Droits des héritiers : 5 juillet 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 22/03501

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Droits des héritiers : 5 juillet 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 22/03501

5 juillet 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
22/03501

N° RG 22/03501 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JGRC

COUR D’APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 5 JUILLET 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

21/01064

Juge de la mise en état de Dieppe du 27 septembre 2022

APPELANTS :

Monsieur [C] [D]

né le [Date naissance 11] 1946 à [Localité 17]

[Adresse 12]

[Localité 14]

représenté et assisté par Me Corinne MORIVAL de la SCP MORIVAL AMISSE MABIRE, avocat au barreau de Dieppe

Madame [K] [D]

née le [Date naissance 3] 1947 à [Localité 13]

[Adresse 12]

[Localité 14]

représentée et assistée par Me Corinne MORIVAL de la SCP MORIVAL AMISSE MABIRE, avocat au barreau de Dieppe

INTIMEES :

Madame [E] [Y] épouse [L]

[Adresse 10]

[Localité 14]

représentée et assistée par Me Claudie ALQUIER, avocat au barreau de Rouen

Madame [V] [T]

née le [Date naissance 7] 1983 à [Localité 15]

[Adresse 1]

[Localité 14]

représentée et assistée par Me Josselin PESCHIUTTA, avocat au barreau de Rouen

SCI LEA ET ALEXANDRE

RCS de Dieppe n° 884 883 737

[Adresse 9]

[Localité 13]

représentée et assistée par Me Dominique GAUTIER de la SCP VANDENBULCKE DUGARD GAUTIER, avocat au barreau de Rouen

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 10 mai 2023 sans opposition des avocats devant Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

M. Jean-François MELLET, conseiller

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DEBATS :

A l’audience publique du 10 mai 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 5 juillet 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 5 juillet 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

M. [C] [D] et Mme [K] [D] sont propriétaires d’un immeuble, sis[Adresse 12]e à [Localité 14], lequel jouxte en sa partie arrière plusieurs propriétés.’

Par procès-verbal d’huissier du 27 décembre 2013, M. et Mme [D] ont fait constater l’apparition d’humidité au sein de leur domicile.’Par acte d’huissier du 23 août 2014, ils ont fait assigner leurs voisins, M. [N] [L] d’une part et Mme [U] [Y] d’autre part, devant le président du tribunal de grande instance de Dieppe, aux fins de désignation d’un expert judiciaire. La Sci [Y] est intervenue volontairement à l’instance. Par ordonnance de référé du 30 octobre 2014, le président du tribunal de grande instance de Dieppe a mis hors de cause Mme [Y] et ordonné une expertise judiciaire au contradictoire de ces deux voisins. L’expert a déposé son rapport le 2 juin 2017.

Par acte d’huissier du 26 octobre 2021, M. et Mme [D] ont fait assigner :

– Mme [E] [Y], veuve de M. [N] [L],

– Mme [V] [T], ayant acquis sa propriété de Mme [A] [B],

– la Sci Léa et Alexandre, ayant acheté son bien immobilier auprès de M. [P] [Z], autres voisines,

devant le tribunal judiciaire de Dieppe aux fins notamment de les voir condamner in solidum à effectuer des travaux sous astreinte et à les voir condamner in solidum à les indemniser de leur préjudice.

Par conclusions d’incident du 11 février 2022, la Sci Léa et Alexandre a soulevé le moyen tiré de l’irrecevabilité des demandes en raison de l’acquisition de la prescription extinctive.

Par ordonnance contradictoire du 27 septembre 2022, le juge de la mise en état a :

– constaté la prescription de l’action engagée par M. et Mme [D] à l’encontre de Mme [Y]-[L], Mme [T] et la Sci Léa et Alexandre,

– déclaré irrecevables les demandes formées par M. et Mme [D],

– condamné M. et Mme [D] au paiement au profit de Mme [T] d’une indemnité d’un montant de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles,

– condamné M. et Mme [D] au paiement au profit de la Sci Léa et Alexandre d’une indemnité d’un montant de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles,

– condamné M. et Mme [D] au paiement des dépens de l’instance.

