Droits des journalistes : 5 octobre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03008

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Droits des journalistes : 5 octobre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/03008
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 OCTOBRE 2023

N° RG 21/03008 –

N° Portalis DBV3-V-B7F-UY5Z

AFFAIRE :

[B] [V]

C/

S.A. BAYARD

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 06 Septembre 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : Industrie

N° RG :

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Sophie MISIRACA

Me Laurent JAMMET de

la SAS ACTANCE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [B] [V]

née le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Sophie MISIRACA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2347

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/016413 du 14/03/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de VERSAILLES)

APPELANTE

****************

S.A. BAYARD

N° SIRET : 542 042 486

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Laurent JAMMET de la SAS ACTANCE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0168 substitué à l’audience par Me KERMAREC Gaëlle avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 03 Juillet 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Président,

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

Greffier lors du prononcé : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,

EXPOSE DU LITIGE

Mme [B] [V] a été engagée par la société anonyme Bayard par contrat de travail à durée indéterminée du 6 octobre 2017 à effet au 10 octobre 2017, en qualité de rédactrice iconographe au statut de journaliste professionnelle à raison de 3 jours de travail effectif par semaine fixés les mardis, mercredis et jeudis, représentant un temps partiel de 101,62 heures, soit 67% d’un temps plein, moyennant, en dernier lieu, un salaire brut mensuel de 1 917,72 euros auxquels s’ajoutent la somme de 115,06 euros bruts de prime d’ancienneté et un 13ème mois versé chaque année en décembre.

Les relations contractuelles étaient soumises à la convention collective nationale des journalistes du 1er novembre 1976 refondue le 27 octobre 1987.

Par courrier du 1er octobre 2019, Mme [V] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s’est tenu le 15 octobre 2019, puis elle a été licenciée pour faute simple par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 21 octobre 2019 avec dispense d’effectuer sa période de deux mois de préavis.

Par requête reçue au greffe le 17 avril 2020, Mme [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt afin d’obtenir notamment, la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, puis, à titre principal, la requalification de son licenciement en licenciement nul et sa réintégration, à titre subsidiaire, en licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre le versement de diverses sommes.

Par jugement du 6 septembre 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :

– débouté Mme [B] [V] de sa demande de requalification de contrat de travail à temps partiel en temps plein et de rappel de salaires ;

– débouté Mme [B] [V] de sa demande de nullité de licenciement ;

– dit que le licenciement pour cause simple de Mme [B] [V] était justifié ;

– débouté Mme [B] [V] de sa demande au titre du travail dissimulé et autres demandes ;

– débouté la société Bayard Presse du surplus de ses demandes ;

– laissé à la charge de chaque partie leurs propres frais irrépétibles et dépens.

Par déclaration au greffe du 12 octobre 2021, Mme [V] a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 20 juin 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, Mme [V] demande à la cour de :

– La dire recevable et bien fondée en son appel ;

– Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

– Requalifier son contrat à temps partiel en contrat à temps plein ;

– Condamner en conséquence la société Bayard (anciennement Bayard Presse) à lui payer les sommes suivantes :

* 12 319,08 euros à titre de rappel de salaire base temps plein ;

* 1 231,90 euros à titre de congés payés incidents ;

* 964,98 euros à titre de rappel de prime d’ancienneté ;

* 96,49 euros à titre de congés payés incidents ;

* 1 107 euros à titre de rappel de 13ème mois ;

* 2 850,38 euros à titre de rappel de salaire afférent aux heures supplémentaires ;

* 285,03 euros à titre de congés payés incidents.

– Dire le licenciement nul

En conséquence,

‘ Ordonner la poursuite du contrat de travail et sa réintégration dans son emploi de rédactrice iconographe au sein de la société Bayard,

Condamner la société Bayard à lui payer :

* 116 356,77 euros à parfaire à titre de rappel de salaires dus à compter du licenciement, jusqu’au jour de sa réintégration, auxquels s’ajouteront la prime d’ancienneté et le 13ème mois, en fonction d’un salaire de base de 2 837,97 euros tenant compte le cas échéant, des augmentations collectives intervenues dans l’entreprise depuis son licenciement ;

‘ A défaut de réintégration, condamner la société Bayard à lui payer :

* 1 913,36 euros à titre de rappel d’indemnité de préavis ;

* 191,33 euros à titre de congés payés incidents ;

* 2 979,51 euros à titre de rappel d’indemnité légale de licenciement ;

* 25 000 euros au titre de l’indemnité pour licenciement nul,

subsidiairement,

> 25 000 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

> en tout état de cause, 11 418,75 euros,

* 19 575,18 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé ;

En tout état de cause,

– Condamner la société Bayard à lui payer les sommes suivantes :

* 351,39 euros à titre de rappel de prime d’ancienneté ;

* 35,13 euros à titre de congés payés incidents ;

*29,28 euros à titre de rappel de 13ème mois conventionnel incident ;

– Ordonner à la société Bayard de lui remettre un bulletin de paie et une attestation Pôle Emploi conformes, sous astreinte de 200 euros par jour passés 15 jours de l’arrêt à intervenir, la Cour se réservant la faculté de liquidation ;

– Condamner la société Bayard à payer :

* 1 200 euros à Mme [V] au titre de l’indemnité de l’article 700 1° du code de procédure civile ;

* 2 400 euros à Me Sophie Misiraca, avocate désignée au titre de l’aide juridictionnelle partielle, en application de l’article 700 2° du code de procédure civile ;

– Ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l’article 1343-2 du code civil ;

– Condamner la société Bayard aux dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 20 juin 2023, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens, la société Bayard demande à la cour de :

A titre principal

– Confirmer dans son intégralité le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt le 6 septembre 2021 ;

En conséquence,

Concernant l’exécution du contrat de travail :

– Dire et juger que Mme [V] n’a pas effectué d’heures complémentaires ;

– Fixer la rémunération mensuelle brute de Mme [V] à 2 200,80 euros ;

En conséquence,

– Rejeter la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel de Mme [V] en temps complet ;

– Débouter Mme [V] de l’intégralité de ses demandes de rappel de salaire ;

– Rejeter la demande d’indemnité pour travail dissimulé.

Concernant la rupture du contrat de travail :

– Constater que la Société avait respecté son obligation de sécurité au jour du licenciement ;

– Dire et juger que le licenciement de Mme [V] est justifié par une cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

– Rejeter la demande de réintégration de Mme [V] ;

– Débouter Madame [V] de l’intégralité de ses demandes indemnitaires ;

A titre subsidiaire :

– Ramener les indemnités sollicitées à de plus justes proportions ;

A titre reconventionnel

– Condamner Mme [V] au versement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

– Condamner Mme [V] aux entiers dépens de l’instance.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 21 juin 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

Sur la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel de la salariée en contrat de travail à temps plein et les demandes financières afférentes

La salariée sollicite l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat à temps plein au motif qu’en rémunérant sous forme de piges une partie du travail qu’elle réalisait pour l’entreprise, la société Bayard a violé les dispositions du protocole d’accord relatif aux conditions de collaboration des journalistes rémunérés à la pige de Bayard Presse SA du 16 mars 2001 et celles relatives aux heures complémentaires. Elle soutient que dès le mois de février 2018, son temps de travail a atteint 169,79 heures, soit plus d’un temps plein qui conventionnellement, est fixé à 169 heures mensuelles.

Pour confirmation du jugement de ce chef, l’employeur réplique qu’il était possible d’effectuer de tels bons de piges internes en parallèle du contrat de travail à temps partiel en application de la note du directoire du 14 juin 2000, que ces bons de piges ne représentaient pas des heures complémentaires et que la salariée ne rapporte pas la preuve du nombre d’heures complémentaires et supplémentaires supposément effectuées.

