28 février 2019
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
18/08259
COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
Chambre 4-4
(anciennement dénommée 17ème chambre)
ARRÊT AU FOND
DU 28 FEVRIER 2019
N°2019/
JLT/FP-D
Rôle N° RG 18/08259 – N° Portalis DBVB-V-B7C-BCOF5
[R] [Q]
C/
SA [Établissement 1]
Copie exécutoire délivrée
le :
28 FEVRIER 2019
à :
Me Vincent ARNAUD, avocat au barreau d’AIX-EN-
PROVENCE
Me Sophie BOYER MOLTO, avocat au barreau de GRASSE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRASSE – section E – en date du 23 Septembre 2009, enregistré au répertoire général sous le n° 08/1734.
APPELANTE
Madame [R] [Q] héritière de M. [K] [Q], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Vincent ARNAUD, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
SA [Établissement 1], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Sophie BOYER MOLTO, avocat au barreau de GRASSE substitué par Me Anne GUTTADORO, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 10 Décembre 2018, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président, chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller
Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Février 2019.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Février 2019
Signé par Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
M. [K] [Q] a été embauché par la SA [Établissement 1], clinique de convalescence, en qualité de médecin endocrinologue, par un contrat de travail à durée indéterminée du 8 janvier 2007.
Il a été licencié par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 2 décembre 2008.
Saisi par M. [Q] le 22 décembre 2008, le Conseil de Prud’hommes de Grasse, par jugement du 23 septembre 2009, a débouté le salarié de ses demandes et l’a condamné à payer à la SA [Établissement 1] la somme de 1 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [Q] a relevé appel le 6 octobre 2009 de ce jugement notifié à une date indéterminée.
L’affaire a fait l’objet d’une décision de radiation le 20 octobre 2010. Elle a été rétablie au rôle de la cour le 15 mai 2018 à la demande de Mme [R] [Q], en sa qualité d’héritière de M. [K] [Q], décédé le [Date décès 1] 2011.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions reprises oralement lors de l’audience, Mme [Q], concluant à la réformation du jugement, sollicite d’annuler les avertissements des 13 juillet 2007 et 2 mai 2008, de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la SA [Établissement 1] à lui payer, avec intérêts au taux légal capitalisés à compter de la demande en justice, les sommes de :
– 150 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 15 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte à l’honorabilité et aux compétences,
– 5 000,00 euros pour usage abusif du pouvoir disciplinaire,
– 2 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle demande de dire que les sommes retenues en application du décret du 12 décembre 1996 par l’huissier de justice chargé de l’exécution seront supportées par la SA [Établissement 1].
Dans ses conclusions reprises oralement lors de l’audience, la SA [Établissement 1] sollicite, à titre principal, de dire l’instance périmée, à défaut d’accomplissement d’un acte de procédure pendant 2 ans et à défaut de notification du décès de M. [Q] à l’intimée.
A titre subsidiaire, sur le fond, concluant à la confirmation du jugement, elle demande de débouter Mme [Q] de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure et des prétentions et moyens antérieurs des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux conclusions déposées, oralement reprises.
DISCUSSION
Sur la demande de péremption
Aux termes de l’article R 1452-8 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, en matière prud’homale, l’instance n’est périmée que lorsque les parties s’abstiennent d’accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l’article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.
Une décision de radiation, simple mesure d’administration judiciaire n’ayant pour conséquence que le retrait de l’affaire du rang des affaires en cours et laissant persister l’instance, laquelle peut être reprise ultérieurement, ne met expressément à la charge des parties aucune diligence.
En l’espèce, la société [Établissement 1] n’est pas fondée à se prévaloir de l’écoulement du délai de deux ans depuis l’ordonnance de radiation prononcée par la cour le 20 octobre 2010, cette décision n’ayant mis aucune diligence à la charge de l’appelant.
Le délai de péremption n’ayant pas couru, la demande tendant à voir constater la péremption doit être rejetée.
Sur le licenciement
Aux termes de la lettre de licenciement, celui-ci est ainsi motivé :
‘(…) 1. Le règlement intérieur des patients de l’établissement n’est pas respecté par votre refus d’exercer votre autorité sur ce sujet : en conséquence, le service des admissions
est désorganisé par des sorties anticipées permanentes (fiche de non-conformité du 15/10/08). Nous pouvons citer les derniers dossiers suivants :
– [X]- [K]
– [Y]- [J]
– [G]- [O]
– [U]- [S]
– [N]- [M]
– [A]- [M]
– [B] G- [L]
– [B] M- [H]
Le non respect du règlement intérieur crée des tensions entre patients et avec le personnel dans la mesure on vous ne donnez pas ou seulement en dernier recours de sanctions disciplinaires.
