Droits des héritiers : 26 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/15098

·

·

Droits des héritiers : 26 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/15098

26 juin 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/15098

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 10

ARRÊT DU 26 JUIN 2023

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/15098 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEHQL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Mai 2021 -TJ de PARIS RG n° 19/12689

APPELANTS

Monsieur [W] [I]

Domicilié [Adresse 3]

[Localité 5]

né le 02 Février 1964 à [Localité 10]

Représenté par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

et de Me Anne-Sophie SARRAZIN de la FIDAL avocat plaidant

Monsieur [Y] [I]

Domicilié [Adresse 2]

[Localité 7]

né le 04 Avril 1965 à [Localité 10]

Représenté par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

et de Me Anne-Sophie SARRAZIN de la FIDAL avocat plaidant

Monsieur [V] [I]

Domicilié [Adresse 4]

[Localité 7]

né le 02 Février 1969 à [Localité 10]

Représenté par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

et de Me Anne-Sophie SARRAZIN de la FIDAL avocat plaidant

INTIME

LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D’ILE DE FRANCE Le Directeur Régional des Finances Publiques d’Ile de France et du département de Paris qui élit domicile en ses bureaux du Pôle Fiscal Parisien 1, Pôle Juridictionnel Judiciaire, situés

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Guillaume MIGAUD de la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL AVOCATS E.BOCCALINI & MIGAUD, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC430

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 13 Mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Edouard LOOS, Président

Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente

Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Jacques LE VAILLANT, conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Edouard LOOS, Président et par Sylvie MOLLÉ, Greffier présent lors du prononcé.

FAITS ET PROCEDURE

[X] [I], décédé le 10 février 2013, a laissé pour lui succéder ses trois enfants, messieurs [W], [Y] et [V] [I] (ci-après collectivement désignés ‘les consorts [I]’).

A l’actif de la déclaration principale de succession, déposée le 12 novembre 2013, figurent des bois et forêts correspondant à diverses parcelles situées à [Localité 9] et [Localité 11] (Sarthe).

Un acompte à valoir sur les droits de succession a été versé par les consorts [I] à concurrence de 676 329 euros le 28 août 2013.

Par acte notarié du 12 septembre 2013, les consorts [I] ont constitué le Groupement forestier des bois de Montabon, auquel ils ont chacun fait l’apport en nature, en pleine propriété, des parcelles forestières qu’ils avaient reçues par succession de leur père.

Le 19 décembre 2016, l’administration fiscale a redressé l’assiette des actifs taxables par réintégration des trois-quarts de la valeur des parts de ces bois et forêts, qui avait été déclarée à concurrence du quart en application de l’article 793-2 2° du code général des impôts, au motif que l’exonération partielle est notamment subordonnée à la faculté qui lui est laissée d’inscrire une hypothèque légale garantissant le paiement de droits supplémentaires dans les conditions prévues à l’article 1929-3 du code général des impôts exigibles si l’engagement de développement durable de la forêt n’était pas respecté, et que le service de la publicité foncière de [Localité 8] ( Sarthe) a rejeté le 29 août 2014 l’inscription d’une hypothèque légale.

L’avis de mise en recouvrement a été émis le 29 mars 2019, pour chacun des héritiers, pour un total respectif de 61 471 euros, dont 52 992 euros de droits et 8 479 euros d’intérêts moratoires, contre lequel ils réclamèrent en vain.

Le conciliateur fiscal de [Localité 10], saisi par les consorts [I] le 8 octobre 2019, a accordé le dégrèvement des intérêts de retard par décision du 13 novembre 2019.

Préalablement, par acte en date du 31 octobre 2019, les consorts [I] ont fait assigner l’administration fiscale devant le tribunal de grande instance de Paris afin d’obtenir la décharge de l’imposition supplémentaire.

