Droits des héritiers : 3 avril 2023 Cour d’appel de Nancy RG n° 22/00908

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Droits des héritiers : 3 avril 2023 Cour d’appel de Nancy RG n° 22/00908

3 avril 2023
Cour d’appel de Nancy
RG n°
22/00908

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D’APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2023 DU 03 AVRIL 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/00908 – N° Portalis DBVR-V-B7G-E6WV

Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de VERDUN,

R.G.n° 19/00193, en date du 03 février 2022,

APPELANT :

Monsieur [I] [O]

né le 20 février 1956 à [Localité 15] (55)

domicilié [Adresse 17]

Représenté par Me Nathalie DEVARENNE ODAERT substituée par Me Vanessa KEYSER de la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST, avocats au barreau de NANCY

INTIMÉE :

Madame [A] [O], épouse [G]

née le 29 août 1961 à [Localité 20] (55)

domiciliée [Adresse 13] (LUXEMBOURG)

Représentée par Me Nadège DUBAUX, avocat au barreau de la MEUSE, substituée par Me Laura LEDERLE, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 31 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Mélina BUQUANT, Conseiller, Présidente d’audience, et Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire, chargée du rapport,

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,

Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,

Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire,

selon ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 4 janvier 2023 ;

A l’issue des débats, le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 27 Mars 2023, en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. Puis, à cette date, le délibéré a été prorogé au 3 Avril 2023.

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 3 Avril 2023, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Madame BUQUANT, Conseiller, et par Madame PERRIN, Greffier ;

EXPOSÉ DU LITIGE :

[E] [O], demeurant à [Localité 24] (Meuse), est décédé le 6 avril 2002, laissant pour lui succéder :

– [Y] [J], son épouse, avec laquelle il était marié sous le régime légal de la communauté de meubles et acquêts et qui était bénéficiaire d’une donation entre époux en date du 2 mars 1994,

– Monsieur [I] [O], son fils,

– Madame [A] [O] épouse [G], sa fille.

[Y] [J], demeurant à [Localité 24] (Meuse), est elle-même décédée le 8 août 2016, laissant pour lui succéder les deux enfants ci-dessus nommés.

Il dépendait notamment de la communauté de biens ayant existé entre les époux :

– sur le territoire de la commune de [Localité 24] (Meuse), un corps de ferme dit ‘[Adresse 18]’, composé de bâtiments d’habitation et d’exploitation agricole, et de terrains agricoles,

– sur le territoire de la commune de [Localité 22] (Meuse), un corps de ferme dit ‘[Adresse 19], composé d’une maison à usage d’habitation, une étable et une écurie, un hangar avec cellier et un second hangar, et des terrains agricoles,

– un cheptel,

– le solde créditeur de divers comptes en banque.

Les héritiers ne se sont pas accordées sur les projets de règlement des successions établis par Maître [B] [P], notaire à [Localité 23].

Par acte d’huissier du 12 juillet 2018, Madame [G] a fait assigner Monsieur [O] devant le tribunal judiciaire de Verdun afin de voir ordonner les opérations de partage des successions de leurs parents.

Par jugement contradictoire du 3 février 2022, le tribunal judiciaire de Verdun a notamment :

– ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des successions de [E] [O] et de [Y] [J] veuve [O], ainsi que de la communauté de bien ayant existée entre eux,

– commis Maître [N] [F], notaire à [Localité 14], pour procéder aux opérations de liquidation partage avec pour mission, conformément aux dispositions de l’article 1368 du code de procédure civile, d’établir l’état liquidatif, les comptes entre les copartageants et la composition des lots,

– désigné en qualité de juge commis Monsieur [T] [L], vice-président du tribunal judiciaire de Verdun,

Préalablement à ces opérations et pour y parvenir,

– ordonné la licitation, par devant Maître [N] [F], notaire à [Localité 14], commis à cet effet, des biens immobiliers suivants sis sur le Territoire de [Localité 22] (Meuse) :

– un corps de ferme dit ‘[Adresse 19] cadastré lieu-dit ‘[Adresse 21]’, cadastré section ZI n° [Cadastre 9], ZI n°[Cadastre 12],