– Sur la présomption de salariat et le principe d’unicité du contrat

Compte tenu du contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, des bulletins de salaire et des bons de pige qu’elle produit, il est établi que Mme [V] a effectué des piges de recherche iconographique par bons de pige mentionnant un nombre de jours de travail et sa contrepartie financière en sus de son travail salarié tels qu’il ressort des exemples qui suivent :

* 5 jours pour la revue ” box sciences ” et 2 jours pour ” ma maison Montessori N°1 ” en février 2018 ;

* 1 jour pour la revue ” box sciences ” en mars 2018 ;

* 2 jours pour la revue ” box sciences N° 2 ” en avril 2018 ;

* 1 jour pour la revue ” Notre temps n°590 ” et 2 jours pour ” ma maison Montessori N°5 ” en janvier 2019 ;

* 2 jours pour la revue pour ” ma maison Montessori n° 6 ” en avril 2019 ;

* 2 jours pour la revue pour ” ma maison Montessori n° 7 ” en juin 2019.

Selon l’alinéa 1 de l’article L.7111-3 du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.

Les parties s’accordent sur le fait que Mme [V] a la qualité de journaliste professionnelle au sens de l’article précité et il est constant qu’en sus de son travail fourni dans le cadre de son contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, elle a signé avec son employeur des bons de pige produits aux débats dont la rémunération apparaît sur ses bulletins de salaire.

En vertu de l’article L. 7112-1 du même code, toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.

Le journaliste professionnel, qui est celui remplissant les conditions énoncées à l’article L. 7111-3 du code du travail, bénéficie donc de la présomption de salariat prévues par l’article L. 7112-1 et l’employeur peut la renverser en établissant que le salarié exerce son activité en toute indépendance et en toute liberté.

Mme [V], se prévalant du principe d’unicité du contrat de travail, fait valoir que les travaux d’iconographe réalisés pour les autres rédactions de Bayard Presse et rémunérés sous forme de piges, au lieu de comptabiliser ce temps de travail en heures complémentaires venant s’ajouter à son travail pour la rédaction d’Image Doc, ne permettent pas à son employeur de s’exonérer des dispositions légales relatives à l’accomplissement d’heures complémentaires visés aux articles L. 3123-8, L. 3123-9 et L. 3123-28 du code du travail et que l’inobservation desdites dispositions est pénalement sanctionnée aux articles R. 3124-8 et 3124-10 du même code.

Après avoir rappelé que la loi du 4 juillet 1974 a posé une présomption de salariat, la société Bayard soutient que la durée du travail des journalistes pigistes est dérogatoire puis elle ajoute que les bons de pige restent un travail rémunéré à la tâche au sens de l’article L. 7113-1 du code du travail et suivants, qui disposent notamment que ” tout travail non prévu au contrat de travail conclu entre une entreprise de journal et périodique et un journaliste professionnel entraîne une rémunération spéciale “. Elle insiste ensuite sur le fait que c’est en ce sens que l’article 29 de la convention collective nationale des journalistes dispose que ” les parties reconnaissent que les nécessités inhérentes à la profession ne permettent pas de déterminer la répartition des heures de travail ; le nombre de ces heures ne pourra excéder celui que fixent les lois en vigueur sur la durée du travail “.

Or cet article relatif aux dispositions légales et réglementaires sur la durée du travail et que la société ne cite qu’en partie, précise également que ” les journalistes bénéficient des dispositions législatives et réglementaires en vigueur sur la durée du travail. A compter du 1er février 1982, la durée légale du travail effectif est fixée à 39 heures par semaine, soit 169 heures par mois. (‘) Les dérogations exceptionnelles rendues nécessaires par l’exercice de la profession et les exigences de l’actualité donneront droit à récupération (‘) ”

Compte tenu des éléments portés à l’appréciation de la cour, il apparaît que :

– ce travail de piges a été régulier dans la mesure où la participation de la salariée a suivi les numéros de publication des revues ” Ma Maison Montessori ” et ” Box Sciences “, outre sa contribution, ponctuelle cette fois, au numéro 590 de la revue ” Notre temps “. C’est donc à tort que le conseil de prud’hommes a jugé que ce travail de pige était occasionnel et ponctuel étant rappelé que si l’employeur d’un journaliste pigiste employé comme collaborateur régulier est tenu de lui fournir régulièrement du travail, il n’est pas tenu de lui fournir un volume de travail constant ;

– les termes contractuels des bons de piges précisent la rémunération forfaitaire globale pour un nombre de jours travaillés et son versement ” sous réserve de fournir le travail commandé conformément à la demande rédactionnelle et sous les délais convenus ” puis rappellent que ” pour mémoire, les statuts des journalistes-pigistes de Bayard Presse S.A. est notamment régi par le protocole d’accord ” Pigistes ” du 16 mars 2001 ” et enfin que ” la publication étant soumise à des contraintes de fabrication très précises, le journaliste-pigiste s’engage à respecter le planning convenu, dont notamment la date de remise prévue “.

En se limitant à affirmer une incompatibilité entre les bons de piges internes et la réalisation d’heures complémentaires au motif que le journaliste pigiste n’est pas à proprement parler sous la subordination du média qui passe commande, qu’il perçoit, non une rémunération forfaitaire ou fixe en contrepartie d’un travail régulier dans son volume et dans ses horaires, mais une rémunération variable, à la tâche, en fonction du nombre et du volume des contributions, donc indépendante du temps réalisé alors que dans le même temps un nombre de jours est indiqué sur les bons de piges, puis que Mme [V] était libre d’organiser son activité de piges qu’elle lui proposait et qu’elle avait la liberté d’accepter ou de refuser, voire que la salariée sollicitait, la société Bayard ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d’établir l’exercice en toute indépendance et en toute liberté desdites piges effectuées par la salariée pour renverser la présomption de salariat.

Ainsi, la cour dit que les bons de pige signés par les parties sont des contrats de travail, en conséquence de quoi, selon, le principe d’unicité des contrats, il convient d’agréger les différents contrats pour apprécier les droits de la salariée, qu’il s’agisse du mécanisme de réajustement de la durée contractuelle lié à l’accomplissement d’heures complémentaires ou de majorations pour heures supplémentaires.

– Sur l’application des dispositions du protocole d’accord relatif aux conditions de collaboration des journalistes rémunérés à la pige de Bayard Presse SA du 16 mars 2001

Mme [V] soutient que les dispositions du protocole du 16 mars 2001 ont mis fin aux pratiques des piges internes auxquelles fait référence la note du directoire du 14 juin 2000 et elle se prévaut des articles L.2262-1 et L. 2254-1 du code du travail ensemble, selon lesquels l’application des conventions et accords est obligatoire pour tous les signataires ou membres des organisations ou groupements signataires et lorsqu’un employeur est lié par les clauses d’une convention ou d’un accord, ces clauses s’appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf stipulations plus favorables.

La société réplique que l’accord du 16 mars 2001 ne s’applique qu’aux journalistes travaillant uniquement à la pige pour le compte de Bayard et que, de ce fait, les journalistes embauchés en contrat à durée indéterminée à titre principal comme Mme [V], ne sont pas concernés.

