Contrefaçon : la Responsabilité du galeriste
Contrefaçon : la Responsabilité du galeriste
Ce point juridique est utile ?

Ventes de contrefaçons en galerie d’art

En matière de vente de contrefaçons par le galeriste, la bonne foi invoquée, à la supposer établie en l’espèce compte tenu des caractéristiques et de la teneur des documents présentés (factures d’achat …) est inopérante en matière de contrefaçon et le galeriste ne peut utilement soutenir qu’il n’est qu’un simple revendeur et non pas fabricant des modèles litigieux ni à l’origine de leur fabrication pour se décharger de sa responsabilité.

 

Vigilance extrême des professionnels 

L’expert judiciaire a indiqué que certaines pièces ont un aspect grossier et auraient dû interpeler tout professionnel, que de nombreuses oeuvres de l’artiste ont été copiées et déclarées non authentiques, une vigilance extrême doit être appliquée avant toute décision d’achat, alors qu’en l’espèce le galeriste est un professionnel du marché de l’art qui, en tant que tel, devait faire preuve d’une vigilance accrue s’agissant d’oeuvres attribuées à un artiste célèbre pour lesquelles la remise en cause des certificats d’authenticité a été révélée par la presse en 2009 selon les pièces versées aux débats par les appelants.

 

Responsabilité du galeriste 

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a retenu la responsabilité du galeriste dans la réalisation des actes de contrefaçon commis au préjudice des héritiers de l’artiste.  

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRÊT DU 31 MARS 2023

(n°48, 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 21/04567 – n° Portalis 35L7-V-B7F-CDICY

Décision déférée à la Cour : jugement du 28 janvier 2021 – Tribunal Judiciaire de PARIS – 3ème chambre 1ère section – RG n°17/10249

APPELANT AU PRINCIPAL et INTIME INCIDENT

M. [Y] [X]

Né le 13 juillet 1964 à [Localité 9]

De nationalité française

Demeurant [Adresse 4]

Représenté par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque L 0050

Assisté de Me Flora DONAUD plaidant pour le Cabinet GREFFE (Me François GREFFE), avocat au barreau de PARIS, toque E 617

INTIMES AU PRINCIPAL et APPELANTS INCIDENTS

Mme [FR] [BE] [S]

Née le 17 août 1947

De nationalité suisse

Demeurant [Adresse 1]

M. [G] [S]

Né le 13 juin 1963

De nationalité suisse

Demeurant [Adresse 3]

Mme [T] [S]

Née le 22 octobre 1964

De nationalité suisse

Demeurant [Adresse 8]

Mme [H] [S]

Née le 6 mai 1966

De nationalité suisse

Demeurant [Adresse 5]

Représentés par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque L 0075

Assistés de Me Corinne KHAYAT plaidant pour la SCP UGGC AVOCATS, avocate au barreau de PARIS, toque P 261

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique RENARD, Présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport, en présence de Mme Laurence LEHMANN, Conseillère

Mmes Véronique RENARD et Laurence LEHMANN ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Véronique RENARD, Présidente

Mme Laurence LEHMANN, Conseillère

Mme Agnès MARCADE, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu le 28 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Paris qui a’:

– dit que les ‘uvres placées sous les scellés n° 4 à 21, saisies dans le cadre de l’opération de saisie qui s’est déroulée le 23 mai 2017, à la Galerie [X], constituent des contrefaçons d”uvres de [A] [M],

– débouté M. [Y] [X] de sa demande de jonction de la présente instance avec les procédures introduites à l’encontre de M. [P] [N], la Sarl B. Charraudeau, la Sas Fine Art Auctions, la Sarl Galerie du Génie, la Sarl Galerie Marcepoil et la société Azart,

– ordonné, aux frais de M. [Y] [X], la remise à Mme [FR] [BE] [S], M. [G] [S], Mme [T] [S] et Mme [H] [S] des scellés 4 à 21, pour destruction, et ce, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à exécuter la présente décision, prenant effet à l’expiration d’un délai de quinze jours suivant le jour où la présente décision sera passée en force de chose jugée,

– fait interdiction à M. [Y] [X], sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, de représenter ou reproduire et d’une manière générale de diffuser les scellés n° 4 à 21 ou toute autre ‘uvre susceptible de constituer une atteinte aux droits d’auteur de [A] [M],

