Harcèlement moral et discrimination dans la fonction publique culturelle :: Tribunal administratif de Paris, 2e Section – 3e Chambre, 28 mars 2023, 2100903

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Harcèlement moral et discrimination dans la fonction publique culturelle :: Tribunal administratif de Paris, 2e Section – 3e Chambre, 28 mars 2023, 2100903
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M. A B, représenté par le cabinet Maouche, de Folleville avocats (AARPI), demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures : 1°) de condamner la ville de Paris à lui verser une indemnité de 60 000 euros en réparation des préjudices matériel et moral et des troubles dans ses conditions d’existence qu’il estime avoir subis à raison des faits de harcèlement moral et de discrimination dans l’accès au corps des professeurs des conservatoires de Paris au titre des années 2020 et 2021 dont il a été victime, assortie des intérêts à taux légal ;

* * * REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 janvier 2021 et le 26 août 2022, M. A B, représenté par le cabinet Maouche, de Folleville avocats (AARPI), demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner la ville de Paris à lui verser une indemnité de 60 000 euros en réparation des préjudices matériel et moral et des troubles dans ses conditions d’existence qu’il estime avoir subis à raison des faits de harcèlement moral et de discrimination dans l’accès au corps des professeurs des conservatoires de Paris au titre des années 2020 et 2021 dont il a été victime, assortie des intérêts à taux légal ;

2°) de mettre à la charge de la ville de Paris une somme de 2 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

– il a été victime de harcèlement moral lors de son affectation au conservatoire municipal du 15ème arrondissement de Paris ;

– il a subi une discrimination et une illégalité de traitement dans le cadre de la promotion interne au sein du corps des professeurs de conservatoire au titre de l’année 2020 en l’absence d’examen par la commission administrative paritaire de l’ensemble des dossiers des agents promouvables et de leur valeur professionnelle dès lors qu’une pré-sélection a été faite par les directeurs de conservatoire et que la commission administrative paritaire s’est bornée à valider la liste présentée, et en raison de l’absence de motif objectif pouvant justifier sa mise à l’écart de la liste d’aptitude dès lors qu’il remplissait l’ensemble des critères pour être promu et de ce qu’aucun des agents inscrits sur la liste d’aptitude ne remplissait les critères de promotion ;

– il a subi une discrimination et une illégalité de traitement dans le cadre de la promotion interne au sein du corps des professeurs de conservatoire au titre de l’année 2021 en l’absence d’examen par l’autorité territoriale de l’ensemble des dossiers des agents promouvables et de leur valeur professionnelle ; il a été écarté du dispositif au motif que le directeur de son conservatoire d’affectation a privilégié un critère d’ancienneté non prévu par le dispositif ;

– ces fautes sont de nature à engager la responsabilité de la ville de Paris ;

– il est fondé à solliciter la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi ;

– son préjudice matériel est évalué à 30 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2022, la maire de Paris conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

– la requête est tardive ;

– les moyens soulevés par M. B ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 30 août 2022 la clôture d’instruction a été fixée au 31 octobre 2022.

Par courrier du 2 mars 2023, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées de ce que le jugement était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de l’irrecevabilité des conclusions indemnitaires fondées sur l’illégalité fautive de la liste d’aptitude au grade de professeur des conservatoires de Paris au titre de l’année 2021 en l’absence de demande indemnitaire préalable sur ce point.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code des relations entre le public et l’administration ;

– la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

– la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme C,

– les conclusions de Mme Mauclair, rapporteure publique,

– et les observations de Me de Folleville, représentant M. B.

Considérant ce qui suit

:

1. Par courrier du 16 septembre 2020, M. B, assistant spécialisé d’enseignement artistique, qui était affecté au conservatoire municipal du 15ème arrondissement de Paris jusqu’au 1er septembre 2020, a sollicité auprès de la ville de Paris une indemnisation en réparation des préjudices subis en raison de faits de harcèlement moral dont il estime avoir été victime et de discrimination dans l’accès au corps des professeurs des conservatoires de Paris au titre des années 2020 et 2021. M. B demande au tribunal la condamnation de la ville de Paris à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice matériel, du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence qu’il estime avoir subis.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne le harcèlement moral :

2. Aux termes de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dorénavant codifié aux articles L. 133-2 du code général de la fonction publique : ” Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. “.

3. Il appartient à un agent public, qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement. Il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile.

4. M. B soutient qu’il a été victime de harcèlement moral de la part du directeur du conservatoire municipal du 15ème arrondissement de Paris en raison d’un comportement hostile à son égard de la part de son supérieur hiérarchique et d’un traitement différencié par rapport à ses collègues.

