Droits des héritiers : 14 mars 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/04926

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Droits des héritiers : 14 mars 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/04926

14 mars 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
19/04926

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 14 MARS 2023

N° RG 19/04926 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LHAM

Madame [E] [A] épouse divorcée [J]

c/

SELARL LAURENT [T]

Madame [M] [O] [J]

Monsieur [V] [L] [J]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 septembre 2019 (R.G. 99/11755) par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 12 septembre 2019

APPELANTE :

Madame [E] [A] épouse divorcée [J], née le [Date naissance 6] 1946 à [Localité 17], de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représentée par Maître Laurence TASTE-DENISE de la SCP R.M.C., avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Olivier ROQUAIN, avocat au barreau d’AGEN

INTIMÉE :

SELARL LAURENT [T], es qualité de mandataire liquidateur de Monsieur [D] [J] et de Madame [G] [A], prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 9]

représentée par Maître Sylvie MICHON de la SELARL CABINET FORZY – BOCHE-ANNIC – MICHON, avocat au barreau de BORDEAUX

INTERVENANTS :

Madame [M] [O] [J], née le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 13], de nationalité Française, demeurant [Adresse 10]

Monsieur [V] [L] [J], né le [Date naissance 7] 1968 à [Localité 13]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 16]

représentés par Maître Laurence TASTE-DENISE de la SCP R.M.C., avocat au barreau de BORDEAUX et assistés par Maître Olivier ROQUAIN, avocat au barreau d’AGEN

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 14 février 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE :

M. [D] [J], marié à Mme [E] [A], exploitait le domaine viticole du [Adresse 15] à [Localité 11] (Gironde).

Par jugement en date du 25 Aout 1994, le tribunal de grande instance de Bordeaux a ouvert à l’égard des époux [J] une procédure de redressement judiciaire et a désigné Maître [T] en qualité de représentant des créanciers.

Ce jugement est devenu définitif, aux termes d’une procédure ayant donné lieu à deux arrêts de cassation, puis, à un rejet, par arrêts de la cour de cassation en date des 18 mai 2017 et 7 février 2018, des pourvois qui avaient été interjetés par Mme [A] puis M. [J] à l’encontre de l’arrêt confirmatif de la cour d’appel d’Agen en date du 1er décembre 2014.

Par jugement en date du 4 Juillet 1996, le tribunal avait adopté au bénéfice des époux [J] un plan de continuation dont la résolution a été ensuite prononcée par jugement du 28 Janvier 2000, ordonnant une nouvelle procédure de redressement judiciaire.

Par jugement en date du 26 janvier 2001, le tribunal de grande instance de Bordeaux a ordonné la conversion de la procédure de redressement ouverte à l’égard des époux [J] en procédure de liquidation judiciaire, et a désigné la SELARL Laurent [T] en qualité de mandataire liquidateur.

Ce jugement est devenu définitif à la suite du refus d’admission, par arrêt de la Cour de cassation en date du 5 février 2008, du pourvoi qui avait été interjeté à l’encontre de l’arrêt confirmatif rendu le 23 mars 2005 par la cour d’appel de Bordeaux.

Dans le cadre des opérations de liquidation, la SELARL Laurent [T] a sollicité l’autorisation de vendre différents biens dépendant de la liquidation, et notamment de vendre sur publication judiciaire un immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 12] et cadastré KY n°[Cadastre 3] pour 1 are 95 ca et KY n°[Cadastre 5] pour 20 ares, dans lequel Mme [E] [A] a son domicile actuel.

Le juge commissaire a autorisé la vente de cet immeuble de la [Adresse 2] :

– d’abord par une ordonnance en date du 5 décembre 2003, fixant une mise à prix à 100 000 euros, confirmée par jugement du 30 mars 2004, ayant fait l’objet d’un appel déclaré irrecevable par arrêt du 15 juin 2005,

– puis par une nouvelle ordonnance du 6 janvier 2006, ayant donné lieu sur appel à un jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 12 septembre 2006, ordonnant le sursis à statuer sur le recours formé par les époux jusqu’à l’issue des opérations de liquidation de la succession de M. [K] [S] [J] (père d'[D] [J]).

Mme [P], épouse commune en biens de M. [K] [S] [J], est décédée le [Date décès 8] 2008, laissant pour seul héritier son fils [D] [J].

