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Extraits : fonctionnaire, alors chargée de distinction honorifique à la direction générale de la création artistique au sein du ministère de la culture, a été reçue, le 22 mars 2011, par M. B, alors sous-directeur des politiques de ressources humaines et des relations sociales, pour faire le point sur sa situation professionnelle et ses souhaits d’évolution de carrière, lors d’un entretien qui s’es
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 août 2020 et 21 octobre 2021, Mme C F, représentée par Me Chamberland-Poulin, demande au tribunal, dans le dernier état de ses conclusions :
1°) de surseoir à statuer dans l’attente de la décision pénale à intervenir ;
2°) d’enjoindre au ministre de la culture de communiquer les documents relatifs au dossier individuel de M. D B ;
3°) de condamner l’Etat à lui verser une somme totale de 103 000 euros en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis, portant intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande indemnitaire préalable ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– la réalité des faits dont elle a été victime est établie ;
– la responsabilité de l’Etat pour faute est engagée au titre d’une carence fautive, dès lors, d’une part, que M. B a été maintenu à différents postes de direction pendant plusieurs années et n’a pas été empêché d’agir alors que ses agissements étaient connus, d’autre part, que le ministère de la culture n’a pas mis en place plus tôt des dispositifs d’accompagnement des victimes, d’écoute et de soutien psychologique ;
– la responsabilité de l’Etat pour faute est engagée en raison d’une mauvaise organisation des services du ministère de la culture, en l’absence de dispositifs protégeant les victimes et recevant leurs plaintes, au regard du nombre de victimes, de la durée des agissements et de la réputation de l’agent ;
– elle est engagée au titre du refus illégal de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
– la responsabilité sans faute de l’Etat doit être engagée ;
– ses préjudices s’élèvent à la somme totale de 103 000 euros, décomposée comme suit : 40 000 euros au titre du préjudice corporel, 5 000 euros au titre des souffrances endurées, 30 000 euros au titre du préjudice moral, 5 000 euros au titre de l’atteinte à son honneur, 10 000 euros au titre du préjudice sexuel, 2 000 euros au titre du préjudice d’agrément, 10 000 euros au titre du préjudice professionnel, 1 000 euros au titre du préjudice financier.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 juillet 2021 et 18 février 2022, le ministre de la culture conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce qu’il soit sursis à statuer sur les conclusions de la requête.
Il soutient que :
– les moyens soulevés par Mme F ne sont pas fondés ;
– les conclusions de Mme F relatives à l’engagement de la responsabilité sans faute de l’Etat sont irrecevables, dès lors qu’elle n’a jamais demandé à bénéficier du régime d’imputabilité au service de ses arrêts de travail ;
– les conclusions indemnitaires de Mme F sont irrecevables, en l’absence de demande indemnitaire préalable suffisamment précise.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Doan,
– les conclusions de M. Abrahami, rapporteur public,
– les observations de Me Chamberlan-Poulin, représentant Mme F,
– et les observations de Me Magnaval, représentant la ministre de la culture.
:
1. Le 11 juin 2018, M. D B, alors en poste à la direction régionale des affaires culturelles de la région Grand-Est, a été surpris, lors d’une réunion, en train de photographier les jambes d’une participante à l’insu de celle-ci. Un signalement a été transmis, le 14 juin 2018, par le ministère de la culture au procureur de la République et M. B a été provisoirement suspendu de ses fonctions le 15 juin 2018. Les 15 et 16 août 2018, il était découvert dans le matériel de bureau de M. B des photos compromettantes, ainsi qu’un tableau listant des ” expériences ” humiliantes infligées à près de deux cents femmes dans le cadre d’entretiens liés à ses fonctions entre 2009 et 2015. Le 10 octobre 2018, l’emploi de directeur régional adjoint des affaires culturelles de la région Grand Est occupé par M. B lui a été retiré. Par décret du Président de la République du 11 janvier 2019, M. B a été révoqué de la fonction publique. A la suite de la publication d’articles de presse, à partir de mai 2019, le ministère de la culture a adressé, le 12 juin 2019, un message à ses agents afin de les informer des mesures prises à l’encontre de M. B et de leur indiquer que la protection fonctionnelle leur était ouverte. Le 17 juillet 2019, Mme C F a été entendue dans le cadre de l’enquête judiciaire ouverte à l’encontre de M. B. Le 19 décembre 2019, Mme E a fait parvenir au ministère de la culture une demande indemnitaire préalable en réparation de ses préjudices. Cette demande a été rejetée par une décision du 19 février 2020. Par la présente requête, Mme F sollicite l’indemnisation des préjudices qu’elle estime avoir subis.