– condamné M. [Y] [X] à payer à Mme [FR] [BE] [S], M. [G] [S], Mme [T] [S] et Mme [H] [S] la somme de 90 000 euros en réparation de l’atteinte au droit moral de l’auteur,

– débouté Mme [FR] [BE] [S], M. [G] [S], Mme [T] [S] et Mme [H] [S] de leur demande de réparation de leur préjudice patrimonial,

– débouté Mme [FR] [BE] [S], M. [G] [S], Mme [T] [S] et Mme [H] [S] de leur demande tendant à voir ordonné à M. [Y] [X] de communiquer l’identité des acquéreurs des pièces manquantes à la saisie-contrefaçon,

– débouté M. [Y] [X] de sa demande reconventionnelle fondée sur l’abus de droit d’agir en justice,

– autorisé la publication du dispositif du jugement dans deux journaux ou magazines du choix des demandeurs, aux frais du défendeur, dans la limite de

5 000 euros HT par insertion,

– condamné M. [Y] [X] à payer à Mme [FR] [BE] [S], M. [G] [S], Mme [T] [S] et Mme [H] [S] la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [Y] [X] aux dépens de l’instance, comprenant notamment les frais d’expertise, et autorise la SCP UGGC, représentée par Me Corinne Khayat, à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l’avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision, sauf en ses dispositions relatives à la remise des ‘uvres contrefaisantes pour destruction, ainsi qu’à la publication du dispositif de la décision »,

Vu l’appel interjeté le 9 mars 2021 par M. [X],

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 18 novembre 2021 par M. [X], appelant, qui demande à la cour de’:

– déclarer M. [X] recevable et bien fondé en son appel du jugement rendu le 28 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Paris,

Y faisant droit,

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 28 janvier 2021,

– constater qu’en l’espèce M. [Y] [X] est de bonne foi,

– constater que M. [Y] [X] a acquis pour une somme supérieure à 1’000’000 d’euros neuf modèles (21 exemplaires) qui lui ont été vendus par des commissaires-priseurs, des experts et des professionnels,

– constater que M. [X] a appelé en garantie conformément aux dispositions de l’article 1626 du code civil M. [P] [N], la Sarl B. Charraudeau, la Sas Fine Art Auctions [Localité 11], la Sarl Galerie du Génie et la Sarl Galerie Marcelpoil, la société K2 Consultance (anciennement dénommée Azart SA),

– juger que ces appels en garantie sont fondés,

– constater que par jugement du 15 avril 2021, la 3ème chambre, 1ère section du tribunal judiciaire de Paris a jugé que l’appel en garantie formé par M. [X] à l’encontre de la société K2 Consultance était fondé « en l’absence de démonstration de la connaissance effective par M. [X] du fait que la paire de tabourets en litige ne constituait pas une ‘uvre originale de [A] [M]’»,

– constater que notamment les factures remises à M. [Y] [X] comportent des mentions précises identifiant les modèles comme étant de [A] [M],

– constater que parmi les pièces remises à M. [Y] [X] figure une attestation de [A] [M],

– constater que M. [X] n’a commercialisé aucun des modèles qu’il a exposés au salon PAD pendant 5 jours,

En conséquence,

– juger que les consorts [S] n’ont subi aucun préjudice que ce soit sur le fondement du droit de reproduction ou sur le fondement du droit moral,

– les débouter de leur appel incident et de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts, de publication et d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Reconventionnellement,

– constater que les consorts [S] ont, sans nécessité, pris un nantissement judiciaire sur les fonds de commerce de M. [Y] [X],

– juger que la présente procédure, qui cause un préjudice important à M. [X], est abusive et condamner les consorts [S] conjointement et solidairement à payer à M. [Y] [X] la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– condamner les consorts [S] à la somme de 30 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner les consorts [S] aux entiers dépens conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 20 août 2021 par Mme [FR] [BE] [S], M. [G] [S], Mme [T] [S] et Mme [H] [S], intimés, qui demandent à la cour de’:

– confirmer le jugement rendu le 28 janvier 2021 en ce qu’il a

-jugé que les ‘uvres placées sous les scellés n° 4 à 21, saisies dans le cadre de l’opération de saisie qui s’est déroulée le 23 mai 2017 à la Galerie [X] constituent des contrefaçons d”uvres de [A] [M],

