Droits des Artistes : Cour de cassation, Chambre sociale, 8 février 2023, 21-18.754

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Droits des Artistes : Cour de cassation, Chambre sociale, 8 février 2023, 21-18.754
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Extraits :
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

SOC.

BD4

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 8 février 2023

Cassation

Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 123 F-D

Pourvoi n° U 21-18.754

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 FÉVRIER 2023

Mme [V] [X], épouse [W], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 21-18.754 contre l’arrêt rendu le 29 avril 2021 par la cour d’appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige l’opposant à l’Opéra de [Localité 3], établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [X], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l’Opéra de [Localité 3], après débats en l’audience publique du 14 décembre 2022 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Dijon, 29 avril 2021), Mme [X], violoniste professionnelle, a travaillé à compter du mois de décembre 1987 pour la société Filippi, exploitant le Grand théâtre de [Localité 3], puis pour l’opéra de [Localité 3], à la suite de la reprise de l’exploitation de cet établissement par la commune de [Localité 3].

2. La salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 23 juillet 2012.

3. Elle a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l’arrêt de la débouter de ses demandes en requalification de la relation contractuelle en un contrat à durée indéterminée à temps plein et en paiement de rappel de salaires et primes, de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail, pour violation du statut protecteur, pour perte de droits à la retraite, et tendant à faire juger que sa prise d’acte doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « qu’à défaut d’écrit établi lors de l’embauche, le contrat à durée déterminée doit être réputé conclu pour une durée indéterminée, cette présomption étant irréfragable ; que la cour d’appel en énonçant néanmoins, pour débouter la salariée de ses demandes, après avoir constaté qu’aucun contrat de travail n’avait été établi lors de l’embauche en décembre 1987, que par application de l’article

L. 1242-2 du code du travail, en l’absence d’écrit, il devait être présumé que les parties avaient été liées par un contrat de travail à durée indéterminée, qu’il s’agissait d’une présomption simple et qu’il était démontré que l’exposante n’avait pas été unie à la société Filippi puis à l’Opéra de [Localité 3] par un contrat de travail à durée indéterminée, de sorte que cette dernière était mal fondée à solliciter la requalification d’une succession de contrats à durée déterminée en une convention à durée indéterminée, a violé les articles

L. 1242-12 et

L. 1245-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l’article

L. 1242-12, alinéa 1er, du code du travail :

5. Aux termes de ce texte, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

6. En l’absence de contrat écrit, l’employeur ne peut écarter la présomption légale instituée par l’article

L. 1242-12, alinéa 1er, du code du travail selon laquelle le contrat doit être réputé conclu pour une durée indéterminée.

7. Pour débouter la salariée de sa demande en requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée l’arrêt retient que, par application des articles

L. 1242-2 et

L. 3123-6 du code du travail, en l’absence d’écrit il doit être présumé que les parties ont été liées par un contrat à durée indéterminée et à temps complet, mais qu’il s’agit de présomptions simples. L’arrêt ajoute que chaque prestation donnait lieu à la signature d’un contrat distinct, que les fiches de paie et les plannings saisonniers, signés par l’appelante, mentionnaient les horaires et la rémunération afférents et que la salariée était informée plusieurs mois à l’avance de la tenue des spectacles auxquels elle participait et qu’elle pouvait refuser. L’arrêt en déduit que l’état de subordination de l’intéressée était discontinu et qu’il n’était caractérisé que pour la durée de chaque engagement.