Vous vous êtes retranché derrière le fait qu’on ne pouvait effectivement pas retenir un patient contre sa volonté, alors même qu’il ne s’agissait pas de cela mais simplement de négociation avec les patients sur une date de sortie imprévue qui perturbe les plannings.
Vous avez été informé depuis fort longtemps qu’une sortie anticipée rompait le contrat signé avec le patient lors de son admission.
Vous avez même reconnu dans l’entretien annuel d’appréciation et de progrès du 14/10/08 être à un niveau ‘moyen’ concernant le respect des consignes et la capacité à gérer les conflits.
2. Votre comportement a créé des tensions avec les services hospitaliers qui nous adressent des patients sans lesquels nous serions obligés de cesser notre activité.
Je vous ai demandé à plusieurs reprises de bien vouloir scrupuleusement les prescriptions de pansements pour les pieds diabétiques faites par l’hôpital PASTEUR.
La situation a été telle que j’ai été obligée d’organiser un entretien avec le service hospitalier concerné, entretien qui s’est passé en votre présence, celle du docteur [V] et moi-même en 2007. Lors de cet entretien vous vous étiez engagé à respecter les protocoles de pansements et a faire respecter les décharges.
Force est de constater que pour un patient (monsieur [C] adressé en juillet 2008), vous avez s nouveau prescrit à l’encontre des attentes de l’hôpital qui vous a confirmé le 15/09 qu’il ne fallait pas utiliser d’eau oxygénée ni de Bétadine.
Vous avez expliqué que le docteur [V] était malveillant à votre égard.
Vous m’avez toutefois confié avoir demandé à Mr [C] une attestation concernant son refus de retourner se faire traiter par le docteur [V] au centre hospitalier.
Je vous laisse imaginer le degré de dégradation des relations avec l’hôpital qui nous adresse notre clientèle si cette attestation venait à être remise au docteur [V],
3. Votre attitude est en permanence extrêmement critique à l’encontre de la direction et en l’occurrence de M. [W].
Ces critiques vont même jusqu’à colporter dans l’établissement des ragots sur sa vie privée.
Vous avez contesté avoir fait une quelconque critique à mon encontre, alors que ceci a été attesté par nos collaborateurs et que pendant l’entretien vous m’avez affirmé : ‘vous ne connaissez pas votre métier’.
En ce qui concerne ma vie privée, vous avez confirmé n’avoir fait que relater des rumeurs colportées par mon ex-belle famille.
Vous avez reconnu dans l’entretien annuel d’appréciation et de progrès du 14/10/08 (que vous avez signé) que le relationnel avec la direction était un point à améliorer.
4.Vous outrepassez votre rôle de médecin lorsque vous prenez des rendez-vous à l’extérieur des établissements hospitaliers ou que vous écrivez, le 06/10/08, en direct à notre banque sans l’autorisation de la direction.
Ces éléments nous mettent en difficulté dans la mesure où la politique de communication externe de l’établissement n’est que du ressort de la direction et je vous ai rappelé à l’ordre plusieurs fois a ce sujet.
Vous considérez que ces démarches ne nous concernent pas et sont personnelles.
5.Vous refusez d’écouter les personnels paramédicaux lors de demandes de réadmission des patients ayant eu des problèmes disciplinaires aigus par le passé. C’est le cas de madame [D] revenue an bout de deux mois malgré le mauvais comportement antérieur et monsieur [T] revenu également au bout de 2 mois. Les tensions créent par les réadmissions de ces patients ne vous concernent pas car vous refusez de régler le problème.
6.Vous avez introduit an sein de l’établissement des dispositifs médicaux (écographe, pèse-personnes) sans autorisation.
Il s’agit d’un fait grave dans la mesure où il pourrait y avoir un accident avec ce type d’appareil et où ces dispositifs ne sont pas intégrés dans notre système qualité (étalonnage, contrôle annuel fait par bureau Veritas).
Vous avez répondu que je me mêlais de ce qui ne me regardait pas puis, vous avez nié le fait que je vous en avais fait la remarque à plusieurs reprises en prétextant que je ne vous avais pas fait de courrier à ce sujet.
