour par semaine dans le cas d’une activité normale ;
si monsieur [M] [H] [Y], qui se déclare gérant de la société [Adresse 5], était présent dans les lieux lors du constat du 7 février 2022, il ressort des dispositions du Code de la santé publique qu’étant titulaire d’une autre pharmacie, il ne peut faire de remplacement dans la [Adresse 5], sa présence étant de ce fait parfaitement irrégulière, la véritable gérante, [W] [F] ne venant jamais ;
en réalité, non seulement la société [Adresse 5] n’est pas en activité pour n’être ouvert que deux heures, de temps en temps, un lundi, mais encore Monsieur [M] [H] [Y] essaye de donner l’illusion du fonctionnement de deux pharmacies dont il est propriétaire ou copropriétaire, en violation de la loi.
Elle observe par ailleurs qu’il n’existe aucune contestation sérieuse à sa demande, faisant valoir :
que le fait qu’il y ait une redondance dans le bail s’agissant de la clause résolutoire est sans incidence, la clause résolutoire étant claire et faisant expressément référence à « un défaut d’exécution d’une seule des conditions du présent bail » ;
que le bail comporte une disposition expresse obligeant le preneur à exploiter, à tenir toujours les locaux ouverts et à tenir constamment garnis d’objets mobiliers et de matériel ;
que l’ouverture d’une pharmacie est classiquement cinq à six jours sur sept, l’expression « toujours les locaux ouverts » ne nécessitant pas d’interprétation, puisque cela correspond à l’usage normal de l’exploitation commerciale d’une pharmacie ;
que les constats d’huissier démontrent que les locaux son insuffisamment garnis ;
que si la société [Adresse 5] produit une attestation de son comptable attestant de son chiffre d’affaires, celle ci fait état de ‘rétrocessions’ qui invalide sa fiabilité ;
La société Prestig’Immo s’oppose enfin à la demande de délai de grace présentée, aux motifs :
que les délais auxquels fait référence l’article L145-41 du Code du commerce, ne sont applicables qu’aux obligations pécuniaires ;
que l’expulsion d’une société de pharmacie des locaux dans lequel elle exerce son activité n’entraine pas la fermeture définitive de la pharmacie, puisque sa zone de chalandise et sa licence sont protégées pendant trois ans, délai largement suffisant pour se réinstaller avec une autorisation de transfert ;
qu’en réalité, Monsieur [M] [H] [Y], dont il convient de rappeler qu’il a racheté le fond de commerce,a simplement recherché par l’acquisition d’une deuxième pharmacie une opération particulièrement spéculative et que dans la mesure où il ne pouvait pas exploiter de pharmacie, il avait choisi une pharmacienne « prête-nom » qui n’est jamais venu travailler dans la pharmacie, d’où la réalité de la sous-exploitation.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé, par application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I : Sur l’acquisition de la clause résolutoire
La Cour rappelle au préalable qu’une demande visant à voir constater, en référé, l’acquisition de la clause résolutoire repose sur les dispositions de l’article 834 du Code de procédure civile, selon lesquelles dans tous les cas d’urgence, le juge des référés peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.
Au sens de ce texte, Il y a urgence dès lors qu’un retard dans la décision qui doit être prise serait de nature à compromettre les intérêts légitimes du demandeur, ce qui est nécessairement le cas lorsque la clause résolutoire est acquise, dès lors que le bailleur est privé de son droit de récupérer les locaux qui lui appartiennent.
L’article L. 145-41 du Code de commerce dispose par ailleurs que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
En l’espèce, les conditions particulières du bail litigieux prévoyaient en page 2 qu’à défaut de paiement de tout ou partie d’un seul terme du loyer ou ‘à défaut d’exécution d’une seule des conditions du présent bail’ et un mois après sommation de s’y conformer ou d’un commandement de payer, le bail serait résilié de plein droit.
Contrairement à ce que soutient l’appelante, le fait qu’aux termes de l’article 18 des conditions générales du même bail, seul soit visé le défaut de paiement du loyer pour entrainer la mise en jeu de la clause résolutoire ne peut s’analyser en une ambigüité prêtant à confusion, dès lors que les deux manquements susceptibles d’entrainer l’acquisition de la clause résolutoire sont clairement exposés dans les conditions particulières du bail et que la mention figurant à l’article 18 des conditions générales ne constitue qu’une simple redondance, ce qu’a relevé à raison la société Prestig’Immo.
