Droits des héritiers : 13 juin 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/06557

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Droits des héritiers : 13 juin 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/06557

13 juin 2023
Cour d’appel de Lyon
RG n°
21/06557

N° RG 21/06557 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NZVO

Décision du

Tribunal Judiciaire de LYON

Au fond

du 23 juin 2021

RG : 17/06323

ch n°9 cab 09 G

[D]

C/

[D]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

1ère chambre civile B

ARRET DU 13 Juin 2023

APPELANT :

M. [K] [D]

né le 30 mai 1985 à [Localité 3]

Frommenhausstrasse 14

FL 9497 TRIESENBERG (LIECHTENSTEIN)

Représenté par Me Hugues DUCROT de la SCP DUCROT ASSOCIES – DPA, avocat au barreau de LYON, toque : 709

INTIME :

M. [Y] [D]

né le 30 Janvier 1959 à [Localité 2]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Hervé RIEUSSEC de la SCP RIEUSSEC & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 548

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 19 Janvier 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 27 Mars 2023

Date de mise à disposition : 13 Juin 2023

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Olivier GOURSAUD, président

– Stéphanie LEMOINE, conseiller

– Bénédicte LECHARNY, conseiller

assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DE L’AFFAIRE

[F] [M] est décédée le 8 avril 2011 laissant pour lui succéder, ses trois enfants, M. [K] [D] et Mmes [N] et [E] [D], héritiers réservataires, et son conjoint survivant, M. [Y] [D]. Ce dernier a opté pour l’usufruit de la totalité des biens de la succession.

Les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens.

M. [Y] [D] était par ailleurs donataire en vertu d’une donation au dernier vivant du 29 décembre 1998 à laquelle il a renoncé aux termes d’un acte de notoriété du 26 octobre 2011.

Le notaire chargé de la succession a établi une clôture de l’inventaire des biens dépendant de la succession le 8 décembre 2011. La déclaration de succession souscrite auprès des services fiscaux et un projet d’état liquidatif établi par le notaire étaient joints à la clôture.

M. [K] [D] a sollicité par l’intermédiaire de son notaire la copie de l’intégralité des actes établis et des procurations annexées ainsi que la justification de certains éléments du passif ou de l’actif composant la succession.

Par ordonnance du 17 décembre 2015, le juge des référés l’a débouté de sa demande d’expertise afin de déterminer la consistance exacte du patrimoine de [F] [M] au jour de son décès.

Par acte d’huissier de justice du 7 juin 2017, M. [K] [D] a fait assigner M. [Y] [D] aux fins de voir prononcer l’extinction de son droit d’usufruit et de le condamner à indemniser la succession du montant des actifs dont elle se serait trouvée diminuée du fait de ses agissements.

Par jugement du 23 juin 2021, le tribunal judiciaire de Lyon a :

– déclaré M. [K] [D] irrecevable en sa demande de dommages et intérêts,

– débouté M. [K] [D] de sa demande tendant à voir prononcer l’extinction absolue du droit d’usufruit de M. [Y] [D],

– débouté M. [Y] [D] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

– condamné M. [K] [D] à payer à M. [Y] [D] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [K] [D] aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Rieussec et associés, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration du 10 août 2021, M. [K] [D] a relevé appel du jugement.

Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 13 janvier 2023, il demande à la cour de :

– infirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

– condamner M. [Y] [D] à verser à l’indivision le montant des actifs dont elle s’est trouvée diminuée du fait de ses agissements avant le décès de son épouse ou au moment des opérations successorales, soit la somme de 180 000 euros,

– condamner M. [Y] [D] à réparer le préjudice personnel qu’il a subi à hauteur du tiers des actifs lui revenant, soit 60 000 euros,

– condamner M. [Y] [D] à indemniser l’indivision post-successorale des biens de [F] [M] à hauteur de 206 723 euros correspondant aux actifs vendus à perte, ou au passif imputé à tort, ou encore aux actifs mobiliers non reconstitués,

– condamner M. [Y] [D] à réparer le préjudice personnel qu’il a subi à hauteur du tiers des actifs lui revenant, soit 68 907 euros,

– prononcer l’extinction absolue du droit d’usufruit de M. [Y] [D] en raison des abus de jouissance commis en sa qualité d’usufruitier universel de la succession de [F] [M],

– condamner M. [Y] [D] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner le même aux entiers dépens de la procédure distraits au profit de la SCP Ducrot et associés, sur son affirmation de droit.

Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 3 janvier 2023, M. [Y] [D] demande à la cour de :

rejetant toutes conclusions, fins et moyens contraires,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

déclaré M. [K] [D] irrecevable en sa demande de dommages et intérêts,

débouté M. [K] [D] de sa demande tendant à voir prononcer l’extinction absolue du droit d’usufruit de M. [Y] [D],

condamné M. [K] [D] à payer à M. [Y] [D] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [K] [D] aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Rieussec et associés, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait juger recevable la demande indemnitaire de M. [K] [D],

– rejeter purement et simplement la demande d’indemnisation formulée par M. [K] [D] à hauteur de 180 000 euros,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

et, statuant à nouveau,

– condamner M. [K] [D] à lui payer la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,

enfin, y ajoutant,

– juger irrecevables comme étant nouvelles en cause d’appel les prétentions suivantes de M. [K] [D] :

condamner M. [Y] [D] à réparer le préjudice personnel qu’il a subi à hauteur du tiers des actifs lui revenant, soit 60 000 euros,

condamner M. [Y] [D] à indemniser l’indivision post-successorale des biens de [F] [M] à hauteur de 206 723 euros correspondant aux actifs vendus à perte, ou au passif imputé à tort, ou encore aux actifs mobiliers non reconstitués,

condamner M. [Y] [D] à réparer le préjudice personne qu’il a subi à hauteur du tiers des actifs lui revenant, soit 68 907 euros,

à titre subsidiaire, si par extraordinaire les dites demandes devaient être jugées recevables,

– l’en débouter purement et simplement,

en tout état de cause,

– condamner M. [K] [D] à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Rieussec et associés, avocat sur son affirmation de droit, et ce, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 19 janvier 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur les fins de non-recevoir

1.1. Sur la fin de non-recevoir tirée du caractère nouveau de certaines demandes en appel

Au visa des articles 564 à 566 du code de procédure civile, M. [Y] [D] soulève l’irrecevabilité des demandes présentées pour la première fois en appel par son fils, dans son troisième jeu d’écritures, tendant à le voir condamner à :

l’indemniser personnellement du préjudice personnel qu’il aurait subi à hauteur de 60 000 euros au visa de l’article 1992 du code civil,

indemniser l’indivision post successorale à hauteur de 206 723 euros au visa de l’article 815-13 du même code,

l’indemniser personnellement du préjudice personnel qu’il aurait subi à hauteur de 68 907 euros au visa de l’article 815-13 du même code.

Il fait valoir que ces demandes ne sont ni l’accessoire, ni la conséquence, ni le complément nécessaire des prétentions déjà formulées en première instance auxquelles elles ne font que s’ajouter. Il ajoute que même si le litige actuel est né à la suite de l’ouverture de la succession de [F] [M], il ne s’agit pas d’une procédure de partage judiciaire, puisque l’usufruit du conjoint survivant s’oppose dans l’immédiat à tout partage, de sorte que l’exception au principe de la prohibition des prétentions nouvelles en cause d’appel n’a pas vocation à s’appliquer.

M. [K] [D] réplique que ces demandes ne sont pas nouvelles puisqu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge : dénoncer les abus de gestion commis par son père dans le cadre de la succession de [F] [M] et obtenir une juste indemnisation du préjudice découlant de ces abus.

Réponse de la cour

Selon l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Et selon l’article 656, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

La demande tendant à voir condamner M. [Y] [D] à réparer le préjudice personnel que M. [K] [D] allègue avoir subi à hauteur du tiers des actifs lui revenant tend à la même fin que celle soumise aux premiers juges tendant à le voir condamné à verser à l’indivision le montant des actifs dont elle s’est trouvée diminuée du fait de ses agissements avant le décès de son épouse ou au moment des opérations successorales, soit la somme de 180 000 euros, laquelle demande a été déclarée irrecevable au motif, notamment, que l’article 815-2 du code civil ne saurait s’entendre comme permettant à l’un des indivisaires d’ester seul en justice au nom de l’indivision, laquelle n’a, au surplus, pas la personnalité morale. Il convient dès lors, s’agissant de cette demande, de rejeter la fin de non-recevoir soulevée.