7.La qualité de vos dossiers médicaux est de nature à mettre en danger la sécurité des patients et peut entraîner également un risque médico-légal. En effet :
– la prescription de l’activité physique est faite sans tenir compte des pathologies sous-jacentes
– l’examen clinique des patients à l’entrée est mal fait en ce sens que l’examen physique complet des patients n’est pas fait.
– 4 items ne sont jamais remplis dans le dossier
Staff publicitaire
Douleur
Kreutzfled-jacob
Bénéfice/risque
Or, ces items doivent être obligatoirement remplis et je n’ai de cesse depuis 2 ans de vous le répéter sans effet
– malgré mon intervention répétée, vous continuez à marquer sur l’observation médicale ‘absent à la visite’ ou ‘ras’ ce qui est formellement interdit et nous mettra en difficulté lors d’une inspection sanitaire.
– vous continuez à refuser d’évaluer les ateliers d’éducation thérapeutique que vous animez, ce qui est de nature à remettre en cause notre structure d’éducation thérapeutique.
– des fiches de non-conformité ont été remises concernant la discordance entre votre prescription (diététique, médicament) annoncée oralement et la traçabilité de ces mêmes prescriptions.
Vous avez confirmé lors de l’entretien continuer à refuser de remplir correctement le dossier médical avec en particulier les items douleurs et kreutzfeld-jacob.
8. Lors d’un audit de certification du 16/10/08, vous nous avez mis en difficulté devant l’auditrice en vous plaignant du manque de formation mise à votre disposition et qu’en particulier nous ne finançons pas les congés ce qui s’avère être totalement faux, notre plan de formation l’attestant.
D’autre part, lors de ce même audit, l’auditrice s’est également aperçu que des diapositives montrées aux patients ne correspondaient pas à celles incluses dans le système documentaire ce qui implique que vous faites des présentations sauvages non coordonnées avec le reste des équipes.
Vous n’avez pas contesté ces faits lors de l’entretien,
9. Malgré mes demandes répétées, vous continuez à tutoyer certains patients
Lors de l’entretien, vous avez confirmé le tutoiement mais uniquement avec des patients-amis !!!
Vous avez-vous-même reconnu dans l’entretien annuel d’appréciation et de progrès du 14/10/08 utiliser quelques expressions vulgaires.
10. A nouveau, malgré mes remarques répétées depuis 2 ans, vous continuez à fumer au sein de la structure en contravention avec la loi et surtout en opposition avec l’attitude exemplaire que doit avoir un praticien dans un établissement on l’on éduque les patients à l’arrêt du tabac (photo, rapport d’huissier) .
Vous avez confirmé lors de l’entretien ne fumer que dans le jardin.
11. Vous adressez un courrier à la direction concernant vos horaires tout en essayant de déstabiliser les différents collaborateurs médecin de l’établissement et avec des menaces très claires alors qu’il s’agit seulement d’exiger que vous respectiez le règlement intérieur du personnel vous demandant de pointer pendant votre pause déjeuner.
Vous avez organisé une réunion de l’ensemble des médecins dans mon bureau le 20/10/08 à l6h00, sans même me prévenir et dans un but évident de déstabiliser vos confrères vis-à-vis de la direction.
12. Vous émettez une fiche de non-conformité le 26/09/2008 en considérant que le nombre de patients à voir serait trop élevé et que votre temps de travail ne serait pas légal. Je vous rappelle les termes de votre contrat de travail du 08/01/07 et vous donne copie de vos derniers pointages qui montrent clairement que vous n’effectuez même pas 35h semaine.
13. Vos ateliers théoriques démarrent systématiquement avec du retard ce qui pénalise la prise en charge suivantes en cuisine éducative.
14. Vous n’avez aucun contrôle sur la qualité de travail des infirmières. Preuve en est la fiche de non-conformité du 02/09/08 : la surveillance glycémique pour les patients diabétique n’a pas été réalisée pendant 3 jours par erreur d’une infirmière. Aucune remarque n’a été faite de votre part alors même que vous n’aviez pas le résultat de prescription que vous avez pourtant faite.
Vous n’avez pas contesté cet état de fait.
15. Dans l’entretien annuel d’appréciation et de progrès du 14/10/08 (que vous avez signé) vous avez reconnu n’être que partiellement en adéquation au poste de travail.
