Droits des journalistes : Tribunal administratif de Versailles, Reconduites à la frontière, 9 mars 2023, 2301172

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Droits des journalistes : Tribunal administratif de Versailles, Reconduites à la frontière, 9 mars 2023, 2301172
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Extraits : rocédure d’asile ou que les juridictions roumaines ne traiteraient pas une nouvelle demande d’asile dans des conditions conformes à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile. Par ailleurs, si le requérant fait valoir que son renvoi en Roumanie entrainerait par ricochet son renvoi dans son pays d’origine, l’Afghanistan, où sa vie serait menacée du fait de ses activités de journaliste, à supposer que la demande d’asile de l’intéressé ait été effectivement définitivement rejetée par les autorités roumaines, il ressort des sources de documentation publiquement disponibles et de la jurisprudence de la Cour nationale du droit d’asile que la violence aveugle prévalant actuellement dans la ville de Kaboul, point d’entrée du territoire afghan par voie aérienne depuis l’étranger,

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Tribunal administratif de Versailles, Reconduites à la frontière, 9 mars 2023, 2301172

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 et 16 février 2023, M. F B, représenté par Me Emessiene, demande au Tribunal :

1°) de l’admettre à titre provisoire au bénéfice de l’aide juridictionnelle ;

2°) d’annuler l’arrêté du 20 décembre 2022 par lequel le préfet des Yvelines a prononcé son transfert aux autorités roumaines ;

3°) d’enjoindre au préfet des Yvelines de procéder à l’enregistrement de sa demande d’asile ;

4°) de mettre à la charge de l’État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ou à lui-même dans l’hypothèse où l’aide juridictionnelle ne lui serait pas accordée.

Il soutient que :

– l’arrêté attaqué a été signé par une autorité incompétente ;

– il est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation et cette circonstance justifie que les autorités françaises décident d’examiner sa demande de protection internationale, par dérogation aux dispositions de l’article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et en application de la clause discrétionnaire mentionnée à l’article 17 de ce même règlement ;

– il méconnaît les stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 mars 2023, le préfet des Yvelines conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

– le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

– le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

– le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

– le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. D pour statuer sur les requêtes relevant de la procédure prévue à l’article L. 572-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus, au cours de l’audience publique qui s’est tenue le 2 mars 2023, en présence de M. Rion, greffier :

– le rapport de M. D ;

– les observations de Me Emessiene, avocate représentant M. B, assisté de M. A, interprète en langue pachto, qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

– les observations de M. B ;

– le préfet des Yvelines n’étant ni présent, ni représenté.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

Considérant ce qui suit

:

1. M. F B, ressortissant afghan né le 23 avril 1991 à Kabul, a sollicité le 19 septembre 2022 son admission au séjour au titre du droit d’asile auprès des services du préfet des Yvelines. Lors de l’instruction de cette demande, la consultation des données dactyloscopiques centrales et informatisées du système Eurodac a révélé que les empreintes digitales de M. B avaient été relevées le 5 août 2022 auprès des autorités de contrôle compétentes en Roumanie, ainsi que le 19 août 2022 auprès des autorités de contrôle compétentes en Autriche, à l’occasion de l’enregistrement de demandes de protection internationale dans ces pays. Saisies d’une demande de reprise en charge de M. B, les autorités autrichiennes ont refusé cette requête, le 4 novembre 2022, au motif que les autorités roumaines étaient devenues responsables de la demande d’asile de l’intéressé. Saisies d’une demande de reprise en charge de M. B, les autorités roumaines ont accepté cette requête, le 31 octobre 2022. Par l’arrêté du 20 décembre 2022 dont le requérant demande l’annulation, le préfet des Yvelines a décidé son transfert aux autorités roumaines, responsables de l’examen de sa demande d’asile.

Sur la demande d’admission provisoire à l’aide juridictionnelle :

2. Aux termes de l’article 20 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique : ” Dans les cas d’urgence, sous réserve de l’appréciation des règles relatives aux commissions ou désignations d’office, l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d’aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président () “. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce et eu égard à l’urgence qui s’attache à ce qu’il soit statué sur la requête de M. B, de prononcer l’admission provisoire de l’intéressé à l’aide juridictionnelle.

