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Par une requête enregistrée le 17 août 2022 et des mémoires enregistrés le 20 octobre et le 23 novembre 2022, M. E A, représenté par Me Bertin, demande au tribunal dans le dernier état de ses écritures : 1°) d’annuler la décision du 20 juin 2022 par laquelle l’inspectrice du travail a autorisé la SAS Réseau de Transport Urbain (RTU) à procéder à son licenciement pour faute ; 2°) d’enjoindre à la SAS RTU de procéder à sa réintégration ;
Aux termes de l’article LP. 2511-1 du code du travail : ” Ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail, le licenciement des salariés suivants : 1. délégué syndical ; 2. délégué du personnel ou délégué de bord ; 3. représentants du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; 4. membres du comité d’entreprise ou représentant syndical à ce comité ; 5. candidats aux fonctions de représentant du personnel, pendant les six mois qui suivent la publication des candidatures ; 6. anciens délégués syndicaux, représentants du personnel ou représentants syndicaux pendant six mois, après la cessation de leurs fonctions ou de leur mandat. “.
* * * REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 17 août 2022 et des mémoires enregistrés le 20 octobre et le 23 novembre 2022, M. E A, représenté par Me Bertin, demande au tribunal dans le dernier état de ses écritures :
1°) d’annuler la décision du 20 juin 2022 par laquelle l’inspectrice du travail a autorisé la SAS Réseau de Transport Urbain (RTU) à procéder à son licenciement pour faute ;
2°) d’enjoindre à la SAS RTU de procéder à sa réintégration ;
3°) de condamner la SAS RTU à lui verser le montant des rémunérations qu’il aurait dû percevoir à compter du 24 juin 2022 jusqu’à sa réintégration effective dans son emploi ;
4°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 300 000 F CFP au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
– l’enquête réalisée ne s’est pas faite contradictoirement : aucune pièce ne lui a été communiquée ou mise à disposition pour consultation, il n’a ainsi pas été mis en mesure de prendre connaissance des pièces fournies par l’employeur et des éléments déterminants que l’inspectrice du travail a retenus pour prendre la décision attaquée, ce alors qu’il ressort de la décision attaquée qu’elle s’est fondée sur l’existence d’un rapport d’expertise, de convocations à entretien préalable à sanction pour d’autres faits, de différents signalements émanant d’usagers relatifs à sa conduite et de deux accrochages ayant nécessité des réparations ; l’inspectrice ne l’a pas mis en mesure de s’expliquer et il n’a eu accès au rapport d’expertise qu’à l’occasion de la présente procédure ;
– la décision attaquée reprend les allégations de l’employeur sans autre précision alors, en outre, que ces faits ne sont pas énoncés dans la demande dont elle était saisie ;
– c’est à tort que l’inspectrice du travail a considéré que l’accident du 29 mars 2022, dont il est à l’origine, caractérise une faute grave justifiant son licenciement ; la chambre sociale de la Cour de cassation considère qu’en l’absence d’erreurs répétées de conduite un accident de la circulation n’est pas constitutif d’une faute grave ;
– la décision est entachée d’erreurs de fait : l’accident n’est en aucun cas lié à un état d’énervement et il n’y a jamais eu de convocation à entretien préalable ; les convocations produites ne révèlent pas d’erreurs de conduite et ne peuvent fonder son licenciement en raison de cet accident ; le blâme, qui lui a été notifié, est illégal en l’absence de règlement intérieur ; la convocation du 11 mars 2022 n’est à l’origine d’aucune sanction et ne peut de ce fait être retenue ; l’inspectrice ne pouvait légalement se fonder, pour apprécier la gravité des faits qui lui étaient reprochés, sur cette sanction disciplinaire, qui était prescrite en application des dispositions du code du travail ; les faits reprochés ne sont pas établis par l’employeur ;
– ni la matérialité ni l’imputabilité des faits ne sont démontrées dès lors qu’il n’est pas établi que la statue n’était pas déjà fragilisée avant la survenance du choc ;
– l’entretien préalable prévu aux articles LP. 1222-4 à LP. 1222-8 du code du travail n’a pas eu lieu : il n’a pas pu s’y rendre, dès lors que l’entreprise n’a pas organisé son remplacement afin d’assurer le ramassage scolaire ; dans le cadre du recours hiérarchique, il a demandé à ce que soit vérifié auprès de son employeur l’identité du conducteur qui a assuré son remplacement le jour où l’entretien était programmé ; les attestations produites ne sont pas sincères et seront écartées dès lors qu’elles sont signées de personnes subordonnées à la SAS RTU ; l’inspectrice du travail ne pouvait retenir que l’entretien préalable s’était tenu sans vérifier sa présence effective ;
