Droits des héritiers : 23 mai 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 21/01587

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Droits des héritiers : 23 mai 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 21/01587

23 mai 2023
Cour d’appel de Metz
RG n°
21/01587

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 21/01587 – N° Portalis DBVS-V-B7F-FQ24

Minute n° 23/00129

[U] EPOUSE [R]

C/

Association LIGUE NATIONALE CONTRE LE CANCER, S.A. SOGECAP, S.A. SOCIETE GENERALE

Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de METZ, décision attaquée en date du 03 Juin 2021, enregistrée sous le n° 20/00256

COUR D’APPEL DE METZ

1ère CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 23 MAI 2023

APPELANTE :

Madame [X] [U] épouse [R]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Yves ROULLEAUX, avocat au barreau de METZ

INTIMÉES :

Association LIGUE NATIONALE CONTRE LE CANCER, représentée par son représentant légal

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Laure-anne BAI-MATHIS, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Anne GEORGEON, avocat plaidant au barreau de PARIS

S.A. SOGECAP, représentée par son représentant légal

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Stéphane FARAVARI, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Jefferson LARUE, avocat plaidant au barreau de PARIS substitué par Me Sarah Boukersi, avocat plaidant au barreau de PARIS lors de la plaidoire

S.A. SOCIETE GENERALE , représentée par représentant légal

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Gilles ROZENEK, avocat au barreau de METZ

DATE DES DÉBATS : A l’audience publique du 10 Janvier 2023 tenue par Madame Laurence FOURNEL, Magistrat rapporteur, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés et en a rendu compte à la cour dans son délibéré, pour l’arrêt être rendu le 23 Mai 2023, en application de l’article 450 alinéa 3 du code de procédure civile

GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Cindy NONDIER

COMPOSITION DE LA COUR:

PRÉSIDENT : Mme FLORES, Présidente de Chambre

ASSESSEURS : Mme FOURNEL,Conseillère

Mme BIRONNEAU, Conseillère

ARRÊT : Contradictoire, en dernier ressort

Rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme FLORES, Présidente de Chambre et par Mme NONDIER, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Mme [X] [U] épouse [R] est la fille unique de [Z] [T], décédée à [Localité 6] le 03 octobre 2019.

De son vivant [Z] [T] avait souscrit, le 06 février 2009, un contrat d’assurance vie « Séquoia »« n°216/66955840 » auprès de la SA Sogecap, en désignant comme bénéficiaire l’association Ligue nationale contre le cancer. Au total, la somme de 274 800 euros a été versée par la défunte sur le contrat Séquoia entre 2009 et 2011.

A la date du décès de [Z] [T], le montant total du capital-décès figurant au contrat s’élevait à 332.359,01 €.

Le 06 novembre 2019, Mme [U] a écrit à la SA Société générale par le biais de son conseil aux fins de solliciter le blocage des fonds.

Cette dernière a indiqué à Mme [U] qu’à défaut d’action judiciaire, elle procéderait au versement des fonds litigieux au profit de l’association Ligue nationale contre le cancer.

Par actes d’huissiers signifiés le 17 et 22 janvier 2020, Mme [U] a assigné l’association Ligue contre le cancer, la SA Sogecap ainsi que la SA Société générale, devant la première chambre civile du tribunal judiciaire de Metz aux fins de voir réintégrer une partie des primes destinées à l’association dans la succession de sa défunte mère.

Mme [U] se prévalait du caractère manifestement exagéré des primes versées tel qu’envisagé par l’article L. 132-13 alinéa 2 du code des assurances, et la Ligue contre le cancer défendait la position inverse.

Par jugement du 03 juin 2021, le tribunal judiciaire de Metz a :

débouté Mme [U] de sa demande de réduction des primes versées par [Z] [T] sur un contrat collectif d’assurance sur la vie « Séquoia n°216/66955840 » de la société Sogecap formée à hauteur de 168 429,50 euros, de réintégration de primes pour ce même montant et d’injonction sollicitée à l’encontre des sociétés Sogecap et Société générale ;

condamné Mme [U] aux dépens, ainsi qu’à régler à l’association Ligue nationale contre le cancer prise en la personne de son représentant légal une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

débouté Mme [U] de sa demande formée en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

rappelé que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Pour statuer ainsi, le tribunal a examiné la pertinence des versements effectués au regard de la situation familiale et patrimoniale de [Z] [T], ainsi qu’au regard de son état de santé au moment de la souscription et de l’utilité que présentait pour elle le contrat.