La Cour ajoute que le fait que le premier juge n’ait pas répondu dans les motivations de sa décision à ce moyen ne peut s’analyser en une omission de statuer dès lors qu’il ne s’agissait pas d’une demande de l’appelante mais, justement, d’un moyen présenté par celle-ci à l’appui de ses prétentions, étant observé qu’en tout état de cause, le juge des référés qui relève l’existence d’une contestation sérieuse n’a pas à se déclarer incompétent pour statuer sur la demande qui lui est présentée, comme le soutient à tort l’appelante mais ne peut qu’en déduire qu’il n’y a lieu à référé en raison de l’existence d’une contestation sérieuse, excédant la limite de ses pouvoirs.
Reste qu’il est constant :
que deux commandements ont été délivrés par la société Prestig’Immo pour infraction aux obligations incombant au preneur aux termes du bail ;
que le bailleur soutient que les causes de ces commandement n’ayant pas été apurées dans le délai d’un mois, la clause résolutoire est acquise.
Aux termes de ces deux commandements, le bailleur reprochait au preneur de ne pas exploiter les lieux loués et plus précisément de ne pas respecter l’obligation qui lui incombait aux termes du bail litigieux de :
‘Tenir les lieux loués constamment garnis d’objets mobiliers et de matériel pour pouvoir répondre, en tout temps, du loyer en principal et de ses accessoires, ainsi que de l’entière exécution des charges et conditions du bail, et de tenir toujours les locaux ouverts’.
Le premier commandement, délivré le 12 octobre 2021 se référait à un constat opéré par huissier les 6 et 9 septembre 2021, à 11H45 et 14H20 dont il ressortait que la pharmacie était fermée et que les rayonnages visibles depuis la rue étaient à demi-vides.
Un courrier du conseil de la [Adresse 5] du 8 novembre 2021, rédigé en réaction à ce commandement à l’attention du bailleur, contestait le défaut d’exploitation, indiquant que la pharmacie était ouverte tous les lundis de 10H00 à 12H30 et de 14H30 à 16H00 et précisant que la pharmacie étant fermée au public pendant les vacances scolaires et une partie des congés d’été, il était normal qu’elle ne soit pas ouverte le lundi 6 septembre 2021, le pharmarcien étant en congé, et qu’elle ne le soit pas non plus le jeudi 9 septembre 2021, qui n’était pas un jour d’ouverture.
Ce courrier indiquait par ailleurs que la pharmacie était garnie de tout le matériel et mobilier nécessaire à son exploitation.
La Cour relève que les horaires d’ouverture indiqués dans le courrier du 8 novembre 2021 ne sont pas contestés par le bailleur et qu’effectivement les constats ont été opérés à des dates correspondant à la fermeture de la pharmacie.
La Cour constate également que les rayonnages et le mobilier, qui n’étaient photographiés qu’en partie semblaient neufs, étant rappelé, comme le souligne à raison le preneur, que le bailleur n’a aucun droit à appréhender le stock de médicaments, dont la vente est réglementée, pour garantir ses droits.
Il s’en déduit que les constats opérés par le bailleur n’étaient pas suffisants pour caractériser les manquements reprochés au preneur aux termes du commandement du 12 octobre 2021.
Le second commandement, délivré le 7 février 2022, se référait à deux constats d’huissier réalisés le lundi 13 décembre 2021 à 14H25 et le lundi 17 janvier 2022 à 9H35, dont il ressortait en substance que le 13 décembre 2021, la pharmacie était fermée (une affichette faisant état d’une fermeture pour congés de Noël du 12 décembre au 16 janvier) et qu’elle l’était également le lundi 17 janvier 2022 à 9H35.
La Cour relève que ces deux constats ont été opérés pour le premier un jour de congé, pour le second avant l’heure d’ouverture de la pharmacie, étant observé que l’huissier de justice a indiqué avoir clôturé ses opérations à 9H45.