– et les parcelles agricoles cadastrées ZI n° [Cadastre 11], ZI n° [Cadastre 10], ZK n° [Cadastre 2], ZK n° [Cadastre 3], ZK n° [Cadastre 4], ZK n° [Cadastre 5], ZK n° [Cadastre 6], ZK n° [Cadastre 7], ZK n° [Cadastre 8],

le tout sur la mise à prix de 360 000 euros,

– ordonné le partage en nature de l’ensemble des biens immobiliers composant la [Adresse 1] à [Localité 24] (Meuse), en ce compris l’ensemble des terres agricoles, sous forme de deux lots,

– dit qu’il appartiendra au notaire commis d’établir la consistance des lots,

– dit que Monsieur [I] [O] est redevable d’une indemnité pour l’occupation des terres situées à [Localité 22] (Meuse), à compter du 1er janvier 2014, qui sera calculée sur la base de 4,5 quintaux par hectare,

– donné acte à Monsieur [I] [O] de ce qu’il se reconnaît débiteur des fermages, de l’année culturelle 2013/2014 jusqu’à la date du décès de [Y] [J] sur les terres qu’il exploite à [Localité 24] (Meuse) en vertu du bail conclu le 5 décembre 2003,

– dit qu’il appartiendra au notaire commis d’établir le compte des fermages et indemnités d’occupation dûs par Monsieur [I] [O], en retenant d’une part le montant du fermage fixé dans l’acte de bail du 5 décembre 2003 pour les terres situées à [Localité 24] (Meuse), d’autre part le montant de l’indemnité d’occupation due par Monsieur [I] [O] pour les terres situées à [Localité 22] (Meuse), et ce jusqu’au jour du partage, en tenant compte des paiements effectivement réalisés par Monsieur [I] [O],

– débouté Madame [A] [G] née [O] de sa demande tendant à voir condamner Monsieur [I] [O] au paiement d’une indemnité d’occupation de la [Adresse 18] à [Localité 24] (Meuse),

– déclaré prescrite la demande de Monsieur [I] [O] tendant à se voir reconnaître le bénéfice d’une créance de salaire différé dans la succession de [E] [O],

– débouté Monsieur [I] [O] de sa demande tendant à se voir reconnaître le bénéfice d’une créance de salaire différé dans la succession de [Y] [J] veuve [O],

– dit que Monsieur [I] [O] bénéficie d’une créance sur la succession de [Y] [J], au titre des taxes foncières, d’un montant de 9852 euros,

– débouté Monsieur [I] [O] de sa demande tendant à se voir reconnaître une créance sur la succession de [Y] [J] au titre du règlement de factures d’électricité et de fioul,

– dit que Monsieur [I] [O] est débiteur envers la succession de [Y] [J] de la valeur du cheptel bovin composé de 63 animaux,

– dit que Monsieur [I] [O] est débiteur envers la succession de [Y] [J] de la valeur des parts sociales de la coopérative ULM,

– dit qu’il appartiendra au notaire commis de proposer une évaluation du cheptel et des parts sociales et en cas d’impossibilité ou de désaccord des parties sur ces valeurs, de recourir à un expert,

– débouté Madame [A] [G] née [O] de sa demande tendant à voir condamner Monsieur [I] [O] au paiement d’une indemnité au titre du matériel agricole,

– dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

Pour statuer ainsi, le tribunal, après avoir constaté l’accord des parties sur le sort à réserver à l’ensemble des biens immobiliers et statué sur les fermages et indemnités d’occupation dues par Monsieur [O] au titre de l’exploitation des terres agricoles a :

– débouté Madame [G] de sa demande tendant à obtenir une indemnité d’occupation des locaux composant la [Adresse 18] à [Localité 24] (Meuse), faute de preuve d’une impossibilité de droit ou de fait d’user de la chose indivise, du fait d’une occupation exclusive par Monsieur [O], celui-ci justifiant par ailleurs de son déménagement au cours de l’année 2012 pour s’établir à [Localité 16],

– considéré, s’agissant de la créance de salaire différé revendiquée par Monsieur [I] [O], que celui-ci n’établissait pas que sa mère aurait participé de façon effective à la direction de l’entreprise agricole au cours de la période revendiquée et qu’elle aurait ainsi eu la qualité de co-exploitant. Monsieur [O] ne pouvait donc faire valoir sa créance de salaire différé qu’à la succession de son père. Or, cette créance se trouvait prescrite, aucune action en paiement n’ayant été introduite avant l’expiration du délai, soit le 19 juin 2013,

– constaté que Madame [G] acquiesçait à la demande de Monsieur [O] tendant à se voir reconnaître une créance sur la succession de Madame [J] au titre des taxes foncières pour un montant de 9852 euros,

– débouté Monsieur [O] de sa demande tendant à voir dire qu’il bénéficie d’une créance sur la succession au titre de factures d’électricité et de fuel payées par lui pour le compte de sa mère à hauteur de 8500,80 euros en relevant que le contrat d’abonnement avait été souscrit par Monsieur [O] lui-même et non par Madame [J] de sorte que Monsieur [O] était présumé avoir payé une dette qui lui incombait.