Elle se prévaut dès lors, d’une note interne du Directoire intitulée ” journalistes et piges internes à Bayard ” du 14 juin 2000, produite, sur laquelle il est précisé que :

” – Les piges internes ne doivent pas être effectuées pendant le temps de travail,

– Sauf exception, un journaliste à temps plein ne peut percevoir de piges internes,

– Si la pige est régulière, le rédacteur en chef demandeur doit obtenir l’autorisation préalable du rédacteur en chef de l’intéressé,

– Si la pige est ponctuelle, le rédacteur en chef demandeur prévient le rédacteur en chef de l’intéressé,

– Le responsable ressources humaines étudiera, avec le rédacteur en chef concernée, la possibilité de reconsidérer le temps de travail d’une personne qui travaille à temps partiel sur un titre, et pige régulièrement pour ce même titre ou un autre titre d’une même D.E.P “.

Sur cette base, la société affirme que les conventions et accords collectifs, conformément au droit commun des contrats, s’interprètent selon l’article 1188 du code civil, ” d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral du ses termes ” et qu’en l’espèce, la commune intention des parties était de régler le sort des journalistes pigistes, par ailleurs salariés de la société et de leur permettre pour ceux à temps partiel notamment, d’effectuer des bons de piges internes pour le compte d’autres rédactions au sein d’une entreprise du Groupe Bayard dès lors que ces bons n’étaient pas effectués sur le temps de travail de journaliste.

Or, c’est à raison que la salariée fait valoir que cette note du directoire est antérieure à la conclusion du protocole d’accord précité du 16 mars 2001 qui, seul, dès son entrée en vigueur, s’est imposé aux parties et qui a mis fin aux pratiques exposées dans ladite note en mentionnant dans son préambule que ” les parties signataires du présent protocole rappellent que les collaborations des journalistes à temps plein ou à temps partiel à un titre différent de celui qui fait l’objet de leur contrat ne doivent pas être qualifiées de ” piges “, mais doivent être traitées comme des vacations complémentaires ou supplémentaires assurées dans le cadre de leur contrat de travail “.

En conséquence de ce qui précède, la cour dit que les travaux effectués par Mme [V] pour les autres rédactions au sein de la société Bayard s’analysent également, en heures complémentaires sur le fondement de cet accord collectif en vigueur au moment des faits.

– Sur la requalification du contrat de travail à temps partiel de Mme [V] à temps plein

Aux termes de l’article L. 3123-1 du code du travail, est considéré comme salarié à temps partiel le salarié dont la durée du travail est inférieure :

1° A la durée légale du travail ou, lorsque cette durée est inférieure à la durée légale, à la durée du travail fixée conventionnellement pour la branche ou l’entreprise ou à la durée du travail applicable dans l’établissement ;

2° A la durée mensuelle résultant de l’application, sur cette période, de la durée légale du travail ou, si elle est inférieure, de la durée du travail fixée conventionnellement pour la branche ou l’entreprise ou de la durée du travail applicable dans l’établissement ;

3° A la durée du travail annuelle résultant de l’application, sur cette période, de la durée légale du travail, soit 1607 heures, ou, si elle est inférieure, de la durée du travail fixée conventionnellement pour la branche ou l’entreprise ou de la durée du travail applicable dans l’établissement.

Il résulte de l’article L. 3123-6 du code du travail, que le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit qui doit mentionner la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois et les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée du travail fixée au contrat.

Selon l’article L. 3123-8 du code du travail, chacune des heures complémentaires accomplies donne lieu à une majoration de salaire et en vertu de l’article L. 3123-19 du même code, les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée de travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail ou, si elle est inférieure, au niveau de la durée fixée conventionnellement.

Selon les articles L. 3123-20 et L. 3123-21 du code du travail ensemble, une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche étendu peut porter la limite dans laquelle peuvent être accomplies des heures complémentaires jusqu’au tiers de la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail prévue dans le contrat du salarié à temps partiel et calculée, le cas échéant, sur la période prévue par un accord collectif et peut prévoir un taux de majoration de chacune des heures complémentaires accomplies dans la limite précitée sans qu’il ne puisse être inférieur à 10 %.

Aux termes de l’alinéa 1 de l’article L. 3171-2 du code du travail dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

En application de l’article L. 3171-3 du même code, l’employeur tient à la disposition de l’agent de contrôle de l’inspection du travail mentionné à l’article L. 8112-1 les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des dispositions des trois articles précités, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Mme [V], qui soutient que les piges qu’elle a accomplies ont eu pour effet de porter sa durée de travail à un temps complet à compter du mois de février 2018, produit ses bulletins de salaire sur lesquels figurent à la fois la rémunération de son temps partiel et celle correspondant à ses piges puis un tableau détaillé au mois le mois répertoriant les heures réalisées à ce dernier titre en divisant la rémunération des piges mensuelles par son taux horaire du mois concerné dont il ressort un total de :

– 68,14 heures pour février 2018 ;

– 17,37 heures pour mars 2018 ;

– 46,76 heures en avril 2018 ;

– 74,82 heures en Juin 2018 ;

– 115,94 heures en juillet 2018 ;

– 74,19 heures en septembre 2018 ;

– 47,69 heures en janvier 2019 ;

– 18,55 heures en avril 2019 ;

– 18,35 heures en juillet 2019.

Cette méthode d’évaluation du temps de travail complémentaire n’est pas sérieusement contredite par la société qui soutient, à tort, que Mme [V] croit pouvoir prétendre qu’une pige correspondrait à un nombre de jours qu’elle est incapable de quantifier alors que cette indication temporelle est contractualisée par la société elle-même dans ses bons de piges.

Force est de constater qu’un temps plein a été atteint en février 2018 lorsque les 68,14 heures de piges effectuées par Mme [V] se sont additionnées aux 101,62 heures mensuelles atteignant ainsi 169,76 heures.

En effet, selon l’article L. 3123-9 du code du travail, les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié au niveau de la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement. Lorsque le recours à des heures complémentaires a pour effet de porter la durée du travail d’un temps partiel au niveau de la durée légale ou conventionnelle, le contrat de travail doit, à compter de la première irrégularité, être requalifié en contrat de travail à temps plein.

En conséquence, en application de l’article L. 3123-9 du code du travail, du protocole d’accord relatif aux conditions de collaboration des journalistes rémunérés à la pige (” journalistes-pigistes “) de Bayard Presse SA signé le 6 mars 2001, de la présomption de salariat et du principe de l’unicité des contrats, la cour requalifie le contrat de travail à temps partiel de Mme [V] en contrat de travail à temps plein à compter du mois de février 2018 et infirme le jugement entrepris de ce chef.

– Sur les conséquences financières de la requalification à temps plein

Mme [V] sollicite la condamnation de la société Bayard à lui payer les sommes suivantes sur la base d’un tableau détaillé produit tenant compte des heures effectuées et du taux horaire de la salariée au mois le mois et également des sommes perçues pour la réalisation des ” piges ” :

– 12 319,08 euros bruts à titre de rappel de salaire correspondant à un temps plein à compter du mois de février 2018 et 1 231,90 euros bruts de congés payés afférents ;

– 964,98 euros bruts à titre de rappel de prime d’ancienneté et 96,49 euros bruts à titre de congés payés afférents ;

– 1 107 euros bruts à titre de rappel de 13ème mois.

Au vu de l’ensemble des éléments soumis à l’appréciation de la cour, il y a lieu d’y faire droit. En conséquence, la cour infirmera le jugement entrepris de ces chefs et condamnera la société à payer ces sommes à la salariée.

Sur la demande de Mme [V] liée aux heures supplémentaires

Mme [V] soutient avoir réalisé 114,80 heures supplémentaires au-delà de la durée mensuelle conventionnelle de 169 heures entre les mois de juin et septembre 2018 et sollicite à ce titre la somme de 2 850,38 euros bruts au titre des heures supplémentaires outre 285,03 euros bruts au titre des congés payés afférents.