5. D’une part, la production d’affiches et de détails d’événements indiquant la programmation des compositions du directeur de M. B ne sauraient démontrer qu’une quelconque pression aurait été exercée sur le requérant pour que les œuvres de son directeur soient systématiquement jouées lors des différents événements. Si M. B soutient que les élèves difficiles ont été, de manière délibérée, affectés dans sa classe, il ne produit aucun élément à l’appui de ses allégations. Il ne produit pas davantage d’élément concernant l’absence systématique du directeur lors des auditions de piano qu’il a menées ni d’un refus qui lui aurait été opposé de donner un cours au conservatoire durant la période de confinement et qui aurait été accordée à un autre enseignant. Par ailleurs, le seul compte-rendu d’entretien invoquant le refus de faire droit à sa demande d’aménagement d’horaire, dont il ne résulte pas de l’instruction qu’il ne serait pas en lien avec l’intérêt du service, ne saurait faire présumer de l’existence d’une situation de harcèlement moral. De même, la circonstance qu’une heure supplémentaire lui a été supprimée en 2018 est insuffisante à faire présumer l’existence d’agissement répétés constitutifs d’un harcèlement moral. En outre, le courriel qu’il produit ne permet pas d’établir que M. B aurait été mis à l’écart du projet ” Libertango “. S’il résulte de l’instruction que le directeur du requérant a effectivement reformulé l’appréciation donnée à une élève sans concertation préalable avec le requérant, qu’il a également fait preuve d’un énervement à la suite d’une représentation et qu’il a commenté sur un ton inapproprié ses méthodes pédagogiques, ces circonstances, pour regrettables qu’elles soient, ne révèlent pas des agissements répétés pouvant caractériser un harcèlement moral. Il n’est pas non plus établi que le courriel dans lequel le directeur déplore que M. B réponde à son propre courriel durant ses heures d’enseignement témoignerait d’une attitude ” déloyale et perverse ” de la part de son supérieur hiérarchique. Par ailleurs, les attestations que M. B produit concernant la détérioration des conditions de travail au sein du conservatoire à l’arrivée du dernier directeur en 2017, ne portent pas sur sa situation personnelle et ne sauraient démontrer d’une situation de harcèlement moral envers le requérant. En outre, la circonstance que M. B n’a pas été promu dans le corps des professeurs de conservatoire ne saurait davantage faire présumer de l’existence d’un harcèlement moral. Enfin, s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été proposé par la médecine préventive de changer M. B d’affectation en 2020 et qu’il résulte de l’instruction que M. B souffre de dépression sévère, cette circonstance n’implique pas qu’il aurait fait l’objet de harcèlement moral. Dans ces conditions, les éléments rapportés par M. B, pris isolément ou dans leur ensemble, ne permettent pas de faire présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens des dispositions précitées de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983.

En ce qui concerne la discrimination dans le cadre de la promotion interne :

S’agissant de la promotion interne au sein du corps des professeurs des conservatoires au titre de l’année 2020 :

6. Aux termes de l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 dorénavant codifié à l’article L. 131-1 du code de la fonction publique : ” Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race “. Aux termes de l’article 39 de la loi du 26 janvier 1984 dans sa version applicable au litige : ” En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d’être proposés au personnel appartenant déjà à l’administration ou à une organisation internationale intergouvernementale, non seulement par voie de concours, selon les modalités définies au 2° de l’article 36, mais aussi par la nomination de fonctionnaires ou de fonctionnaires internationaux, suivant l’une des modalités ci-après : 1° Inscription sur une liste d’aptitude après examen professionnel ; / 2° Inscription sur une liste d’aptitude établie par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l’expérience professionnelle des agents. Sans renoncer à son pouvoir d’appréciation, l’autorité territoriale ou le président du centre de gestion assisté, le cas échéant, par le collège des représentants des employeurs tient compte des lignes directrices de gestion prévues à l’article 33-5 “.

7. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime de discrimination, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence de tels agissements. Il incombe ensuite à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que ceux-ci sont justifiés par des considérations étrangères à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile.

8. En premier lieu, M. B soutient que les situations de l’ensemble des fonctionnaires remplissant les conditions statutaires n’ont pas été examinées au motif qu’une pré-sélection et un pré-classement ont été mis en œuvre par les directeurs de conservatoires. Toutefois, l’autorité administrative compétente n’est pas tenue, en vertu des dispositions de l’article 39 de la loi du 26 janvier 1984 rappelées ci-dessus, de faire figurer l’ensemble des agents remplissant les conditions pour être promus sur le projet de liste soumis à la commission administrative paritaire. En revanche, elle doit, d’une part, préalablement à la présentation du projet de tableau, avoir procédé à un examen de la valeur professionnelle de chacun des agents remplissant les conditions pour être promus et, d’autre part, tenir à la disposition de la commission administrative paritaire les éléments sur lesquels elle s’est fondée pour établir ses projets de tableau après avoir comparé les mérites respectifs des agents et, d’autre part, tenir à la disposition de la commission administrative paritaire les éléments sur lesquels elle s’est fondée pour établir ses projets de tableau et de liste après avoir comparé les mérites respectifs des agents.

9. Il ne ressort pas des pièces du dossier et n’est pas même allégué que la commission administrative paritaire, lors de sa réunion du 4 mars 2020, n’a pas été mise à même de prendre connaissance de l’ensemble des éléments sur lesquels l’administration s’est fondée pour établir le projet de la liste d’aptitude, après avoir comparé les mérites respectifs des agents remplissant les conditions statutaires pour être promus. Il n’est pas non plus allégué que l’autorité administrative n’aurait pas procédé à un examen professionnel de chacun des agents remplissant les conditions pour être promus. Dans ces conditions, et alors, que l’ensemble des agents promouvables n’avaient pas à figurer sur la liste soumise à la commission administrative paritaire, les circonstances invoquées par M. B ne sont pas susceptibles de faire présumer que sa non-inscription sur la liste d’aptitude au grade des professeurs des conservatoires était issue d’une procédure illégale empreinte de discrimination.

10. En deuxième lieu, si M. B entend soutenir qu’il a fait l’objet d’une discrimination au motif qu’il remplissait l’ensemble des critères pour être promu, les fonctionnaires, même s’ils remplissent les conditions statutaires requises pour bénéficier d’une promotion au choix, ne détiennent aucun droit à être inscrits sur un tableau d’avancement ou liste d’aptitude. En outre, si M. B soutient que ses fonctions de président de l’association des professeurs de conservatoires parisiens, dans le cadre desquelles il aurait dénoncé des situations anormales, auraient pu avoir une incidence sur le refus de l’inscrire sur la liste d’aptitude litigieuse, il ne produit aucun élément à l’appui de ses allégations. Par suite, les faits tels qu’invoqués ne permettent pas de faire naître une présomption de discrimination.

11. En troisième lieu, il ne résulte pas de l’instruction que M. B aurait été écarté de la liste d’aptitude au corps des professeurs des conservatoires de Paris au motif qu’il ne remplissait pas les conditions statutaires. Il ressort, au contraire, du courrier du 14 mai 2020 que le directeur du conservatoire n’a pas proposé l’intéressé à l’avancement au motif qu’il estimait que le requérant ne démontrait pas toutes les compétences nécessaires pour prétendre au grade sollicité. Par suite, M. B n’est pas fondé à soutenir que ces faits révèleraient une illégalité constitutive d’une discrimination.

12. En dernier lieu, en se bornant à soutenir que les agents nommés sur la liste d’aptitude ne remplissaient pas les critères fixés par la ville de Paris, M. B n’apporte aucun élément tangible susceptible de faire présumer l’existence d’une illégalité constitutive d’une discrimination.

S’agissant de la promotion interne au sein du corps des professeurs des conservatoires au titre de l’année 2021 :

13. En premier lieu, en se bornant à soutenir que sa candidature n’a pas fait l’objet d’un examen par l’autorité territoriale et en se référant au procès-verbal de la commission administrative paritaire de la séance portant sur l’avancement au grade de professeur des conservatoires au titre de l’année 2020, M. B n’apporte aucun élément susceptible de faire présumer l’existence d’une illégalité constitutive d’une discrimination.

14. En second lieu, si M. B soutient que le directeur du conservatoire municipal du 8ème arrondissement a privilégié un motif d’ancienneté constituant ainsi une discrimination, il résulte toutefois de l’instruction, et notamment du courrier de la direction des affaires culturelles du 27 avril 2021, que pour classer M. B second sur la liste des agents proposés, le directeur a relevé que le fonctionnaire précédant le requérant, qui justifiait d’une plus grande ancienneté, détenait également des compétences plus avérées de coordination ou de pilotage de département. Dans ces conditions, M. B n’est pas fondé à soutenir que la décision refusant de l’inscrire sur la liste d’aptitude au corps des professeurs des conservatoires au titre de l’année 2021 serait entachée d’une illégalité constitutive d’une discrimination pour avoir été prise au seul motif de l’ancienneté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. B doit être rejetée, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et à la maire de Paris.

Délibéré après l’audience du 9 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Fouassier, président,

Mme Belkacem, première conseillère,

Mme Marchand, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2023.

La rapporteure,

A. C

Le président,

C. FOUASSIER

La greffière,

C. EL HOUSSINE

La République mande et ordonne au préfet d’Ile-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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