– fait droit aux demandes de rapport à succession formées par Madame [G] au titre du cheptel bovin et des droits ULM, mais l’a déboutée en ce qui concerne la valeur du matériel, faute de preuve de son existence.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 14 avril 2022, Monsieur [I] [O] a relevé appel de ce jugement sur les seules dispositions relatives à la créance de salaire différé, à celle relative au paiement des factures d’électricité et de fuel et au rapport à la succession de la valeur du cheptel.

Madame [G] a pour sa part formé appel incident sur les dispositions du jugement relatives à l’indemnité d’occupation de la maison de [Localité 24] et au matériel agricole.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 9 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [I] [O] demande à la cour de :

– infirmer le jugement entrepris l’ayant débouté :

* de sa demande au titre de la créance de salaire différé sur la succession de sa mère,

* de sa demande au titre de sa créance sur la succession de sa mère du chef des consommables pour la somme de 8500,80 euros,

Et statuant à nouveau,

Vu l’article L. 321-13 du code rural,

– dire et juger qu’il est bénéficiaire d’une créance de salaire différé sur la succession de sa mère, notamment pour la période du 1er juillet 1974 au 30 novembre 1975 et du 1er décembre 1976 au 31 décembre 1978, et également du 1er janvier 1989 au 30 avril 2002, de sorte qu’il a le droit à une créance de salaire différé dans la limite de 10 années,

– donner en conséquence pour mission au notaire de calculer ladite créance en fonction du taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance en vigueur au jour de l’acte de partage à intervenir,

– dire que Monsieur [O] bénéficie d’une créance sur la succession de Madame [J] au titre des consommables pour la somme de 8500,80 euros et que le notaire commis devra tenir compte de cette dette successorale, en sus de celle au titre des taxes foncières retenues par les premiers juges pour un montant de 9852 euros,

Et vu les dispositions de l’article 2224 du code civil,

– déclarer prescrite et donc irrecevable la demande formée par Madame [G] concernant le cheptel bovin,

Subsidiairement,

– déclarer sa demande infondée,

Dans tous les cas,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

* dit que Monsieur [O] est débiteur envers la succession de Madame [J] de la valeur du cheptel bovin composé de 63 animaux,

* dit qu’il appartiendra au notaire commis de proposer une évaluation du cheptel et des parts sociales et en cas d’impossibilité ou de désaccord des parties sur ces valeurs, de recourir à un expert,

– confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions,

Statuant sur l’appel incident formé par Madame [G], portant sur les dispositions du jugement ayant :

* débouté celle-ci de sa demande d’indemnité d’occupation pour la maison d’habitation de [Localité 24],

* l’ayant déboutée de sa demande d’indemnité au titre du matériel agricole,

– la déclarer irrecevable et mal fondée en ses demandes,

– confirmer le jugement entrepris de ces chefs de réclamation et déclarer en conséquence l’appel incident infondé,

– condamner Madame [G] à payer à Monsieur [O] la somme de 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– dire que les dépens entreront en frais privilégiés de partage, sauf ceux de mauvaise contestation qui resteront à la charge du contestant.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 19 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [G] demande à la cour de :

– constater que la Cour n’est pas saisie de demandes au titre de la créance de salaire différé et du règlement des consommables,

– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Verdun en date du 3 février 2022 en ce qu’il a :

* débouté Madame [G] de sa demande d’indemnité d’occupation à l’endroit de Monsieur [O] pour la ferme de [Localité 24],

* débouté Madame [G] de sa demande d’indemnité au titre du matériel agricole,

Statuant à nouveau,

– condamner Monsieur [O] à verser une indemnité d’occupation pour la jouissance privative du bien indivis bâtis sis à [Localité 24], [Adresse 18] et ce depuis le 12 juillet 2018,

En conséquence,

– ordonner que le notaire commis procède au calcul de cette indemnité et à son intégration à l’actif des successions,

– condamner Monsieur [O] à rapporter à la succession de Madame [J] la somme de 18232,90 euros au titre du matériel,

– confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions,

– condamner Monsieur [O] à lui verser la somme de 2500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner aux entiers dépens.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 10 janvier 2023.