– ordonné la remise à Mme [FR] [BE] [S], M. [G] [S], Mme [T] [S] et Mme [H] [S] des scellés 4 à 21, pour destruction, et ce, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à exécuter la décision,

-fait interdiction à M. [Y] [X], sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, de représenter ou reproduire et d’une manière générale de diffuser les scellés n°4 à 21 ou toute autre ‘uvre susceptible de constituer une atteinte aux droits d’auteur de [A] [M],

-jugé que les actes de contrefaçon commis par M. [X] avaient porté une atteinte grave au droit moral de [A] [M],

– autorisé la publication du dispositif du jugement dans deux journaux ou magazines du choix des demandeurs, aux frais du défendeur, dans la limite de 5 000 euros HT par insertion,

– débouté M. [Y] [X] de sa demande reconventionnelle fondée sur l’abus de droit d’agir en justice,

– infirmer le jugement entrepris sur le quantum de la condamnation prononcée du chef de l’atteinte portée au droit moral de [A] [M] et condamner M. [Y] [X] à payer à Mme [FR] [BE] [S], M. [G] [S], Mme [T] [S] et Mme [H] [S] la somme de

250 000 euros en réparation de l’atteinte au droit moral de l’auteur,

– infirmer le jugement rendu le 28 janvier 2021 en ce qu’il a’:

– débouté Mme [FR] [BE] [S], M. [G] [S], Mme [T] [S] et Mme [H] [S] de leur demande de réparation de leur préjudice patrimonial,

– débouté Mme [FR] [BE] [S], M. [G] [S], Mme [T] [S] et Mme [H] [S] de leur demande tendant à voir ordonné à M. [Y] [X] de communiquer l’identité des acquéreurs des pièces manquantes à la saisie-contrefaçon,

– condamner M. [Y] [X] à payer aux Consorts [S] la somme de 750 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte aux droits patrimoniaux,

– condamner M. [Y] [X] à payer à Mme [FR] [BE] [S], M. [G] [S], Mme [T] [S] et Mme [H] [S] la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [Y] [X] aux dépens de l’instance, comprenant notamment les frais d’expertise dont le recouvrement sera effectué par la Selarl JRF & Associés représentée par Me Stéphane Fertier conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 29 septembre 2022,

SUR CE,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

[A] [M], né en Suisse en 1902 et mort en France en 1985, frère du sculpteur et peintre [E] [M], était lui-même sculpteur de pièces de mobilier en bronze.

Mme [FR] [BE] [S], M. [G] [S], Mme [T] [S] et Mme [H] [S], respectivement épouse et enfants de [WG] [S], neveu de [A] [M], décédé lui-même le 22 février 1991, sont aujourd’hui les seuls ayants-droit de [A] [M].

En mars 2017, les consorts [S] ont été informés par M. [NL], expert judiciaire et spécialiste reconnu de l”uvre de [A] [M], que la galerie [X], représentée par M. [X], avait exposé lors du salon PAD 2, vingt et une ‘uvres attribuées à [A] [M], ‘uvres qu’elle proposait à la vente au [Adresse 4] à [Localité 12].

Ces vingt et une ‘uvres comprenaient’:

– trois appliques à deux branches’

– deux lampes bougeoir

– deux lampes coupelle et oiseaux

– deux tables «’Grecque’»

– une table feuilles et grenouilles

– quatre chaises du musée [13]

– deux fauteuils à têtes de lionnes

– deux fauteuils à pommeaux de canne

– deux tabourets X, 3ème version

– une bibliothèque Mexique.

Des photographies des ‘uvres ont été prises par M. [V] [NL] et annexées à un compte-rendu du 24 mars 2017.

Par ordonnance présidentielle du 18 mai 2017, les consorts [S] ont été autorisés à faire procéder à la saisie réelle des 21 ‘uvres en cause, lesquelles ont été placées sous séquestre auprès de la Galerie [X] le 23 mai 2017.

Par acte d’huissier de justice en date du 23 juin 2017, les consorts [S] ont fait assigner M. [X] devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire de Paris, en contrefaçon de droits d’auteur sur les ‘uvres de [A] [M].