En revanche, alors que la demande soumise aux premiers juges, tendant à voir condamner M. [Y] [D] à payer à l’indivision successorale la somme de 180’000 euros au titre de la perte financière résultant de prélèvements effectués sur les comptes bancaires de [F] [M] avant son décès et d’un défaut de comptabilisation de certains biens dans l’actif successoral, est une action en responsabilité engagée contre M. [Y] [D] en sa qualité de mandataire de son épouse décédée puis des héritiers, en raison de fautes commises dans l’exercice de ses mandats, les demandes formées pour la première fois en appel en paiement des sommes de 206’723 euros et 68’907 euros visent à indemniser l’indivision successorale et M. [K] [D] des préjudices résultant des dégradations et détériorations ayant limité la valeur des biens indivis par le fait ou la faute de M. [Y] [D], agissant en qualité d’indivisaire. Ces dernières demandes qui ne tendent pas aux mêmes fins que celle soumise aux premiers juges, sont donc irrecevables.

1.2. Sur la recevabilité des demandes indemnitaires formées pour le compte de l’indivision

M. [K] [D] soutient qu’il est recevable à demander la condamnation de son père à indemniser l’indivision successorale. Il fait valoir :

– qu’un indivisaire peut agir seul pour préserver les droits indivis et que son action a pour objet de protéger la valeur de la nue-propriété des biens indivis dépendant de la succession;

– qu’il a subi un préjudice personnel du fait des agissements de M. [Y] [D] qui a détourné à son profit des biens propres de son épouse avant le décès et a soustrait des actifs successoraux.

M. [Y] [D] conclut à la confirmation du jugement en ce qu’il a déclaré ces demandes irrecevables pour défaut d’intérêt à agir. Il soutient :

– que M. [K] [D] n’a pas qualité pour agir pour le compte de l’indivision ; qu’il ne peut se prévaloir d’un mandat tacite de ses s’urs ;

– qu’un héritier ne peut former seul des demandes de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice subi par le de cujus en dehors de la poursuite d’une action en justice engagée par celui-ci de son vivant,

– que M. [K] [D] ne peut valablement prétendre qu’en cause d’appel ses prétentions visent seulement son préjudice personnel dès lors qu’il ne peut ignorer que les prétentions sont faites à la fois pour le compte de l’indivision et dans son intérêt personnel.

Réponse de la cour

C’est à bon droit et par des motifs pertinents que la cour adopte, sans qu’il y ait lieu de les paraphraser, que les premiers juges ont déclaré M. [K] [D] irrecevable en sa demande de dommages-intérêts au profit de la succession de [F] [D].

Pour confirmer la décision attaquée, la cour ajoute que, contrairement à ce que laisse entendre M. [K] [D], la demande indemnitaire présentée par ce dernier n’entre pas dans la catégorie des actes conservatoires que chaque indivisaire peut accomplir seul.

En outre, si l’allégation d’un préjudice personnel subi est susceptible d’ouvrir à M. [K] [D] un droit à indemnisation, elle n’a pas pour effet de rendre recevable la demande indemnitaire présentée par une personne dépourvue du droit d’agir pour le compte d’une indivision successorale, dépourvue de personnalité morale.

Aussi convient-il de confirmer le jugement attaqué sur ce point.

1.3. Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

M. [Y] [D] soutient que toutes les prétentions de l’appelant relatives à des opérations réalisées avant le décès de [F] [M] sont irrecevables pour cause de prescription, toute demande se prescrivant dans les cinq ans de la dissolution du régime matrimonial qui a marqué la fin de la suspension du délai de prescription prévue entre époux par l’article 2236 du code civil. Il fait valoir :

– qu’en sa qualité d’héritier, M. [K] [D] était parfaitement en droit, donc en capacité, d’obtenir l’intégralité des éléments concernant la succession de sa mère, de sorte qu’il ne peut arguer d’une prétendue opacité de son père dans la gestion de l’indivision pour tenter d’échapper à la prescription en soutenant qu’il n’a découvert que tardivement les éléments lui permettant d’agir ;

– que la demande d’expertise rejetée en décembre 2015 par le juge des référés avait un objet tellement restreint qu’elle ne saurait être considérée comme interruptive de prescription.