Il a retenu que [Z] [T] ne s’était jamais retrouvée dans le besoin au moment des différents versements qu’elle a opérés. Son train de vie, qui était celui d’une personne de 73 à 75 ans, même s’il était modeste, n’apparaissait néanmoins nullement contraint ni a fortiori obéré en raison des placements sur le contrat Sogecap d’autant que la demanderesse ne démontrait pas que [Z] [T] aurait prélevé même une seule fois des fonds sur son contrat d’assurance-vie alors que les sommes lui étaient disponibles.

Le tribunal a donc considéré que l’absence de recours à ces fonds infirmait l’argumentation de la demanderesse et établissait à l’inverse que [Z] [T] n’était pas, contrairement à ce qui est prétendu, dans un état de précarité financière et que les primes du contrat provenant de remplois d’économies n’étaient pas exagérées eu égard à ses facultés au moment de chaque versement.

Quant à l’état de santé de [Z] [T] le tribunal a estimé que, si celle-ci avait été antérieurement atteinte d’un cancer, l’opération qu’elle avait subie était ancienne et qu’il n’apparaissait pas que son pronostic vital ait été engagé au moment de la souscription du contrat, ou au moment des versements, [Z] [T] ayant d’ailleurs vécu au-delà du terme de 8 ans prévu pour le contrat.

Il a estimé également que ce contrat, qui réservait une faculté de rachat à Mme [U] en tout ou partie, était utile à la souscriptrice puisque lui permettant de financer ses dépenses de vie ou de fin de vie.

Enfin le tribunal a estimé que la durée importante s’étant écoulée entre le dernier versement opéré et le décès de [Z] [T], n’accréditait pas l’hypothèse d’un placement destiné à contourner les règles du droit successoral.

Par déclaration du 22 juin 2021, Mme [U] épouse [R] a interjeté appel de la décision du tribunal judiciaire de Metz, aux fins d’annulation et subsidiairement d’infirmation du jugement en ce qu’il a débouté Mme [U] épouse [R] de ses demandes tendant à voir : – réduire les primes versées par [Z] [T] sur un contrat collectif d’assurance sur la vie « SEQUOIA n°216/6695584 0 » de la société Sogecap, avec comme bénéficiaire la ligue contre le cancer et ce, à hauteur de la moitié des versements soit 168 429,50 euros ; – réintégrer lesdites primes manifestement excessives à hauteur de 168 429,50 euros dans la succession de [Z] [T] ; – enjoindre à la société Sogecap et à la Société Générale de verser la somme de 168 49,50 euro à la date de succession de [Z] [T] ; – condamner la ligue contre le cancer aux dépens ainsi qu’à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; – l’infirmation du jugement est également poursuivie en ce qu’il a condamné Mme [U] épouse [R] aux dépens ainsi qu’à payer à la ligue nationale contre le cancer une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par ses dernières conclusions du 03 juin 2022, Mme [U] épouse [R] demande à la cour de :

« Recevoir l’appel de Madame [U] et le dire bien fondé.

Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Madame [U] de sa demande de réduction des primes versées par Madame [T] sur le contrat d’assurance-vie à hauteur de 168.429,50 €, de réintégration de primes pour ce même montant et d’injonction sollicitée à l’encontre des Sociétés Sogecap et Société Générale et l’a condamnée aux dépens, ainsi qu’à régler à l’Association Ligue nationale contre le cancer la somme de 1.500 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

Et, statuant à nouveau de ces chefs,

Juger que les versements de primes intervenus sur le contrat d’assurance-vie de Madame [T] étaient manifestement exagérés.

En conséquence,

Réduire les primes versées sur le contrat d’assurance-vie à hauteur de 137.400 €, soit la moitié des versements effectués par Madame [T].

Ordonner la réintégration de cette somme de 137.400 € dans la succession de Madame [T].