Par ordonnance du 28 juin 2018, le juge de la mise en état a désigné M. [K] [U] en qualité d’expert judiciaire, avec pour mission d’examiner les ‘uvres litigieuses, de dire si elles constituent des ‘uvres authentiques ou s’il existe un doute et, dans la mesure du possible, de fournir à la juridiction tous éléments de nature à lui permettre de déterminer la responsabilité encourue et, si les objets sont faux, de dire s’il était possible de le savoir.

L’expert judiciaire a déposé son rapport le 16 juillet 2019.

Les consorts [S] ont sollicité une inscription de nantissement provisoire sur les deux fonds de commerce de M. [X] exploitant en nom personnel de la Galerie [X], située [Adresse 4] et du commerce de vente de cadeaux et de bijoux anciens et modernes, situé au [Adresse 2]. Le 29 août 2019, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris a autorisé les consorts [S] à faire procéder à l’inscription provisoire d’un nantissement sur les deux fonds de commerce de M. [X], exploités en son nom personnel pour un montant de 1’110 390,40 euros.

C’est dans ces circonstances qu’a été rendu le jugement du 28 janvier 2021 dont appel.

A titre liminaire, il convient de relever que la qualité d’ayants droit de [A] [M] de Mme [FR] [BE] [S], M. [G] [S], Mme [T] [S] et de Mme [H] [S] n’est pas contestée.

Selon l’article L122-4 du code de la propriété intellectuelle « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite (‘) ».

Aux termes de l’article L.335-3 du même code, «’Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation, par quelque moyen que ce soit, d’une ‘uvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur (‘) ».

En l’espèce, l’expert judiciaire M. [U], conclut dans son rapport du 16 juillet 2019, que’:

« Après examen et description des vingt-et-une ‘uvres sous scellés, vues en la galerie d’art [X], il apparaît que les scellés :

1 à 3 : ne sont pas des ‘uvres de [A] [M] mais des modèles de [B] [Z].

4 à 21 : ne sont pas des ‘uvres originales de [A] [M].

Certaines pièces ont un aspect grossier et auraient dû interpeler tout professionnel. De nombreuses ‘uvres de [A] [M] ont été copiées et déclarées non authentiques, une vigilance extrême doit être appliquée avant toute décision d’achat.

Il est important de connaître la provenance des pièces.

Certaines pièces ont été achetées comme meubles de jardin, voir facture n°2016-12-52, pièce n°11 (annexe 7) ce qui tenterait d’expliquer la « dégradation naturelle » des patines, qui à notre sens est une négligence volontaire. Cette dégradation fait « passer » et la mauvaise finition, improbable venant de [A] [M] et les pièces litigieuses trop facilement détectables comme contrefaçons ».

En particulier, s’agissant des scellés n°4 et 5 (lampe bougeoir), l’expert indique, après une comparaison avec les pièces appartenant au Musée des [6], que’:

– le modèle de référence en plâtre est plus petit et sans rapport avec les bronzes,

– le plâtre est doté d’un modelé qui est absent sur le bronze,

– les anneaux supérieurs sont anglés sur le modèle en plâtre et non sur le bronze,

– la margelle du socle est beaucoup plus mince sur plâtre et beaucoup plus épaisse sur le bronze,

– les pieds sont plus grands sur le modèle en plâtre et plus petits sur le modèle en bronze,

– sur le plâtre, le torse de la base de la colonne est très modelé alors qu’il est lisse et rabattu sur le bronze,

– la répartition des distances entre les anneaux est différente entre le plâtre et le bronze.

Il conclut que les bronzes, «’lampe bougeoir’», scellés n° 4 et 5, ne correspondent pas au modèle en plâtre et ne peuvent être des bronzes originaux de [A] [M], ajoutant que selon M. [NL] les bronzes proviennent de la fonderie Redoutey.

S’agissant des scellés n°6 et 7 (lampe coupelle et oiseau), l’expert indique que ce modèle n’a pas été retrouvé dans le répertoire des ‘uvres de [A] [M] et semble inédit. Cependant des modèles en bronze sont passés en vente aux Etats Unis et a été proposé à la vente par la maison Fine Arts Auctions [Localité 10] uniquement, les oiseaux sont resculptés et ne correspondent pas aux modèles de [A] [M], les feuilles sont très grandes, larges et plates, sans sensibilité, la signature est ostentatoire, on assemble des éléments créés par [A] [M], qui sont ici réinterprétés et déformés.