Par acte d’huissier en date du 27 juin 2018, le mandataire liquidateur a fait sommation à M. [D] [J] d’avoir à prendre position sur la succession de ses parents.

Le mandataire liquidateur a présenté le 13 novembre 2018 une nouvelle requête au juge-commissaire pour être autorisé à vendre l’immeuble de la [Adresse 2] sur publication judiciaire avec fixation d’une nouvelle mise à prix.

En considération de la litispendance existant entre la requête du mandataire liquidateur et le recours formé devant le tribunal de grande instance de Bordeaux contre l’ordonnance de vente aux enchères du 6 janvier 2006, le juge-commissaire a, par ordonnance du 5 avril 2019, considéré qu’il existait une litispendance et qu’il convenait de renvoyer l’examen de la requête au tribunal qui n’avait pas vidé sa saisine à la suite de la décision de sursis à statuer.

Par jugement du 6 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux (service des procédures collectives) a pour l’essentiel :

– confirmé l’ordonnance du juge- commissaire en date du 6 janvier 2006, constaté la péremption des effets de l’ordonnance en application des dispositions de l’article R. 321-20 du code des procédures civile exécution, ordonné la vente aux enchères publiques de l’immeuble dépendant de la communauté ayant existé entre M. [D] [J] et Mme [E] [A] situé [Adresse 2], cadastré section Y numéro [Cadastre 3] pour 1 are 95 centiares, et Y numéro [Cadastre 5] pour 29 centiares, sur une mise à prix de 200’000 euros avec faculté de baisse de mise à prix d’un quart puis d’un tiers.

Par déclaration en date du 12 septembre 2019, Mme [E] [A] divorcée [J] a relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués, en intimant la SELARL [T] es-qualité et M. [D] [J].

Par acte en date du 24 octobre 2019, Maître [T] es-qualités a fait assigner M. [D] [J] devant le tribunal de grande instance de Bordeaux pour voir juger que celui-ci était acceptant pur et simple des successions de ses deux parents.

Il demande notamment au tribunal judiciaire de l’autoriser, en sa qualité de représentants des créanciers d'[D] [J], à accepter en ses lieu et place les successions d'[K] [J] et [X] [P] veuve [J], et d’ordonner l’ouverture des opérations de compte, liquidation de la communauté et des successions.

Cette procédure est toujours en cours, avec renvoi à la mise en état le 9 mars 2023.

M. [D] [J] est décédé le [Date décès 4] 2020, laissant pour lui succéder ses enfants [M] et [V] [J], qui sont intervenus volontairement à l’instance devant la cour.

Par ordonnance en date du 1er juillet 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande qui avait été formée par Mme [A], tendant à voir ordonner le sursis à statuer jusqu’au 31 décembre 2022, dans l’attente de la vente amiable de l’immeuble de la signature d’une promesse de vente.

Par dernières conclusions notifiées le 30 janvier 2023, Mme [E] [A] divorcée [J] demande à la cour :

– de déclarer son appel recevable et bien fondé,

– d’infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 6 septembre 2019, en l’ensemble de ses dispositions,

– de déclarer irrecevable et en tout cas mal fondée la SELARL FIRMA ès-qualités en sa demande de révocation du sursis à statuer prononcé par le tribunal de grande instance de Bordeaux suivant un jugement en date du 12 septembre 2006, la cause du sursis à statuer n’étant pas levée, l’action objet du sursis étant pendante devant le tribunal judiciaire de Bordeaux,

et pour cause d’estoppel, caractérisé par la déloyauté et les contradictions des moyens et arguments développés et signifiées par la SELARL FIRMA ès qualité depuis l’introduction initiale de la procédure tendant à obtenir l’autorisation de vendre l’immeuble de la [Adresse 2] jusqu’à ce jour,

– de prononcer et en tout cas de confirmer le sursis à statuer prononcé par jugement le 12 septembre 2006, dans l’attente qu’il soit statué définitivement sur l’action introduite par la SELARL FIRMA ès-qualités à l’encontre de M. [D] [J] le 24 octobre 2019 aux fins de le voir juger acceptant de la succession de ses parents et en conséquence que les actifs successoraux soient cédés.