Enjoindre à Sogecap et à la Société Générale de verser la somme de 137.400 € à la succession de Madame [T].

Condamner l’Association Ligue nationale contre le cancer à verser à Madame [U] la somme de 5.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile, outre les dépens de 1ère instance et d’appel ».

A l’appui de son appel Mme [U] fait valoir, en se référant aux dispositions de l’article L. 132-13 du code des assurances, que le montant total des primes versées par sa mère était manifestement exagéré au regard de ses facultés financières, puisque ces primes ont représenté près de 90 % du patrimoine de la défunte.

Elle fait valoir que les revenus mensuels de sa mère étaient extrêmement modiques, ce dont elle justifie par la production des avis d’imposition de [Z] [T] pour les années contemporaines des versements, et ajoute qu’à la même époque les soldes de ses différents livrets d’épargne étaient presque nuls.

Elle considère que Mme [T] avait placé la totalité de ses économies sur ce contrat, dont les primes représentaient un montant exorbitant, sans rapport avec sa situation de fortune, dans le seul but d’exhéréder sa fille.

Quant à l’appartement acquis par sa mère en 2008 au prix de 75.000 €, Mme [U] fait observer que [Z] [T] l’a revendu en 2015 pour la modique somme de 25.000 € dont 21.763,57 € lui revenant ce qui ne remet pas en cause l’absence de proportionnalité entre le montant des primes versées et la situation de fortune de sa mère.

Par ses dernières conclusions du 13 décembre 2021, la Ligue nationale contre le cancer demande à la cour de :

« Débouter l’ensemble des demandes de Mme [U], plus amples ou contraire ;

En conséquence,

Confirmer en toutes ses dispositions de la décision dont appel ;

condamner Mme [U] à payer à la ligue contre le cancer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ».

La Ligue nationale contre le cancer réplique, au regard des dispositions de l’article L. 132-13 alinéa 2 du code des assurances, qu’il appartient à Mme [U] de faire la preuve du caractère manifestement exagéré des primes versées, lequel s’apprécie au moment de leur versement.

Elle estime que les documents produits par Mme [U] ne sont pas révélateurs de la réalité du patrimoine de [Z] [T] au moment des versements litigieux, puisque Mme [U] produit des extraits de compte postérieurs à la plupart des versements, et qu’en outre il apparaît que [Z] [T] disposait, avant le dernier versement, d’une somme de 130.000 €, preuve de l’existence d’une épargne.

Elle en conclut que les relevés versés aux débats ne prouvent pas que Mme [U] n’aurait pas disposé de liquidités autres, lors des versements effectués.

Elle ajoute que le support d’un contrat d’assurance vie était plus rémunérateur qu’un livret d’épargne, et que les fonds placés par [Z] [T] restaient disponibles sur simple demandes, de sorte que ces placements avaient pour elle un caractère utile, lui permettant de faire fructifier son épargne sans qu’elle soit bloquée.

Quant aux ressources de la défunte, la Ligue nationale contre le cancer fait valoir qu’en sus de ses pensions de retraite [Z] [T] disposait d’aides sociales, et était propriétaire de sa maison achetée en 2008 et revendue en 2015. Elle ajoute qu’il n’existait aucune dette à l’ouverture de la succession, preuve que les ressources dont disposait [Z] [T] lui suffisaient pour vivre correctement.

Elle observe encore que le produit de la revente du bien immobilier en 2015 se retrouvait encore dans l’actif successoral en 2019, preuve que son train de vie n’était ni contraint ni obéré par les placements.

Par conclusions déposées le 26 octobre 2021 la SA Société générale demande à la cour de :

« donner acte à la SA Société Générale qu’elle s’en remet à justice sur les mérites de l’appel ;

En tout cas,

débouter Mme [U] de sa demande en injonction de versement de la somme de 137 400 euros à la succession de [Z] [T] épouse [U], en tant que dirigée contre la SA Société Générale ;

condamne Mme [U] aux entiers dépens, ainsi qu’au règlement d’une somme de 2 000 euros au visa des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ».

L’intimée expose que tout comme devant le tribunal, elle s’en remet à la justice sur les mérites de l’appel, tout en précisant qu’il appartiendra en tout état de cause à la compagnie d’assurance Sogecap cocontractante de [Z] [T] de procéder alors au règlement.

Par conclusions déposées le 21 décembre 2021, la SA Sogecap demande à la cour de:

« donner acte à la société Sogecap de ce qu’elle s’en rapporte à juste concernant la demande de réintégration de la somme de 137 400 euros à la succession de [Z] [T] ;

condamner Mme [U] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens d’instance et d’appel ».

Sur la demande de réintégration des primes à la succession de l’assurée, l’intimée rappelle que dans l’hypothèse où la cour infirmerait le jugement attaqué et jugerait que les primes versées étaient manifestement excessives ce sont les primes et non les capitaux-décès qui seraient éventuellement rapportables. L’intimée fait valoir que les primes manifestement excessives sont celles qui revêtent un caractère excessif au regard des facultés de l’assuré et qui conduisent à son appauvrissement. L’intimée fait sienne des motivations du jugement de première instance mais déclare néanmoins s’en rapporter à justice s’agissant de la demande de réintégration de la somme de 137 400 euros à la succession de l’assurée.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément référé aux conclusions précitées pour un plus ample exposé des moyens et arguments des parties.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 08 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes de l’article L. 132-13 du code des assurances, le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant.

Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

Le caractère manifestement exagéré des primes versées s’apprécie au moment du versement de celles-ci, au regard de l’âge du souscripteur, de sa situation patrimoniale et familiale, et de l’utilité du contrat pour ce dernier.

S’agissant de primes ayant bénéficié, non pas à un héritier mais à un tiers à la succession, il convient également de vérifier si ces versements ont porté atteinte à la réserve héréditaire.

Il appartient à Mme [U] qui s’en prévaut, d’apporter la preuve de ce que les primes étaient manifestement exagérée au moment de leur versement.

En l’espèce, il résulte des pièces produites aux débats que [Z] [T], née le 11 décembre 1935, a signé une demande d’adhésion à un contrat d’assurance vie « Séquoia » le 06 février 2009 en désignant comme bénéficiaire en cas de décès de l’assurée avant le terme du contrat, la Ligue contre le cancer. La durée d’adhésion prévue était de huit ans, la périodicité des versements et des rachats était stipulée libre et Mme [T] a versé lors de son adhésion une somme de 47.800€.

Elle a peu de temps après, le 23 avril 2009, versé un second montant de 70.000 €, le total versé atteignant alors 117.800 €.

Elle versait encore les sommes de 14.500 € le 30 juillet 2010 et celle de 12.500 € le 19 octobre 2010 de sorte que le total des sommes versées au contrat atteignait alors 144.800 €.

Enfin le 03 mai 2011 [Z] [T] effectuait un dernier versement de 130.000 €, provenant lui-même d’un précédent contrat ouvert auprès de la compagnie Axa de sorte que le montant total des primes atteignait alors 274.800 €

[Z] [T] a effectué ces versements alors qu’elle était âgée respectivement de 73 et 74 ans.

Les pièces produites par Mme [U] établissent qu’elle avait souffert plusieurs années auparavant d’un cancer qui avait donné lieu à une opération lourde lors de l’année 1999 (cf. Consultation du 07 mars 2016 faisant état d’une opération « il y a bientôt 17 ans ») et était porteuse d’un implant phonatoire, mais rien dans les documents produits ne permet de penser que l’état de [Z] [T] était encore inquiétant ou évolutif entre 2009 et 2011 soit plus de dix ans après ces événements et qu’une issue fatale proche était à prévoir, de nature à faire disparaître tout aléa dans le contrat d’assurance, ce que Mme [U] ne soutient d’ailleurs pas. A l’inverse il est mentionné en mars 2017 que l’état général de [Z] [T] est « plutôt stable ».

Mme [U] ne remet pas non plus en cause l’utilité objective du contrat souscrit et à ce titre il est observé, d’une part que [Z] [T] n’était âgée que de 73 ans lors de sa souscription et a encore vécu dix ans, soit au-delà du terme prévu pour le contrat, et d’autre part qu’elle bénéficiait d’une possibilité de rachat libre, ( sans toutefois que les conditions en termes de frais soient connues) et donc pouvait effectuer des rachats à tout moment, de sorte que le placement effectué était susceptible de fructifier mais ne faisait pas obstacle à ce qu’elle dispose de ses économies, notamment en cas d’évolution péjorative de sa situation et de son autonomie.

S’agissant du caractère éventuellement exagéré des primes versées au regard du montant mensuel des retraites perçues par [Z] [T], il est exact, au vu des avis d’imposition produits, que les revenus mensuels de [Z] [T] étaient très modestes puisqu’elle a perçu en 2010 un revenu annuel de 9.962 € soit 830,16 € par mois en moyenne, puis de 10.054 € en 2011 soit 837,83 € par mois.

Toutefois, le seul document relatif aux charges de [Z] [T] est un contrat de bail signé en août 2010, duquel il résulte qu’elle s’acquittait d’un loyer mensuel de 270 € avance sur charges comprise, et pour lequel il n’est pas contesté qu’elle bénéficiait d’une allocation de l’ordre de 100 €. Ses autres charges ne sont pas connues, mais il résulte du projet déclaratif de succession qu’à son décès, et hors les contrats litigieux, Mme [T] détenait encore 25.307,12 € en liquidités, provenant notamment de la vente de l’appartement qu’elle avait acquis en 2008 et revendu pour une somme nette de 21.763,37 €, et que par ailleurs le passif de la succession était minime et constitué uniquement du dernier mois de loyer, de frais hospitaliers de la dernière facture de gaz et des frais funéraires.

Il en résulte que [Z] [T] avait adopté un train de vie compatible avec ses ressources mensuelles malgré leur caractère peu élevé, à telle enseigne qu’elle n’avait pas de dettes et n’avait pas entamé le capital provenant de la vente réalisée en 2015. Rien n’établit qu’elle se serait privée de quoi que ce soit à cette époque, ait manqué de soins ou ait contracté des dettes.

Les primes versées n’ont donc à aucun moment obéré le train de vie de [Z] [T], étant rappelé qu’elle bénéficiait d’une possibilité de rachat à tout moment, en tout ou partie, sur le contrat litigieux.

S’agissant de la proportionnalité entre ces placements et le patrimoine de [Z] [T], il apparaît que les versements effectués en 2009 et 2010 ne concernaient qu’une partie du patrimoine de cette dernière, puisque d’une part [Z] [T] avait acquis le 25 juin 2008 un appartement sis [Adresse 5] pour un prix de 75.000 € et disposait donc d’un patrimoine immobilier, et que d’autre part elle disposait également d’un contrat chez Axa France Vie, dont le rachat pour 128.872,38 € lui a permis de financer en mai 2011 son dernier versement de prime.

Le total des primes versées en 2009 et 2010 soit 144.800 €, restait donc proportionné au patrimoine de [Z] [T] tel qu’il était à l’époque, lequel incluait en sus un bien immobilier et un contrat ouvert auprès d’un autre prestataire d’assurance-vie, le bénéficiaire de ce contrat n’étant pas connu.

En revanche, le dernier versement particulièrement conséquent effectué par [Z] [T] le 03 mai 2011 à hauteur de 130.000 € a eu pour conséquence que la quasi-totalité de son patrimoine s’est trouvé à cette date placé sur un unique contrat d’assurance vie dont le bénéficiaire était la Ligue contre le cancer, alors que [Z] [T] avait une fille unique.

Il résulte des extraits de compte produits que le compte de particulier de [Z] [T] présentait, au moment du versement de cette prime, un solde créditeur modeste de 4.016,91 €, en rapport avec la nécessité de financer des dépenses courantes.

Son livret d’épargne populaire avait un solde nul au 11 janvier 2011, le solde de son livret Développement durable était de 54,63 € au 11 janvier 2011 et de 55,72 € au 11 janvier 2012, le solde de son livret A était de 17,59 € au 11 janvier 2011 et de 17,96 € au 11 janvier 2012 et son compte espèces PEA était vide.

Enfin s’agissant de son bien immobilier, il apparaît que [Z] [T], qui pour une raison inconnue avait cessé de l’habiter le 1er septembre 2010, ne l’a jamais mis en location et l’a revendu pour une somme de 25.000 € le 16 juillet 2015, prix correspondant à une perte de valeur des deux tiers.

Il résulte de ces éléments, d’une part que [Z] [T] avait par le passé disposé de placements diversifiés qu’elle a progressivement soldés pour rassembler la majeure partie de son patrimoine sur un unique contrat d’assurance-vie, et d’autre part que le versement sur ce contrat d’une dernière somme de 130.000 € a abouti à ce que ce que le total versé s’élève à 274.800 €, somme représentant 78,56 % du patrimoine total de [Z] [T] si l’on admet que son appartement avait encore à cette date une valeur de 75.000 € ce qui n’est nullement certain au regard de la somme à laquelle elle l’a revendu trois ans plus tard.

Dès lors, et quelle qu’ait pu être l’utilité d’un tel placement pour [Z] [T], qui disposait par le passé d’une épargne répartie sur différents supports, le versement de la dernière prime de 130.000 €, en ce qu’elle aboutit à placer plus de 75 % du patrimoine sur un contrat d’assurance vie, apparaît manifestement exagéré au regard de la situation patrimoniale de celle-ci.

Ce dernier versement apparaît également manifestement exagéré au regard de la situation familiale de [Z] [T] qui ne pouvait ignorer qu’en agissant de la sorte elle privait sa fille d’une part très importante de sa succession, excédant la réserve héréditaire. Cette conséquence est d’ailleurs en accord avec les termes du testament rédigé en 2019 par [Z] [T], par lequel celle-ci instituait la Ligue contre le cancer comme légataire universel.

Il peut se déduire de ces diverses observations une volonté de contourner les règles de la dévolution successorale.

Enfin, et compte tenu d’un actif successoral total de (274.800 + 24.641,90 aux termes du projet de déclaration) = 299.441,90 €, il apparaît que la dernière prime versée a pour conséquence de priver Mme [U] de sa réserve héréditaire, qui se serait théoriquement élevée à 149.720,95€.

Il convient donc, eu égard au caractère manifestement exagéré de la dernière prime versée, d’ordonner la réduction des primes versées et la réintégration de la somme de 130.000 € dans la succession de [Z] [T].

La SA Sogecap, qui seule est concernée par l’attribution des sommes qu’elle détient, devra donc reverser la somme de 130.000 € à la succession de [Z] [T]. Il n’y a pas lieu en revanche de faire droit à cette demande en tant qu’elle est dirigée contre la SA Société Générale, dès lors que celle-ci ne détient pas les fonds et n’a donc pas obligation de les reverser.

Le jugement dont appel doit donc être infirmé sur le principal, et le sens de la présente décision conduit à infirmer également les dispositions relatives aux dépens et à l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

La Ligue nationale contre le cancer, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d’appel.

Il est en outre équitable d’allouer à Mme [U], en remboursement de ses frais irrépétibles, une somme de 5.000 €, soit 2.500 € au titre des frais irrépétibles de première instance et 2.500 € au titre des frais irrépétibles d’appel.

La SA Sogecap et la SA Société Générale, qui dirigent leurs demandes au titre des frais irrépétibles uniquement contre Mme [U], seront déboutées sur ce point.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Ordonne la réduction des primes versées sur le contrat d’assurance-vie souscrit par [Z] [T] auprès de la SA Sogecap à hauteur de 130.000 €,

Ordonne la réintégration à la succession de [Z] [T] de la somme de 130.000 €,

Enjoint la SA Sogecap de verser la somme de 130.000 € à la succession de [Z] [T]

Déboute Mme [X] [U] épouse [R] de sa demande en tant que dirigée à l’encontre de la SA Société Générale,

Condamne la Ligue nationale contre le cancer aux entiers dépens de première instance,

Ajoutant,

Condamne la Ligue nationale contre le cancer aux entiers dépens de la procédure en appel,

Condamne la Ligue nationale contre le cancer à verser à Mme [X] [U] épouse [R] les sommes de 2.500 € au titre des frais irrépétibles de première instance, et 2.500 € au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

La Greffière La Présidente de chambre

 


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