Il conclut que’les bronzes, «’lampe coupelle et oiseau’», scellés n° 6 et n°7 ne sont pas des ‘uvres originales de [A] [M].

S’agissant des scellés n°8 et 9 (table grecque), l’expert indique, après une comparaison avec un modèle en plâtre du Musée des [6], que :

– l’embase du piètement est beaucoup plus large que sur le bronze de la table,

– les anneaux du modèle en plâtre sont perpendiculaires à l’axe du pied et relativement tranchants sur le plâtre, sur le bronze de la table ils sont non seulement arrondis et non perpendiculaires,

– à la zone de jonction avec la traverse alignée, il n’y a aucune cannelure sur le bronze alors que nous en avons sur le plâtre et sur le bronze,

– la courbure de l’anille n’est pas respectée,

– l’anneau de l’anille est onglé sur le bronze, il ressemble à un pneu.

Il conclut que’les bronzes, «’table grecque’» n°8 et n°9 ne correspondent pas aux différents éléments en plâtre qui se trouvent dans les réserves du Musée des [6] et ne sont pas des ‘uvres originales de [A] [M].

S’agissant du scellé n°10 (table feuilles et grenouilles), l’expert indique, après une comparaison avec un modèle en plâtre du Musée des [6], que :

– tout un ensemble du modelé ne correspond pas au modèle en plâtre,

– la longueur de la feuille est rédhibitoire,

– le modelé du bord de la feuille ne correspond pas,

– feuille à gauche du trio’: modelé inventé sur le modelé de la feuille,

– feuille du centre, la grande’: le modelé diffère, le rendu n’est pas le même.

Il conclut que le bronze «’table feuilles et grenouilles’», scellé n° 10, ne correspond pas aux différents éléments en plâtre qui se trouvent dans les réserves du Musée des [6] et ne peut donc être considéré comme un bronze original de [A] [M], ajoutant que M. [NL] a considéré que les oiseaux de cette table n’existent pas tels quels dans l”uvre de [A] [M], qu’ils sont sculptés et mal interprétés et que les grenouilles sont des surmoulages.

S’agissant des scellés n°11 à 14 (chaises musée [13]), l’expert indique, après une comparaison avec un exemplaire de chaise du musée national [13] de [Localité 11], que :

– les chaises dites Musée [13] sont une commande spécifique pour le musée, il ne peut y avoir d’autres chaises en circulation,

– toutes les chaises du musée sont numérotées et elles se trouvent toutes au musée,

– les sabots des chaises, objets du litige, sont une fonte à la cire perdue tandis que ceux du musée sont une fonte au sable,

– les patines n’ont rien à voir : celles du musée ont un « jus ancien » à base d’hexacyanoferrate de potassium, ce qui n’est pas le cas de celles objets du litige, qui ont une patine à base de nitrate de cuivre.

Il conclut que les bronzes, «’chaises musée [13]’», scellés n°11 à 14 ne sont pas des ‘uvres originales de [A] [M], ajoutant que selon les analyses de M. [NL], l’alliage correspond à celui de la fonderie Redoutey’; c’est une ‘uvre posthume.

S’agissant des scellés n°15 à 16 (fauteuils à têtes de lionnes), l’expert indique, après un recoupement avec les informations issues de la vente Brullov par la société Art curial du 14 septembre 2016 que’:

– la coupelle du scellé 15 n’a pas le même modelé et donc est une interprétation. Elle est grossièrement soudée au TIG par l’avant,

– sur l’objet du litige, la crinière et la forme des oreilles ne sont pas conformes au modèle de Marchesseau dans son livre «'[A] [M], sculpteur de meubles, Editions du Regard, 2018.

Il conclut que ces deux scellés ne sont pas des ‘uvres originales de [A] [M], ajoutant que M. [NL] a considéré que ces fauteuils ont été réalisés par de la fonderie Redoutey, après le décès de l’artiste et que la fabrication n’est pas conforme à celle de l’artiste, notamment par le choix des matériaux.