8. En statuant ainsi, la cour d’appel, qui a constaté qu’aucun contrat de travail n’avait été établi, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS

, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 29 avril 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Dijon ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Besançon ;

Condamne l’Opéra de [Localité 3] aux dépens ;

En application de l’article

700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l’Opéra de [Localité 3] et le condamne à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SAS Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour Mme [X], épouse [W]

Mme [W] fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir déboutée de sa demande tendant à voir requalifier la relation contractuelle l’ayant liée à l’Opéra de [Localité 3] en un contrat à durée indéterminée à temps plein et, en conséquence, de ses demandes en rappel de salaires et primes, en paiement de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail, pour violation du statut protecteur, pour perte de droits à la retraite, et de sa demande tendant à voir juger que sa prise d’acte du 23 juillet 2012 doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

1°) ALORS QUE les juges doivent préciser l’origine et la nature des renseignements qui ont servi à motiver leur décision ; qu’en se bornant, pour débouter Mme [W] de ses demandes, à affirmer qu’il était constant qu’elle avait été engagée, à compter du 1er décembre 1987, en qualité de violoniste intermittente du spectacle, par la société Filippi, exploitant le grand théâtre de [Localité 3], dans le cadre d’une concession de droit public, sans à aucun moment préciser sur quels éléments de preuve elle fondait cette affirmation qui était pourtant contestée par l’exposante, ni procéder à une analyse même sommaire de ces éléments, la cour d’appel, qui n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle, a violé l’article

455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE l’avenant collectif du 5 décembre 2002 versé aux débats par Mme [W] en pièce n° 28 de son bordereau de communication de pièces est signé par six salariés de l’Opéra de [Localité 3], dont cette dernière, mais ne comporte pas la signature de l’employeur, ces derniers n’ayant pas réussi à trouver un accord ; qu’en énonçant néanmoins, pour débouter Mme [W] de ses demandes, que les parties, le 5 décembre 2002, avaient régularisé un avenant aux termes duquel l’Opéra de [Localité 3] s’était engagé à respecter les dispositions de la convention collective des entreprises artistiques et culturelles, les usages et les pratiques de la profession et du secteur d’activité du spectacle et de l’action culturelle, ainsi qu’à maintenir le volume d’emploi et les avantages acquis de la salariée, en particulier la reconnaissance de son ancienneté, la cour d’appel a ainsi dénaturé les termes clairs et précis de ce document et violé le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ;

3°) ALORS QUE l’article

L. 3123-33 du code du travail, dans sa version applicable lors de l’embauche de Mme [W] en décembre 1987 (ancien article

L. 212-4-8 du code du travail), issue de l’ordonnance n° 86-948 du 11 août 1986, subordonnait la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée intermittent, destiné à pourvoir des emplois permanents comportant une alternance entre périodes travaillées et périodes non travaillées, à l’existence d’une convention ou d’un accord collectif de travail étendu le prévoyant, ledit contrat étant, en l’absence d’un tel texte, illicite et devant être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet ; qu’en se bornant, pour écarter l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée intermittent et débouter, en conséquence, Mme [W] de ses demandes, à énoncer que les dispositions relatives au contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel annualisé ou au contrat de travail à durée indéterminée intermittent, prévues par l’article V.13 de la convention collective nationale des entreprises artistiques et culturelles, n’étaient pas applicables à l’exposante occupant un emploi d’artiste musicienne, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la circonstance que, lors de l’embauche de la salariée, en décembre 1987, pour exercer les fonctions de violoniste au sein de l’orchestre permanent du grand théâtre de [Localité 3] selon une alternance de périodes travaillées et non travaillées, la convention collective, qui n’a été étendue que par arrêté du 4 janvier 1994, ne comportait aucune disposition relative au travail intermittent, l’article V.13 ayant été introduit dans cette convention par un avenant du 14 avril 1999, n’induisait pas que son contrat devait être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article

L. 3123-33 du code du travail, dans sa version applicable au litige ;

4°) ALORS QU’ en tout état de cause, à défaut d’écrit établi lors de l’embauche, le contrat à durée déterminée doit être réputé conclu pour une durée indéterminée, cette présomption étant irréfragable ; que la cour d’appel en énonçant néanmoins, pour débouter Mme [W] de ses demandes, après avoir constaté qu’aucun contrat de travail n’avait été établi lors de l’embauche en décembre 1987, que par application de l’article