Par déclaration reçue au greffe le 25 octobre 2022, M. et Mme [D] ont formé appel de l’ordonnance.

Sur décision du président de chambre du 5 décembre 2022, le calendrier de procédure à bref délai prévu par les articles 905, 905-1 et 905-2 du code de procédure civile a été notifié aux appelants.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 9 mai 2023,’M. et Mme [D] demandent à la cour, au visa des articles 2224, 2239 et 1240 et suivants du code civil, de :

– débouter les codéfendeurs de leurs demandes,

– les en déclarer mal fondés,

– infirmer’l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Dieppe rendue en date du 27 septembre 2022 en l’ensemble de ses dispositions,

statuant à nouveau,’

– débouter les codéfendeurs de leur incident fondé sur la prescription de leur action,

– les déclarer recevables en leurs demandes,

– condamner Mme [T], la Sci Léa et Alexandre et Mme [Y]-[L] au règlement, chacun, de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à leur profit et aux dépens de première instance,

y ajoutant,’

– condamner in solidum Mme [T], la Sci Léa et Alexandre et Mme [Y]-[L] au règlement de la somme supplémentaire de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code’ de procédure à leur’ profit au’ titre’ des’ frais’ irrépétibles exposés devant la cour d’appel,

– les condamner in solidum également aux dépens d’appel.

Ils soutiennent qu’ils n’ont été en mesure d’exercer leur droit, au sens de l’article 2224 du code civil, que lors du dépôt du pré-rapport de l’expert et de son rapport définitif. Ils affirment que la prescription quinquennale, courant au plus tôt à compter de mai 2017, n’était pas acquise à la date de l’assignation délivrée au fond à l’encontre des codéfendeurs et ce en date du 26 octobre 2021.’

Se fondant sur l’article 2239 du code civil, ils prétendent que la mesure d’instruction ordonnée par le juge a été exécutée le 8 juin 2017, date du dépôt du rapport ; que le délai de prescription de cinq ans à l’égard de Mme [Y]-[L] a recommencé à courir à compter de cette date de sorte que l’assignation qui lui a été signifiée le 26 octobre 2021 a été délivrée avant l’expiration du délai de prescription.

En réponse aux écritures de Mme [Y]-[L], ils affirment que même si la qualité d’ayant droit de M. [L] ne figure pas en en-tête de l’acte, le corps de celui-ci est suffisamment précis sur sa qualité d’héritière pour interrompre à son égard le délai de prescription jusqu’au dépôt du rapport d’expertise.

En tout état de cause, ils considèrent que Mme [Y]-[L] est propriétaire du bien de son époux et reste tenue solidairement avec celui-ci de tout dommage dont leur propriété pouvait être à l’origine. En qualité de codébiteur solidaire, la prescription a également été interrompue à son égard par l’assignation en référé signifiée le 26 octobre 2021.

En outre, ils font valoir que l’engagement pris par Mme [Y]-[L] le 29 mai 2017 de réaliser les travaux prescrits par l’expert vaut reconnaissance de leur droit et interruption de prescription.

Contrairement à ce qu’affirme l’intéressée, à propos de l’irrecevabilité de leur demande pour défaut de mise en ‘uvre préalable d’un mode alternatif de résolution amiable, ils rappellent que l’article 750-1 du code de procédure civile issu du décret n°2022-245 du 25 février 2022 est entrée en vigueur le 27 février 2022, soit postérieurement à leur assignation ; que l’application de ce texte a pris fin le 22 septembre 2022.

En tout état de cause, ils précisent que leur action n’est pas fondée sur le trouble anormal de voisinage, mais sur la faute, de sorte qu’aucune requalification ne se justifie et ajoutent que l’action principale ne porte pas davantage sur l’exercice d’une servitude d’écoulement naturel des eaux de pluies prévue par les articles 640 et 641 du code civil.