Subsidiairement,

– de déclarer la SELARL FIRMA ès-qualités irrecevable et en tous cas mal fondée en sa demande d’adjudication de l’immeuble appartenant à Mme [A].

Infiniment subsidiairement,

– de prononcer le sursis à statuer dans l’attente de la vente de gré à gré de l’immeuble de la [Adresse 2] permettant de régler le passif,

– de condamner en tout état de cause la SELARL FIRMA ès-qualités à payer à Mme [A] la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions du 22 juin 2021, Mme [M] [J] et M. [V] [J] sont intervenus volontairement à l’instance en qualité d’héritiers de leur père [D] [J], en demandant à la cour de:

– déclarer recevable l’intervention volontaire de M. [V] [J] et de Mme [M] [J] en qualité d’héritiers de M. [D] [J],

– prononcer le sursis à statuer de l’instance en cours, dans l’attente soit d’un désistement d’instance et d’action, soit d’une reprise de l’instance à l’initiative de la partie la plus diligente.

Par dernières conclusions notifiées 26 janvier 2023, la SELARL FIRMA, venant aux droits de la SELARL Laurent [T], es qualité de mandataire liquidateur de M. [D] [J] et de Mme [E] [A], demande à la cour:

– de dire et juger Mme [E] [A] recevable mais mal fondée en son appel

En conséquence :

– de la débouter de l’intégralité de ses demandes fins et prétentions,

– de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 6 septembre 2019,

– Y ajoutant, de condamner Mme [E] [A] à verser à la SELARL FIRMA

venant aux droits de la SELARL Laurent [T] une indemnité de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens de l’appel.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 31 janvier 2023.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE LA DECISION :

1- En l’absence de toute contestation sur ce point, et de fin de non-recevoir susceptible d’être relevée d’office par la cour, l’appel de Mme [J] sera déclaré recevable.

2- Il convient de donner acte à Mme [M] [J] et M. [V] [J] de leur intervention volontaire à l’instance en qualité d’héritiers de leur père M.[D] [J], décédé; l’instance a donc été valablement reprise du fait de leurs conclusions notifiées le 22 juin 2021.

Sur la demande de révocation du sursis à statuer :

3- Selon les dispositions de l’article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps où jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine.

4- Selon les dispositions de l’article 379 du code de procédure civile, le sursis à statuer ne dessaisit pas le juge. À l’expiration du sursis, l’instance est poursuivie à l’initiative des parties à la diligence du juge, sauf la faculté d’ordonner, s’il y a lieu, un nouveau sursis.

Le juge peut, suivant les circonstances, révoquer le sursis ou en abréger le délai.

Concernant l’omission de statuer sur la révocation du sursis à statuer :

5- Sans l’indiquer au dispositif de son jugement, mais seulement dans la motivation, le tribunal judiciaire de Bordeaux a ordonné la révocation du sursis à statuer qui avait été prononcé le 12 septembre 2006, au motif que M. [D] [J] n’avait pas fait connaître au mandataire liquidateur le sort de la succession de ses parents dans un délai raisonnable et compatible avec les exigences de la procédure collective.

6- Saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, la cour rectifiera l’omission affectant le dispositif du jugement.

Concernant la recevabilité de la demande de révocation du sursis à statuer:

7- Mme [A], appelante, soutient que la demande de révocation du sursis à statuer serait irrecevable, en application du principe de l’estoppel, dès lors que le mandataire liquidateur ne pourrait à la fois, sans se contredire, ni manquer à son obligation procédurale de loyauté :

– respecter son engagement ayant conditionné le sursis à statuer prononcé par jugement du 12 septembre 2006, en engageant devant le tribunal judiciaire son action en ouverture des opérations de liquidation des successions,

– et conclure en même temps devant la présente cour que le maintien du sursis à statuer ne se justifie plus.

8- La SELARL FIRMA es-qualité, intimée, conclut au rejet de cette fin de non-recevoir en contestant toute contradiction au détriment d’autrui. Les conditions de l’estoppel ne seraient pas réunies selon elle.

9- La cour rappelle que la fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui sanctionne l’attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d’une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions (en ce sens, cour de cassation, 2e Civ., 15 mars 2018, pourvoi n° 17-21.991, Bull. 2018, II, n° 49).