I6. Nous nous sommes aperçu qu’un certain nombre de patients ont souhaité vous rencontrer et vous remettre un courrier de soutien contre la direction.
Nous estimons que solliciter ce genre de courrier auprès des patients psychologiquement faible est une faute. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de vous notifier une mise a pied conservatoire.
17. Lors de l’entretien préalable vous avez déclaré avoir été à la DDASS auprès du docteur [B] [E], médecin inspecteur, en prétextant le fait que votre absence mettait la qualité des soins de nos patients en danger, alors même que votre absence est systématiquement remplacée auprès vos confrères comme lors des congés annuels.
Je vous rappelle que cet entretien arrive après 2 courriers d’avertissements datés des 13/07/07 et 02/05/08.
Au vu des faits qui vous sont reprochés mettant en danger l’existence même de l’établissement par les dégâts que crée votre fonctionnement incontrôlé, je me vois dans l’obligation de vous licencier pour cause réelle et sérieuse (…)’.
Sur le grief tenant à l’absence de respect du règlement intérieur, l’employeur verse aux débats la fiche de non-conformité du 15 octobre 2008 établie par une infirmière de l’établissement dans laquelle il est signalé des ‘changements de chambre +++ à la demande du médecin pour des raisons (très peu médicales) de convenances personnelles, de goûts communs pour la ‘rigolade nocturne’. Il est noté que ‘tout cela entraîne du travail supplémentaire pour les femmes de service, les IDE, le pharmacien…’. Il résulte de cette fiche que les faits ainsi signalés ont été reconnus comme une ‘non-conformité’ devant donner lieu à une action corrective. Il est joint à cette fiche une liste de patients (16 en septembre 2008, 8 en octobre) ayant fait l’objet d’un départ par anticipation.
Dans la mesure où ce grief n’est fondé que sur une simple déclaration sans qu’il soit justifié de circonstances de fait permettant de vérifier si le Dr [Q] a fait preuve ou non d’un comportement fautif, notamment au regard du règlement intérieur, ce grief n’est pas suffisamment étayé pour constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement alors que Mme [Q] fait valoir qu’il n’est pas justifié d’une désorganisation du service et que les patients ne pouvaient pas être retenus contre leur gré.
Sur le grief tenant au comportement du Dr [Q] à l’égard des services hospitaliers, la société produit l’ordonnance du 25 septembre 2008 délivrée par le service hospitalier lui ayant adressé un patient et prescrivant de ne pas utiliser d’eau oxygénée. Elle justifie, par la prescription médicale de pansement établie par le Dr [Q] le 28 août 2008 que celui-ci a prescrit, pour ce même patient, un nettoyage par ‘eau oxygénée’.
De même, pour un autre patient, l’établissement hospitalier a prescrit, le 27 mars 2007, un nettoyage par sérum physiologique en proscrivant l’utilisation d’un antiseptique alors que le Dr [Q] a prescrit le 25 mars 2007 un nettoyage à l’eau oxygénée.
Cependant, les deux prescriptions du Dr [Q] étant antérieures en date à celles de l’établissement hospitalier, il n’est pas démontré que le médecin aurait agi en opposition avec les prescriptions du médecin de cet établissement.
En outre, l’un de ces patients atteste de sa satisfaction sur les soins reçus.
Le troisième grief se fonde sur l’entretien annuel d’évaluation du 14 octobre 2008 dans lequel l’évaluateur a coché la case ‘tendance fréquente à critiquer l’autorité’ et le Dr [Q] a admis comme ‘point à améliorer’ ses ‘relations avec la Direction’. Toutefois, une telle appréciation ne peut, en elle-même, constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement en l’absence d’énonciation de faits précis et vérifiables.
Par le quatrième grief, il est fait reproche au Dr [Q] d’avoir pris directement contact avec la banque de l’établissement pour se plaindre du retard apporté dans le paiement du salaire. Si cette lettre n’est pas dépourvue d’une certaine animosité, le Dr [Q] menaçant même de se présenter au guichet pour obtenir paiement de son salaire, l’attitude du médecin ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, en l’absence de toute conséquence préjudiciable pour l’employeur, la réponse faite par l’établissement bancaire (qui explique la difficulté et annonce le paiement du salaire) ne permettant pas de relever que la société aurait été mise ‘en difficulté’ d’une quelconque manière.