S’agissant des scellés n°17 et 18 (fauteuils aux pommeaux de canne), l’expert indique, après une comparaison avec un exemplaire original détenu par un collectionneur particulier, que :

– sur les pieds des fauteuils objets du litige, on trouve un cordon de soudure alors que ceux de la collection Barbezat, il y a un trou dans lequel les pieds s’enserrent,

– le dossier est en laiton tube épais (‘) alors que ceux objet du litige sont en fer,

– la coupelle centrale est soudée par l’avant sur les fauteuils objet du litige alors qu’elle est tiguée et brasée à l’arrière pour les fauteuils provenant de la collection Barbezat (‘),

– les étriers qui attachent les accoudoirs au dossier sont finement pointés et brassés sur les fauteuils provenant de la collection Barbezat et grossièrement tiguées sur les fauteuils objet du litige ainsi que les étriers du renfort de l’assise,

– les alliages des fauteuils objet du litige sont dans un alliage laitoneux, alors que pour les fauteuils provenant de la collection Barbezat, ils sont dans un beau bronze bien rose,

– les pommeaux des accoudoirs sont également enquillés sur les fauteuils provenant de la collection Barbezat tandis que sur les fauteuils objets du litige, la base des pommeaux des accoudoirs est entièrement tiguée.

Il conclut que ces deux scellés ne sont pas des ‘uvres originales de [A] [M], ajoutant que M. [NL] a considéré que les éléments constitutifs du décor en bronze de ces fauteuils possèdent les caractéristiques de la production de la fonderie Redoutey et qu’ils ont été réalisés après le décès de l’artiste, que la fabrication n’est pas conforme à celle de l’artiste, notamment par le choix des matériaux.

S’agissant des scellés n°19 et 20 (tabouret en X, 3ème version), l’expert indique, après une comparaison avec un modèle en plâtre du Musée des [6], que :

– l’ensemble de la courbure des deux pointes du losange ainsi que la structure pannelée des deux cônes sur le modèle plâtre n’a strictement rien à voir avec les bronzes objets du litige,

– l’aspect général du tabouret est sans rapport avec la nature du modelé identifié sur le plâtre et ne peut être considéré comme une ‘uvre de [A] [M].

Une comparaison avec les informations issues de la vente Brollo réalisée par Artcurial le 14 septembre 2016 lui a permis également d’indiquer que’:

– le modelé et le rendu des deux bronzes ne sont pas identiques, l’un, celui de la vente Brullov, est travaillé et fouillé, alors que les bronzes objets du litige sont lisses et ne semblent pas travaillés,

– ils ont un cadre d’assise en modelé au doigt tandis que le bronze de la vente Brollo a un cadre avec une matière de plâtre tiré qui n’a strictement rien à voir.

L’expert conclut que ces deux scellés n°19 et 20 ne sont pas des ‘uvres originales de [A] [M].

S’agissant du scellés n°21 (bibliothèque au Mexique), l’expert indique que :

– la patine semble trop sophistiquée au regard des patines déjà observées sur de vrais [A] [M],

– le monogramme est un peu tremblé,

– les plans de joint sont mal repris,

– passage de la fraiseuse sur les étagères et donc un travail mécanique,

– le modelé du hibou n’est pas le même, le corps du bronze objet du litige, est tout en hauteur et sans forme alors que celui provenant de la vente Sotheby’s et celui du livre de Marchesseau ont un corps plus arrondi et plus fouillé,

– le modelé du hibou est une interprétation au regard de l’agrandissement du bronze photographié sur le catalogue de Marchesseau.

Il conclut que «’bibliothèque au Mexique’», scellé n° 21 n’est pas une ‘uvre originale de [A] [M], ajoutant que selon le rapport d’expertise privée de M. [NL] aucun modèle avec des barres transversales moulées sur des tiges de bambou naturelles n’existe dans l”uvre de [A] [M], toutes les traverses sont soudées et les pieds tordus, les deux grands ducs sont de très mauvaises interprétations d’un modèle de [A] [M].