En réponse aux écritures de Mme [T], ils considèrent que l’action mise en ‘uvre à son encontre ne saurait être déclarée prescrite alors qu’elle succède à Mme [B], cette dernière ayant au surplus reconnu sa part de responsabilité.

En réponse aux écritures de la Sci Léa et Alexandre, ils soulignent que faute de conclusions définitives de l’expert, il aurait été hasardeux voir préjudiciable pour eux d’engager toute action en responsabilité et en indemnisation de leur préjudice alors que la cause aurait pu être attribuée à d’autres origines tels les réseaux urbains, la nature des sols, qui par le passé ont déjà été sources de sinistres.’

Par dernières conclusions notifiées le 5 mai 2023,’Mme [E] [L] née [Y], demande à la cour de :

– déclarer irrecevables les demandes formées’par M. et Mme [D],

– débouter la Sci Léa et Alexandre de l’ensemble de ses demandes formées à son encontre,

– confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise,

– condamner solidairement M. et Mme [D] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner solidairement M. et Mme [D] aux entiers dépens.

Elle sollicite la confirmation de l’ordonnance entreprise en alléguant que M. et Mme [D] n’ont jamais interrompu la prescription de leur action à son encontre prise en son nom personnel. Elle expose que l’assignation signifiée à son égard, en son nom personnel, le 26 octobre 2021, est frappée par la prescription, acquise en 2018.

Elle fait valoir que les termes de l’assignation de M. et Mme [D] et du rapport d’expertise que le litige porte manifestement sur l’exercice de servitudes d’eaux pluviales instituées par les articles 640 et 641 du code civil ainsi qu’aux indemnités dues à raison de ces servitudes. Elle estime donc que la demande judiciaire de M. et Mme [D] nécessitait une tentative préalable de conciliation, médiation ou de procédure participative conformément à l’article 750-1 du code de procédure civile, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce et rend leur demande irrecevable.

Elle considère que la demande subsidiaire de la Sci Léa et Alexandre tendant à lui accorder recours et garantie à son égard au titre des frais irrépétibles et des dépens est infondée dans son principe et dans son montant, alors qu’elle n’a commis aucune faute envers eux.

Par dernières conclusions notifiées le 21 avril 2023, la’Sci Léa et Alexandre demande à la cour, au visa des articles 122 et 700 du code de procédure civile, 1240 et 2224 du code civil, de :

– débouter M. et Mme [D] de l’intégralité de leurs demandes,

– confirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

– condamner in solidum M. et Mme [D] au paiement d’une somme de

2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel ainsi qu’aux entiers dépens,

à titre subsidiaire,

– lui accorder recours et garantie à l’égard de Mme [T] et de Mme [L] à hauteur de 1 000 euros chacune et dans la même proportion s’agissant des dépens.’

Pour soutenir que l’action initiée par M. et Mme [D] était prescrite dès le mois de janvier 2018, elle affirme qu’il résulte tant du rapport de M. [X], expert judiciaire, que des déclarations des appelants transcrites dans le procès-verbal de constat de M. [H] du 27 décembre 2013 et dans leur assignation du 25 octobre 2021, qu’ils avaient connaissance des désordres dès le mois de janvier 2013.’

Elle rappelle que l’action en référé expertise introduite par M. et Mme [D] n’a d’effet interruptif qu’à l’égard des seuls défendeurs attraits à la procédure, à savoir M. [L] et Mme [Y], de sorte que les appelants ne bénéficient d’aucun report du point de départ de la prescription.

Elle expose que M. et Mme [D] avaient plusieurs opportunités de régulariser la procédure à l’encontre de leur voisinage d’une part, en sollicitant la communication d’un relevé de propriété auprès des services de la publicité foncière s’ils avaient un doute quant à l’identité des personnes à assigner, et d’autre part, en raison de l’identification de M. [Z] comme le propriétaire d’un bien susceptible d’être concerné.’