La société Bayard réplique que la demande de la salariée doit être rejetée dans la mesure où elle ne produit aucun élément précis pour étayer ses demandes.

Selon les articles L. 3121-28 et L. 3121-29 du code du travail, toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent et les heures supplémentaires se décomptent par semaine.

Il résulte des dispositions combinées des articles L. 3171-4, L. 3171-2 alinéa 1er et L. 3171-3 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires ; qu’après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

La salariée, qui produit aux débats ses bulletins de salaire sur lesquels figurent à la fois la rémunération de son temps partiel et celle correspondant à ses piges, ainsi qu’un tableau détaillé uniquement au mois le mois répertoriant les heures réalisées à ce dernier titre en divisant la rémunération des piges mensuelles par son taux horaire du mois considéré, sans fournir de décompte hebdomadaire des heures supplémentaires qu’elle allègue avoir accomplies sur les mois de juin, juillet et septembre 2018 concernés, ne présente pas d’éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il déboute la salariée de ses demandes en paiement de rappel de salaire sur heures supplémentaires et de congés payés afférents.

Sur les demandes liées à la rupture du contrat de travail

Sur le bien-fondé du licenciement de Mme [V]

La lettre du licenciement qui fixe les termes du litige, est rédigée comme suit :

” Par lettre recommandée avec accusé de réception, en date du 3 octobre 2019, vous avez été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement. Cet entretien s’est tenu le 15 octobre 2019 à 11h00 en la présence de [K] [X], Responsable de Gestion de Ressources Humaines et de [O] [G], Directrice du Public moins de 12 ans. Vous étiez assistée par [A] [F], Représentante du Personnel au sein de la société.

Au cours de cet entretien, nous vous avons exposé les raisons qui nous ont amené à envisager à votre encontre une mesure de licenciement. Les explications que vous nous avez apportées ne nous ont toutefois pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Par conséquent, nous vous informons que nous avons décidé de prononcer votre licenciement pour les motifs suivants qui vous ont été exposés au cours de cet entretien.

Vous êtes entrée au service de la Société Bayard Presse S.A., selon un contrat de travail à durée indéterminée, à hauteur de 67% d’un temps plein, en qualité de Rédacteur Iconographe à compter du 10 octobre 2017, dans le secteur Presse Jeunesse au sein du service Maquette d’Image Doc, sous la responsabilité de [I] [M], Rédactrice en Chef Adjointe (N+1), et [E] [H], Rédacteur en Chef (N+2). Conformément à votre contrat de travail, vous exercez votre activité trois jours par semaine, soit le mardi, mercredi et jeudi.

Le 18 juin 2019, s’est tenue une réunion de travail au cours de laquelle vous avez voulu imposer en public un sujet contre l’avis de votre rédacteur en chef car il ne correspondait pas à la ligne éditoriale du journal, entraînant un différend.

A la suite de cet événement, le 19 juin 2019, votre Rédacteur en Chef vous a convoquée afin de vous expliquer en quoi votre comportement au cours de la réunion était déplacé ; s’en est suivie une vive altercation.

Consécutivement à cette altercation avec votre Rédacteur en Chef, vous vous êtes entretenue, suite à votre demande, avec [O] [G]. Compte tenu de la vive émotion que vous avez exprimée, cette dernière vous a adressée au Médecin du travail.

C’est ainsi que vous avez été reçue par le Médecin du travail, dans le cadre d’une visite médicale, le 27 juin 2019, lequel a déclaré que vous pouviez occuper votre poste avec l’aménagement suivant : un jour de télétravail par semaine pendant trois mois. Votre journée de télétravail a été immédiatement mise en place tous les mercredis.

Parallèlement, suite au différend qui vous a opposée à votre Rédacteur en Chef, nous avons déployé un certain nombre d’actions dans le but de poursuivre notre collaboration dans des conditions satisfaisantes.

C’est ainsi que nous vous avons proposé dans un premier temps une médiation avec votre hiérarchie afin de vous aider à renouer le dialogue de manière durable. Puis, dans un second temps, nous vous avons proposé une mobilité interne. Toutefois, le 26 juillet 2019, vous nous avez informés de votre refus de réaliser la médiation, sans explication valable. Vous avez accepté néanmoins de vous engager dans un processus de mobilité interne.

Dans ce cadre, nous vous avons proposé un poste de Rédacteur Photo au sein de la Gamme anglaise correspondant parfaitement à votre profil. Vous avez confirmé votre candidature à ce poste allant jusqu’à exprimer un vif intérêt pour le poste, et avez indiqué que vous préfériez ” changer de rédaction le plus rapidement possible “.

Contre toute attente, alors que nous avions donné une suite favorable à votre candidature, vous avez refusé le poste en l’état et conditionné cette mobilité à une réduction du périmètre du poste, à une augmentation de salaire et une évolution de votre titre, le 30 septembre 2019.

Votre attitude consistant à être en opposition permanente avec votre hiérarchie, et la direction des ressources humaines, à refuser toutes actions, et propositions nécessaires à la poursuite de nos relations contractuelles, est inacceptable et rend la poursuite de votre contrat de travail impossible.

Vos refus, remises en cause et revirements systématiques sont injustifiés et témoignent d’une attitude déloyale, et individualiste, contraire aux valeurs et engagements du Groupe BAYARD.

Ces faits qui ne sont d’ailleurs pas isolés, démontrent votre incapacité à vous intégrer dans un mode de travail en collectif, et rendent ainsi difficile la mise en ‘uvre des projets qui vous sont confiés dans ce cadre.

Cette situation est préjudiciable au bon fonctionnement de la société et n’est pas conforme à ce que nous sommes en droit d’attendre d’une Rédactrice Photo expérimentée.

En conséquence, nous sommes contraints de mettre un terme à votre contrat de travail en vous notifiant votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Votre licenciement prendra donc effet à l’expiration de votre délai de préavis de deux mois à compter de la date de première présentation du présent courrier recommandé.

Nous vous précisons que nous vous dispensons d’effectuer votre préavis. (‘) ”

En application de l’article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d’instruction qu’il juge utile, il appartient néanmoins à l’employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération d’un fait antérieur à deux mois dans la mesure où le comportement du salarié s’est poursuivi dans ce délai. Le point de départ du délai de deux mois est le jour où l’employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié ; dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l’engagement de poursuites disciplinaires, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement de ces poursuites.

La société intimée reproche à Mme [V] sur le fondement de l’article L. 1222-1 du code du travail, une attitude fautive, déloyale et individualiste consistant à être en opposition permanente avec sa hiérarchie et la direction des ressources humaines, à refuser toutes actions et propositions nécessaires à la poursuite des relations contractuelles, démontrant ainsi son incapacité à s’intégrer dans un mode de travail en collectif rendant en conséquence difficile la mise en ‘uvre de projets confiés. La société Bayard matérialise cette attitude fautive par les faits des 18 et 19 juin 2019, par le refus de médiation intervenu le 26 juillet 2019 et enfin, par le fait d’avoir conditionné une mobilité interne à une réévaluation de salaire et à une réduction du périmètre du poste, le 30 septembre 2019.

Mme [V] soutient que les faits des 18 et 19 juin 2019 et son refus d’accéder à la proposition de médiation sont prescrits puisqu’antérieurs à deux mois à l’engagement de la procédure de licenciement initiée le 1er octobre 2019.