Par jugement rendu le 6 mai 2021, le tribunal judiciaire de Paris a statué comme suit :

‘- Déboute Monsieur [W] [I], Monsieur [Y] [I] et Monsieur [V] [I] de l’ensemble de leurs prétentions ;

– Les condamne aux dépens.’

Par déclaration du 30 juillet 2021, les consorts [I] ont interjeté appel du jugement.

Par dernières conclusions notifiées le 17 février 2022, les consorts [I] demandent à la cour de :

‘Vu les articles 1er et 1649-0 A du code général des impôts ; Vu l’article 700 du code de procédure civile,

– Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 6 mai 2021, en toutes les dispositions déboutant les consorts [I] de leurs demandes ;

Par conséquent, statuant à nouveau :

Dire et juger que :

– En application des dispositions de l’article 793-2-2° du code général des impôts (en vigueur au moment des faits), la faculté d’inscrire une hypothèque n’était pas une condition de validité permettant de bénéficier de l’exonération prévue par cet article ;

– L’administration fiscale a eu connaissance de la qualité de propriétaire des consorts [I] dès l’enregistrement de l’attestation immobilière, soit le 16 juillet 2013 ;

– La déclaration de succession provisoire et à parfaire déposée par les consorts [I], le 28 août 2013, a été effectuée avant l’apport des bois et forêts au groupement foncier, de sorte que l’administration était en mesure d’inscrire une hypothèque dans les conditions requises par l’article 793 du code général des impôts, et ce à compter de l’enregistrement de l’attestation immobilière du 16 juillet 2013 ;

– L’administration disposait de la faculté d’inscrire une hypothèque même en l’absence de titre exécutoire ;

– L’apport des bois et forêts au groupement foncier ne faisait pas obstacle à l’inscription d’une hypothèque sur les biens immobiliers visés ;

– Le Trésor Public n’a subi aucun préjudice du fait de l’application stricte des dispositions de l’article 793 du code général des impôts permettant le bénéfice d’une exonération partielle des droits de succession relatifs aux bois et forêts ;

En conséquence :

– Prononcer la décharge d’imposition et des pénalités contestées ;

– Condamner la partie adverse à rembourser au requérant les dépens mentionnés à l’article R207-1 du livre des procédures fiscales, ainsi que, au titre de l’article 700 du code de procédure civile une somme de 7 000 euros, représentant les frais non compris dans les dépens ;

– Condamner l’administration aux dépens d’instance dont le montant pourra être recouvré par Maître Jacques Bellichach, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.’

Par dernières conclusions notifiées le 19 janvier 2022, le Directeur Régional des Finances Publiques d’Ile-de-France et de [Localité 10] demande à la cour de :

‘- Déclarer les consorts [I] mal fondé en leur appel ;

– Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris (chambre 9 section 3) le 6 mai 2021;

– Confirmer les rappels effectués par l’administration ;

– Débouter les consorts [I] de leurs demandes y compris sur la condamnation au versement de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner les consorts [I] à tous les dépens d’appel.’

MOTIFS DE LA DÉCISION

1.- Sur l’absence de subordination de l’exonération fiscale à la faculté de l’administration d’inscrire une hypothèque

Enoncé des moyens

Les consorts [I] soutiennent, au visa de l’article 793-2-2° du code général des impôts, que les rehaussements effectués ne sont pas fondés aux motifs que les conditions permettant de bénéficier de l’exonération fiscale sont respectées. Les dispositions de l’article visé ne soumettent pas l’exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit à la faculté pour le Trésor public d’inscrire une hypothèque légale sur les biens immobiliers transmis en garantie du paiement de droits complémentaires et supplémentaires éventuellement exigibles dès lors qu’aucune référence n’est faite à l’article 1840 G et au point 3 de l’article 1929 du code général des impôts. Ils soulignent que cette condition n’est plus prévue par l’article 793-2-2° du code général des impôts depuis le 31 mars 2002, la jurisprudence ainsi que la doctrine fiscale relatives à l’application des anciennes dispositions de l’article 793-2-2° du dit code étant désormais caduques.