Elle indique se joindre à l’argumentaire développé par Mme [Y]-[L], concernant l’irrecevabilité de l’action de M. et Mme [D] tirée de l’absence de tentative préalable de conciliation, de médiation ou de procédure participative.

Elle demande à bénéficier d’une indemnité de procédure au paiement une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.’

À titre subsidiaire, dans l’hypothèse d’une réformation, elle demande, en cas de condamnation in solidum sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile entre Mme [T], la Sci Léa et Alexandre et Mme [Y]-[L] de lui accorder recours et garantie à l’égard de Mme [T] et de Mme [Y]-[L] à hauteur de 1 000 euros à l’égard de chacune. Elle demande que le même recours et la même proportion soient appliqués s’agissant des dépens et ce en vertu des dispositions de l’article 1240 du code civil.

Par dernières conclusions notifiées le 26 avril 2023,’Mme [V] [T] demande à la cour, au visa des articles 12, 16 et 122 du code du procédure civile et 2224 du code civil, de :

– confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a déclaré M. et Mme [D] irrecevables à’agir’contre elle,’en’ce qu’elle les a condamnés à lui payer la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

– condamner solidairement M. et Mme [D] à’lui payer la’somme’de’2 000’euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner solidairement les mêmes aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Josselin Peschiutta sur le fondement des articles 699 et 790 du code de procédure civile,’

– rejeter toutes demandes contraires.

Elle soutient que l’action engagée par M. et Mme [D] est extracontractuelle et relève de la matière des troubles de voisinage. Elle indique qu’aux termes de leur assignation, les appelants avaient connaissance des désordres à l’origine de la procédure début janvier 2013. Or, elle explique qu’ils n’ont exercé aucune action à son encontre.

Elle expose que l’intervention de Mme [B], sans assignation, ni requête, ne constitue d’ailleurs pas une intervention volontaire au sens des articles 328 et suivants du code de procédure civile.’

Elle affirme que le délai de prescription de l’action engagée par M. et Mme [D] a commencé à courir au plus tard le 2 juin 2015, dans la mesure où aux termes d’une note aux parties n°1, il appert que les appelants avaient une connaissance totale avant le dépôt du pré-rapport ou du rapport de l’expert judiciaire, de tous les éléments leur permettant d’agir en justice et de procéder aux mises en cause nécessaires.

Elle allègue que l’article 2224 prévoit une seule hypothèse qui serait la connaissance du droit permettant l’action en justice, alors que l’article 1648 mentionne expressément une seconde hypothèse relative à la date à laquelle le titulaire de l’action aurait dû connaître le droit lui permettant d’agir. Elle estime alors que cette nuance implique nécessairement de ne pas reporter automatiquement, à la demande d’une partie, le point de départ du délai de prescription quinquennale à la date du dépôt du rapport, mais qu’il appartient aux juges du fond de vérifier si les demandeurs ont fait suffisamment preuve de diligences.

Elle précise en l’espèce que M. et Mme [D] ont fait preuve de passivité entre 2015 et 2017 pour mettre en cause Mme [B], de sorte que leur action à son encontre est irrecevable en raison de l’acquisition de la prescription extinctive quinquennale. Si M. et Mme [D] se prévalent de la reconnaissance de responsabilité de Mme [B], ils ne produisent pas les annexes du rapport d’expertise judiciaire, et ce en violation de l’article 16 du code de procédure civile.

En outre, elle maintient que l’action des appelants repose sur les troubles anormaux du voisinage dont le délai de prescription court à compter de la première manifestation des désordres et qu’il appartient alors au juge de requalifier en application de l’article 12 du code de procédure civile.

Elle se joint au moyen d’irrecevabilité soulevé par Mme [Y]-[L], relatif à l’absence de tentative de conciliation préalable, tendant aux mêmes fins.’