La cour considère que les faits n’étant que l’illustration du comportement litigieux qui s’est poursuivi dans le délai imparti de deux mois doivent être pris en considération et ne sont en conséquence, pas prescrits.

Mme [V] soutient que son licenciement est non seulement injustifié dans la mesure où elle n’a commis aucune faute, mais également nul car constitutif d’une atteinte à son droit, constitutionnellement garanti, à la protection de sa santé, lequel licenciement a été prononcé selon elle dans l’unique but de faire échec aux conséquences de l’alerte dont elle a saisi son employeur à la suite des violences subies de la part de son responsable hiérarchique.

La société réplique que ce licenciement est intervenu alors qu’elle avait mis en ‘uvre son obligation de sécurité, qu’il ne peut donc être déclaré nul et en tout état de cause, qu’il est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Nonobstant le ressenti de Mme [V] durant cette période, il est constant que pendant deux ans, le travail et le comportement de la salariée ont donné satisfaction à son employeur tels qu’il ressort des courriels des 15 novembre 2017, 9 et 28 février, 22 mars, 6 juin et 18 juillet 2018 produits aux débats et repris par les partis dans lesquels apparaissent les commentaires suivants de M. [H], son rédacteur en chef (N+2) à l’égard du travail de sa subordonnée : ” C’est top, on y va “, ” Super bonus “, ” Bon pour moi, of course ! Bonne pêche ! “, ” Impressionnante ta crocodile dundee ! En français ce serait mieux. Mais même en anglais, je trouve que c’est chouette ! “, ” tes propositions sont super top “, ” ” TOOOOOP !!!! “.

> Sur les faits des 18 et 19 juin 2019

La société fait valoir qu’au cours de la réunion de programmation du 18 juin 2019, Mme [V] a eu une ” attitude particulièrement provocatrice ” à l’égard de M. [H], ” n’hésitant pas à s’opposer à lui et à vouloir imposer le sujet qu’elle souhaitait “, comportement qui a, selon la société Bayard, été à l’origine de l’altercation entre les parties. Elle estime dès lors, que le lendemain, M. [H] était légitime en sa qualité de supérieur hiérarchique N+2, à s’entretenir avec la salariée au sujet du différend de la veille et ajoute qu’à nouveau, Mme [V], en contestant chacun des dires de son supérieur a été à l’origine d’une nouvelle et vive altercation avec ce dernier.

Mme [V] lui reproche de s’en être pris violemment à elle alors qu’elle présentait le sujet qu’elle avait préparé et dont il avait été informé, elle précise qu’il s’est énervé, lui a coupé la parole en ces termes ” alors maintenant, tu arrêtes de me prendre pour un con “. Elle soutient que ce n’était pas la première fois puisqu’elle avait déjà vécu un précédant entretien violent le 12 février 2019 et que cela s’est reproduit le lendemain, le 19 juin 2019. Elle ajoute que M. [H] l’a convoqué en tête à tête, qu’il s’est mis en colère, haussant le ton au point d’alerter les personnes présentes dans les bureaux alentours et alors qu’elle tentait de s’extraire de cette situation, il ” l’a sommé de se rasseoir sous la menace de se rendre chez la DRH “.

Par suite, Mme [V] expose que, très éprouvée, sur les conseils de Mme [I] [M], sa N+1 et représentante du personnel, elle a alerté sa responsable de pôle N+3, Mme [O] [G] en précisant que le comportement dénoncé durait depuis plusieurs mois.

Il est constant que Mme [V] a été placée en arrêt maladie du 20 au 24 juin 2019, qu’elle a rencontré Mme [G] le 25 juin 2019 qui a sollicité une visite chez le médecin du travail qui a reçu la salariée le 27 juin 2019. A l’issue de cette visite, le médecin du travail a préconisé un aménagement de poste avec un jour de télétravail par semaine pendant 3 mois mis en ‘uvre immédiatement par la société, le temps que Mme [V] trouve une mobilité interne.

Il est établi par les pièces produites par les parties :

– que par courriel du 17 juin 2019, 14h54, Mme [M] a adressé un courriel à l’équipe de rédaction dont Mme [V] faisait partie, pour les informer des sujets qui allaient être présentés le lendemain pour les numéros de mars et avril lors de la réunion de programmation en précisant qu’ils allaient se répartir les sujets, dont celui du mouton présenté par Mme [V], durant le petit déjeuner du lendemain pour ” celles qui voulaient causer ” ;

– que par courriel du 19 juin 2019, Mme [V] a sollicité un rendez-vous auprès de Mme [O] [G] [W], afin d’évoquer les difficultés rencontrées avec M. [H] : ” celui-ci m’a reproché d’avoir défendu mon sujet sur le mouton des Malouines avec trop d’insistance (‘) me prêtant des intentions de vouloir ” le rabaisser devant tout le monde “, de me moquer de lui ouvertement, d’avoir ” l’intention de lui nuire “. Malheureusement j’étais seule quand il m’a dit tout ça mais j’en suis bouleversée (‘) Il a visiblement un problème avec moi, il m’a dit qu’il avait l’impression que je l’agressais quand je lui parlais “. Je ne sais plus que faire. (‘) La situation n’est plus tenable pour moi ” ;

– que par SMS du 19 juin 2019, Mme [I] [M] a confirmé à Mme [V] : ” J’ai vu [E]. Je lui ai dit être en désaccord avec lui. Avoir été choquée de sa sortie d’hier. Et en avoir parlé avec [O] ” ;

– que par un échange de courriels du 20 juin 2019, Mme [V] a informé Mme [M] qu’elle a fait une crise d’angoisse le matin en venant travailler, précisant ” je pense que c’est lié à mon entretien d’hier avec [E], ça m’a mise tellement mal hier. Là, je préfère aller chez le médecin (‘), ” c’est trop violent pour moi ce qui s’est passé hier. J’en ai assez de ces procès d’intentions délirants. Sorry pour le zèbre mais là je ne peux plus travailler dans ces conditions-là “, ce à quoi, sa N+1 lui a rétorqué ” Je comprends très bien ! “.

Au vu de ces éléments portés à l’appréciation de la cour, l’attitude provocatrice et le comportement d’opposition de Mme [V] à l’égard de M. [H] les 18 et 19 juin 2019 ne sont pas établis alors que par ailleurs il est fait état de dérapages verbaux de la part de M. [H] à l’égard de la salariée et dont elle n’est pas la seule à se plaindre tel qu’il ressort :

– des témoignages :

* de Mme [Y] du 13 décembre 2019 : ” Ayant travaillé avec [B] [V], j’ai pu constater à plusieurs reprises que notre rédacteur en chef [E] [H], ne la laissait pas s’épanouir ni s’exprimer dans son poste. Elle a été à plusieurs occasions convoquée dans une salle fermée, sans témoin, et en est ressortie ” démolie ” anéantie. (‘) Ce dialogue en sens unique n’est pas facile à vivre ”