L’administration fiscale soutient en revanche, au visa des articles 793-2-2° et 1929-3 du code général des impôts, que les rehaussements effectués sont fondés aux motifs que les conditions permettant de bénéficier de l’exonération ne sont pas respectées. Elle fait valoir que l’exonération litigieuse est subordonnée à l’inscription d’une hypothèque légale sur les biens, objets de la mutation, dès lors que cette hypothèque a pour but de garantir le montant des droits complémentaires et supplémentaires exigibles en cas de déchéance du régime de faveur, la nouvelle rédaction de l’article 793-2-2° étant sans conséquence sur l’application de cette condition. L’administration fiscale considère qu’en l’espèce, le service de publicité foncière ayant rejeté la demande d’inscription de l’hypothèque légale du Trésor public, les requérants ne remplissent pas les conditions permettant de bénéficier de l’exonération en cause.

Réponse de la cour

L’article 793 paragraphe 2 2° du code général des impôts, pris dans sa version en vigueur au jour du fait générateur des droits de succession en litige, soit la date du décès de [X] [I] le 10 février 2013, dispose que :

‘Sont exonérés des droits de mutation à titre gratuit :

(…)

2. 1° (Abrogé) ;

2° les successions et donations entre vifs, à concurrence des trois-quarts de leur montant, intéressant les propriétés en nature de bois et forêts, à la condition ;

a. que l’acte constatant la donation ou la déclaration de succession soit appuyé d’un certificat délivré sans frais par le directeur départemental des territoires ou le directeur départemental des territoires et de la mer attestant que les bois et forêts sont susceptibles de présenter une des garanties de gestion durable prévues à l’article L. 8 du code forestier;

b. qu’il contienne l’engagement par l’héritier, le légataire ou le donataire, pris pour lui et ses ayants cause :

-soit d’appliquer pendant trente ans aux bois et forêts objets de la mutation l’une des garanties de gestion durable prévues à l’article L. 8 dudit code ;

-soit lorsque, au moment de la mutation, aucune garantie de gestion durable n’est appliquée aux bois et forêts en cause, de présenter dans le délai de trois ans à compter de la mutation et d’appliquer jusqu’à l’expiration du délai de trente ans précité une telle garantie. Dans cette situation, le bénéficiaire s’engage en outre à appliquer le régime d’exploitation normale prévu au décret du 28 juin 1930 aux bois et forêts pendant le délai nécessaire à la présentation de l’une des garanties de gestion durable.

(…)’.

La loi fiscale est d’application et d’interprétation stricte.

Le texte susvisé ne soumet le bénéfice de l’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit, en opérant une réduction des trois quart de l’assiette de l’impôt, qu’à une seule condition, expressément énoncée comme unique par l’emploi de l’article défini singulier ( ‘à la condition’).

Cette condition est celle de la remise par les héritiers de propriétés en nature de bois et forêts de d’une attestation certifiant de la possibilité de leur exploitation durable selon une ou plusieurs des garanties prévues à l’article L. 8 du code forestier et de la souscription de l’engagement par ces derniers d’appliquer à ces propriétés de bois et forêts l’une des garanties de gestion durable.

Le texte susvisé ne contient aucune référence aux articles 1840 G bis et 1929 point 3 du code général des impôts et n’érige donc, ni directement ni par renvoi exprès à ces textes, le bénéfice de l’exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit à la possibilité pour le Trésor public d’inscrire sur les propriétés transmises une hypothèque légale en garantie du paiement de droits complémentaires et supplémentaires susceptibles de devenir exigibles.