L’audience de plaidoirie a été fixée le 31 janvier 2023 et le délibéré au 27 mars 2023 et prorogé au 3 avril 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Vu les dernières conclusions déposées par Monsieur [I] [O] le 9 novembre 2022 et par Madame [A] [O] épouse [G] le 19 décembre 2022 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l’article 455 du code de procédure civile ;

Vu la clôture de l’instruction prononcée par ordonnance du 10 janvier 2023 ;

Sur la portée de l’appel formé par Monsieur [I] [O] au titre de la créance de salaire différé et de sa créance au titre des factures d’électricité et de fuel :

L’intimée oppose que la formulation du dispositif des conclusions de l’appelant sur ces deux points en litige ne tend qu’à voir ‘ dire et juger’ ou ‘dire’. Or, ces termes ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 954 du code de procédure civile, mais des rappels de moyens de sorte que la cour n’est saisie d’aucune demande et ne peut donc que confirmer le jugement contesté.

L’article 954 du code de procédure civile dispose notamment que les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune des prétentions est fondée. Elles doivent comprendre un dispositif récapitulant les prétentions, la cour ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif.

Cependant, ces demandes formulées dans le cadre d’un partage successoral ne peuvent tendre qu’à la reconnaissance de l’existence des créances invoquées, dont il incombe à la cour de dire si elle sont ou non fondées, en sorte que le notaire commis soit en mesure de faire le compte entre les héritiers, sans qu’il soit possible de prononcer une condamnation à la charge de l’autre héritier.

Dans cette situation particulière, les prétentions se trouve clairement formulées dans le dispositif des dernières conclusions de l’appelant de sorte que la cour doit statuer.

Sur l’appel principal,

Sur la créance de salaire différé :

Sur les périodes du 1er juillet 1974 au 21 novembre 1975 et du 1er décembre 1976 au 31 décembre 1978 :

Monsieur [O] rappelle à juste raison qu’il a formé cette demande à l’encontre de la succession de sa seule mère.

Ainsi en statuant sur une créance de salaire différé à l’encontre de la succession de [E] [O] pour la déclarer prescrite, le premier juge a excédé la limite de sa saisine.

Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

Préalablement à l’analyse des autres conditions posées par l’article L 321-13 du code rural, il convient en premier lieu d’apprécier si [Y] [O] avait la qualité de co-exploitante de la ferme familiale de [Localité 24] au cours des périodes considérées.

Il résulte du relevé de la Mutualité sociale agricole (pièce 21 de l’intimée) que [Y] [O] a été déclarée en qualité de chef d’exploitation à compter du 1er janvier 1989 et jusqu’au 30 avril 2002. Préalablement, elle était enregistrée en tant que conjointe de l’exploitant.

L’appelant soutient que sa mère, qui n’a jamais eu d’autre activité extérieure, ce qui n’est pas contesté, a toujours partagé la responsabilité de l’exploitation avec son mari.

Ainsi que l’a retenu le premier juge, il incombe à l’appelant de rapporter la preuve d’actes établissant une direction effective, allant au delà d’une simple participation à l’exploitation.

Il se prévaut des pièces n° 10, 16 et 17 produites par l’intimée. Ces pièces se rapportent à des actes de prêt de bail et de donation signés en 1997 et 2003. Or, ces actes sont postérieurs aux périodes considérées ici.

Les témoignages de Monsieur [R] détaille les activités de [Y] [O] sur la ferme, de même que les témoignages de Monsieur [S], de Madame [M] et de Monsieur [V].

Il en résulte que [Y] [O] s’occupait surtout des volailles, des moutons et participait à la fenaison, activités secondaires pour les deux premières et limitée dans le temps pour ce qui est de la troisième, dans une exploitation de 178 hectares et comportant un troupeau de bovins.

En l’absence d’autres éléments de preuve d’une co-exploitation du chef de [Y] [O], l’appelant ne peut se prévaloir d’un contrat de travail qui l’aurait lié à celle-ci.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur la période du 1er juillet 1989 au 30 avril 2002 :

La créance de salaire différé concernant cette dernière période n’a été demandée qu’à hauteur de cour.