* de Mme [D] du 26 novembre 2019 ” Je travaille dans la même réaction (Image Doc) que [B] [V] depuis son arrivée le 10/10/2017. J’ai constaté personnellement que notre rédacteur en chef, [E] [H], s’énervait vite contre [B] lorsqu’elle formulait un désaccord et cherchait à la faire taire en montant le ton. J’indique par ailleurs que [E] [H] a plusieurs fois perdu son calme et frappé violemment sur son bureau en plein rédaction, pour mettre fin à des discussions. En ce qui concerne plus particulièrement la situation de [B] [V], j’ai pu constater qu’elle a été convoquée plusieurs fois pour des entretiens dans des salles fermées par [E] [H]. A chaque fois, elle en est sortie nerveuse et choquée. La dernière fois, c’était après une journée de programmation le 18 juin 2019, pendant laquelle [B] a défendu un sujet qu’elle présentait et que [E] ne trouvait pas assez complet. Elle a insisté sur le fait que c’était une simple présentation et qu’elle fournirait de quoi finaliser un bon sujet. Cela n’a pas plus à [E] [H] qui lui a dit devant tout le monde ” ne me prend pas pour un con “. Nous sommes plusieurs à avoir été choqués mais sur le moment personne n’a rien dit. Notre directrice en chef adjointe nous a dit par la suite qu’elle avait parlé avec [E] [H]. Le lendemain, sur le plateau de la rédaction, [B] a été convoquée par [E] [H] pour un entretien. Lorsqu’elle est revenue à son bureau, [B] était en état de choc. Elle s’est effondrée sur son bureau (‘) Elle a ensuite eu une longue conversation avec la rédactrice en chef adjointe. Elle est allée ensuite au service médical de Bayard. Le lendemain, nous apprenions qu’elle était en congés maladie (pour anxiété) pour une durée d’un mois. A son retour, [B] a fait son travail avec la même précision, efficacité et professionnalisme (‘) ” ;

– d’un échange de courriels du 25 juin 2019 entre Mme [V] et Mme [G] [W] à l’occasion duquel cette dernière s’est montrée rassurante lui expliquant qu’elle avait ” vu [E] qui n’avait pas mesuré l’impact que pouvaient avoir ses paroles, il en était sincèrement abasourdi ” et lui annonçant qu’elle avait ” prévenu le médecin du travail qui allait probablement [la] contacter “.

– d’un courriel du 1er juillet 2019 entre Mme [V] et Mme [I] [M], au sein duquel cette dernière la rassure arguant que ” les dérapages de [E] ne devaient plus avoir lieu, vu tout ce qu’il a dû entendre à ce sujet ” confirmant ainsi lesdits dérapages de M. [H] à l’encontre de Mme [V].

En conséquence de ce qui précède, l’insubordination de Mme [V] à l’égard de M. [H], à l’occasion des faits des 18 et 19 juin 2019, de même que l’attitude déloyale, individualiste et d’opposition permanente ne sont pas établies.

> Sur la proposition de médiation et le refus de la salariée

La société affirme qu’en concertation avec la cellule RPS, ce qu’elle ne démontre pas puisqu’aucun document relatif à cette cellule n’est produit, elle a proposé deux alternatives aux événements des 18 et 19 juin 2019 à la salariée afin de permettre la continuation de ces relations contractuelles dans de bonnes conditions, une médiation et une mobilité interne.

La société fait valoir que la salariée a refusé sans aucun motif légitime, une médiation externe alors que Mme [V] soutient que la médiation proposée était interne avec la DRH elle-même dans le rôle de médiateur tel qu’il ressort du compte rendu de l’entretien préalable à licenciement rédigé par la déléguée syndicale ayant assistée Mme [V] et versé aux débats.

La société produit un courriel du 26 juillet 2019 de la salariée adressé à Mme [X], responsable de gestion des ressources humaines dans lequel Mme [V] relate ” comme je te l’ai expliqué, je ne suis pas en colère mais en souffrance psychique, [E] est allé de plus en plus loin dans ces propos ces derniers mois. J’ai réfléchi à ta proposition de médiation, et malheureusement, je pense que cela arrive trop tard. (‘). ”

Selon l’article L. 1152-6 du code du travail, une procédure de médiation peut être mise en ‘uvre par toute personne de l’entreprise s’estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause. Le choix du médiateur fait l’objet d’un accord entre les parties.

Dès lors, important peu qu’il s’agisse d’une médiation interne ou externe, s’agissant d’une faculté et non d’une obligation donnant lieu à sanction en cas de désaccord des parties sur l’engagement d’une telle médiation, le grief de la société relatif au refus de Mme [V] est inopérant et ne peut servir de fondement à son licenciement pour faute.

> Sur l’alternative d’une mobilité interne

La société Bayard soutient ensuite qu’elle a accompagné Mme [V] dans la procédure de recrutement du poste de rédacteur iconographe au sein de la direction Gamme anglaise, qu’elle a été reçue en entretien dès le 29 août 2019 avec la responsable de rédaction et la responsable de la gestion RH, Mme [X], alors même que l’offre d’emploi n’avait pas été diffusée aux autres collaborateurs de l’entreprise le 3 septembre 2019, ce qu’elle justifie.

Mme [V] fait valoir à raison que les candidatures internes sont à son initiative dans une dynamique d’évolution de poste préalablement aux faits litigieux tel qu’il ressort notamment du courriel du 26 juillet 2019 de la salariée à Mme [X] ” (‘) je préférerai changer de rédaction le plus rapidement possible. Au-delà de [E], j’avais déjà l’envie de tenter une nouvelle aventure au sein du groupe. C’est pourquoi, j’avais postulé au magazine de La Croix bien avant les derniers événements chez Image Doc. J’ai envoyé une candidature pour le poste de rédacteur photo à la gamme anglaise. Si jamais mon profil les intéresse, je suis prête à les rencontrer rapidement (‘) “.

Il est établi que :

– par les courriels des 26, 29 et 30 juillet 2019, Mme [V] a candidaté de son propre chef au poste de rédactrice photo pour ” Love English “, que la rédactrice en chef lui a proposé un entretien le 26 ou 29 août 2019 à son retour de congés ;

– selon un échange de courriels entre le 18 septembre 2019 et le 1er octobre 2019 entre Mme [X] et elle-même, suite à l’entretien du 29 août 2019, il s’en est suivi trois autres entretiens, notamment pour évoquer la charge de travail ” dont tout le monde a conscience que ce n’est pas vraiment un 3/5 (mais plutôt un 4/5), après discussion avec l’équipe mais aussi avec les anciens iconos , [U] et [P] ” et l’augmentation de salaire souhaitée par Mme [V] ” cela fait deux ans que je suis chez Bayard, j’aimerai que le travail accompli soit gratifié ” ; Mme [X] a proposé un 5ème entretien à Mme [V] le 30 septembre 2019 pour évoquer ces deux points mais la salariée a refusé en présentiel mais concédé par téléphone au motif qu’elle avait, entre autres, beaucoup de travail et que pour elle tout était dit et qu’elle attendait maintenant, une proposition ;

– par un courriel du 18 septembre 2019, M. [R] a confirmé à Mme [V] que le poste convoité représente en quantité de travail, plus qu’un 3/5 de temps : ” (‘) mon sentiment (et je l’ai dit souvent) est que le poste mériterait sans problème un plein temps. Je ne pense pas que ce soit jouable aujourd’hui, mais le 4/5 oui’ “.

Compte tenu des éléments soumis à l’appréciation de la cour, le comportement déloyal et individualiste reproché à Mme [V] n’est pas établi, les demandes de réduction de charge de travail et d’augmentation de salaire ne sont pas fautives de sorte que ce grief ne peut pas servir de fondement au licenciement.

Sur le licenciement litigieux et l’atteinte au droit constitutionnellement garanti à la protection de la santé de la salariée

En application de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers ses salariés, prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Mme [V] soutient que son licenciement prononcé pour faute résulte en fait d’une volonté de son employeur de faire échec à son alerte émise sur ses conditions de travail à la suite du comportement violent de son supérieur hiérarchique dans le but de se soustraire à son obligation de sécurité, telle que découlant des dispositions des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail. Elle sollicite en conséquence, la nullité de son licenciement et sa réintégration.