M. [K] [D] réplique :

– que M. [Y] [D] a toujours opéré en toute opacité quant à la gestion du patrimoine indivis de sorte que pendant de nombreuses années, il n’a pas pu disposer des éléments et des informations à même de démontrer la survenance de certains abus ;

– que l’assignation en référé du 27 mars 2015 a nécessairement eu un effet interruptif de la prescription dès lors que son objet avait un lien direct avec l’actuel litige ; que la prescription de cinq ans de droit commun a recommencé à courir à la date de l’ordonnance de rejet du 17 décembre 2015, de sorte qu’en assignant son père par acte du 7 juin 2017, il n’était pas prescrit dans son action.

Réponse de la cour

Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Selon l’article 2236 du même code, la prescription ne court pas ou est suspendue entre époux.

Et selon les articles 2241 et 2243, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ; l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande instance ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée.

La demande formée par M. [K] [D] en indemnisation de son préjudice personnel sur le fondement de l’article 1992 du code civil repose sur les fautes suivantes qu’il reproche à son père d’avoir commises, d’une part, dans l’exercice « du mandat qu’il s’est auto attribué », résultant de la prise en charge par lui de la gestion des biens appartenant à son épouse, d’autre part, dans l’exercice du mandat qui lui aurait été consenti par les héritiers : détournement à son profit de fonds appartenant en propre à son épouse avant le décès de cette dernière et soustraction d’actifs successoraux.

Il ressort des éléments du dossier que M. [K] [D] était en mesure de connaître les faits lui permettant d’exercer son action en responsabilité dès le 8 décembre 2011, date à laquelle le notaire chargé de la liquidation de la succession a procédé à la clôture d’inventaire. Ce point de départ est confirmé par les termes de l’ordonnance de référé du 7 décembre 2015 qui précise que « à la réception de ces documents, M. [K] [D] a mis en doute le caractère exhaustif de l’inventaire des biens mobiliers et des meubles meublants ». Ainsi que le soutient justement l’intimé, l’appelant n’est pas fondé à arguer d’une gestion opaque du patrimoine indivis par son père pour tenter de repousser le point de départ du délai de prescription, alors qu’en sa qualité d’héritier, il était en droit, et donc en capacité, d’obtenir l’intégralité des éléments concernant la succession de sa mère.

Par ailleurs, si la saisine du juge des référés par exploit du 27 mars 2015 a interrompu le délai de prescription, le rejet de la demande d’expertise judiciaire par l’ordonnance du 7 décembre 2015 a eu pour effet de rendre non avenue l’interruption de la prescription.

Il en résulte que l’action en responsabilité de M. [K] [D] contre M. [Y] [D] devait être engagée au plus tard le 8 décembre 2016. Or, elle ne l’a été le 7 juin 2017, soit après l’expiration du délai de prescription quinquennale. En conséquence, il convient, par ajout au jugement déféré, de déclarer son action en paiement de la somme de 60’000 euros irrecevable comme prescrite.

2. Sur la demande d’extinction absolue du droit d’usufruit

M. [K] [D] soutient que la jouissance abusive de son père doit conduire à une cessation de l’usufruit. Il lui reproche :

– d’avoir vendu la clientèle civile, le mobilier et le matériel garnissant le cabinet de pédicure podologue de [F] [M] quelques semaines avant d’opter pour l’usufruit de la totalité des biens, sans l’accord des héritiers nus-propriétaires, et d’avoir encaissé les produits de la vente sans aucune répartition entre successeurs ;

– d’avoir vendu à perte les appartements de la SARL Alchabar sans réunir une assemblée générale extraordinaire des associés ;

– d’avoir tenté de vendre la maison familiale sans solliciter l’accord préalable de ses enfants

– d’avoir procédé à la cession du bien de la SCI de Mival sans le consentement unanime de tous les associés, alors que l’objet social ne comportait pas la possibilité de vendre le bien qui constituait l’unique bien immobilier détenu par la société ;

– d’avoir vendu le portefeuille de valeurs mobilières détenu dans les livres de la BNP, alors qu’il n’est qu’un simple usufruitier de la succession de son épouse et que cette opération allait à l’encontre des intérêts financiers de la succession.