Sur la responsabilité de l’Etat :
2. La victime non fautive d’un préjudice causé par l’agent d’une administration peut, dès lors que le comportement de cet agent n’est pas dépourvu de tout lien avec le service, demander au juge administratif de condamner cette administration à réparer intégralement ce préjudice, quand bien même aucune faute ne pourrait-elle être imputée au service et le préjudice serait-il entièrement imputable à la faute personnelle commise par l’agent, laquelle, par sa gravité, devrait être regardée comme détachable du service. Cette dernière circonstance permet seulement à l’administration, ainsi condamnée à assumer les conséquences de cette faute personnelle, d’engager une action récursoire à l’encontre de son agent.
3. Il résulte de l’instruction que Mme C F, fonctionnaire, alors chargée de distinction honorifique à la direction générale de la création artistique au sein du ministère de la culture, a été reçue, le 22 mars 2011, par M. B, alors sous-directeur des politiques de ressources humaines et des relations sociales, pour faire le point sur sa situation professionnelle et ses souhaits d’évolution de carrière, lors d’un entretien qui s’est déroulé dans les bureaux du ministère. Selon le procès-verbal d’audition par la police judiciaire de Mme F, en date du 17 juillet 2019, M. B lui a proposé, en début d’entretien, un verre d’eau ou un café qu’elle a bu. Ressentant rapidement des douleurs et une envie d’uriner, elle a demandé à interrompre l’entretien pour se rendre aux toilettes, où M. B l’a suivie jusqu’à la porte. M. B a reconnu, ainsi qu’il ressort du procès-verbal de la commission administrative paritaire du 4 octobre 2018, avoir imposé des situations humiliantes aux femmes qu’il recevait ainsi en entretien et dont la liste a été tenue par lui dans un tableau intitulé ” expériences P “. Il ressort du procès-verbal du 17 juillet 2019 que Mme E figurait dans ce tableau. Les agissements préjudiciables de M. B à son égard ne sont pas sérieusement contestés en défense. Ils ont été commis à l’intérieur des bureaux du ministère de la culture, pendant le service et à l’occasion du service, l’entretien litigieux, qui impliquait une relation de nature hiérarchique entre M. B et sa victime, n’ayant eu lieu que par l’effet du service.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres fautes de l’administration invoquées par Mme F, lesquelles ne sont à l’origine d’aucun préjudice distinct, ni le fondement d’une responsabilité sans faute de l’administration et la fin de non-recevoir soulevée en défense sur ce point, qu’il y a lieu de mettre à la charge de l’administration la réparation intégrale des préjudices subis par la requérante.
Sur le bénéfice de la protection fonctionnelle :
5. Mme F invoque une faute de l’Etat tirée de ce que la protection fonctionnelle qui lui a été accordée par une décision du 13 janvier 2020 se limite à prendre en charge les frais nécessaires à sa défense, sans procéder à la réparation intégrale des préjudices subis. Toutefois, il ne résulte d’aucune disposition ni d’aucun principe que le bénéfice de la protection fonctionnelle doive comprendre, en lui-même, la réparation des préjudices subis par la victime, et ce bien que celle-ci puisse en demander réparation sur d’autres fondements. Par suite, les conclusions tendant à la reconnaissance d’une faute de l’Etat tirée de l’insuffisance de la protection fonctionnelle accordée à Mme F doivent être rejetées.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir soulevée en défense :
6. Le fait, dans une réclamation préalable adressée à l’administration, de demander l’indemnisation du préjudice résultant d’une faute de l’administration suffit à lier le contentieux, quand bien même n’est pas mentionnée dans la réclamation préalable l’existence de certains postes de préjudice évalués ensuite devant le tribunal administratif.
7. En l’espèce, la ministre de la culture soutient que les conclusions indemnitaires de la requête de Mme F sont irrecevables, dès lors que sa demande indemnitaire préalable du 19 décembre 2019 ne détaillerait aucun des préjudices tirés de son préjudice corporel, de ses souffrances physiques ainsi que de son atteinte à l’honneur. Toutefois, il résulte de ce document que Mme F y évoquait en détail des préjudices à son état de santé physique et psychique qui résultaient des agissements litigieux, le préjudice moral engendré par cette situation, les crises d’angoisse et le suivi psychologique qui ont suivi ces événements, et demandait la réparation de ses troubles dans ses conditions d’existence. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée en défense doit être écartée.
En ce qui concerne le préjudice corporel et les souffrances endurées :
8. Il résulte de l’instruction que Mme F a subi, en raison des agissements de M. B lors de l’entretien, des douleurs vives dans la vessie et des sensations de malaise. Si elle fait valoir que la prise de diurétique peut causer des effets secondaires dommageables, elle n’établit pas, en l’espèce, avoir subi d’effets à long terme après l’entretien litigieux. Si elle indique qu’elle a dû être placée en arrêt de travail pendant deux semaines en juillet 2019, en raison des angoisses et des perturbations de son sommeil engendrées par ces événements, elle n’établit pas, par les pièces qu’elle produit, le lien de causalité direct et certain entre ce préjudice et les faits litigieux. Il sera fait une juste appréciation de l’ensemble de ce poste de préjudice en lui accordant la somme de 1 000 euros à ce titre.
En ce qui concerne le préjudice moral :
9. Il résulte de l’instruction que Mme F a subi un préjudice moral tenant aux agissements dissimulés de M. B à son encontre pendant l’entretien, à l’atteinte à son honneur provoquée par le comportement de M. B, ainsi qu’à la panique et à l’angoisse causées par ces événements. Il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en lui accordant la somme de 10 000 euros à ce titre.
En ce qui concerne le préjudice d’agrément :
10. Mme F fait valoir qu’à la suite des événements litigieux, elle a cessé toute activité physique, sportive et culturelle et a connu un isolement social particulièrement important. Toutefois, elle n’établit pas, par les pièces qu’elle produit, la réalité de ce préjudice. Il n’y a pas lieu, par suite, de lui accorder une indemnisation à ce titre.
En ce qui concerne le préjudice sexuel :
11. Si Mme F fait valoir qu’elle a subi un préjudice sexuel en raison des agissements de M. B, elle n’établit pas de dommages de nature à constituer un préjudice morphologique lié à l’atteinte aux organes sexuels, ni un préjudice reposant sur la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel, ni d’impossibilité ou de difficulté à procréer. Par suite, les conditions d’indemnisation d’un préjudice sexuel ne sont, en l’espèce, pas remplies.
En ce qui concerne le préjudice professionnel :
12. Mme F fait valoir qu’elle a quitté le ministère de la culture en raison de son entretien avec M. B en mars 2011. Toutefois, elle n’établit pas le lien de causalité direct et certain entre les agissements de M. B et son départ du ministère, alors que son détachement auprès de l’institut régional d’administration de Lille n’a eu lieu qu’un an et demi plus tard. Au demeurant, elle n’établit pas que cette évolution professionnelle aurait constitué pour elle un préjudice. Par suite, il n’y a pas lieu de faire droit à sa demande d’indemnisation à ce titre.
En ce qui concerne le préjudice financier :
13. Mme F sollicite l’indemnisation de ses frais de consultation d’un psychologue, à la suite de la révélation des faits en litige. Toutefois, elle n’établit pas, par les pièces qu’elle produit, les avoir effectivement engagés. Par suite, il n’y a pas lieu de condamner l’administration à lui verser une somme à ce titre.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de surseoir à statuer jusqu’à ce que le juge judicaire se soit prononcé sur la plainte formée par la requérante ni d’enjoindre à la ministre de la culture de communiquer l’enquête administrative et le dossier individuel de M. B, qu’il y a lieu de condamner l’Etat à verser à Mme F la somme totale de 11 000 euros au titre de ses préjudices. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2019, date de réception de sa demande préalable.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat, au bénéfice de Mme F, la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 1er : L’Etat est condamné à verser à Mme F la somme de 11 000 euros en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2019.
Article 2 : L’Etat versera à Mme F la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme F est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme C F et à la ministre de la culture.
Délibéré après l’audience du 20 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente,
M. Pény, premier conseiller,
M. Doan, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2023.
Le rapporteur,
R. Doan
La présidente,
F. Versol La greffière,
A. Cardon
La République mande et ordonne à la ministre de la culture, en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
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