En l’espèce, l’instance pendante devant le tribunal judiciaire de Bordeaux en ouverture des opérations de liquidation des successions de parents de M. [D] [J] est distincte de celle née de l’appel du jugement du 6 septembre 2019.

Au surplus, il n’existe pas de contrariété, ni d’incompatibilité entre les prétentions du mandataire, chargé par la loi de réaliser les actifs de la liquidation judiciaire, tendant, d’une part, à l’ouverture par jugement des

opérations de liquidation des successions échues au débiteur, et d’autre part à voir révoquer le sursis à statuer compte tenu du délai, selon lui anormal , qui s’est écoulé depuis 2006.

Le mandataire n’a fait qu’user de la faculté qui lui était offerte par l’article 379 alinéa 2 du code de procédure civile en sollicitant la révocation du sursis à statuer qu’il avait initialement accepté, et aucun manquement à un principe de loyauté procédurale ne peut lui être valablement reproché sur ce point.

Par ailleurs, le fait, pour le mandataire liquidateur, d’avoir introduit par assignation du 24 octobre 2019, une action devant le tribunal de grande instance de Bordeaux en ouverture des opérations de liquidation des successions ne saurait valoir, de sa part, aveu judiciaire du bien-fondé du sursis à statuer, contrairement à ce que soutient l’appelante.

Enfin, l’argumentation développée par Mme [A] sur la faute qui aurait été commise par le mandataire liquidateur, du fait de son retard à introduire cette action devant le tribunal de grande instance, est inopérante dans le cadre de la présente instance, qui a seulement pour objet de déterminer si la vente de l’immeuble de la [Adresse 2] est ou non justifiée, et non d’examiner une éventuelle responsabilité civile du mandataire liquidateur.

10- La demande de révocation du sursis est donc recevable.

Sur le bien-fondé de la demande de révocation :

11- Mme [A] soutient ensuite, au visa des articles 378 et 379 du code de procédure civile, qu’il n’existe pas de circonstance nouvelle justifiant la révocation du sursis à statuer, dès lors :

– que le juge ne peut revenir sur sa décision de sursis à statuer à l’occasion d’une deuxième instance, tant que l’évènement auquel est subordonné le sursis n’est pas survenu,

– que la succession des parents d'[D] [J] n’est toujours par liquidée,

– que le mandataire liquidateur, qui s’est abstenu pendant 10 ans de toute diligence judiciaire pour faire ouvrir les opérations de liquidation pour le compte du débiteur, avant finalement de faire délivrer assignation le 24 octobre 2019, est mal fondé à solliciter la révocation d’un sursis à statuer qu’il avait lui-même sollicité,

– que selon l’assignation, l’actif net de succession serait d’au moins 305 808 euros, et permettrait de régler le passif de la liquidation judiciaire,

– qu’elle ne disposait d’aucun titre pour agir en ouverture des opérations des successions des parents de son ex-époux, dont elle était divorcée.

12- Le mandataire liquidateur réplique, en substance, que le sursis à statuer, initialement accepté, dépendait en réalité du bon vouloir de M. [J], qui dans les faits est demeuré toujours taisant sur son acceptation ou sa renonciation aux successions de ses deux parents, et n’a effectué jusqu’à son décès aucune diligence permettant la réalisation des actifs qui lui étaient échus par voie successorale.

13- Compte tenu de la durée exceptionnellement longue de la procédure collective (ouverte voici 29 ans), de la carence prolongée de M. [J] à faire connaître sa position quant à l’acceptation de la succession de ses parents en dépit des mises en demeure qui lui ont été adressées par le mandataire le 3 mai 2018 et le 27 juin 2018 (ce qui a conduit à une prolongation injustifiée du sursis à statuer), de l’existence d’un important passif non soldé par la vente des actifs de la liquidation, et de l’incertitude sur le terme de la procédure en cours devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, en ouverture des opérations de liquidation des successions des parents d'[D] [J] (que le mandataire liquidateur n’a pu introduire avant l’expiration des voies de recours contre le jugement de 1994), la cour considère, comme le tribunal, que le mandataire liquidateur est bien fondé en sa demande de révocation du sursis à statuer.