Elle sollicite la confirmation de la décision entreprise, si besoin par substitution de motifs, en ce qu’elle a déclaré l’action irrecevable à son encontre et en ce qu’elle a condamné M. et Mme [D] à une indemnité de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens. Elle sollicite une indemnité de même nature en appel.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 10 mai 2023.

MOTIFS

Sur la fin de non-recevoir tiré de la prescription de l’action

Selon l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

La prescription d’une action en responsabilité extracontractuelle court à compter de la manifestation du dommage.

Selon l’article 2241 alinéa 1er la demande en justice, même en référé, interrompt le délaid de prescription ainsi que le délai de forclusion.

L’article 2246 du code civil précise qu’une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire, forment l’interruption civile.

L’article 2250 ajoute que l’interpellation faite au débiteur principal, ou sa reconnaissance, interrompt la prescription contre la caution.

En l’espèce, par acte d’huissier du 23 août 2014, M. et Mme [D] ont fait assigner M. [N] [L], propriétaire d’un immeuble mitoyen du leur à [Localité 16] et Mme [Y], également propriétaire d’un commerce mitoyen qui s’avèrera être celle de la Sci [Y].

Dans l’assignation, ils exposaient avoir constaté en janvier 2013, une humidité anormale au sein de leur habitation par le sol de la cave puis par extension vers les murs pour gagner les pièces de vie notamment la chambre à coucher’; ils ont observé que des écoulements d’eau à proximité de l’arrière de leur propriété en provenance des toits se déversaient dans un regard de façon abondante et dans un puits se trouvant proche de leur domicile, sur le passage appartenant à M. [L].

Ils ont fait dresser un constat d’huissier le 27 décembre 2013 puis ont bénéficié, par leur assureur, d’une expertise amiable avant délivrance de cette assignation. Le cabinet Cyndexia n’a cependant pas identifié les causes de l’humidité constatée.

A la lecture de son rapport du 2 juin 2017, ils ont indiqué à l’expert qu’ils étaient domiciliés dans les lieux depuis 2009 et avaient découvert les dommages en janvier 2013. Le professionnel désigné a établi la liste des propriétaires voisins et visé, outre M. [L] appelé à la procédure, M. [Z] pour les parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 4], Mme [S] pour la parcelle [Cadastre 5], Mme [B] pour la parcelle [Cadastre 6], dans la mesure où ces tiers étaient propriétaires de biens entre lesquels se situait une sente d’accès.

Sans avoir été appelés à la procédure entreprise en référé, Mme [B] et M. [Z] représenté par un agent immobilier, ont participé à une partie des opérations d’expertise.’

L’expert judiciaire a conclu à la fois à des causes imputables à la construction et l’état de l’immeuble de M. et Mme [D] mais également aux voisins, M. [L], Mme [B] et M. [Z] dans son rapport du 2 juin 2017.

– S’agissant de l’action au fond engagée contre Mme [L] le 26 octobre 2021,

Sur des dommages constatés en 2013 sans en connaître les causes, la prescription quinquennale a été interrompue à l’encontre de M. [L] le 23 août 2014 par l’assignation en référé qui lui a été délivrée. Les opérations d’expertise ont permis de dégager les causes de l’humidité anormale supportée par M. et Mme [D] et les remèdes pouvant y être apportés.

Selon l’article 2239 du code civil, la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.

Le dépôt du rapport, fournissant les éléments relatifs aux responsabilités encourues, est intervenu le 2 juin 2017. L’assignation délivrée le 26 octobre 2021 a donc été signifiée dans le délai utile permettant d’échapper à la prescription extinctive.

M. [L] est décédé le [Date décès 8] 2019.

M. et Mme [D] se prévalent des dispositions de l’article 2245 du code civil.

Selon ce texte, l’interpellation faite à l’un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d’exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers. En revanche, l’interpellation faite à l’un des héritiers d’un débiteur solidaire ou la reconnaissance de cet héritier n’interrompt pas le délai de prescription à l’égard des autres cohéritiers, même en cas de créance hypothécaire, si l’obligation est divisible. Cette interpellation ou cette reconnaissance n’interrompt le délai de prescription, à l’égard des autres codébiteurs, que pour la part dont cet héritier est tenu. Pour interrompre le délai de prescription pour le tout, à l’égard des autres codébiteurs, il faut l’interpellation faite à tous les héritiers du débiteur décédé ou la reconnaissance de tous ces héritiers.