– le règlement intérieur, rendu obligatoire par l’article LP. 1311-1 du code du travail, n’a pas été mis en place par l’entreprise ;
– la sanction prononcée est disproportionnée : les dégâts ont été pris en charge par l’assureur de l’entreprise ; la paroisse propriétaire de la statue brisée n’a, contrairement à ce qu’indique l’entreprise, jamais demandé à être indemnisée d’un préjudice moral ; l’atteinte à l’image de la société n’est pas démontrée ; la demande d’autorisation ne fait état ni d’antécédents disciplinaires, ni de signalements d’usagers, ni d’accrochages ayant nécessité des réparations, ni de préjudice, ni de remise en cause de l’autorisation de manœuvrer ; ces éléments n’ont en outre pas été porté à sa connaissance, en tant qu’il s’agit d’éléments déterminants, avant l’édiction de la décision dans le cadre du contradictoire ;
– la vétusté de la flotte de bus de l’entreprise explique pour partie la survenance de cet accident ;
– la fin de l’autorisation accordée de procéder à des manœuvres dans la cour de la paroisse démontre que cette autorisation n’aurait, compte tenu de la dangerosité que présente une telle manœuvre, jamais due être accordée ;
– en l’absence de préjudice et de faute, le licenciement n’est pas justifié et révèle l’existence d’un lien avec son mandat syndical nouvellement obtenu ; l’attestation d’un délégué du personnel tendant à établir l’existence d’un climat social serein sera écartée dès lors que celui-ci est également sous la subordination du chef d’entreprise ; afin d’établir la réalité du climat social, l’entreprise pourra utilement produire le registre des délégués du personnel qui reproduit les échanges entre les délégués et la direction d’entreprise ; il a exercé activement son mandat, a demandé la mise en place d’un règlement intérieur, d’un comité d’entreprise, l’élaboration d’un document unique d’évaluation des risques professionnels et la mise en place d’un CHSCT ;
– à ce jour, aucune lettre de licenciement ne lui a été notifiée ; il s’est vu remettre en main propre, le 24 juin 2022, un solde de tout compte accompagné d’un chèque et d’un dernier bulletin de paie.
Par un mémoire enregistré le 15 septembre 2022, la SAS RTU conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
– l’attestation de son responsable, qui l’a rencontré après l’accident, prouve son état d’énervement ce jour-là ;
– l’entretien préalable étant fixé à 8h00 son service, qui devait se terminer à 7h40, ne l’empêchait pas d’être présent ; le 4 avril 2022, date de l’entretien préalable, était un jour de vacances scolaires, le collège n’a donc pas commandé de transport pour 9h00 ;
– l’entretien préalable a bien eu lieu et a été mené par la présidente de la société ; les attestations produites par l’entreprise l’établissent ;
– contrairement à ce qu’il soutient, M. A a été convoqué à deux reprises dans le cadre de procédures disciplinaires : le 22 juin 2021 (un blâme lui a été notifié) et le 11 mars 2022 ;
– l’exercice du pouvoir disciplinaire trouve son fondement dans le contrat de travail du requérant, lequel prévoit des règles strictes que le salarié a méconnues : obligation de discrétion et de loyauté, respect du code de la route, utilisation du véhicule à des fins strictement professionnelles ;
– l’accident est à l’origine de la destruction totale de la statue, ce qui démontre la violence du choc ; cette statue est un objet de culte et n’a pas de vocation décorative, elle présente une grande valeur aux yeux des paroissiens ; l’image de la société s’en est trouvée altérée ; l’entreprise renouvelle régulièrement son parc : ainsi six nouveaux véhicules ont été mis en service récemment ; le préjudice demeure difficile à évaluer puisqu’il s’agit d’une œuvre artistique et alors que l’artiste n’est plus disponible sur Tahiti ; l’expert de l’assurance évalue le préjudice à 2 millions de F CFP ; l’accident est à l’origine de la remise en cause de l’autorisation de procéder à des manœuvres dans la cour alors même que depuis de nombreuses années les cars circulaient sans mettre en danger ou dégrader quoique ce soit ;
– le dialogue social dans l’entreprise se déroule de façon sereine et aucun sujet de tension n’est apparu à l’occasion de l’exercice mandat de M. A.