Sur la légalité de la décision de transfert :

3. En premier lieu, par un arrêté n° 78-2022-05-12-00005 du 12 mai 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial n° 78-2022-097 du même jour de la préfecture des Yvelines, Mme C E, cheffe du bureau de l’accueil et du séjour, a reçu délégation du préfet de ce département pour signer la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence de la signataire de l’arrêté attaqué manque en fait et doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, repris par l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : ” Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants “. Aux termes de l’article L. 712-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : ” Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié et pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle courrait dans son pays un risque réel de subir l’une des atteintes graves suivantes : / a) La peine de mort ou une exécution ; / b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; / c) S’agissant d’un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d’une situation de conflit armé interne ou international. “. Aux termes du deuxième paragraphe de l’article 3 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 visé ci-dessus : ” () Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (). “. Aux termes du premier paragraphe de l’article 17 de ce même règlement : ” Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement “. Aux termes de l’article 53-1 de la Constitution : ” () les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. “.

5. D’une part, M. B soutient qu’il n’a pas vu sa demande d’asile enregistrée en Roumanie. Il fait également valoir que sa remise aux autorités roumaines aurait pour conséquence un réacheminement vers l’Afghanistan, où il serait exposé au risque de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Toutefois, il apparaît que l’intéressé avait déposé une demande d’asile en Roumanie, qu’il a retirée. Par ailleurs, l’arrêté en litige a seulement pour objet de renvoyer l’intéressé en Roumanie et non dans son pays d’origine. La Roumanie, Etat membre de l’Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut de réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu’à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. M. B ne produit aucun élément de nature à établir qu’il existerait des raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques en Roumanie dans la procédure d’asile ou que les juridictions roumaines ne traiteraient pas une nouvelle demande d’asile dans des conditions conformes à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile. Par ailleurs, si le requérant fait valoir que son renvoi en Roumanie entrainerait par ricochet son renvoi dans son pays d’origine, l’Afghanistan, où sa vie serait menacée du fait de ses activités de journaliste, à supposer que la demande d’asile de l’intéressé ait été effectivement définitivement rejetée par les autorités roumaines, il ressort des sources de documentation publiquement disponibles et de la jurisprudence de la Cour nationale du droit d’asile que la violence aveugle prévalant actuellement dans la ville de Kaboul, point d’entrée du territoire afghan par voie aérienne depuis l’étranger, n’est pas d’une intensité telle qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que chaque civil court, du seul fait de sa présence dans cette ville, un risque réel de menace grave contre sa vie ou sa personne. Au demeurant, M. B n’établit pas, par les pièces qu’il a produites, qu’il risquerait d’être soumis à la torture, à des peines ou traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Afghanistan. Enfin, s’il produit la carte de séjour pluriannuelle en qualité de titulaire de la protection subsidiaire d’une personne qu’il présente comme son frère, il n’établit par aucune des pièces versées au dossier leur lien de parenté ni, tout état de cause, être à la charge de cette personne ni, à l’inverse, devoir lui porter assistance ni d’ailleurs entretenir une quelconque relation avec cette personne. Dans ces conditions, le requérant n’est pas fondé à soutenir que le préfet a méconnu les dispositions des articles 3 et 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 et les stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation doit être écarté. Enfin, à les supposer soulevés, les moyens tirés de la méconnaissance des articles 53-1 de la Constitution et L. 712-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne peuvent qu’être écartés.

6. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. B à fin d’annulation de l’arrêté susvisé du 20 décembre 2022 par lequel le préfet des Yvelines a prononcé son transfert aux autorités roumaines doivent être rejetées. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d’injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 relatives à l’aide juridique ne peuvent qu’être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : M. B est admis à titre provisoire au bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. F B et au préfet des Yvelines.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mars 2023.

Le magistrat désigné,

signé

G. DLe greffier,

signé

T. Rion

La République mande et ordonne au préfet des Yvelines en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

 


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