Mme [Y]-[L] fait valoir essentiellement que d’une part, les appelants ne démontrent pas qu’elle était propriétaire également de l’immeuble d’habitation du couple, que d’autre part, elle n’a pas été assignée en qualité d’héritière de son mari, les autres successibles n’étant d’ailleurs pas appelé à la procédure.

L’expert a retenu dans son rapport que les parcelles sur lesquelles était implantée la maison d’habitation de M. et Mme [D] appartenaient à M. [L]’: aucun élément du dossier ne permet d’affirmer que Mme [Y]-[L] était également propriétaire des lieux. En revanche, l’acte de notoriété rédigé le 27 janvier 2020 démontre qu’à la date du décès de M. [L], soit le [Date décès 8] 2019, alors que la prescription extinctive n’avait pas opéré, Mme [L] est devenue de plein droit en application des règles successorales propriétaire du quart de la succession de son mari ou usufruitière de la totalité des biens dépendant de la succession.

Mais d’une part, Mme [Y]-[L], venant ainsi aux droits de son époux décédé, ne justifie pas, loyalement, de l’option successorale choisie mais l’une et l’autre sont susceptibles d’entraîner sa responsabilité à l’égard des tiers quant à l’état du bien qu’elle occupe. L’absence d’une action à l’encontre des autres héritiers expose uniquement les appelants à l’inopposabilité de la décision à leur encontre.

D’autre part, par lettre de son conseil, le même avocat que celui de Mme [Y]-[L] dans la présente instance, M. [L] a accepté le 29 mai 2017, en fin d’expertise judiciaire et en réponse au pré-rapport communiqué par l’expert, dès lors en connaissance de cause, s’agissant des travaux à réaliser «’les reprises à réaliser, avec une répartition financière calculée en proportion des surfaces de couverture propre à chacun des propriétaires concernés.’». La reconnaissance de ses obligations par M. [L] engage ses héritiers et dès lors Mme [Y]-[L].

Par ailleurs, la précision, lors de la délivrance de l’assignation, de sa qualité d’héritière en entête de l’acte ne relève pas des mentions obligatoires prévues par le code de procédure civile à peine de nullité. En outre, en toute hypothèse, elle ne fait pas grief dans la mesure où sa qualité est exposée dans le corps de l’exploit d’huissier et correspond aux mentions de l’acte de notoriété versé aux débats par ses soins. Mme [Y]-[L] ne caractérise pas l’existence d’un vice affectant la validité de l’acte délivré de sorte que l’action entreprise à son encontre est recevable.

Mme [Y]-[L] invoque encore le défaut de tentative préalable de conciliation, médiation ou de procédure participative au visa de l’article 750-1 du code de procédure civile.

Ce texte a fait l’objet d’une annulation par décision du Conseil d’État le 22 septembre 2022 pour l’avenir’en ces termes’: «’sous réserve des actions engagées à la date du 22 septembre 2022, les effets produits par l’article 750-1 du code de procédure civile’dans sa rédaction issue de l’article 4 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019’réformant la procédure civile avant son annulation et par les procédures et décisions affectées, entre le 13 décembre 2019 et le 1er janvier 2020, par l’annulation du I de l’article 55 du même décret sont définitifs.’»

Cependant, il n’est pas applicable puisque contrairement à ce qu’allègue l’intimée au visa de l’article R. 211-3-8 du code de l’organisation, l’action engagée par M. et Mme [D] ne se fonde pas sur l’existence d’une servitude légale ou conventionnelle d’écoulement des eaux et les dispositions des articles 640 et suivants du code civil mais sur l’article 1240 du code civil, anciennement 1382 de ce code et pour des montants supérieurs à la somme de 5 000 euros. Elle ne l’est pas davantage sur le trouble anormal de voisinage.