Par des mémoires enregistrés le 21 octobre 2022 et le 28 janvier 2023, la Polynésie française conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir :
– l’employeur est en droit de sanctionner un salarié, qui a provoqué un accident de la circulation par son comportement fautif : excès de vitesse, refus de priorité, etc ;
– l’enquête contradictoire, qui est visée par l’inspectrice du travail, s’est tenue pour le salarié le 23 mai 2022 ; la convocation initiale et ses pièces jointes ont été remises à l’intéressé en main propre le 29 avril 2022 par l’inspectrice du travail elle-même ; les documents joints à la demande d’autorisation présentée par la société RTU, ont bien été soumis à M. A lors de sa convocation et lors de l’enquête contradictoire, l’allégation selon laquelle aucun de ces éléments n’a été porté à la connaissance du salarié ne peut qu’être écartée : les principaux éléments du rapport d’expertise ont été présentés à M. A lors de l’enquête contradictoire, les signalements d’usagers et les deux accrochages ont été évoqués lors de l’enquête contradictoire, les éléments recueillis lors de l’enquête confirment l’existence desdites convocations et leurs connaissances par le salarié ;
– la décision attaquée est motivée ; l’inspectrice travail n’a pas excédé ses pouvoirs ;
– pour apprécier la gravité des faits, l’inspectrice pouvait rechercher si la faute commise a entraîné un préjudice, ce qui ressortait du rapport d’expertise produit par l’employeur, la gravité d’une faute n’est cependant pas subordonnée à l’existence d’un préjudice ;
– le salarié est tenu en application de l’article LP. 4121 7 du code du travail à une obligation de sécurité ; le manquement à cette obligation caractérise une faute de nature à justifier licenciement ;
– le salarié a reconnu avoir heurté cette statue en réalisant une marche arrière dans la cour de la paroisse où il reconnaît lui-même la présence régulière d’enfants ; c’est la brusquerie de cette manœuvre qui est à l’origine de la destruction de la statue ;
– au cours des deux dernières années, il a été convoqué à deux reprises à un entretien préalable à sanction disciplinaire en raison de faits similaires ;
– l’entreprise a été destinataire de signalements d’usagers relatifs à sa conduite ; il a eu deux accrochages qui ont nécessité des réparations sur le bus en deux ans d’ancienneté ;
– le défaut de maîtrise du bus et le comportement du salarié lors de son activité professionnelle caractérisent bien une violation de ses obligations contractuelles ;
– l’inspectrice du travail a rigoureusement contrôlé le respect de la procédure menée par l’entreprise, la réalité des faits, le caractère sanctionnable de ceux-ci et leur gravité ;
– l’enquête réalisée a permis de confirmer que deux procédures disciplinaires avaient été initiées à l’encontre du salarié ;
– dans sa décision, l’inspectrice du travail confirme que l’entretien préalable s’est tenu et que le salarié a pu prendre connaissance des motifs de la sanction envisagée et de s’en expliquer ; au surplus l’absence du salarié, régulièrement convoqué, à l’entretien préalable, ne fait pas obstacle au déroulement de la procédure de licenciement ;
– en l’absence de règlement intérieur, l’employeur ne pouvait prononcer une sanction disciplinaire autre que le licenciement ; contrairement à ce qu’indique le salarié, cette mesure n’est pas limitée aux seuls licenciements pour faute grave ;
– le licenciement d’un salarié pour motif disciplinaire suppose l’existence d’une faute suffisamment grave pour justifier le licenciement et non une faute grave comme l’indique le salarié ; la gravité des faits reprochés n’est pas uniquement subordonnée à l’existence d’un préjudice ; d’autres éléments peuvent être pris en compte notamment les exigences du service, et les fonctions de l’intéressé ;
– s’agissant de la remise en cause de l’autorisation accordée à l’entreprise de procéder à des manœuvres dans la cour de la paroisse, la Cour de cassation a jugé que les carences du contrôle interne de l’entreprise ne font pas perdre à la faute du salarié son degré de gravité ;
– le requérant n’apporte aucun élément de nature à établir l’existence d’un lien entre la procédure de licenciement engagée à son encontre et l’exercice de ses fonctions représentatives ;
– le recours hiérarchique dont avait été saisi la directrice du travail a été implicitement rejeté.