La société réplique que le licenciement est intervenu alors qu’elle avait mis en ‘uvre son obligation de sécurité, qu’au surplus Mme [V] remet en cause l’attitude générale de M. [H] par pure opportunité car elle souhaitait changer de poste et télétravailler de sorte que le licenciement intervenu ne peut être déclaré nul.

La société soutient qu’avant la réunion du 18 juin 2019, Mme [V] n’a jamais eu à se plaindre de ses conditions de travail alors que la salariée produit un courriel du 12 février 2019 adressé à Mme [M] dans lequel elle lui fait part que ” si le feedback consiste à m’exprimer ton ressenti comme l’a fait [E] ce matin, je vais commencer à me sentir harceler et dans ce cas, je préfère ne pas venir toute seule’ ” sans que cette dernière ne la contredise utilement.

Il est constant que les faits des 18 et 19 juin 2019 ont donné lieu à une convocation à la médecine du travail à la demande de l’employeur le 27 juin 2019 puis à deux autres rendez-vous dont le dossier médical de la salariée fait état en ces termes :

* visite du 27 juin 2019 à la demande de l’employeur, le médecin du travail, le Dr [C], a noté ” elle dit ” la semaine dernière en réunion : conflit lors d’un débat (” arrête de me prendre pour un crétin ” en criant) il se comporte ainsi avec d’autres mais plus avec elle, coup de poing sur la table. Elle dit que lors d’un entretien individuel : il lui a hurlé et lui a reproché de vouloir l’humilier en défendant son projet et qu’il considère qu’elle l’agresse. Elle dit qu’elle a voulu interrompre l’entretien mais qu’il lui a donné l’ordre de s’asseoir ” Elle dit avoir rappelé le cadre et : ” il s’est déchaîné sur moi “. Elle dit être sorti de l’entretien en tremblant, a vu sa responsable / s’est arrêté 3 jours après une crise d’angoisse. A postulé à un poste identique à La Croix Hebdo “. Suite à cette narration, le Dr [C] conclut la visite par ce résumé de consultation ” Je lui conseille un arrêt si elle ne change pas de poste. Contact avec RH Mme [X] pour suggérer que je puisse voir l’autre salarié en entretien médical sur DE [demande de l’employeur] (Pbe médical ‘) ” ;

* visite du 12 septembre 2019 à la demande de Mme [V], le Dr [C] a rédigé le contexte de cette consultation en ces termes ” réunion de la cellule RPS le 11 juillet (RH, RRH, AS [assistante sociale], IST, médecin du travail) : conclusion : proposition de médiation avec le responsable et recherche d’autre poste dans l’entreprise. Elle dit que pendant ses vacances (1 semaine début juillet) elle a été appelée pour la mise en place du télétravail, difficile : fixé le mercredi. Elle dit s’être sentie mal avec la reprise : tremblements, insomnies, ressassaient ses problèmes relationnels, ne pas s’être détendue pendant sa semaine de vacances en raison des contacts avec l’entreprise. A eu un arrêt maladie en juillet, a repris le 6 août, mise sous anxiolytique. A eu sa RH pendant son arrêt : proposition de médiation ou de mobilité interne, elle s’oriente sur un changement de rédaction. A son retour, son responsable avec qui elle a eu un conflit ne lui parle plus. En attente de réponses d’autres services pour changement de poste ” puis elle a transmis une proposition d’aménagement de poste consistant en la poursuite du télétravail un jour par semaine pour 6 mois ;

* visite du 18 octobre 2019 à l’initiative de la salariée, le Dr [C] mentionne sur son compte rendu de consultation ” Elle dit qu’elle était en train de postuler sur un autre poste, en cours de négociation. On lui aurait dit qu’elle ne pouvait pas rester sur son poste et qu’elle refusait le nouveau poste. Elle dit avoir été convoquée pour un entretien préalable au licenciement le 15/10/2019 (” pour exécution déloyale du contrat de travail “) Elle a ressenti l’entretien comme très violent. Crise d’angoisse à la sortie de l’entretien, dit ne pas comprendre ce qui se passe. Aggravation des insomnies : repasse à 2 séances de suivi psychothérapeutique par semaine ” puis dans la rubrique dédiée au psychisme ” insomnies, crises d’angoisse, anxiété, anorexie depuis l’entretien ” et une attestation de suivi comportant la mention ” peut occuper son poste avec les aménagements suivants ; un jour de télétravail par semaine 3 mois “.

Il est constant que la société a mis en ‘uvre le 27 juin 2019, les recommandations du médecin du travail tel qu’il ressort de l’avenant relatif à une journée de télétravail hebdomadaire produit.

La dégradation de l’état de santé de la salariée est matériellement démontrée par :

– un certificat du 9 avril 2020 de M. [L], psychologue clinicien, qui atteste recevoir Mme [V] en thérapie et qu’à partir de juin 2019, elle ” a commencé à évoquer de manière récurrente un stress à son travail “, lui faisant part de ” troubles du sommeil et d’angoisse ” et qu’elle lui a dit être ” particulièrement inquiète de revenir à son poste ” puis qu’il a ” constaté l’envahissement progressif des séances par ce stress au travail et par la crainte de perdre son emploi “.

– les arrêts maladie prescrits par son médecin pour les périodes du 21 juin au 24 juin 2019 puis du 8 juillet au 1er août 2019 ;

– un certificat du Dr [B] [J], médecin généraliste, qui confirme avoir vu ” cette patiente en consultation dans le courant du mois de juin 2019 en état de stress aigu et de burn out en rapport avec une situation de harcèlement sur son lieu de travail “, qui indique avoir dû ” lui prescrire des anxiolytiques et lui faire bénéficier d’un arrêt de travail du 20 au 24 juin 2019 puis du 8 juillet au 1er août 2019 “, ces deux arrêts étant séparés par une période de congés annuels tel qu’il ressort des bulletins de salaire produits. Elle ajoute avoir constaté dans l’historique médical de la patiente que son prédécesseur lui prescrivait des anxiolytiques depuis un an. Elle constate toujours, le 17 octobre 2019, ” un tableau d’anxiété traité par Alprazolam ” ; elle sollicite ” de nouveau ce jour, un arrêt de travail “.

Sur la saisine de la cellule RPS

Mme [V] a informé Mme [F], déléguée du personnel, de sa situation par un échange de courriels entre le 20 et le 27 juin 2019 en ces termes ” Cela fait plusieurs mois que [E] [H] me fait des procès d’intentions sur ” mon comportement ” au travail, et m’invective en public ou en privé ([I] peut en témoigner). Je suis à bout. (‘) mes conditions de travail deviennent insupportables. Suite à un entretien d’une rare violence, seule, face à lui hier où il m’a accusé de vouloir le ” rabaisser en public ” et de le prendre pour un ” vieux con “, je ne me suis pas sentie psychologiquement capable de venir travailler aujourd’hui et suis arrêtée jusqu’à lundi “. Mme [F] lui a conseillé de faire une alerte, éventuellement par son intermédiaire, auprès de la cellule des risques psychosociaux. Mme [V] lui a dès lors demandé le 27 juin 2019, de lancer la procédure d’alerte auprès de la cellule RPS, et plus précisément de M. [S], directeur des ressources humaines.