Le moyen soulevé est inopérant.

En définitive, la décision entreprise sera infirmée de ce chef, l’action dirigée contre Mme [Y]-[L] étant déclarée recevable.

– S’agissant de l’action au fond engagée contre Mme [T], propriétaire succédant à Mme [B], par assignation du 26 octobre 2021

Il doit être relevé que Mme [B] n’a jamais été assignée entre l’année de constatation des dommages en 2013 et l’année de délivrance de l’assignation au fond en 2021. Si Mme [B] apparaît factuellement dans les opérations, elle n’était pas partie à la mesure d’instruction, n’a pas été destinataire des premières notes de l’expert, les notes n°1 du 6 mai 2015 et n°2 du 2 juin 2015, n’est pas entrée dans les débats de l’expertise. Aucun acte interruptif de prescription n’a été signifié à son encontre durant 8 ans.

S’il ressort d’une lettre du 24 mai 2017 que Mme [B] a été destinataire du pré-rapport de l’expert du 12 mai 2017 et a indiqué être disposée à régler sa quote-part concernant les chéneaux, elle place cette proposition dans le cadre d’un règlement amiable qui doit intervenir entre les voisins concernés. Cette lettre n’emporte pas une reconnaissance non équivoque d’obligations envers M. et Mme [D] portant sur les dommages subis dans leur immeuble.

Il résulte de la note n° 2 du 2 juin 2015 que l’expert a, de façon explicite, donner des éléments précis sur les responsabilités encourues’tant au stade des constatations qu’au stade de l’analyse, et des remèdes, en ces termes’:

– en page 4, sur l’immeuble de M. et Mme [B], une description de la maison avec positionnement de deux sondages permettant d’analyser les conditions de proximité des immeubles de M. et Mme [D] et du leur’: «’il n’a pas été relevé dans cette construction d’infiltration d’eau provenant des ouvrages de couverture’»’;’

– en page 6, «’- le chéneau situé en limite de propriété

ce chéneau reçoit les eaux recueillies par les ouvrages des couvertures suivants

– la couverture en ardoises des époux [D]

– la couverture en tuiles plates de Monsieur [L]

– la couverture en tuiles plates de Monsieur [Z]

– la couverture en tuiles plates des époux [B]

– l’expert a relevé qu’à une distance de 4,60 mètres à partir de l’extrémité du chéneau (extrémité située du côté de la propriété de la SCI [Y]) il existait sur cet ouvrage une réparation faite sur le chéneau avec des bandes d’étanchéité rapportées’».

Suivent des constatations sur le mauvais état du chéneau notamment sur le chéneau au droit des couvertures des immeubles de M. [L] et de M. et Mme [D].

L’expert procède ensuite à l’examen de’:

«’- les eaux recueillies par le chéneau en limite de propriété

– le chéneau est relié à une seule descente d’eau pluviale

– cette descente d’eaux pluviales est positionnée en extrémité du chéneau du côté de la parcelle de la propriété des époux [B]’».

Suivent des observations sur le réseau de gestion des eaux pluviales de la propriété de Mme [B].

L’expert conclut en page 7 sur les anomalies affectant les couvertures et chéneaux «’des quatre propriétaires différents situés en limite de propriété déversant leurs eaux de pluie dans le chéneau’».

L’expert précise en page 8 qu’«’un acte doit donc être établi et régularisé entre les quatre propriétaire pour préciser les conditions de remplacement et de maintenance du chéneau mitoyen’».

En page 9, il demande que soient établis des devis visant le chéneau mitoyen mais également «’la réfection du versant de couverture en tuiles plates situé du côté de la limite de propriété (propriétés de Monsieur [L], de Monsieur [Z] et des époux [B]’».