Par une décision du 26 octobre 2022, M. A a été admis à l’aide juridictionnelle totale.
Par lettre du 20 janvier 2023, les parties ont été informées en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative que le tribunal était susceptible de se fonder sur le moyen soulevé d’office fondé sur ” l’incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur les conclusions de M. A tendant à ce que le tribunal enjoigne à l’entreprise de procéder à sa réintégration effective et la condamne à lui verser l’intégralité des rémunérations qu’il aurait dû percevoir au cours de la période allant du 24 juin 2022 à sa réintégration effective dans son emploi. “.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– le code du travail de la Polynésie française ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. D,
– les conclusions de Mme C de Saint-Germain, rapporteure publique,
– les observations de A et celles de Mme B pour la Polynésie française.
Une note en délibéré, enregistrée le 3 mars 2023, a été produite par la Polynésie française.
:
1. M. A a été recruté le 12 octobre 2020 par la société RTU, par contrat à durée indéterminée, afin d’exercer les fonctions de chauffeur de car scolaire. C’est dans l’exercice de ses fonctions que, le 29 mars 2022, il a heurté une statue religieuse alors qu’il faisait une manœuvre en marche arrière dans la cour de la paroisse Christ-Roi. Par lettre du 29 mars 2022, il a été convoqué à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, fixé au 4 avril 2022. Par courrier du 6 avril 2022, la présidente de la SAS RTU a, eu égard à son mandat de délégué du personnel titulaire, saisi l’inspectrice du travail en vue d’être autorisée à procéder à son licenciement. Par décision du 20 juin 2022, l’autorisation demandée a été accordée à la SAS RTU. Le recours dont M. A a saisi la directrice du travail ayant été implicitement rejeté, M. A doit être regardé comme demandant au tribunal d’annuler la décision de l’inspectrice du travail du 20 juin 2022, ensemble la décision par laquelle son recours hiérarchique a été implicitement rejeté.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Les conclusions tendant à ce que la SAS RTU soit condamnée à réintégrer M. A et à lui verser les salaires qu’il aurait dû percevoir sont relatives à un litige opposant des personnes privées. Or un tel litige n’est pas au nombre de ceux dont il appartient à la juridiction administrative de connaître. Dès lors, ces conclusions doivent être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
3. Aux termes de l’article LP. 2511-1 du code du travail : ” Ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail, le licenciement des salariés suivants : 1. délégué syndical ; 2. délégué du personnel ou délégué de bord ; 3. représentants du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; 4. membres du comité d’entreprise ou représentant syndical à ce comité ; 5. candidats aux fonctions de représentant du personnel, pendant les six mois qui suivent la publication des candidatures ; 6. anciens délégués syndicaux, représentants du personnel ou représentants syndicaux pendant six mois, après la cessation de leurs fonctions ou de leur mandat. “.