M. [Y] [D] réplique qu’aucun des reproches qui lui sont adressés n’est justifié en fait et ne permettrait en droit d’appliquer la sanction prévue à l’article 618 du code civil. Il fait notamment valoir :

– qu’au moment de la cession du cabinet de podologie-pédicure, il n’avait pas encore la qualité d’usufruitier puisqu’il n’a opté pour cette option et renoncé à la donation entre époux qu’à l’occasion de l’acte de notoriété établi le 26 octobre 2011 ; que M. [K] [D] avait, comme ses s’urs, donné mandat oral à son père pour réaliser cette vente et a été tenu informé des démarches ;

– que l’opération immobilière réalisée par la SARL Alchabar s’étant révélée déficitaire, les époux [D] s’étaient engagés définitivement à vendre leur bien à la banque aux termes d’un compromis de vente du 19 novembre 2010, de sorte qu’il a nécessairement dû, en sa qualité de co-gérant et co-associé de la S.A.R.L., réitérer l’acte le 30 juin 2011, peu important que la réitération du compromis soit postérieure au décès de son épouse ;

– qu’il n’a jamais caché à ses enfants qu’il avait pour projet de vendre la maison familiale ; que dès que M. [K] [D] a fait savoir qu’il s’opposait à cette vente, il a cessé toute démarche en ce sens ;

– que s’agissant de la SCI de Mival, le tribunal a parfaitement retenu que les statuts lui permettaient de s’exprimer seul aux assemblées générales ordinaires et que les griefs formulés par M. [K] [D] relativement à la gestion ne pouvaient être reprochés à son père qu’en sa qualité de co-gérant et non en sa qualité d’indivisaire ;

– qu’en concertation avec ses enfants, il a décidé de vendre les titres de valeurs mobilières et d’en partager le prix de cession sans tenir compte de la valeur de l’usufruit, favorisant ainsi les nus-propriétaires ; que M. [K] [D] qui avait 28 ans et travaillait dans le commerce international de sorte qu’il était en capacité de comprendre l’objet d’une cession de titres, a donné son consentement à cette cession.

Réponse de la cour

Selon l’article 618 du code civil, l’usufruit peut cesser par l’abus que l’usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d’entretien.

Les créanciers de l’usufruitier peuvent intervenir dans les contestations pour la conservation de leurs droits ; ils peuvent offrir la réparation des dégradations commises et des garanties pour l’avenir. Les juges peuvent, suivant la gravité des circonstances, ou prononcer l’extinction absolue de l’usufruit, ou n’ordonner la rentrée du propriétaire dans la jouissance de l’objet qui en est grevé, que sous la charge de payer annuellement à l’usufruitier, ou à ses ayants cause, une somme déterminée, jusqu’à l’instant où l’usufruit aurait dû cesser.

Il résulte de ce texte que le prononcé de l’extinction absolue de l’usufruit ne peut sanctionner qu’un abus de jouissance grave de l’usufruitier.

En l’espèce, à l’appui de sa demande d’extinction absolue du droit d’usufruit, M. [K] [D] invoque en cause d’appel cinq abus de jouissance qu’il impute à l’usufruitier, qui sont identiques à ceux allégués en première instance.