Sur la critique du jugement, concernant la confirmation de l’ordonnance du juge-commissaire du 6 janvier 2006 et la vente du bien de la [Adresse 2] :

14- Mme [A] soutient que le jugement du 12 septembre 2006 a instauré, avec l’accord des parties, une hiérarchie entre les biens dépendant de la liquidation judiciaire des époux, en privilégiant la vente des biens échus par succession à M. [J], dont la valeur suffirait à régler entièrement le passif, plutôt que la cession de l’immeuble de la [Adresse 2], dans lequel elle a son domicile.

15- Toutefois, ainsi que le mandataire liquidateur le fait valoir à bon droit, il n’existe aucune certitude sur la possibilité d’apurer le passif de la liquidation judiciaire avec le seul prix de vente des biens immobiliers ayant appartenu aux époux [J]/[P], dont l’état et la valeur actuelle sont indéterminés.

En outre, l’argumentation de Mme [A] concernant la hiérarchie à respecter dans les ventes est inopérante. C’est seulement dans le cadre de discussions menées avec le conseil des débiteurs que le mandataire liquidateur avait, selon ses termes, par courrier du 21 septembre 2018, accepté de ‘bloquer à ce stade la remise en marche de la vente de la maison’ afin de préserver les chances d’une acceptation de la dévolution successorale par [D] [J].

Le mandataire ne s’est nullement engagé (et il ne le pouvait d’ailleurs pas) à renoncer à la vente forcée de la maison de la [Adresse 2] tant que la vente des biens successoraux ne serait pas intervenue.

En toutes hypothèses, tant que la procédure en cours devant le tribunal de grande instance n’a pas été à son terme, les biens des époux [J]/[P] ne sont pas intégrés à l’actif de la liquidation, et l’immeuble de la [Adresse 2] constitue en l’état le seul actif dont la vente pourrait éteindre le passif antérieur résiduel s’élevant à la somme de 648 254,45 euros, sauf à parfaire, déduction faite de la vente déjà intervenue de divers biens.

Sur la critique du jugement, en ce qu’il a fait droit à la nouvelle requête aux fins de vente présentée par le mandataire liquidateur le 13 novembre 2018:

16- Par des motifs détaillés et pertinents que la cour adopte, le tribunal a considéré que l’ordonnance du juge-commissaire du 6 janvier 2006 autorisant la vente aux enchères publiques de la maison de la [Adresse 2] avait cessé de produire ses effets, en application de l’article R. 321-20 du code des procédures d’exécution, dès lors que dans les deux ans suivant sa publication n’avait pas été mentionnée, en marge de sa publication, un jugement constatant la vente du bien saisi.

En effet, l’ordonnance du juge-commissaire ordonnant la vente par adjudication d’un débiteur en liquidation judiciaire produit les mêmes effets qu’un commandement de payer valant saisie, et en suit le régime (articles L.642-18 et R.642-22 du code de commerce).

En conséquence, la sanction de la péremption prévue par les articles R.321-20 et R. 321-21 du code des procédures civiles d’exécution était bien applicable à l’ordonnance du juge-commissaire ordonnant la vente par adjudication judiciaire d’un immeuble d’un débiteur en liquidation judiciaire.

L’ordonnance du 6 janvier 2006, fondée en son principe, compte tenu de l’importance du passif de la liquidation judiciaire restant à apurer, devait donc être confirmée, mais ne pouvait servir de fondement à une vente sur publication judiciaire compte tenu de sa péremption.

Le jugement doit être confirmé de ce chef.

17- Sans réellement contester la péremption de l’ordonnance initiale de 2006, Mme [A] critique le jugement sur le principe de la vente forcée, en reprenant les mêmes arguments que ceux développés au soutien de la demande de sursis à statuer (dont celui tiré de l’estoppel).

Elle demande de nouveau qu’il soit sursis à statuer et soutient que la vente de l’immeuble où elle réside constituerait une atteinte inéquitable à ses droits.

18- [M] et [V] [J] ont également demandé à la cour un sursis à statuer jusqu’à un désistement de l’instance en cours ou de la reprise de la procédure.

19- Mais, comme précédemment énoncé, et compte tenu de l’importance du passif restant à combler (648 254,45 euros, déduction faite de la vente déjà intervenue de divers biens), de l’actuelle indisponibilité des biens d’origine successorale, de l’incertitude sur la date à laquelle ces immeubles seraient susceptibles d’intégrer l’actif de la liquidation, et sur la date d’un potentiel accord global qui n’a jamais pu être entériné jusqu’à présent, il n’existe aucune justification à une nouvelle décision de sursis à statuer, ordonnée par la cour, dans l’attente d’un très hypothétique désistement.