4. En vertu des dispositions du code du travail de la Polynésie française, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l’intérêt de l’ensemble des salariés qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d’un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l’appartenance syndicale de l’intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l’inspecteur du travail, et le cas échéant à l’autorité hiérarchique compétente, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l’ensemble des règles applicables au contrat de travail de l’intéressé et des exigences propres à l’exécution normale du mandat dont il est investi. À l’effet de concourir à la mise en œuvre de la protection instituée, l’article LP. 2512-3 du code du travail dispose que l’inspecteur du travail, saisi d’une demande d’autorisation licenciement d’un salarié protégé, ” procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d’un représentant de son choix. “.
5. Le caractère contradictoire de l’enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l’autorité administrative, saisie d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d’informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l’identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l’ensemble des pièces produites par l’employeur à l’appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l’inspecteur du travail de cette obligation. La communication de l’ensemble de ces pièces doit intervenir avant que l’inspecteur du travail statue sur la demande d’autorisation de licenciement présentée par l’employeur, dans des conditions et des délais permettant aux salariés de présenter utilement sa défense. C’est seulement lorsque l’accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l’inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.
6. M. A soutient qu’il n’a pas été mis en mesure de prendre connaissance des pièces fournies par l’employeur et des éléments déterminants que l’inspecteur du travail a pu recueillir au cours de son enquête et sur lesquels s’appuie sa décision : le rapport d’expertise, les convocations à des entretiens disciplinaires, les signalements des usagers et des éléments relatifs aux accrochages dont il serait à l’origine.
7. En défense la Polynésie française soutient que les documents produits à l’appui de la demande d’autorisation présentée par la société RTU ont bien été soumis au requérant lors de la convocation et lors de l’enquête contradictoire. Elle précise que les principaux éléments du rapport d’expertise lui ont été présentés lors de l’enquête contradictoire et que, s’agissant des convocations à entretien préalable à sanction dont il a été destinataire, les éléments recueillis lors de l’enquête confirment l’existence de ces convocations et leur connaissance par le salarié, enfin, s’agissant des signalements effectués par des usagers relativement à sa conduite et des deux accrochages dont il est à l’origine, ces points ont été abordés lors de l’enquête contradictoire.
8. Ainsi qu’il a été dit au point 4, le caractère contradictoire de l’enquête réalisée par l’inspecteur du travail lui impose de mettre à même le salarié de prendre connaissance de l’ensemble des pièces produites par son employeur et, lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs, à informer le salarié concerné de leur teneur. Dans ces conditions, et alors qu’il ne ressort d’aucune pièce du dossier que le requérant ait été mis à même de prendre connaissance de ces pièces, dont la communication ne présente pas de risque particulier, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, M. A est fondée à soutenir que l’enquête n’a pas été réalisée contradictoirement et que cette irrégularité l’a privé d’une garantie, de nature à entraîner l’annulation de la décision attaquée.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que la décision du 20 juin 2022 par laquelle l’inspectrice du travail a autorisé la société RTU à procéder au licenciement de M. A doit être annulée, ainsi que la décision par laquelle l’autorité hiérarchique a implicitement rejeté le recours dont elle était saisie.
Sur les frais liés au litige :
10. M. A a été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l’espèce, sous réserve que son conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, il y a lieu de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 150 000 F CFP.
Article 1er : Les conclusions tendant à ce que le tribunal condamne la SAS RTU à réintégrer M. A et à lui verser les salaires qu’il aurait dû percevoir sont rejetées en tant qu’elles sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 2 : La décision du 20 juin 2022 par laquelle l’inspectrice du travail a autorisé la société RTU a procédé au licenciement de M. A et la décision par laquelle l’autorité hiérarchique a implicitement confirmé cette décision sont annulées.
Article 3 : La Polynésie française versera à Me Bertin, avocate de M. A, une somme de 150 000 F CFP au titre des dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. E A, à la Polynésie française et à la société RTU.
Délibéré après l’audience du 28 février 2023, à laquelle siégeaient :
M. Devillers, président,
M. Graboy-Grobesco, premier conseiller,
M. Boumendjel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2023.
Le rapporteur,
M. Boumendjel
Le président,
P. Devillers La greffière,
D. Germain
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Un greffier,
N°2200357