L. 1242-2 du code du travail, en l’absence d’écrit, il devait être présumé que les parties avaient été liées par un contrat de travail à durée indéterminée, qu’il s’agissait d’une présomption simple et qu’il était démontré que l’exposante n’avait pas été unie à la société Filippi puis à l’Opéra de [Localité 3] par un contrat de travail à durée indéterminée, de sorte que cette dernieÌre était mal fondée à solliciter la requalification d’une succession de contrats à durée déterminée en une convention à durée indéterminée, a violé les articles

L. 1242-12 et

L. 1245-1 du code du travail ;

5°) ALORS QU’ un fait affirmé par une partie et non contesté par son adversaire, doit être tenu pour acquis ; que la cour d’appel en énonçant, pour débouter Mme [W] de ses demandes, qu’il n’était pas justifié que la formation de l’orchestre de l’opéra, du fait de ses répétitions et ses spectacles, connaissait une activité continue tout au long de l’année, cependant que l’employeur, dans ses écritures d’appel, se bornait à invoquer l’absence de lien de subordination continu entre Mme [W] et l’Opéra de [Localité 3] ainsi que l’exercice par l’exposante de son activité professionnelle à temps partiel, sans par ailleurs contester le fait que l’activité de l’orchestre de l’opéra, en dehors des périodes estivales, s’exerçait de manière continue sur l’année, a modifié l’objet du litige, violant ainsi l’article

4 du code de procédure civile ;

6°) ALORS QUE Mme [W], soutenait, dans ses écritures d’appel (p. 10, 14 et 15), que les tableaux de service signés des parties n’existaient qu’à partir de 2003 et seulement jusqu’en 2009, alors que son embauche remontait à 1987, qu’ils n’étaient pas datés et n’étaient établis qu’a posteriori pour justifier la paie auprès du trésorier payeur, et non avant ou au début de l’exécution de la prestation de travail concernée, et que tant par les carences de leur contenu que par leur absence de date, ces tableaux étaient privés de tout effet contractuel ; qu’en énonçant, pour débouter Mme [W] de ses demandes, que la signature par l’employeur et la salariée d’un tableau de service pour chaque spectacle de l’opéra confirmait la durée déterminée de l’embauche de la salariée en ce que chaque prestation faisait l’objet d’un contrat distinct, la cour d’appel n’a pas répondu au moyen pourtant opérant précité qui établissait que les tableaux de service auxquels la cour se référait ne pouvaient être considérés comme autant de contrats de travail distincts pour chaque prestation et a ainsi violé l’article

455 du code de procédure civile ;

7°) ALORS QUE les « plannings » versés aux débats ne sont pas signés par Mme [W], ne mentionnent pas sa rémunération et, pour la majorité d’entre eux, aucun horaire ; qu’en énonçant néanmoins, pour débouter Mme [W] de ses demandes, que les plannings saisonniers étaient signés par l’exposante et mentionnaient les horaires et la rémunération afférents, la cour d’appel a ainsi dénaturé les termes clairs et précis de ces documents et violé le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ;

8°) ALORS QUE tout jugement doit être motivé et que la contradiction entre les motifs équivaut au défaut de motifs ; qu’en énonçant tout à la fois, pour débouter Mme [W] de ses demandes, d’un côté qu’aucun contrat de travail n’avait été établi, et de l’autre que chaque prestation donnait lieu à la signature d’un contrat distinct, la cour d’appel s’est contredite et a ainsi violé l’article

455 du code de procédure civile ;

9°) ALORS QU’ un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ; que la cour d’appel qui, bien qu’elle ait constaté que Mme [W] avait été embauchée en qualité de violoniste au sein du grand théâtre de [Localité 3] à compter du 1er décembre 1987 jusqu’à sa prise d’acte de la rupture de son contrat de travail, le 23 juillet 2012, soit pendant près de 25 ans, en vertu d’une succession de contrats à durée déterminée, a néanmoins, pour la débouter de ses demandes, énoncé que le caractère discontinu des relations contractuelles de travail révélait que les prestations qu’elle avait accomplies n’avaient pas eu pour effet de pourvoir à un emploi permanent, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait au contraire que la salariée avait occupé un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, violant ainsi l’article

L. 1242-1 du code du travail.


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