Droits des héritiers : 17 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/10272

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Droits des héritiers : 17 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/10272

17 mai 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/10272

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 3 – Chambre 1

ARRET DU 17 MAI 2023

(n° 2023/ , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/10272 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDY3U

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Avril 2021 – Tribunal judiciaire de PARIS – RG n° 17/10971

APPELANTE

Madame [O] [W] veuve [F]

née le 14 Janvier 1945 à [Localité 5] (IRLANDE)

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée et plaidant par Me Alexandre LAVILLAT de la SELARL LAVILLAT-BOURGON, avocat au barreau de PARIS, toque : B0703

INTIME

Monsieur [J] [A] [W]

né le 20 Avril 1936 à [Localité 11] (ROYAUME UNI)

[Adresse 6]

ROYAUME-UNI

représenté et plaidant par Me Serge LEWISCH, avocat au barreau de PARIS, toque : D1474

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Patricia GRASSO, Président, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Patricia GRASSO, Président

Mme Sophie RODRIGUES, Conseiller

Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Patricia GRASSO, Président, et par Mme Emilie POMPON, Greffier

***

EXPOSE DU LITIGE :

[E] [U], peintre et sculpteur, est décédée le 23 janvier 1979 à [Localité 12] (Royaume-Uni).

Son époux, [A] [W], également peintre et sculpteur, demeurant à [Localité 9], est décédé le 12 janvier 2007 à [Localité 4] (Royaume-Uni).

Ils laissaient pour leur succéder deux enfants issus de leur union :

– M. [J] [W]

– Mme [O] [W].

Les successions sont principalement composées d’objets d’art divers.

Par jugement du 27 septembre 2010, le tribunal de grande instance de Paris, saisi par M. [J] [W], a notamment :

-ordonné le partage judiciaire de la communauté ayant existé entre les époux [A] [W] et [E] [U],

-ordonné le partage judiciaire de la succession de [E] [U],

-ordonné le partage judiciaire de la succession de [A] [W],

Maître [P] [M], notaire nommée en remplacement de Me [S] [Y], a dressé le 30 septembre 2020 un projet d’état liquidatif, a recueilli les dires des deux parties et transmis son procès-verbal au juge-commis, qui a dressé son rapport le 13 octobre 2020.

Par jugement du 9 avril 2021, le tribunal judiciaire de Paris a notamment :

-fixé au 30 septembre 2020 la date de jouissance divise,

-rejeté la demande d'[J] [W] tendant à voir ordonner la licitation des deux ateliers, situés [Adresse 2] à [Localité 10] et des ‘uvres dépendant de la succession de [A] [W] et [E] [U],

-rejeté les demandes formées par [O] [W]-[F] du chef du recel successoral,

-dit que les frais du garde-meuble situé à [Localité 8] (92) dans lequel sont entreposées des ‘uvres de la succession de [A] [W] et de [E] [U] constituent une charge de la succession,

-renvoyé les parties devant le notaire commis pour que celui-ci établisse un projet d’état liquidatif conformément aux points tranchés par la présente décision,

-ordonné l’emploi des dépens en frais de partage et dit qu’ils seront supportés par les copartageants à proportion de leurs droits dans la succession,

-rejeté les demandes formées par les deux parties au titre des frais irrépétibles,

-dit que l’affaire sera rappelée à l’audience du juge commis au partage,

-ordonné l’exécution provisoire.

Mme [O] [W] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 2 juin 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 mars 2022, l’appelante demande à la cour de :

-dire Mme [W] recevable et bien fondée en son appel,

-réformer le jugement entrepris en ce qu’il a :

*rejeté les demandes de Mme [W] au titre du recel successoral et du rapport des ‘uvres vendues par son frère,

*dit que les frais de garde-meuble dans lequel sont entreposées les ‘uvres de la succession constituent une charge de la succession,

statuant à nouveau de ces chefs,

-juger que les frais de garde-meuble, soit la somme de 52 359 euros (décompte provisoirement arrêté au 10 avril 2021), seront mis à la charge exclusive de M. [J] [W],

subsidiairement sur ce point,

-juger que les frais de garde-meuble postérieurs au mois de mars 2012, soit la somme de 38 814,17 euros (décompte provisoirement arrêté au 10 avril 2021), seront mis à la charge exclusive de M. [J] [W],

-juger que M. [J] [W] devra rapporter à la succession la somme de 6 591 euros, au titre du produit de la vente des ‘uvres vendues par lui et non représentées à la succession,

-juger en application des règles du recel successoral que M. [J] [W] ne pourra prétendre à aucun droit sur cette somme,

-confirmer le jugement entrepris pour le surplus,

-débouter M. [J] [W] en toutes ses demandes fins et conclusions,

en tout état de cause,

-condamner M. [J] [W] à payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-dire et juger que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

Aux termes de ses uniques conclusions notifiées le 11 décembre 2021, l’intimé demande à la cour de :

-rejeter les demandes de Mme [O] [W] en toutes fins qu’elles comportent, confirmer le jugement dont appel du 9 avril 2021 en toutes ses dispositions,

-condamner Mme [O] [W] aux entiers dépens ainsi qu’à verser à M. [J] [W] la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-ordonner l’exécution provisoire nonobstant appel et sans constitution de garantie.

Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, il sera renvoyé à leurs écritures susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 mars 2023.

L’affaire a été appelée à l’audience du 22 mars 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les frais de garde meubles

Il est acquis aux débats que les oeuvres de [A] [W] et [E] [U] présentes dans l’atelier situé [Adresse 7] ainsi que dans l’appartement que [A] [W] partageait avec sa fille [O] [Adresse 1] ont été entreposées dans un garde meuble peu après son décès à la demande d'[J] [W].

Au visa de l’article 873 du code civil, selon lequel les héritiers sont tenus des dettes et charges de la succession personnellement pour leur part, les premiers juges ont considéré qu’eu égard à l’important différent ayant opposé le frère et la s’ur quant aux ‘uvres des défunts conservées par l’un ou par l’autre, le placement en garde-meuble propriété de la société Jurquet et situé à [Localité 8] (92) était justifié et que les frais causés par ce stockage constituaient une charge de la succession qui doit être supportée à parts égales par les héritiers.

L’appelante demande à la cour, par infirmation du jugement, de juger que les frais de garde-meuble, soit la somme de 52 359 euros (décompte provisoirement arrêté au 10 avril 2021), seront mis à la charge exclusive de Monsieur [J] [W], et subsidiairement sur ce point, de juger que les frais de garde-meuble postérieurs au mois de mars 2012, soit la somme de 38 814,17 euros (décompte provisoirement arrêté au 10 avril 2021), seront mis à la charge exclusive de Monsieur [J] [W].

Elle fait valoir que le placement en garde-meuble des ‘uvres situées en France a été décidé en 2009 contre sa volonté parce qu’elle a toujours alerté sur les risques liés au déplacement et au stockage des ‘uvres dans de telles conditions, et qu’en tout état de cause, dès lors qu’un inventaire a été réalisé en mars 2012, Monsieur [W] ne pouvait plus, au delà de cette date, justifier ce placement en garde-meuble par le risque que sa s’ur détourne certaines ‘uvres de la succession.

Elle soutient que si l’article 815-2 autorise l’indivisaire à utiliser les fonds de la succession uniquement pour prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis, les frais engendrés par la faute de l’indivisaire doivent être laissés à la charge exclusive de ce dernier.

Monsieur [W] conclut à la confirmation de la décision entreprise sur ce point.
Il fait valoir que les ‘uvres en cause ne sont pas assurées et que les ateliers dans lesquels sa s’ur souhaite voir rapatrier les ‘uvres ne sont pas sécurisés et subissent en outre des infiltrations depuis la toiture.

Le placement en garde meuble avant inventaire a été à l’origine justifié par le litige entre les parties et la crainte d’en voir détourner des ‘uvres par l’un ou l’autre.
La demande de Madame [F] selon laquelle elles auraient du être sorties du garde meuble après l’inventaire de 2012 est en contradiction avec son argument relatif aux risques liés au déplacement pour les rapatrier dans leur atelier d’origine au sujet desquels elle ne contredit pas les allégations de l’intimé relatives à l’état de leur toiture alors qu’il résulte du procès-verbal de difficultés dressé par le notaire le 30 septembre 2020 que les ateliers sont à rénover en totalité.

La facture des frais de garde meuble croît du fait de la durée de la procédure entamée en 2009 sans que cette durée puisse être imputée à faute au seul Monsieur [W].

Le tribunal a donc fait une exacte appréciation des faits de la cause en considérant que le placement en garde-meuble était justifié et que les frais causés par ce stockage constituent une charge de la succession qui doit être supportée à parts égales par les héritiers.

Par suite, le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le recel successoral

Le tribunal ayant rejeté sa demande au titre du recel successoral dirigée contre son frère et retenu dans ses seuls motifs que les ‘uvres en cause étaient des dons d’usage non rapportables à la succession, l’appelante demande à la cour, par infirmation du jugement, de juger que Monsieur [J] [W] devra rapporter à la succession la somme de 6 591 euros, au titre du produit de la vente des ‘uvres vendues par lui et non représentées à la succession, et de juger en application des règles du recel successoral que Monsieur [J] [W] ne pourra prétendre à aucun droit sur cette somme.
Elle fait valoir que son frère a vendu aux enchères en 2012 au moins trois ‘uvres de [A] [W], que ces ‘uvres dépendaient de la succession et avaient donc vocation à être inventoriées, évaluées et partagées lors des opérations de compte liquidation et partage, et que ce n’est qu’en 2015, trois ans plus tard, lors de la réunion tenue chez Maître [G], lorsque les preuves lui ont été présentées, que Monsieur [W] a reconnu la possession et la vente de ces ‘uvres.