Il n’est pas contesté qu’au cours de cette période, [Y] [O] était chef d’exploitation, son mari ayant pris sa retraite anticipée en 1988 pour cause d’ invalidité.

Monsieur [I] [O] était installé depuis le 1er janvier 1979 comme exploitant agricole de la ferme de [Localité 22], qui avait été acquise par ses parents, précisément dans le but de permettre cette installation. Il résulte de la déclaration de succession que cette ferme comporte environ 36 hectares.

L’appelant soutient avoir poursuivi sa participation sur l’exploitation de ses parents après que son père ait pris sa retraite et ce sans contrepartie.

Le fait que l’appelant ait participé habituellement à l’exploitation est corroboré par les différents témoignages ci-dessus cités et celui de Monsieur [C], de Madame [M] et de Monsieur [S] qui concordent pour dire que durant cette période l’appelant s’occupait de la traite, de la conduite du troupeau et des travaux des champs (semis, fenaison, récoltes). Ils en concluent que l’appelant avait dans les faits la responsabilité du bon fonctionnement de cette exploitation.

Il résulte du certificat médical établi le 28 mai 1986 que [E] [O] souffrait des séquelles d’une hernie discale, d’une limitation des mouvements de l’épaule gauche, d’importantes séquelles consécutives à un écrasement de la jambe droite, d’une atteinte sciatique, d’une amyotrophie des releveurs du pied ayant justifié un appareillage et d’une importante limitation de l’articulation du genou. Son incapacité a été évaluée à plus de 66%.

S’il n’est pas exclu qu’il ait pu exercer certaines activités agricoles, celles- ci n’ont pas pu avoir l’intensité que décrivent les témoins [U], [W] et [H] qui expliquent qu’il a travaillé jusqu’à son décès ‘comme si de rien n’était’ en dépit de son handicap.

Compte tenu des activités de [Y] [O] telles que ici dessus décrites et de l’état de santé de [E] [O], il apparaît à l’évidence que seul le travail de Monsieur [I] [O] a pu permettre la poursuite de l’exploitation de la ferme de [Localité 24] au cours de cette période.

La condition de participation effective et directe à l’exploitation posée par l’article L 321-13 du code rural est donc remplie.

Il incombe au demandeur d’une créance de salaire différé de rapporter la preuve de ce que ce travail a été accompli sans avoir reçu de salaire en argent, ni avoir été associé aux bénéfices ou aux pertes.

L’appelant ne fournit aucune déclaration de revenus, ni relevés de comptes bancaires, ni aucun autre élément de preuve de nature à démontrer la réalité de sa situation financière au cours de la période considérée.

Il verse aux débats les témoignages de Messieurs [C], [V] et [R] qui attestent que l’intéressé a, de tout temps, travaillé à titre gratuit sur l’exploitation de ses parents et qu’il avait un train de vie très modeste.

Cependant, sans remettre en cause la sincérité de ces attestations, elles émanent de personnes dont rien n’indique qu’elles auraient eu accès à des éléments objectifs d’information sur les arrangements financiers ou économiques qui ont pu être conclus entre Monsieur [I] [O] et sa mère.

La preuve exigée n’étant pas rapportée, cette demande sera écartée.

Sur la créance revendiquée par Monsieur [O] à l’encontre de la succession au titre de l’électricité et du fuel :

L’appelant fait valoir qu’entre 2013 et 2016 il a réglé les factures d’électricité correspondant à l’habitation de sa mère pour une somme totale de 7900,80 euros ; que si l’abonnement souscrit était bien à son nom, ces dépenses ont été faites pour le compte de sa mère qui, à l’époque considérée résidait seule à la ferme de [Localité 24], l’appelant et son épouse résidant alors à [Adresse 17] depuis 2012. Il ajoute avoir également payé une facture de fuel de 600 euros.

L’intimée oppose qu’en l’absence de mention du local desservi sur les factures, la demande ne peut prospérer et ce d’autant que le corps de ferme de [Localité 24], composé des bâtiments agricoles et de deux appartements, ne comporte qu’un seul compteur. De plus la consommation d’électricité imputée à Madame [J] n’est pas du tout adaptée à son âge et à la composition de son foyer démontrant ainsi que l’électricité n’était pas exclusivement afférente aux besoins de Madame [J] mais aussi aux besoins de l’exploitation de Monsieur [O].