Ainsi, dès la production de cette note expertale du 2 juin 2015 faisant suite à la réunion qui s’était tenue sur site le même jour, et sans attendre le dépôt du rapport qui n’interviendra que deux plus ans plus tard, M. et Mme [D] disposaient des éléments factuels et analytiques leur permettant à tout le moins d’assigner en référé, de façon à interrompre le délai de la prescription et à rendre contradictoire les opérations, mais également au fond éventuellement, ne serait-ce que sur la gestion des eaux pluviales, Mme [B], en raison de sa responsabilité pour défaut d’entretien de sa toiture et du chéneau mitoyen à l’origine de dommages pour ses voisins au titre de l’humidité anormale de leur maison d’habitation.

Les recherches complémentaires sur le réseau d’assainissement public engagées postérieurement étaient de nature à nourrir l’analyse des causes du dommage de M. et Mme [D] sans pour autant remettre en cause la part de responsabilité des voisins sur l’entretien de leur bien déjà relevée. De même, le chiffrage des travaux devant être pratiqué imposait la dénonciation de la procédure aux voisins concernés.

Mme [B] a vendu son immeuble à Mme [V] [T], d’évidence, sans viser une éventuelle procédure en cours, le 3 avril 2018. L’information était disponible sur simple demande auprès des services de la publicité foncière.

A défaut d’assignation de la propriétaire initiale du fonds puis de Mme [V] [T] dans le délai de 5 ans à compter du 2 juin 2015, l’action entreprise par M. et Mme [D] est atteinte de prescription extinctive. L’ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu’elle a déclaré l’action irrecevable.

– S’agissant de l’action au fond engagée contre la Sci Léa et Alexandre, propriétaire succédant à M. [Z], par assignation du 26 octobre 2021

L’analyse développée quant à la recevabilité de l’action dirigée contre Mme [T] est la même s’agissant de la Sci Léa et Alexandre.

L’expert ayant, dans sa note du 2 juin 2015, fourni les éléments essentiels des responsabilités encourues, M. et Mme [D] disposaient des données suffisantes pour caractériser les fautes commises dans le défaut d’entretien des toitures et du chéneau commun justifiant la mise en cause, par acte interruptif, de M. [Z] puis de la Sci Léa et Alexandre.

M. [Z] a vendu l’immeuble le 9 juillet 2020 alors que l’action susceptible d’être engagée à son encontre était prescrite depuis le 2 juillet 2020.

L’ordonnance sera dès lors confirmée de ce chef.

Sur les frais de procédure

M. et Mme [D] succombent partiellement en leur appel. Compte tenu de la nature de la décision entreprise relevant de la mise en état et non du fond, de leur intérêt exclusif en l’état à défendre la recevabilité de leur action, ils resteront tenus aux dépens de première instance et solidairement d’appel dont distraction au profit de Me Josselin Peschiutta.

La condamnation aux frais irrépétibles dus à Mme [T] et la Sci Léa et Alexandre sera confirmée.

En cause d’appel, M. et Mme [D] seront condamnés solidairement à leur payer chacun la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. Mme [Y]-[L] sera déboutée de ce chef.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Confirme l’ordonnance entreprise sauf en ce qu’elle a constaté la prescription de l’action engagée par M. et Mme [D] à l’encontre de Mme [E] [Y]-[L] et déclaré irrecevables les demandes formées à son encontre,

Statuant à nouveau de ce chef infirmé et y ajoutant,

Rejette les fins de non-recevoir soulevées par M. [E] [Y]-[L],

Déclare recevables les demandes formées par M. [C] [D] et Mme [K] [D] à l’encontre de Mme [E] [Y]-[L],

Condamne solidairement M. [C] [D] et Mme [K] [D] à payer à Mme [V] [T] d’une part, la Sci Léa et Alexandre d’autre part, chacune, la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties pour le surplus des demandes,

Condamne solidairement M. [C] [D] et Mme [K] [D] aux dépens, dont distraction au profit de Me Josselin Peschiutta.

Le greffier, La présidente de chambre,

 


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