Le 5ème grief reproche au Dr [Q] un refus d’écouter le personnel para médical lors de demandes de réadmission de patients ayant eu des problèmes disciplinaires. A l’appui de ce grief, il est versé l’attestation de Mme [P], infirmière au sein de l’établissement, qui porte cette accusation sans faire état d’aucun fait précis, de sorte que ce grief ne peut être considéré comme établi.
Au surplus, il y a lieu de relever que, selon M. [Z], pharmacien au sein de la société, Mme [P] aurait admis avoir été sollicitée par l’employeur pour l’obtention d’un témoignage à charge contre le Dr [Q] ‘à partir de faits inexacts’.
Il est reproché au Dr [Q] (6ème grief) d’avoir introduit au sein de l’établissement des dispositifs médicaux (un appareil d’échographie et un pèse personne) qui ‘ne sont pas intégrés dans le système qualité’ de la société. Ce reproche repose sur les constatations faites par huissier de justice le 21 octobre 2008 dans le bureau du médecin. Toutefois, s’il est certain que ces appareils n’étaient pas répertoriés avec ceux de la société, il reste à démontrer que leur présence serait de nature à porter préjudice à l’employeur, étant précisé qu’en réponse aux accusations de l’employeur, le Dr [Q] a indiqué que ces appareils étaient peu utilisés, que l’employeur avait connaissance de leur existence et qu’ils sont vérifiés par le constructeur.
En l’état des éléments versés aux débats, ce grief ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Sur le grief tenant en une mauvaise tenue des dossiers médicaux (7ème grief), l’employeur se réfère à la fiche d’entretien annuel d’évaluation dans laquelle, au titre de la rubrique ‘respect des consignes’, l’évaluateur a coché la case ‘moyen’ et, au titre de la ‘tenue des dossiers’, a coché la case ‘moyen’, ce qui ne présente aucun caractère probant au regard du grief invoqué, s’agissant seulement d’une appréciation portée sans qu’il soit fait état de faits vérifiables.
L’employeur s’appuie également sur l’attestation de Mme [P] qui affirme que ‘l’évaluation des ateliers d’éducation thérapeutique et la traçabilité PMSI de ceux-ci ne sont pas faites’ et que les patients se plaignent que ‘l’examen clinique notamment les pieds des diabétiques n’est pas fait à l’admission’ mais ces simples affirmations qui, au surplus en ce qui concerne la seconde, fait état de propos rapportés sans que rien ne permette d’en apprécier le degré de fiabilité, sont dépourvues de toute valeur probante.
L’employeur produit également le compte rendu de la réunion du Comité de Lutte contre la Douleur (CLUD) du 5 juin 2008 sur lequel il relève que, pour le service ‘nutrition’, il a été mentionné ‘0% de dossiers conformes’ et il en tire la conclusion que l’évaluation du service concernant les soins palliatifs contre la douleur est ‘négative’. Toutefois, ces seules indications ne sont pas suffisantes pour mettre en évidence un comportement fautif du Dr [Q] qui soutient qu’en sa qualité de médecin spécialiste en endocrinologie, il n’avait pas compétence pour évaluer ou traiter la douleur.
Sur le grief tenant en ce que le Dr [Q] aurait mis la Direction en difficulté lors d’un contrôle d’audit de certification du 16 octobre 2008 (8ème grief), l’employeur reproche au médecin de s’être plaint, à tort, à cette occasion, d’un manque de formation. Il s’appuie sur le rapport de l’auditeur mais celui-ci ne fait pas état de cette plainte. Il est vrai que le Dr [Q] n’a pas contesté ses propos mais il ne ressort pas des pièces produites que ceux-ci auraient entraîné de quelconques conséquences dommageables pour la société.
L’employeur souligne également que le rapport d’audit a relevé une anomalie tenant en ce que ‘les diaporamas créés pour animer les séances (dans le cadre des programmes d’éducation) ne sont pas gérés : pas de validation, de numéro de version et de diffusion’. Cependant, si cette anomalie est mentionnée dans les constats, aucune action corrective n’a été préconisée, la case réservée à cet effet comportant la mention ‘non requis’).
En l’état, un tel grief ne saurait constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Sur le grief tenant au tutoiement des malades (9ème grief), il n’est versé aux débats aucun élément de nature à le confirmer et il n’est notamment justifié d’aucune plainte à ce sujet. Le Dr [Q] n’a pas contesté avoir eu cette habitude à son arrivée en raison de sa pratique antérieure dans un pays de langue anglaise mais il a soutenu qu’elle s’était ‘éteinte’ progressivement à la seule exception des patients avec lesquels il entretient des relations amicales.