Il est établi par les pièces produites (cf.infra) qu’au cours de la période considérée, Monsieur [O] demeurait bien à [Localité 16] avec son épouse. Il n’est par ailleurs pas contesté que [Y] [O] a résidé seule dans la maison de [Localité 24] jusqu’à son décès et que cette maison ne disposait d’aucun autre compteur d’électricité que celui souscrit au nom de son fils, lequel produit les factures et toutes les justifications de paiement de celles-ci (pièces 48 à 53). L’affirmation selon laquelle ces factures seraient excessives pour une personne seule d’où il y aurait lieu de déduire qu’une partie correspondrait à des charges de l’exploitation agricole, n’est corroborée par aucune pièce.

Il est de même établi que Monsieur [O] a bien réglé une facture de fuel de 600 euros (pièce 87), sans qu’il soit contesté que tel était bien le mode de chauffage de [Y] [O].

Qu’en conséquence, le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la demande concernant le cheptel bovin :

L’appelant fait valoir que la dette invoquée par Madame [G], correspondant au prix de cession d’un cheptel intervenu le 1er janvier 2004, est prescrite en application de l’article 2224 du code civil, puisque plus de cinq années se sont écoulées entre la date d’application de la loi du 17 juin 2008 et la date du décès survenu le 8 août 2016.

L’intimée oppose que sa demande porte sur le rapport d’une dette à la succession, laquelle n’est pas exigible pendant la durée de l’indivision et ne peut se prescrire avant la clôture des opérations de partage.

L’article 865 du code civil dispose en effet que sauf lorsqu’elle est relative aux biens indivis, la créance due à la succession n’est pas exigible avant la clôture des opérations de partage.

Les dispositions de cet article ne trouvent à s’appliquer que pour autant que la dette en cause n’était pas prescrite à l’ouverture de la succession.

En l’espèce, l’intimée produit aux débats quatre factures correspondant à la vente des 63 bovins dont s’agit. Ces factures sont en date du 31 décembre 2003 d’où il suit qu’au jour du décès de [Y] [O] le 8 août 2016, la dette était prescrite depuis le 19 juin 2013.

La demande de ce chef est dès lors irrecevable et le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur l’appel incident,

Sur l’indemnité demandée à Monsieur [I] [O] au titre de l’occupation de la maison d’habitation de [Localité 24] :

Aux termes des dernières conclusions la demande, fondée sur les dispositions de l’article 815-9 du code civil, porte sur la période du 12 juillet 2013 au 12 juillet 2018, date de l’acte introductif d’instance de sorte que cette demande n’est pas prescrite.

Monsieur [O] rappelle à juste titre que sa mère occupait le rez de chaussée de l’immeuble jusqu’à son décès survenu le 8 août 2016, lui-même et son épouse occupant le premier étage ;

Cependant, à compter du 16 février 2012, il a déménagé pour aller résider à [Localité 16], comme le démontrent les factures produites aux débats et le certificat de résidence établi par le maire d'[Localité 16].

Madame [G] ne conteste pas ce fait mais oppose d’une part que Monsieur [O] a bien occupé l’immeuble indivis puisque l’huissier requis a pu constater la présence de courriers récents adressés à Monsieur [O] et d’autre part que l’indemnité est due même en l’absence d’occupation effective des lieux dès lors qu’elle ne peut accéder au bien indivis compte tenu de la pose de nouvelles serrures ainsi qu’il ressort du second constat d’huissier.

La cour relève que l’indivision entre les héritiers n’a débuté qu’à compter du décès de [Y] [J], soit le 8 août 2016, étant précisé que la défunte était bénéficiaire d’une donation entre époux. Aucune indemnité d’occupation ne peut dès lors être due antérieurement à cette date.

Madame [G] n’établit pas qu’entre le 8 août 2016 et le 12 juillet 2018, son frère a usé ou joui privativement de cette maison, quand bien même il y recevait du courrier. Il résulte clairement du constat d’huissier dressé le 6 décembre 2019 et spécialement des photographies que cette maison avait l’aspect d’une bâtisse abandonnée, seule la cuisine et une salle pouvant être considérées comme habitables. L’huissier relève par ailleurs que les fils électriques étaient coupés à l’extérieur. La réalisation de ce constat à la requête de Mme [G] démontre par ailleurs qu’elle a pu avoir accès à cette maison sans difficulté. Ce n’est en effet que lors du second constat d’huissier dressé le 16 décembre 2022, soit hors de la période considérée, qu’il a été établi que les serrures avaient été changées.