Par courriel du 1er juillet 2019, la déléguée du personnel a confirmé à Mme [V] avoir été reçue en urgence par ce dernier et qu’il a pris bonne note de tous les éléments, qu’il va instruire le dossier, prendre éventuellement contact avec la salariée et s’entretenir également avec le médecin du travail, ce qu’elle confirme dans son témoignage du 30 novembre 2019 : “contactée par mail par Mme [V] le 20 juin 2019, suite à un entretien qu’elle a eu la veille avec son rédacteur en chef, [E] [H], et une convocation à la DRH avec une autre personne que sa RRH habituelle et pour un motif ” confidentiel “. Vu la souffrance de la salariée, je lui conseille de ne reprendre le travail qu’avec le feu vert de son médecin. Le 25 juin, [B] [V] a eu rendez-vous avec [O] [G], responsable du pôle petite enfance à BPSA. Elle attendait beaucoup de ce rendez-vous pour calmer le jeu et lui permettre de reprendre le travail le plus sereinement possible. Compte tenu de ce qui s’est passé en réunion de programmation et estimant les faits qui m’étaient rapportés par l’intéressée et par [I] [M], rédactrice en chef adjointe d’Images Doc, j’ai proposé à [B] de faire une alerte RPS auprès du Directeur des ressources humaines, [T] [S]. (‘) Le premier juillet 2019, je fais l’alerte RPS auprès de [T] [S], qui me reçoit à 10 heures dans son bureau. Il prend bonne note de tous les éléments que je lui transmets, m’informe qu’il instruira le dossier et que la DRH prendra peut-être contact avec [B]. [B] est arrêtée à plusieurs reprises dans le même temps elle postule à la Croix Hebdo et à la Gamme Langue. [T] [S] m’informe qu’une médiation lui a été proposée par [K] [X], RRH de [B]. Cette dernière la refuse. Un mois plus tard [B] sera convoquée à un entretien préalable au licenciement par cette même RRH. (‘) Considérant le mélange des genres entre RPS et entretien préalable au licenciement problématique, je rencontre [T] [S] avec [N] [Z], délégué syndical CGT (‘). Nous sommes également allés demander son avis à l’Inspectrice du travail sur le fonctionnement du système d’alerte RPS à Bayard Presse. Elle n’a pu que confirmer un dysfonctionnement et nous incite à faire pression pour une meilleure prise en charge des RPS dans notre entreprise insistant sur la nécessité du paritarisme (‘). ”

Aucun élément n’est produit par la société sur les travaux de la cellule RPS qui ont abouti à la conclusion d’une absence de harcèlement et de RPS concernant la salariée sans procéder à une enquête et dont la salariée conteste le fonctionnement comme la composition puisque constituée de la responsable des ressources humaines et du directeur des ressources humaines, outre le médecin du travail et l’assistante sociale.

Compte tenu des éléments portés à l’appréciation de la cour, de la concomitance entre les faits reprochés à la salariée, non établis, et les deux altercations violentes ayant provoqué une dégradation de l’état de santé de la salariée, force est de constater que le licenciement infondé intervenu trois mois après la saisine de la cellule RPS caractérise une atteinte au droit à la protection de la santé garanti par l’article 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958 de sorte que le licenciement litigieux est déclaré nul. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur la réintégration de Mme [V] et ses conséquences financières

Le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une somme correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son éviction et sa réintégration dans la limite du montant de la rémunération dont il a été privé.

En l’espèce, compte tenu de la nullité du licenciement prononcé en raison de la violation d’une liberté fondamentale qu’est l’atteinte au droit à la protection de la santé, garanti par l’article 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, il n’y a pas lieu à déduction des revenus de remplacement.

Mme [V] sollicite sa réintégration et la somme de 116 356,77 euros bruts à parfaire au jour de la réintégration, somme à laquelle s’ajouteront la prime d’ancienneté et le 13ème mois en fonction d’un salaire mensuel de base de 2 837,97 euros bruts pour 151,67 auquel s’ajoutent 173,60 euros bruts de prime d’ancienneté et 250,96 euros bruts de 13ème mois, soit un total mensuel de 3 262,53 euros bruts.

La cour y fera droit et condamnera la société Bayard à verser à Mme [V],la somme mensuelle de 3262,53 euros brut à compter du 23 décembre 2019 jusqu’à sa réintégration.

Mme [V] remboursera quant à elle, la somme de 6 808,04 euros nets correspondant à l’indemnité conventionnelle de licenciement à la société Bayard.

En raison de la nullité du licenciement du 21 octobre 2019 et de la demande, accordée, de réintégration formulée à titre principal par la salariée, il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes relatives au rappel d’indemnité de préavis et les congés payés afférents, au rappel d’indemnité légale de licenciement, à l’indemnité pour licenciement nul, subsidiairement, à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en tout état de cause, à l’indemnité pour travail dissimulé, qui seront donc en voie de rejet.

Sur les intérêts légaux

Les sommes allouées à titre de rappels de salaires et primes ayant un caractère salarial, celles-ci portent intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation.

S’agissant plus spécifiquement des créances salariales correspondant à l’indemnité d’éviction, celles-ci produisent intérêts au taux légal à compter du jour où le salarié formalise sa demande de réintégration et en paiement de rappel de salaires et à compter de chaque échéance devenue exigible, en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

Il y a lieu d’ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et l’indemnité de procédure

La société, qui succombe, sera condamnée aux dépens et sera déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Il convient de la condamner, en application de l’alinéa 1 de l’article 700 du code de procédure civile, à payer à Mme [V] la somme de 1 200 euros et en application de l’alinéa 2 du même article, à payer à Me Sophie Misiraca, avocate désignée au titre de l’aide juridictionnelle partielle, la somme de 2 400 euros tel que demandé, pour les frais irrépétibles qu’elle a exposés.

PAR CES MOTIFS

La COUR,

Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,

Infirme partiellement le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension et y ajoutant,

Requalifie le contrat de travail à temps partiel de Mme [B] [V] en contrat de travail à temps plein à compter du mois de février 2018 ;

En conséquence,

Condamne la société Bayard à payer à Mme [B] [V] les sommes suivantes :

* 12 319,08 euros brut à titre de rappel de salaires ;

* 1 231,90 euros brut de congés payés afférents ;

* 964,98 euros brut à titre de rappel de prime d’ancienneté ;

* 96,49 euros brut de congés payés afférents ;

* 1 107 euros brut à titre de rappel de 13ème mois ;

Dit que ces sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation ;

Dit que le licenciement de Mme [B] [V] est nul en raison de la violation d’une liberté fondamentale qu’est l’atteinte au droit à la protection de la santé garanti par l’article 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Ordonne la réintégration de Mme [B] [V] dans son emploi de rédactrice iconographe au sein de la société Bayard ;

En conséquence,

Condamne la société Bayard à payer à Mme [B] [V] un salaire brut mensuel de 3 262,53 euros, prime d’ancienneté et 13ème mois inclus, par mois à compter du 23 décembre 2019 jusqu’à sa réintégration ;

Dit que les créances salariales correspondant à l’indemnité d’éviction produisent intérêts au taux légal à compter du jour où le salarié formalise sa demande de réintégration et en paiement de rappel de salaires et à compter de chaque échéance devenue exigible, en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

Condamne Mme [B] [V] à rembourser à la société Bayard la somme de 6 808,04 euros net correspondant à l’indemnité conventionnelle de licenciement ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Condamne la société Bayard à payer :

* à Mme [B] [V] la somme de 1 200 euros en application de l’alinéa 1 de l’article 700 du code de procédure civile ;

* à Me Sophie Misiraca, avocate désignée au titre de l’aide juridictionnelle partielle, la somme de 2 400 euros en application de l’alinéa 2 de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Bayard de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Bayard aux dépens de première instance et d’appel.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,

 


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