En l’absence de tout autre élément, ce grief ne peut justifier le licenciement.
Sur le grief tenant dans la pratique tabagique du médecin (10ème grief), l’employeur se fonde sur le procès-verbal de constat du 21 octobre 2008 faisant état d’une odeur de tabac froid dans son bureau ainsi que de la présence d’un paquet de cigarettes vide dans la corbeille à papier et d’une bombe désodorisante mais il reste à démontrer que le médecin aurait fumé à l’intérieur des locaux et en présence des patients ou des autres salariés de la société ‘en opposition avec l’attitude exemplaire que doit avoir un praticien dans un établissement on l’on éduque les patients à l’arrêt du tabac’.
Ce grief n’est donc pas justifié.
Le 11ème grief fait reproche au médecin d’avoir adressé un courrier à la direction concernant ses horaires ‘en essayant de déstabiliser les différents collaborateurs médecin de l’établissement et avec des menaces’ et d’avoir organisé une réunion de l’ensemble des médecins dans le bureau du directeur le 20 octobre 2008 sans le prévenir et ‘dans un but évident de déstabiliser (ses) confrères vis-à-vis de la direction’ mais il n’est versé aux débats aucune pièce justificative susceptible de mettre en évidence un comportement fautif. Si l’existence de la réunion litigieuse n’est pas contestée, le Dr [Q] souligne qu’il était président de la Commission Médicale d’Établissement. Rien ne permet de vérifier que le médecin aurait outrepassé les limites de ses prérogatives en cette qualité.
Au titre du 12ème grief, il est reproché au médecin de s’être plaint d’un nombre de patients trop élevé mais il n’est, là encore, produit aucune pièce pouvant démontrer que le Dr [Q] aurait manifesté un comportement fautif et qu’il aurait excédé les limites de sa liberté d’expression.
Il lui est reproché (13ème grief) un ‘retard systématique’ dans le démarrage des ateliers théoriques, ce grief étant fondé sur les fiches de non-conformité établies par une diététicienne les 30 septembre et 14 octobre 2008 se plaignant de ce que plusieurs patients sont arrivés en retard à son cours après leur cours avec le Dr [Q]. Il convient, cependant, de relever que ces incidents sont attribués à un simple problème de ‘chevauchement d’horaires’ et qu’ils n’ont pas été considérés dans ces fiches comme des dysfonctionnements appelant des actions correctives.
Le 14ème grief reprochant au médecin de n’exercer ‘aucun contrôle sur la qualité de travail des infirmières’, l’employeur verse aux débats la fiche de non conformité rédigée par Mme [P] le 2 septembre 2008 dans laquelle celle-ci relève que ‘la surveillance glycémique de 18h pour les diabétiques de type 2 n’a pas été réalisée le 30,31 août et le 1er septembre 2008. Aucun document ne permet de vérifier si elle a été réalisée. Absence des résultats dans plus de 10 dossiers de patients’.
S’il n’y a pas lieu de douter des constatations ainsi effectuées, il reste à démontrer l’existence d’un comportement fautif du dr [Q] qui ne ressort pas de cette fiche qui mentionne simplement, au titre des actions correctives à mener, une ‘sensibilisation des intérimaires’.
Le 15ème grief retient que, dans l’entretien annuel d’appréciation et de progrès du 14 octobre 2008, il a reconnu n’être que partiellement en adéquation au poste de travail mais une telle déclaration ne peut dispenser l’employeur d’apporter des éléments de nature à caractériser l’inadéquation visée et à permettre de vérifier qu’elle pourrait être constitutive d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Au titre du 16ème grief, l’employeur explique s’être aperçu ‘qu’un certain nombre de patients avaient souhaité (le) rencontrer et (lui) remettre un courrier de soutien contre la direction’. Il ‘estime que solliciter ce genre de courrier auprès des patients psychologiquement faible est une faute’ mais il ne résulte d’aucun des éléments versés aux débats que cette démarche aurait été sollicitée par le Dr [Q] (qui l’a contesté) et qu’il ne s’agirait pas d’une démarche spontanée des patients.