Il sera en outre relevé que [M] et [V] [J] ont bien indiqué intervenir à l’instance d’appel en qualité d’héritiers de M. [D] [J], sans formuler de réserves à cet égard, de sorte qu’il n’est pas justifié d’ordonner un sursis à statuer jusqu’à ce qu’ils fassent part officiellement de leur acceptation de la succession, ainsi que le suggère leur mère, en page 22 de ses conclusions.

C’est en vain que l’appelante oppose à nouveau, à ce stade, une fin de non-recevoir tirée de l’estoppel, en arguant en outre d’un manquement du mandataire liquidateur à son obligation de loyauté procédurale, en reprenant la même argumentation que celle précédemment développée et que la cour écartera pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au paragraphe 9.

La vente de l’immeuble de la [Adresse 2] s’impose donc en l’état comme l’unique moyen de parvenir dans un délai raisonnable à l’apurement du passif de la liquidation judiciaire.

Mme [A] n’est pas fondée à invoquer une atteinte inéquitable à ses droits, dans le cadre de la présente instance, dès lors qu’elle a pu occuper durant 22 ans un immeuble dépendant des actifs de la liquidation judiciaire dont le mandataire liquidateur devait assurer la cession.

Sur les modalités de réalisation de la vente :

20- Mme [A] indique à titre subsidiaire qu’elle n’est pas opposée à une vente amiable, que l’immeuble de la [Adresse 2] demeure en vente, mais qu’elle n’a reçu jusqu’à présent aucune offre sérieuse de la part d’acquéreurs potentiels.

21- Le mandataire liquidateur confirme que les parties avaient convenu de vente de l’immeuble au prix de 1,2 Millions d’euros, dans un délai de trois mois, ce qui a donné lieu à des publicités de sa part les 23 novembre et 3 décembre 2021, puis fin mars 2022, mais sans succès ni retour de la part des visiteurs.

22- Il ressort du rapport établi par le cabinet Lahaye Expertises, en date du 24 septembre 2021, que l’immeuble situé au [Adresse 2] de 196 m² de surface utile, avec jardin, peut être évalué à 1 050 000 euros.

Mme [E] [A] justifie avoir donné trois mandats de vente, au prix de 1245000 euros (1 200 000 euros net vendeur) à l’agence PARSY FINES PROPERTIES (avenant du 18 mai 2022), le 19 mai 2022 à la société VEGA Immobilier(à l’enseigne Guy Hoquet [Localité 14]) et le 19 mai 2022 à la SAS SSKI (Lafitte & associés).

Il convient donc de relever que le prix de vente offert est sensiblement plus élevé que celui de l’estimation par expert, et que Mme [A] ne justifie d’aucune proposition d’achat suite aux visites qui ont eu lieu de son bien.

Elle ne rapporte pas la preuve qu’une proposition d’acquisition soit en cours de confirmation, ainsi qu’elle l’affirme dans ses dernières écritures.

23- Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a ordonné la vente sur une mise en prix de 200 000 euros, susceptible d’attirer les enchérisseurs.

Sur les demandes accessoires :

24- Echouant en son appel, Mme [A] sera condamnée au paiement d’une indemnité de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens d’appel.

Elle supportera ses propres frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Déclare l’appel de Mme [E] [A] recevable,

Donne acte à Mme [M] [J] et à M.[V] [J] de leur intervention volontaire à l’instance d’appel en qualité d’héritiers de leur père M.[D] [J],

Rectifiant l’omission de statuer affectant le dispositif du jugement du 6 septembre 2019,

Ordonne la révocation du sursis à statuer prononcé par jugement du 12 septembre 2006,

Rejette les fins de non-recevoir soulevées par Mme [E] [A],

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux (service des procédures collectives) en date du 6 septembre 2019, ainsi rectifié, en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Rejette les demandes de sursis à statuer de Mme [E] [A], de Mme [M] [J] et de M.[V] [J],

Condamne Mme [E] [A] à payer à la SELARL FIRMA es-qualités, venant aux droits de la SARL Laurent [T] la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne Mme [E] [A] aux dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par M. Franco, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

 


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