Il suit de là que la demande d’indemnité d’occupation n’est pas fondée.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur le rapport d’une dette relative à du matériel agricole :

L’intimée sollicite le rapport à la succession de la somme de 18232,90 euros correspondant à la valeur du matériel détenu par [Y] [J] lequel aurait été cédé à son fils lorsqu’elle a pris sa retraite à la fin de l’année 2003.

L’appelant oppose qu’il n’a pas repris ce matériel car il était obsolète et indique avoir acheté son propre matériel dont il produit les factures.

Pour preuve de l’existence du matériel en cause, l’intimée produit aux débats, un échéancier de crédit Locabail en date du 27 novembre 1997 d’un montant de 190000 francs (soit 28965,31 euros) remboursable en six annuités, la dernière en date du 10 novembre 2003, correspondant à l’achat d’un tracteur ainsi qu’une déclaration de TVA signée par [Y] [O] sur laquelle figure à la première page la mention : ‘ J’ai cessé mon activité le 31 décembre 2003. Mon fils [I] [O] s’engage à poursuivre l’amortissement du bien cédé (ligne 10)’.

Il est ainsi établi que le matériel de culture comprenait bien un tracteur lequel avait été utilisé pendant six ans seulement à la date considérée et a bien été cédé à l’appelant. Cependant la valeur n’en est ni déterminée ni déterminable au regard des documents versés aux débats.

Pour le surplus, il n’est fourni aucun inventaire du matériel considéré.

Madame [G] produit encore une lettre manuscrite en date du 26 décembre 2007 dans laquelle Monsieur [I] [O] reconnaît devoir à sa mère notamment la somme de 18232,90 euros correspondant à la reprise du matériel agricole et s’engage à régler dès que sa situation financière sera plus florissante. Il n’est pas contesté que cette lettre a été écrite par Madame [G] dans le cadre du suivi administratif et comptable qu’elle effectuait pour le compte de sa mère.

Toutefois, la copie produite ne comporte pas la signature de Monsieur [I] [O], de sorte qu’elle ne peut valoir reconnaissance de dette.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Madame [O] épouse [G] de ce chef.

Sur les frais et dépens,

Chacune des parties supportera la charge de ses frais non compris dans les dépens, lesquels seront employés en frais privilégiés de partage.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,

Rejette le moyen tiré de l’absence de saisine de la cour faute de prétentions figurant dans le dispositif des dernières conclusions de Monsieur [I] [O] au titre de sa créance de salaire différé et d’une créance de fourniture d’électricité et de fuel,

Infirme le jugement rendu le 3 février 2022 par le tribunal judiciaire de Verdun en ce qu’il a :

– déclaré prescrite la demande de Monsieur [I] [O] tendant à se voir reconnaître une créance de salaire différé dans la succession de [E] [O],

– débouté Monsieur [I] [O] de sa demande rendant à lui voir reconnaître une créance de 8500,80 euros sur la succession de [Y] [J] veuve [O] au titre de factures d’électricité et de fuel,

– dit que Monsieur [I] [O] est débiteur envers la succession de [Y] [J] veuve [O] de la valeur du cheptel bovin composé de 63 animaux ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Dit n’y avoir lieu à statuer sur une créance de salaire différé de Monsieur [I] [O] sur la succession de [E] [O] faute de demande en ce sens,

Déclare irrecevable la demande de Madame [A] [O] épouse [G] tendant au rapport à la succession de la valeur du cheptel bovin,

Dit que Monsieur [I] [O] est créancier de la succession de [Y] [J] veuve [O] à hauteur de la somme de 8500,80 euros (HUIT MILLE CINQ CENTS EUROS ET QUATRE-VINGT CENTIMES) au titre de factures d’électricité et de fuel,

Confirme le jugement en cause pour le surplus des chefs de demandes soumis à la cour.

Y ajoutant,

Déboute Monsieur [I] [O] de sa demande de salaire différé pour la période du 1er janvier 1989 au 30 avril 2002,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens de première instance et d’appel seront employés en frais privilégiés de partage.

Le présent arrêt a été signé par Madame BUQUANT, Conseiller à la Cour d’Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.- Signé : M. BUQUANT.-

Minute en treize pages.

 


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