Le 17ème grief n’est étayé par aucune pièce et son énoncé ne permet pas de caractériser l’existence d’une faute.
Il s’ensuit qu’aucun des griefs visés n’est de nature à constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté le Dr [Q] de ses demandes au titre du licenciement.
M. [Q], né en 1949, a été licencié après 23 mois d’ancienneté au service d’une entreprise employant au moins11 salariés, à l’âge de 59 ans. Il est décédé en 2011
Compte tenu de son salaire mensuel brut (4 412,64 euros), il sera alloué à M. [Q], en application de l’article L 1235-5 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, la somme de 25 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la demande de dommages-intérêts pour atteinte à l’honorabilité et aux compétences
Il n’est pas justifié d’un préjudice qui ne serait pas réparé par la somme allouée ci-dessus. La demande de dommages-intérêts à ce titre sera rejetée.
Sur la demande de dommages-intérêts pour usage abusif du pouvoir disciplinaire
Le 13 juillet 2007, un avertissement a été infligé au Dr [Q] pour un certain nombre de griefs :
‘- Usage du tutoiement avec les patients,
– Dossier médical mal tenu avec souvent absence de traçabilité des visites (que vous nous avez dit avoir faites), ou inscription ‘patient absent à la visite’, ce qui n’est pas admis, le patient devant être vu sans faute, même à un moment décalé,
– Insuffisance des diagnostics éducatifs (obésité, diabète),
– Insuffisance des prescriptions en cours,
– Retards dans la rédaction des lettres de sortie,
– Absence d’évaluation des cours théoriques pré et post formation et de saisie informatique pour le suivi des acquisitions par les patients,
– Tabagisme dans le bureau qui vous est alloué,
– Respect des protocoles et procédures institutionnelles dans le cadre de notre démarche qualité ISO et HAS’.
Le 2 mai 2008, le médecin s’est vu notifier un nouvel avertissement pour les motifs suivants :
‘- Tenue du dossier médical insuffisante et donc non-conforme à la réglementation,
– Absence de codage de l’activité du service alors même que la transmission des données médicalisées est une obligation réglementaire pour les médecins,
– Retard très important dans la rédaction et l’envoi des comptes rendus d’hospitalisation (une enquête pratiquée la semaine du 14 avril 2008 a fait état de 126 comptes rendus d’hospitalisation en retard),
Ce retard de transmission des informations médicales vers les médecins traitants est de nature à compromettre la prise en charge des patients à leur sortie’.
La seule pièce versée par l’employeur au titre de ces sanctions est constituée par le rapport portant la signature de M. [Q] et de la salariée l’ayant assisté, fait à la suite de l’entretien préalable à l’avertissement du 8 mai 2008 mais il n’en ressort pas la preuve du bien fondé des griefs ayant motivé les sanctions, M. [Q] ayant contesté les reproches qui lui ont été adressés et fourni ses explications.
Dans la mesure où il n’est versé aucun élément de nature à caractériser un comportement fautif pouvant justifier les sanctions prononcées, la demande en annulation de ces sanctions doit être accueillie.
En revanche, il n’est pas apporté la preuve d’un quelconque préjudice subi par le Dr [Q] en raison de ces avertissements.
La demande de dommages-intérêts sera, en conséquence, rejetée.
Sur l’article 700 du code de procédure civile
En application de l’article 700 du code de procédure civile, l’employeur doit payer à Mme [Q] la somme de 2 000,00 euros au titre des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens d’appel.
La demande au titre de l’article 10 du décret n°2001-212 du 8 mars 2001 est sans objet, le droit visé par ce texte n’étant pas dû lorsque le recouvrement est effectué sur le fondement d’un titre exécutoire constatant une créance née de l’exécution d’un contrat de travail.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l’article 450 du code de procédure civile,
Rejette la demande tendant à voir constater la péremption de l’instance,
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau,
– Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– Condamne la SA [Établissement 1] à payer à Mme [R] [Q], en sa qualité d’héritière de M. [K] [Q], la somme de 25 000,00 euros à tire de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
– Déboute Mme [R] [Q] de ses autres demandes,
– Dit que la SA [Établissement 1] doit payer à Mme [R] [Q] la somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Dit sans objet la demande au titre de l’article 10 du décret n°2001-212 du 8 mars 2001,
– Dit que la SA [Établissement 1] doit supporter les dépens de première instance et d’appel.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
F. PARADIS-DEISS J.L. THOMAS