S’agissant du premier grief tiré de la vente du cabinet de pédicure podologue, la cour relève, indépendamment de la question de la qualité d’usufruitier ou non de M. [Y] [D] à la date de cession du cabinet, le 3 octobre 2011, que l’appelant indique expressément dans ses conclusions d’appel qu’il ne remet en question ni le montant de la vente, ni même la vente elle-même, mais uniquement « la manière dont [celle-ci] a été exécutée et l’encaissement des produits de la vente », reprochant à son père d’avoir procédé « dans la plus grande discrétion sans que son fils en soit informé » et d’avoir encaissé le produit de la vente sans aucune répartition aux successeurs. Or, d’une part, s’il est exact que M. [Y] [D] ne justifie pas avoir recueilli l’accord de son fils préalablement à la cession de la clientèle civile et du matériel du cabinet, le tribunal a exactement relevé que Mmes [E] et [N] [D], s’urs de l’appelant et filles de l’intimé, attestaient toutes deux avoir donné leur accord à cette vente, la seconde précisant que leur père avait informé ses enfants de l’avancée de cette vente. D’autre part, il ressort de la déclaration de succession effectuée auprès du service des impôts que la valorisation de la clientèle de [F] [M] a bien été portée à l’actif de la succession pour la somme de 40’000 euros. Dès lors, c’est par une exacte appréciation des éléments de la cause que le tribunal a retenu qu’aucun abus de jouissance ne pouvait être retenu à l’encontre de l’usufruitier à ce titre.

S’agissant des autres griefs tirés de la dissolution de la S.A.R.L. Alchabar et de la SCI de Mival, de la tentative de vente de la maison familiale et de la vente du portefeuille de valeurs mobilières, c’est au terme d’une analyse fouillée et par des motifs pertinents et particulièrement détaillés, justement déduits des faits de la cause et des pièces produites, que les premiers juges ont considéré que ces divers actes ne caractérisaient aucun abus de jouissance imputable à l’usufruitier. A hauteur d’appel, aucun moyen nouveau n’est présenté ni aucune pièce nouvelle n’est produite par l’appelant. Dans ces circonstances, adoptant les motifs pertinents des premiers juges sans qu’il soit utile de les paraphraser, la cour confirme le jugement en ce qu’il a considéré que M. [K] [D] ne rapportait pas la preuve de la jouissance de l’usufruitier et l’a débouté de sa demande tendant à voir prononcer l’extinction absolue du droit d’usufruit de M. [Y] [D].

3. Sur la demande reconventionnelle au titre du préjudice moral

M. [Y] [D] forme appel incident et sollicite l’indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 10 000 euros. Il soutient :

– que son fils fait preuve d’un acharnement déraisonnable et d’une véritable intention de nuire, alors que ses prétentions ne sont pas sérieuses ;

– qu’il a toujours été soucieux de l’intérêt de ses enfants, notamment en ce qu’il a financé leur train de vie et constitué une épargne importante qu’ils ont reçue au moment de leur départ du domicile familial.

M. [K] [D] soutient que ses demandes sont factuelles, étayées et proviennent des craintes formulées par sa mère de son vivant, de sorte que son action en justice n’est pas abusive et que l’appel incident doit être rejeté.

Réponse de la cour

Ni les circonstances du litige, ni les éléments de la procédure, ne permettent de caractériser à l’encontre de l’appelant une faute de nature à faire dégénérer en abus son droit de se défendre en justice.

Aussi convient-il de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [Y] [D] de ce chef de demande.

4. Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement est encore confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.

En cause d’appel, M. [K] [D], partie perdante, est condamnée aux dépens et à payer à M. [Y] [D] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La SCP Rieussec et associés, avocat, qui en a fait la demande, est autorisée à recouvrer directement à l’encontre de M. [K] [D] les dépens dont elle aurait fait l’avance sans avoir reçu provision.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déclare irrecevables les demandes formées pour la première fois en cause d’appel par M. [K] [D] tendant à voir condamner M. [Y] [D] à :

indemniser l’indivision post-successorale des biens de [F] [M] à hauteur de 206 723 euros correspondant aux actifs vendus à perte, ou au passif imputé à tort, ou encore aux actifs mobiliers non reconstitués,

réparer le préjudice personnel qu’il a subi à hauteur du tiers des actifs lui revenant, soit 68 907 euros,

Déclare irrecevable comme prescrite la demande de M. [K] [D] formée pour la première fois en cause d’appel tendant à voir condamner M. [Y] [D] à réparer le préjudice personnel qu’il a subi à hauteur du tiers des actifs lui revenant, soit 60 000 euros,

Condamne M. [K] [D] à payer à M. [Y] [D] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [K] [D] aux dépens d’appel,

Autorise La SCP Rieussec et associés à recouvrer directement à l’encontre de M. [K] [D] les dépens dont elle aurait fait l’avance sans avoir reçu provision.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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