Cette condition a certes été expressément posée par l’article 793 paragraphe 2 2° du code général des impôts dans sa version en vigueur jusqu’au 31 mars 2002 puisque cet article disposait jusqu’alors ce qui suit : ‘Sont exonérés des droits de mutation à titre gratuit :

2. 1° (Abrogé) ;

2° les successions et donations entre vifs, à concurrence des trois-quarts de leur montant, intéressant les propriétés en nature de bois et forêts, à condition que soient appliquées les dispositions prévues au 3° du 1 du présent article, aux II et III de l’article 1840 G bis et au 3 de l’article 1929 ;

(…)’.

Toutefois, cette version n’était plus en vigueur au jour du fait générateur des droits de mutation à titre gratuit qui sont l’objet du présent litige.

La référence faite par l’administration fiscale aux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation des 16 juillet 1982, 27 mars 1984 et 18 juin 1991 qui, au visa de l’article 793 point 2 2°, ont cassé pour violation de la loi les décisions qui lui étaient soumises au motif que ce texte subordonnait le bénéfice de l’exonération fiscale à la faculté laissée à l’administration d’inscrire l’hypothèque prévue à l’article 1929-3 du code général des impôts sur les biens immobiliers transmis par succession, n’est donc pas pertinente, le texte appliqué ayant été ultérieurement modifié pour poser une condition différente et sans lien avec celle que devaient satisfaire les contribuables dans les affaires précitées.

Pour ce motif également, la doctrine administrative, publiée sous la référence BOI-ENG-DMTG -10-20-30-10-20190502 paragraphe 50- qui, par référence à l’arrêt de la Cour de cassation du 27 mars 1984, énonce toujours que l’exonération partielle de droits de mutation est subordonnée à la possibilité pour le Trésor public d’inscrire une hypothèque légale sur les biens transmis, est sans objet à présent.

En effet, la doctrine administrative, qui ne peut ajouter à une mesure de faveur fiscale des conditions d’application que texte qui l’édicte ne prévoit pas, est caduque sur ce point puisque la référence qu’elle fait à l’arrêt de la Cour de cassation du 27 mars 1984 n’opère un renvoi qu’à l’application en jurisprudence d’un texte qui n’est plus en vigueur.

Par suite, les premiers juges ont retenu à tort que le bénéfice de l’exonération de droits de mutation prévue à l’article 793 paragraphe 2 2° du code général des impôts est subordonnée à la possibilité pour le Trésor public d’inscrire l’hypothèque prévue à l’article 1929 paragraphe 3 du code général des impôts.

Il n’est pas contesté que les consorts [I] ont satisfait à la condition posée à présent par l’article 793 paragraphe 2 2° du code général des impôts au jour du fait générateur de l’impôt.

En conséquence, le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions et la décharge totale des droits d’enregistrement et intérêts de retard mis à la charge de chaque héritier de [X] [I] par avis de mise en recouvrement en date du 29 mars 2019 sera prononcée.

2.- Sur les frais du procès

Partie perdante au procès, l’Etat, représenté par le directeur régional des finances publiques d’Ile de France et de [Localité 10] sera condamné aux dépens de première instance mentionnés à l’article R*207-1 du livre des procédures fiscales et aux dépens d’appel, dont distraction, pour ces derniers, au profit de Maître Jacques Bellichach, avocat au barreau de Paris, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Il sera également condamné à payer la somme totale de 3 000 euros aux consorts [I] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

PRONONCE la décharge totale des droits de mutation à titre gratuit et intérêts de retard mis à la charge de M. [W] [I], M. [Y] [I] et M. [V] [I] par avis de mise en recouvrement en date du 29 mars 2019,

Y ajoutant :

CONDAMNE l’Etat aux dépens de première instance mentionnés à l’article R*207-1 du livre des procédures fiscales,

CONDAMNE l’Etat aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Maître Jacques Bellichach, avocat au barreau de Paris, en application de l’article 699 du code de procédure civile,

CONDAMNE l’Etat à payer la somme totale de 3 000,00 euros à M. [W] [I], M. [Y] [I] et M. [V] [I], pris ensemble, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

S.MOLLÉ E.LOOS

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x