Monsieur [W] conteste le recel successoral et répond que ces ‘uvres lui avaient été données par l’auteur bien avant sa mort et qu’il a, au contraire, communiqué toutes les informations utiles alors que Madame [F] n’a pas sérieusement répondu au recel d”uvres opéré par elle-même avec la complicité de sa cousine.

Selon l’article 843 du code civil, tout héritier doit rapporter à ses cohéritiers les dons reçus du défunt, à l’exception des présents d’usage.

En vertu de l’article 778 du même code, se rend coupable de recel successoral l’héritier qui cherche, au détriment de ses cohéritiers, à rompre l’égalité du partage, en divertissant des effets de la succession par une appropriation indue.

Le recel successoral vise toutes les fraudes au moyen desquelles un héritier cherche, au détriment de ses cohéritiers, à rompre l’égalité du partage successoral. Pour prétendre à l’application des sanctions prévues à l’article 778 du code civil, il faut caractériser un élément matériel, à savoir le procédé tendant à priver les cohéritiers d’un ou plusieurs biens de la succession ou à dissimuler l’existence d’un héritier, et l’élément intentionnel de cette rupture d’égalité qui a ainsi une dimension frauduleuse.

Outre le rapport à la masse successorale de la chose ou des droits recelés, l’héritier receleur en application de l’article précité se voit ainsi privé de tout droit dans la succession sur ceux-ci. Il est également réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net.

Il est admis que le repentir de l’héritier qui révèle avant poursuite et spontanément les biens ou droits précédemment occultés ne le constitue pas receleur.

Le tribunal a considéré qu’il ressortait des inventaires versés aux débats que [A] [W] réalisait de nombreuses ‘uvres, ce qui rendait vraisemblable le fait qu’il en offrait aux membres de sa famille et que vu la valeur des ‘uvres en cause, elles constituaient des présents d’usage.

La valeur des ‘uvres contenues dans la succession et situées en France est selon le notaire de 363.980 € et celles des ‘uvres d’art situées en Angleterre de 83.147 €.

Les ‘uvres vendue par Monsieur [W], deux dessins en encre et un petit tableau de la période Cobra constituant les lots n°333,334 et 335 de la vente aux enchères n°7175 qui s’est tenue le 10 octobre 2012 chez Christie’s, l’ont été pour pour un prix total de 5.350 £ soit 6.591 € au cours du mois de novembre 2012.
Elles ne peuvent être considérées comme de valeur négligeable et en outre, il apparaît que devant la cour, Monsieur [W] conteste le recel successoral mais n’argue d’aucun moyen sur le caractère de don d’usage de la donation dont il se prévaut.
Le prix des ‘uvres objet de la donation doit donc être rapporté à la succession et le jugement sera infirmé sur ce point.

Compte-tenu du fait qu’il résulte des échanges avec Maître [M] que Madame [F] a reconnu que Maître [G] avait été informé par Monsieur [W] de quelques ventes mineures, la preuve d’une intention frauduleuse de Monsieur [W] lorsqu’il a vendu ces ‘uvres n’est pas suffisamment rapportée et le jugement sera confirmé en ce qu’il n’a pas retenu le recel successoral.

Sur les demandes accessoires

L’équité ne justifie pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faveur de l’une ou de l’autre des parties.

La présente décision est susceptible d’un pourvoi en cassation, voie de recours extraordinaire qui ne suspend pas l’exécution de la décision attaquée. L’effet non suspensif du pourvoi et du délai pour l’introduire engendre le droit pour la partie qui le souhaite d’obtenir l’exécution forcée de l’arrêt attaqué dès lors que celui-ci a été signifié.

La demande tendant à voir ordonner l’exécution provisoire du présent arrêt est donc sans objet.

Eu égard à la nature du litige, il convient d’ordonner l’emploi des dépens en frais généraux de partage et de dire qu’ils seront supportés par les copartageants dans la proportion de leurs parts dans l’indivision.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement par décision contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement en ce qu’il a retenu l’existence d’un don d’usage ;

Y substituant,

Dit que Monsieur [J] [W] devra rapporter à la succession la somme de 6 591 euros, au titre du produit de la vente des ‘uvres vendues par lui et non représentées à la succession ;

Confirme le jugement des autres chefs dévolus à la cour ;

Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu à indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l’emploi des dépens en frais généraux de partage et dit qu’ils seront supportés par les copartageants dans la proportion de leurs parts dans l’indivision.

Le Président, Le Président,

 


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