Si M. [X] invite la cour à constater que les opérations d’expertise ont été longues et que le rapport de M. [U] repose pour une grande part sur celui de M. [NL] qui est à l’origine de la présente procédure, notamment quant à la dimension des modèles, les vernis et les soudures ainsi que les analyses réalisées, alors qu’il n’est pas démontré que les experts ont eu les originaux entre les mains leur permettant d’effectuer des comparaisons, force est de constater qu’il ne conteste pas la validité de ce rapport d’expertise pas plus qu’il n’apporte d’éléments matériels et techniques permettant de remettre en cause les propres constatations de l’expert judiciaire.

Il résulte de l’ensemble des éléments sus-énoncés que le caractère non authentique des objets saisis, placés sous scellés n°4 à 21, est établi.

L’atteinte aux droits patrimoniaux de l’auteur est constituée par l’offre à la vente d”uvres reproduisant les caractéristiques des ‘uvres originales de [A] [M] sans l’autorisation des consorts [S].

L’atteinte au droit moral de l’auteur est constituée par l’attribution fausse des ‘uvres litigieuses à [A] [M] ainsi que par la reproduction de façon altérée de ses ‘uvres.

En conséquence le jugement doit être confirmé de ces chefs.

M. [X] conteste sa responsabilité au motif qu’il se serait enquis, autant qu’il lui était possible de le faire, de la provenance et de l’authenticité des ‘uvres litigieuses au moment de leurs acquisitions. Il se prévaut ainsi des pièces suivantes remises à l’huissier instrumentaire lors des opérations de saisie-contrefaçon’:

– une facture du 24 janvier 2015 de la SARL Galerie du Génie de 200 000 euros accompagnée d’une attestation de M. [E] [O] du 26 janvier 2015 qui déclare «’qu’en l’état de ses connaissances, il s’agit d’une ‘uvre originale de [A] [M]’»,

– des certificats de [R] [TD] du 22 juillet 2002 (pour la paire de lampes) et du 10 juin 2006 (pour la lampe en bronze coupe et oiseaux) qui portent la mention suivante «’exécutée vers 1960 et répertoriée et reproduite dans l’ouvrage de [F] Marchesseau 1986 p. 169 »,

– une attestation de M. [W] de la société Rota & [W] (et non pas une facture) qui indique avoir été « pendant longtemps son fondeur attitré (de [A] [M]) »,

– une facture de la maison de vente parisienne Fine Art Auctions [Localité 11] du 31 octobre 2016 relative à la vente de la «’table feuille modèle bas aux grenouilles’» portant les mentions’:« [A] [M] (1902-1985) (‘) Provenance Collection [L], acquis directement auprès de l’artiste en1983 Collection Privée, [Localité 11]’», un reçu «’du prix convenu’» qui porterait la signature de [A] [M] délivré à Mme [TX] [L] le 15 janvier 1983 et une attestation de cette dernière du 16 juin 1997, laquelle indique avoir vendu « une table basse de [A] [M] modèle aux grenouilles à M. [F] [US]’»,

– un document de la société luxembourgeoise Pro Success Business du 3 juin 2015 concernant «’la table grecque’» vendue pour un un montant de 100 000 euros,

– une facture de la galerie parisienne Charraudeau du 1er octobre 2016 relative à la vente de deux paires d’appliques D. [M] (une paire à deux branches et une paire à trois branches) pour la somme totale de 120 000 euros, mentionnant «’provenance’: famille [KI]’» et «’une partie des ‘uvres de la famille «’ont’» été vendues à la galerie Vallois et chez Sotheby’s »,

– une facture du 26 décembre 2016 de la Galerie Alain Marcelpoil concernant la vente d’un lot de mobiliers de jardin en bronze pour 550 000 euros,

– une facture de la société Azart du 16 novembre 2015 relative à la vente d’une paire de tabourets en bronze en X de [A] [M] achetés pour la somme de 130 000 euros et provenant de M. [D] [TY] puis de M. [I] [LD],

– une facture de M. [P] [N] du 17 décembre 2016 concernant l’achat d’une paire de lampes en bronze pour 60 000 euros et mentionnant «’provenance’: [J] [DI], [C]’», une attestation de Mme [DI] indiquant «’avoir vendu à M. [P] [N] une paire de lampes en bronze de [A] [M], hauteur 20 cm, avec pour expertise un certificat de [R] [TD] en date du 22 juillet 2002’et une facture de vente du commissaire-priseur [C] à Mme [DI].