Est également produit un constat du 18 juillet 2022 (9H51) dont il ressort que la pharmacie était fermée, étant observée que cette date correspond aux congés d’été et qu’est annexée à ce constat une photographie révélant des rayonnages en partie pourvus de médicaments.
La Cour retient de nouveau que les constats opérés pour caractériser un défaut d’exploitation et un défaut de mobilier garnissant les lieux loués étaient insuffisants pour caractériser les infractions au bail dénoncées.
Surtout, la Cour observe que la clause figurant au contrat de bail faisait obligation au preneur de tenir toujours les locaux ouverts, ce qui au sens strict des termes employés, contraignait le preneur à ouvrir ses locaux tous les jours de l’année, y compris la nuit et ce qui ne peut légitimement être considéré comme reflétant la réelle volonté des parties, le bailleur souhaitant vraisemblablement en réalité s’assurer d’une ouverture régulière et de l’existence de locaux suffisamment garnis pour garantir les paiements des des loyers et charges, voire des dégradations éventuelles.
Dans ce contexte, il s’avère qu’il est nécessaire de déterminer les limites de la liberté du preneur à ouvrir la pharmacie aux jours et horaires qui lui conviennent, fussent t’ils limités, et de déterminer également le droit du bailleur à exiger des jours et horaires d’ouverture ‘a minima’.
Or, une telle appréciation ne relève pas des pouvoirs de la judiction des référés, juridiction de l’évidence, mais en réalité de l’appréciation du seul juge du fond.
Au surplus, alors que la société [Adresse 5] se prévaut d’éléments comptables pour démontrer que son chiffre d’affaires est suffisamment conséquent pour établir l’existence d’une exploitation réelle, et alors que de son côté le bailleur conteste la fiabilité des éléments produits, il ne ressort pas là encore des pouvoirs de la juridiction des référés, juridiction de l’évidence, de se prononcer à ce titre, seul le juge du fond étant habilité à analyser ces éléments pour en déduire, s’il y a lieu, un défaut d’exploitation.
Il en est de même des droits de Monsieur [M] [H] [Y] à intervenir dans la pharmacie et d’une éventuelle violation par ce dernier des dispositions du Code de la santé publique.
En outre, la société [Adresse 5] démontre par les constats d’huissier quelle verse aux débats (constat du 22 novembre 2022 et des 1er et 6 décembre 2022), d’une part que la pharmacie est ouverte désormais du lundi au vendredi, et d’autre part qu’elle est garnie d’un mobilier d’aspect neuf et suffisant.
Il en résulte, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens développés par les parties, que la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire sollicitée par le bailleur se heurtait à des contestations sérieuses et qu’il n’y avait lieu à référé sur la demande présentée par le bailleur de ce chef.
La Cour en conséquence infirme la décision déférée dans son intégralité et statuant à nouveau dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Prestig’Immo visant à voir constater l’acquisition de la clause résolutoire et statuer sur ses conséquences.
II : Sur les demandes accessoires
La société Prestig’Immo succombant, la Cour infirme la décision déférée qui a condamné la société [Adresse 5] aux dépens et à payer à la société Prestig’Immo la somme de 1.200 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et, statuant à nouveau :
Condamne la société Prestig’Immo aux dépens de la procédure de première instance et rejette sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile en première instance.
La Cour condamne la société Prestig’Immo, partie perdante, aux dépens à hauteur d’appel avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Richard Benon, Avocat.
La Cour condamne la société Prestig’Immo à payer à la société [Adresse 5] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile à hauteur d’appel, justifiée en équité.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme la décision déférée dans son intégralité et,
Statuant à nouveau :
Dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Prestig’Immo visant à voir constater l’acquisition de la clause résolutoire et statuer sur ses conséquences ;
Condamne la société Prestig’Immo aux dépens de la procédure de première instance ;
Rejette la demande présentée par la la société Prestig’Immo au titre de l’article 700 du Code de procédure civile en première instance ;
Condamne la société Prestig’Immo aux dépens à hauteur d’appel avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Richard Benon, avocat ;
Condamne la société Prestig’Immo à payer à la société [Adresse 5] la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile à hauteur d’appel ;
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT