Droits des héritiers : 22 juin 2023 Cour d’appel de Papeete RG n° 22/00029

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Droits des héritiers : 22 juin 2023 Cour d’appel de Papeete RG n° 22/00029

22 juin 2023
Cour d’appel de Papeete
RG n°
22/00029

N° 65

KS

—————

Copies authentiques

délivrées à :

– Me Passerat,

– Me Jacquet,

– Polynésie française,

le 03.07.2023.

REPUBLIQUE FRANCAISE

COUR D’APPEL DE PAPEETE

Chambre des Terres

Audience du 22 juin 2023

RG 22/00029 ;

Décision déférée à la Cour : jugement n° 97/TER, rg n° 18/00029 du Tribunal de Première Instance de Papeete, section détachée de [Localité 6], Tribunal Foncier de la Polynésie française, siégeant à [Localité 6], le 29 novembre 2021 ;

Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’appel le 2 mai 2022 ;

Appelant :

M. [Z] [ZD], né le 2 octobre 1957 à [Localité 17], de nationalité française, agriculteur, demeurant à [Adresse 10], nanti de l’aide juridictionnelle ;

Représenté par Me Matthieu PASSERAT, avocat au barreau de Papeete ;

Intimés :

1 – La Polynésie française, [Adresse 13], représentée par la Directrice des Affaires Foncières ;

Non comparante, assignée à agent de bureau le 6 juillet 2022 ;

2 – M. [N] [M] dit [U], né le 15 août 1942 à [Localité 17], de nationalité française, retraité, demeurant à [Adresse 9] ;

3 – M. [R] [H], né le 18 août 1958 à [Localité 14], de nationalité française, entrepreneur, demeurant à [Adresse 12] ;

4 – M. [W] [Y], né le 6 septembre 1953 à [Localité 17], de nationalité française, retraité, demeurant à [Adresse 7] ;

5 – Mme [T] [AK] épouse [O], née le 16 mars 1937, de nationalité française, retraitée, demeurant à [Adresse 8] ;

6 – Mme [F] [B] épouse [G], demeurant à [Adresse 11] ;

Les intimés 2 à 6, représentés par Me Thierry JACQUET, avocat au barreau de Papeete ;

7 – M. [YB] [FB], né le 11 mars 1952 à [Localité 6], de nationalité française, demeurant à [Adresse 16] ;

Non comparant, assignation à domicile le 6 juillet 2022 ;

Ordonnance de clôture du 16 décembre 2022 ;

Composition de la Cour :

Après communication de la procédure au ministère public conformément aux articles 249 et suivants du code de procédure civile de la Polynésie française et après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique du 23 février 2023, devant Mme SZKLARZ, conseiller désigné par l’ordonnance n° 57/OD/PP.CA/22 du premier président de la Cour d’Appel de Papeete en date du 7 novembre 2022 pour faire fonction de Président dans le présent dossier, Mme GUENGARD, président de chambre, Mme TEHEIURA, magistrat honoraire de l’ordre judiciaire aux fins d’exercer à la cour d’appel de Papeete en qualité d’assesseur dans une formation collégiale, qui ont délibéré conformément à la loi ;

Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;

Arrêt par défaut ;

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;

Signé par Mme SZKLARZ, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A R R E T,

FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS :

Par requête reçue au greffe le 10 avril 2018, Monsieur [Z] [ZD] a saisi le tribunal de première instance de Papeete aux fins de voir :

– Juger que les ayants droit de [VS] [K], décédé le 16 décembre 1918, sont propriétaires de la terre [Localité 1] ;

– Ordonner à la Polynésie Française la restitution de la terre [Localité 1] aux ayants droit de [VS] [K] ;

– Désigner un géomètre-expert avec pour mission de borner la terre [Localité 1] suivant les délimitations portées sur la décision d’attribution en date du 13 mars 1901, et ce aux frais de l’aide juridictionnelle dont bénéficie le requérant.

Monsieur [Z] [ZD] a exposé que la terre [Localité 1] sise à [Localité 4] commune de [Localité 15] (île de [Localité 6]) a été attribuée à Monsieur [VS] [K] par décision de la commission de l’arrondissement de [Localité 4] en date du 13 mars 1901 ; que le certificat de propriété correspondant à cette attribution a été délivré à Monsieur [VS] [K] le 15 mars 1912 ; que son compte hypothécaire fait état de la propriété de ladite terre ainsi que celle de la terre [Localité 3] sise à [Localité 2] commune de [Localité 15] île de [Localité 6] ; que lors des premières opérations cadastrales, un procès-verbal de bornage regroupant plusieurs terres dont la terre [Localité 1], ensemble de terres désigné sous l’appellation : «Domaine [N] [L]», a été établi le 13 février 1931 sous le n°54 pour une superficie totale de 483 hectares ; qu’il est aujourd’hui désigné au cadastre rénové sous l’appellation : «Domaine [Localité 1]» et divisé en 129 parcelles cadastrales.

Monsieur [Z] [ZD] a précisé que le sieur [VS] [K] est décédé le 16 décembre 1918 en laissant pour lui succéder six enfants, dont un est décédé sans postérité, ainsi que cela est établi par une déclaration de succession du 25 février 1939 visant la terre [Localité 1] dans les biens à déclarer, ces cinq héritiers étant :

1°/ Mme [CS] ou [IS] [P] épouse [J],

2°/ M. [OS] [P] dit [D],

3°/ M. [V] [P],

4°/ Mme [PZ] [P] épouse [S],

5°/ Mme [GI] [P], aux droits de qui il vient.

Monsieur [Z] [ZD] a assigné devant le Tribunal la Polynésie française et certains ayants droits des autres souches issues de Monsieur [VS] [K].

La Polynésie française s’est opposée à la revendication de propriété de la terre [Localité 1] en arguant d’un titre de propriété, l’acte de vente notarié en date du 7 décembre 1971, transcrit le 29 décembre 1971 au volume 634 n° 6, aux termes duquel elle a acquis le Domaine [N] [L], devenu Domaine [Localité 1], de Monsieur [N] [L]. Elle a précisé que son vendeur était propriétaire de la terre [Localité 1] pour en avoir fait l’acquisition des enfants de dame [VS] [AC] [C], appelée aussi [VS] [K], aux termes de plusieurs actes de vente entre 1917 et 1919.

La Polynésie a demandé au tribunal de constater qu’elle est propriétaire par titre de ce domaine depuis plus de 40 ans et qu’elle en assure la valorisation notamment au moyen d’affectations consenties au profit d’organismes publics (Service du développement rural et Commune de [Localité 15]).

La Polynésie française a également opposé aux demandeurs à la revendication de propriété de la terre [Localité 1] la prescription de la succession de Monsieur [VS] [K], de l’article 789 du code civil, sans contester la généalogie les rattachant à Monsieur [VS] [K], décédé le 16 décembre 1918.

Monsieur [Z] [ZD] a soutenu que l’auteur des vendeurs aux actes de 1917 à 1919, Mme [VS] [AC] [C], n’est pas [VS] [K] attributaire originel de la terre [Localité 1], [VS] [K] étant un homme alors que [VS] [AC] [C] est une femme ; qu’en conséquence les actes de vente portant sur des droits indivis de la terre [Localité 1] réalisés par les héritiers de [VS] [AC] [C] sont des ventes « a non domino ». Il a par ailleurs affirmé que, outre qu’il n’y avait pas lieu à acceptation de la succession aux Iles sous le vent, certains des ayants droits de Monsieur [VS] [K] ont disposé de ses droits sur la terre [Localité 3], également dans son patrimoine, ce qui démontre que ses héritiers ont effectivement appréhendé le patrimoine successoral de leur auteur et accepté sa succession.

Par jugement n° RG 18/00029, n° de minute 97-TER, en date du 29 novembre 2021, auquel la Cour se réfère expressément pour un plus ample exposé de la procédure, des moyens et des prétentions de première instance, le Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, Tribunal foncier siégeant à [Localité 6], a retenu que [Z] [ZD] échoue à démontrer que le revendiquant initial serait monsieur [VS] [K], et non la dame [VS] [AC] [C], appelée aussi [VS] [K], et que de ce fait son action est irrecevable. Le Tribunal a dit :

– Déclare [Z] [ZD] irrecevable en son action tendant à voir le tribunal juger que les ayant droit de [VS] [K], décédé le 16 décembre 1918, sont propriétaires de la terre [Localité 1], et ordonner à la Polynésie Française la restitution de la terre [Localité 1] aux ayant droit de [VS] [K] ;

– Condamne [Z] [ZD] aux dépens.

Par requête enregistrée au greffe de la Cour le 17 mai 2022, Monsieur [Z] [ZD], bénéficiaire de l’aide juridictionnelle et ayant pour avocat Maître Matthieu PASSERAT, a interjeté appel de cette décision dont il n’est rien dit de la signification.

Aux termes de sa requête, à laquelle il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions, Monsieur [Z] [ZD] demande à la Cour de :

– Infirmer en toutes ses dispositions le jugement n°97-TER rendu le 29 novembre 2021 par le Tribunal Foncier de la Polynésie Française siégeant à [Localité 6] ;

Et, statuant à nouveau :

Vu la décision d’attribution de propriété de la terre [Localité 1] sise à [Localité 4] commune de [Localité 15] île de [Localité 6] à Monsieur [VS] [K] en date du 13 mars 1901,

Vu l’article 544 du code civil,

– Déclarer M. [Z] [ZD] recevable en son action en revendication de la terre [Localité 1] sise à [Localité 4] commune de [Localité 15] île de [Localité 6] ;

– Déclarer les ayants droit de [VS] [K] décédé le 16 décembre 1918 propriétaires de la terre [Localité 1] ;

– Ordonner à la Polynésie française la restitution de la terre [Localité 1] aux ayants droit de [VS] [K] décédé le 16 décembre 1918 ;

– Ordonner le bornage judiciaire de la terre [Localité 1] ;

– Désigner un géomètre-expert avec pour mission de borner la terre [Localité 1] suivant les délimitations portées sur la décision d’attribution en date du 13 mars 1901, et ce aux frais de l’aide juridictionnelle dont bénéficie le requérant ;

– Condamner la Polynésie française aux dépens de première instance et d’appel.

Monsieur [Z] [ZD] soutient que ni M. [VS] [K], à qui la terre [Localité 1] a été attribuée par décision de la commission de l’arrondissement de [Localité 4] en date du 13 mars 1901 selon certificat de propriété délivré à Monsieur [VS] [K] le 15 mars 1912 et dont le compte hypothécaire fait état de la propriété de ladite terre ainsi que celle de la terre [Localité 3], ni aucun de ses héritiers ou ayants droit, n’ont cédé cette terre ou des droits indivis sur cette terre à la Polynésie française, ni d’ailleurs à qui que ce soit.

Monsieur [Z] [ZD] souligne que son action étant une action en revendication, il n’est pas tenu de soulever la nullité des ventes a non domino portant sur la terre [Localité 1] et que ce motif ne pouvait donc fonder l’irrecevabilité de son action retenue par le Tribunal.

Il soutient avoir prouvé, contrairement à ce qui a été retenu par le Tribunal qui a fait une mauvaise appréciation de ses pièces que ;

– [VS] [K] décédé le 16 décembre 1918 est le propriétaire originel de la terre [Localité 1],

– [VS] [K] décédé le 16 décembre 1918 est son auteur,

– ni [VS] [K] décédé le 16 décembre 1918, ni ses ayants droit n’ont cédé leurs droits sur la terre [Localité 1].

Le Ministère public a visé le dossier le 20 mai 2022 souhaitant que le dossier lui soit de nouveau communiqué après dépôt des conclusions de la Polynésie française.

Par conclusions reçues par voie électronique au greffe de la Cour le 17 août 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions, Monsieur [N] [M] (souche [GI] [P]), Monsieur [R] [H] (souche [CS] [P]), Monsieur [W] [Y] (souche [OS] [P]), Madame [T] [AK] épouse [O] (souche [V] [P]) et Madame [F] [B] épouse [G] (souche [E] [P]), (les consorts [VS]), ayant tous pour avocat Maître [TD] [X], demandent à la cour d’adjuger à Monsieur [Z] [ZD] l’entier bénéfice de sa requête d’appel à laquelle ils se joignent.

Malgré deux injonctions de conclure, la Polynésie française, régulièrement assignée par acte d’huissier en date du 13 juillet 2022, n’a pas conclu devant la cour.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance en date du 16 décembre 2022 pour l’affaire être fixée à l’audience de la Cour du 23 février 2023. En l’état l’affaire a été mise en délibéré au 25 mai 2023, délibéré qui a dû être prorogé.

MOTIFS :

Sur la recevabilité de l’appel :

La recevabilité de l’appel n’est pas discutée et aucun élément de la procédure ne permet à la Cour d’en relever d’office l’irrégularité.

Sur la recevabilité de l’action de Monsieur [Z] [ZD] en revendication de propriété de la terre [Localité 1] sise à [Localité 4] commune de [Localité 15] (île de [Localité 6]) :

Aux termes de l’article 1er du code de procédure civile de la Polynésie française, l’action est le droit pour l’auteur d’une prétention de la soumettre au juge afin qu’il la dise bien ou mal fondée et pour son adversaire le droit de discuter de ce bien-fondé. L’action n’est ouverte qu’à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention et sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé.

Il est constant que l’existence du droit invoqué par le demandeur n’est pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès. Ainsi, celui qui se prétend propriétaire d’un bien immobilier a nécessairement qualité et intérêt à agir en revendication de la propriété de celui-ci. La charge de la preuve des droits de propriété qu’il revendique lui appartient.

Pour revendiquer la propriété de la terre [Localité 1] sise à [Localité 4] commune de [Localité 15] (île de [Localité 6]), aux droits de [VS] [K] décédé le 16 décembre 1918, Monsieur [Z] [ZD] est nécessairement recevable en son action, l’action en revendication de propriété étant par ailleurs imprescriptible.

En première instance, la Polynésie française avait soutenu qu’il était irrecevable en son action faute de qualité à agir pour n’avoir jamais acquiescé à la succession de Monsieur [VS] [K].

En application de l’article 789 ancien du code civil, applicable en Polynésie française, la faculté d’accepter ou de répudier une succession se prescrit par le laps de temps requis pour la prescription la plus longue des droits immobiliers.

La faculté d’accepter se prescrit par 30 ans à compter de l’ouverture de la succession ; dès lors, passé ce délai, l’héritier prétendu resté inactif pendant 30 ans doit être considéré comme étranger à la succession et son défaut de qualité peut conformément à l’article 2225 du Code civil, lui être opposé par toute personne y ayant intérêt. C’est à celui qui réclame une succession ouverte depuis plus de 30 ans de justifier que lui-même ou ses auteurs l’ont accepté au moins tacitement avant l’expiration du délai. Toutefois, compte tenu des inconvénients pratiques qu’une telle solution engendre à l’égard des héritiers de rang subséquent, il est admis que les héritiers subséquents puissent bénéficier des causes de suspension du délai de prescription qui leur sont propres telle la minorité.

La Cour doit rappeler que le code civil, et donc cet article, n’a été rendu applicable aux Iles sous le Vent que par décret du 5 avril 1945, les natifs de ces îles étant auparavant soumis aux Lois Codifiés des Iles sous le Vent.

Outre que l’article 2 du code civil, en vigueur en 1945, dispose que «la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif», le décret du 5 avril 1945 qui abroge les lois codifiées dans les Iles Sous le Vent, en ses dispositions transitoires, prévoit dans son article 4 : «Les successions ouvertes avant la date de mise en vigueur du présent décret, seront dévolues conformément aux Lois et Coutumes indigènes.»

Ces Lois Codifiées ne prévoyaient aucun mécanisme d’acceptation des successions, et à défaut la succession était appréhendée automatiquement par les héritiers sans quelconque formalité, la dévolution s’entendant tant de la détermination de qui est héritier que des règles de transfert du patrimoine du de cujus vers celui de ses héritiers.

Ainsi, aux îles sous le vent, le délai prévu par l’article 789 ancien du code civil ne peut s’appliquer qu’aux successions ouvertes à compter du 1er août 1945, date à partir de laquelle les natifs des ISVL ont été soumis au régime légal de l’acceptation successorale et à son formalisme tels que prévus par le code civil.

En l’espèce, [VS] [K] étant décédé le 16 décembre 1918 à [Localité 6], le délai trentenaire prévu par l’article 789 dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 juin 2006 est inapplicable à la succession et en l’absence de mécanisme d’option successorale et de formalisme d’acceptation particulier, sa succession a été dévolue automatiquement à ses héritiers.

Il est par ailleurs acquis aux débats que Monsieur [Z] [ZD], Monsieur [N] [M], Monsieur [R] [H], Monsieur [W] [Y], Madame [T] [AK] épouse [O] et Madame [F] [B] épouse [G] viennent aux droits de Monsieur [VS] [K] décédé le 16 décembre 1918, la Polynésie française n’ayant pas contesté la généalogie dont ils se prévalent devant le premier juge.

Ainsi, c’est à tort que le premier juge a dit Monsieur [Z] [ZD] irrecevable en son action en revendication de propriété de la terre [Localité 1] sise à [Localité 4] commune de [Localité 15] (île de [Localité 6]).

En conséquence, la Cour infirme le jugement du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, Tribunal foncier siégeant à [Localité 6], n° RG 18/00029, n° de minute 97-TER, en date du 29 novembre 2021, en toutes ses dispositions.

Sur la propriété de la terre [Localité 1] sise à [Localité 4] commune de [Localité 15] (île de [Localité 6]) :

Il est constant qu’en Polynésie française comme dans le reste du territoire national, la preuve de la propriété peut se faire par la simple production d’un titre de propriété. Ainsi, la production d’un jugement d’adjudication, d’un acte translatif de droits de propriété transcrit ou d’un jugement ayant tranché un conflit de propriété suffit à prouver les droits de propriété de l’acquéreur à l’acte, sans qu’il y ait lieu de remonter au Tomité par une chaîne ininterrompue d’acte translatifs de propriété.

C’est seulement dans le cadre d’un partage, lorsqu’il y a eu des cessions de droits indivis dont les quotités n’ont pas été précisées à l’acte, qu’il y a lieu de faire état d’une chaîne continue d’actes translatifs de droits depuis les titres originels, et ce afin, et seulement afin, de fixer les quotités à revenir à chaque propriétaire par titre.

Si un ayant droit du Tomité soutient que l’un ou l’autre des actes translatifs lui est inopposable pour avoir disposé irrégulièrement des droits de sa souche, ou est entaché de nullité, il est alors également constant que celui qui est propriétaire aux termes du juste titre dont l’inopposabilité est recherchée, pourrait éventuellement faire valoir sa possession en rapportant la preuve des actes matériels de possession qu’il aurait mis en ‘uvre sur la terre en litige.

Ainsi, pour revendiquer des droits de propriété indivis sur une terre, tout particulièrement lorsque la matrice cadastrale ne mentionne pas pour propriétaire le tomité, il ne suffit pas de démontrer être ayants droits du Tomité, encore faut-il prouver que l’attributaire de la terre, et ses ayants droit après lui, n’ont pas disposé des droits de propriété qui ont été reconnus par le Tomité.

En l’espèce, suivant décision de la commission du district en date du 13 mars 1901 produite devant la cour, la terre [Localité 1] a été attribuée au sieur [UK] [K]. Un certificat de propriété correspondant à cette attribution a été délivré à M. [VS] [K] le 15 mars 1912, transcrit le 20 mai 1912.

Il est produit devant la cour un compte hypothécaire au nom de [A] [VS] qui mentionne le certificat de propriété de la terre [Localité 1] transcrit le 20 mai 1912. Il est également fait mention à ce compte hypothécaire de la terre [Localité 3] sise à [Localité 2] commune de [Localité 15] île de [Localité 6], également attribuée à Monsieur [VS] [K] selon certificat de propriété du 9 avril 1907.

Aux termes de plusieurs actes de vente entre 1917 et 1919, tous transcrits, énumérés au jugement dont appel, Monsieur [N] [L] a acquis de plusieurs vendeurs leurs droits indivis sur la terre [Localité 1]. Tous les vendeurs aux actes se sont dits propriétaire des droits cédés pour être un des 11 enfants de dame [VS] [AC] [C], appelée aussi [VS] [K], décédée le 22 octobre 2015, attributaire de la terre suivant décision de la commission en date du 13 mars 1901, transcrite au bureau des hypothèques de [Localité 5] le 20 mai 1912.

Lors des premières opérations cadastrales, un procès-verbal de bornage n°54 en date des 10 et 13 février 1931 a été dressé en présence de Monsieur [N] [L] se présentant et signant en qualité de propriétaire. Les actes d’acquisition de Monsieur [N] [L] sont mentionnés au procès-verbal. Plusieurs terres propriétés de Monsieur [N] [L] ont alors été cadastrées en un seul ensemble sous ce seul PVB n°54, pour une superficie totale de 483 hectares, désigné sous l’appellation : «Domaine [N] [L]».

Aux termes d’un acte de vente notarié en date du 7 décembre 1971, transcrit le 29 décembre 1971 au volume 634 n° 6, la Polynésie française a acquis la propriété du Domaine [N] [L] du légataire universel de Monsieur [N] [L].

Le Domaine [N] [L] est aujourd’hui désigné au cadastre rénové sous l’appellation : «Domaine [Localité 1]» et divisé en 129 parcelles cadastrales dont la Polynésie française est propriétaire à la matrice cadastrale.

Ainsi, la Polynésie française s’affirme propriétaire de la terre [Localité 1] sise à [Localité 4] commune de [Localité 15] (île de [Localité 6]) pour venir aux droits de Madame [VS] [AC] [C], appelée aussi [VS] [K], décédée le 22 octobre 1915 et Monsieur [Z] [ZD] et les consorts [VS] s’affirment propriétaires de cette terre pour venir aux droits de Monsieur [VS] [K], décédée le 16 décembre 1918.

Pour déterminer la propriété de la terre [Localité 1] sise à [Localité 4] commune de [Localité 15] (île de [Localité 6]), la cour doit donc déterminer si l’attributaire de la terre au certificat de propriété en date du 15 mars 1912, transcrit le 20 mai 1912 est [VS] [K] décédé le 16 décembre 1918, auteur de Monsieur [Z] [ZD] et des consorts [VS], ou [VS] [AC] [C], appelée aussi [VS] [K], décédée le 22 octobre 1915, auteur de la Polynésie française.

La Cour ne peut pas être sans ignorer les imprécisions importantes qui ont pu exister dans la transcription des actes d’état civil dans le Pacifique, voir l’absence d’état civil, ainsi que l’usage important des surnoms et des transcriptions phonétiques. De même, les règles de transmission du nom patronymique n’ont pas toujours été fixées et il est constant que pouvait être transmis comme nom patronymique, aussi bien le premier vocable que le deuxième vocable du nom paternel ou du nom maternel, voir les deux.

De plus, les certificats de propriété comme les actes de revendication pouvaient aussi être entachés d’imprécisions du fait de transcription phonétique et d’évolution des états civils.

Compte tenu des incertitudes d’état civil et des imprécisions des actes de revendication et des certificats de propriété avec lesquelles il faut nécessairement juger, la Cour retient ce qui est certain, et acté au plus près de l’événement qu’est la revendication.

Monsieur [Z] [ZD] soutient devant la cour que tant à la décision de la commission de 1901 qu’au certificat de propriété [VS] [K] est un homme alors que [VS] [AC] [C] est une femme comme cela résulte de son acte de décès intervenu le 22 octobre 1915 ; que de plus cet acte de décès ne mentionne pas son prétendu alias «[VS] [K]» indiqué opportunément dans les actes de vente réalisés par ses ayants droit. Il souligne que l’état de transcription de [VS] [K] qui mentionne la terre [Localité 1] et la terre [Localité 3] attribuée à leur auteur et dont ses ayants droits ont disposé prouvent que c’est bien leur auteur le revendiquant de la terre. Ils produisent également une déclaration de succession en date 25 février 1939 qui mentionne comme biens à déclarer de la succession de [VS] [K] la terre [Localité 1].

Il est constant que tant à la décision de la commission du district en date du 13 mars 1901 qu’au certificat de propriété correspondant à cette attribution en date du 15 mars 1912, transcrit le 20 mai 1912, le revendiquant est dit sieur ou M., ce qui laisse à penser que [VS] [K] est un homme.

La cour constate que la terre [Localité 4] n’est pas mentionnée à la déclaration de succession du 25 février 1939, ce qui n’est pas cohérent alors qu’il est certain que des ayants droit de [VS] [K], décédé le 16 décembre 1918 ont cédé des droits indivis sur la terre [Localité 3] (acte du 6 janvier 1923 enregistré le 22 janvier 1923 et acte du 21 avril 1937 transcrit le 22 juillet 1937). Il résulte également des dires des parties devant le premier juge, repris au jugement, que la terre [Localité 3] a été partagée au terme d’un partage amiable fait par le juge d'[Localité 4] et le chef d'[Localité 2] le 8 novembre 1927 entre les héritiers de [VS] [K] et des acquéreurs de droits indivis, puis à des partages des lots revenus aux souches qui n’avaient pas cédé leurs droits.

Ainsi, alors que les héritiers de [VS] [K] décédé le 16 décembre 1918 procèdent alors au partage de la terre [Localité 4], ils n’incluent pas dans le partage de la succession de leur auteur la terre [Localité 1].

Les ayants droit de [VS] [K] décédé le 16 décembre 1918 ne considèrent pas au temps de ce partage que la terre [Localité 1] est dans le patrimoine de leur auteur, or ce partage intervient moins de 10 ans après sa mort.

Si la fiche hypothécaire de [A] [VS] mentionne bien la terre [Localité 1] et la terre [Localité 4], il est constant que les nombreuses homonymies existant en Polynésie française entachent la force probante de ces fiches, d’autant plus qu’en l’espèce, la fiche est établie au nom de

[VS] [K] sans autre précision quant au sexe ou à la date de naissance.

Si l’acte de décès de [VS] [AC] [C] ne mentionne pas qu’elle est dite [VS] [K], il mentionne qu’elle est fille de [I] et de [A] [K], ce qui permet de retenir qu’elle a pu être nommée [VS] [K].

Il doit également être relevé qu’aux actes de vente de 1917, 1918 et 1919, il est mentionné que c’est aux termes du certificat de propriété de 1912 que [VS] [AC] [C] est propriétaire.

Ainsi, ces éléments qui interviennent moins de 8 ans après la délivrance du certificat de propriété montrent que les ayants droits de [VS] [AC] [C], appelée aussi [VS] [K], s’affirment propriétaires aux termes du certificat de propriété de 1912 même si celui-ci n’a pas désigné l’attributaire comme étant une femme. Il ne peut pas être affirmé avec certitude plus de 100 ans après qu’il n’a pas été omis par erreur d’inscrire le V. de vahiné au certificat. En effet, les formulaires pré remplis mentionnant toujours «sieur» ou «M.» comme en l’espèce, le rédacteur devait veiller à rajouter un V. en présence d’une femme alors que la mention «sieur» était pré-rédigée, ce qui peut conduire à des confusions.

Par ailleurs, lorsque les enfants [VS] [AC] [C], appelée aussi [VS] [K], vendent les droits sur la terre [Localité 1] à Monsieur [N] [L], les actes sont transcrits, sans que ni [VS] [K] décédé le 16 décembre 1918, ni ses ayants droits après lui, ne s’en émeuvent alors qu’il est démontré que [N] [L] a pris possession de la terre aux yeux de tous, en étant présent aux opérations de bornage et en l’incorporant à son domaine agricole, dit Domaine [N] [L].

C’est seulement en 1939, lors de la déclaration de succession qu’un des héritiers de [VS] [K] décédé le 16 décembre 1918 désigne la terre [Localité 1] comme propriété de son auteur, sans plus de démarche ni de revendication à l’égard de Monsieur [N] [L], puis en 2012 qu’il est demandé au maire de la Commune de [Localité 15] de restituer la terre.

Ainsi, aux termes de l’analyse croisée des différents actes produits, les éléments de preuve rapportés par Monsieur [Z] [ZD] sont trop fragiles pour qu’il puisse être retenu que Monsieur [N] [L] a acquis des héritiers de [VS] [AC] [C], appelée aussi [VS] [K], il y a plus de 100 ans au jour de la requête en revendication, les droits sur la terre [Localité 1] a non domino.

Constatant qu’il n’est pas démontré que les actes de vente portant sur les droits indivis de la terre [Localité 1] réalisés par les héritiers de Mme [VS] [AC] [C], dite aussi [VS] [K], sont des ventes a non domino, la cour déboute Monsieur [Z] [ZD], Monsieur [N] [M], Monsieur [R] [H], Monsieur [W] [Y], Madame [T] [AK] épouse [O] et Madame [F] [B] épouse [G] de leur revendication de propriété de la terre [Localité 1] sise à [Localité 4] commune de [Localité 15] (île de [Localité 6]).

Sur les autres demandes :

Monsieur [Z] [ZD] qui succombe pour le tout doit être condamné aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, par défaut, en matière civile et en dernier ressort ;

DÉCLARE l’appel recevable ;

INFIRME le jugement du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, Tribunal foncier siégeant à [Localité 6], n° RG 18/00029, n° de minute 97-TER, en date du 29 novembre 2021, en toutes ses dispositions ;

Statuant de nouveau :

DIT Monsieur [Z] [ZD] recevable en son action en revendication de propriété de la terre [Localité 1] sise à [Localité 4] commune de [Localité 15] (île de [Localité 6]) ;

DÉBOUTE Monsieur [Z] [ZD], Monsieur [N] [M], Monsieur [R] [H], Monsieur [W] [Y], Madame [T] [AK] épouse [O] et Madame [F] [B] épouse [G] de leur revendication de propriété de la terre [Localité 1] sise à [Localité 4] commune de [Localité 15] (île de [Localité 6]) ;

Y ajoutant,

REJETTE tout autre chef de demande des parties, plus ample ou contraire au présent arrêt ;

CONDAMNE Monsieur [Z] [ZD] aux dépens de première instance et d’appel.

Prononcé à Papeete, le 22 juin 2023.

Le Greffier, Le Président,

signé : M. SUHAS-TEVERO signé : K. SZKLARZ

 


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