Pour autant, la bonne foi invoquée, à la supposer établie en l’espèce compte tenu des caractéristiques et de la teneur des documents sus- mentionnés, est inopérante en matière de contrefaçon et M. [X] ne peut utilement soutenir qu’il n’est qu’un simple revendeur et non pas fabricant des modèles litigieux ni à l’origine de leur fabrication pour se décharger de sa responsabilité.

Il sera ajouté à toutes fins que l’expert judiciaire a indiqué que certaines pièces ont un aspect grossier et auraient dû interpeler tout professionnel, que de nombreuses ‘uvres de [A] [M] ont été copiées et déclarées non authentiques, qu’une vigilance extrême doit être appliquée avant toute décision d’achat, alors qu’en l’espèce M. [X] est un professionnel du marché de l’art qui, en tant que tel, devait faire preuve d’une vigilance accrue s’agissant d”uvres attribuées à [A] [M] pour lesquelles la remise en cause des certificats d’authenticité a été révélée par la presse en 2009 selon les pièces versées aux débats par les appelants.

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a retenu la responsabilité de M. [X] dans la réalisation des actes de contrefaçon commis au préjudice des consorts [S].

Sur les mesures réparatrices

Le jugement doit être confirmé en ce qu’il a ordonné, aux frais de M. [X], la remise des scellés 4 à 21 aux consorts [S] pour destruction.

Cette mesure étant suffisante à faire cesser les actes illicites, il n’y a pas lieu en outre de faire droit à la mesure d’interdiction et le jugement doit être infirmé de ce chef.

En se fondant expressément sur article L 331-1-3 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, les consorts [S] invoquent un préjudice patrimonial résultant d’un manque à gagner et de la banalisation de la valeur des ‘uvres de [A] [M] et indiquent réclamer à ce titre la somme forfaitaire de 750’000 euros expliquant que M. [X] a acquis les ‘uvres litigieuses pour réaliser une plus-value en les exposant à la vente dans sa galerie d’art et sur un stand du salon PAD.

Cependant, les appelants ne justifient nullement de la redevance à laquelle ils pourraient prétendre. En conséquence le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté leur demande formée au titre du préjudice matériel qu’ils invoquent.

Le jugement sera également confirmé de ce chef.

S’agissant du préjudice moral’également invoqué et tel que caractérisé ci-dessus, compte tenu en l’espèce du nombre d”uvres jugées contrefaisantes et de leur exposition en mars 2017 au salon des [7] de [Localité 11] puis en avril et mai 2017 dans la galerie [X] située [Adresse 4] à [Localité 11], la cour dispose des éléments suffisants pour dire que le préjudice des consorts [S] est intégralement réparé par l’octroi de la somme de 90’000 euros à titre de dommages intérêts et ainsi de confirmer également le jugement de ce chef, le surplus de la demande, non justifié, étant rejeté.

Enfin à titre d’indemnisation complémentaire, il sera fait droit à la demande de publication et le jugement sera aussi confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

M. [X] qui succombe ne peut voir prospérer sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive y compris celle relative à un préjudice qui résulterait de la prise de nantissement sur ses fonds de commerce par les consorts [S].

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et au remboursement des frais irrépétibles seront confirmées.

Partie perdante, M. [X] sera en outre condamné aux dépens de l’appel, qui comprendront notamment le coût de l’expertise judiciaire, et qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Enfin les consorts [S] ont dû engager des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser en totalité à leur charge. Il y a lieu en conséquence de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif de la présente décision.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans la limite de l’appel,

Confirme le jugement rendu le 28 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Paris sauf en ce qu’il a fait interdiction à M. [X], sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement, de représenter ou reproduire et d’une manière générale de diffuser les scellés n°4 à 21 ou toute autre ‘uvre susceptible de constituer une atteinte aux droits d’auteur de [A] [M].

Statuant de ce chef infirmé et y ajoutant,

Rejette la demande d’interdiction.

Condamne M. [X] à payer à Mme [FR] [BE] [S], M. [G] [S], Mme [T] [S] et Mme [H] [S], ensemble, la somme totale de 20’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. [X] aux dépens d’appel qui comprendront notamment le coût de l’expertise judiciaire, et qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente  


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