Droits des artistes : 22 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/04938

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Droits des artistes : 22 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/04938
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 3 – Chambre 1

ARRET DU 22 FEVRIER 2023

(n° 2023/ , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/04938 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDJH6

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Janvier 2021 – Juge aux affaires familiales de PARIS – RG n° 18/3932

APPELANT

Monsieur [S] [Y]

né le 28 Juin 1973 à [Localité 8] (CHINE)

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Laurence BRUGUIER CRESPY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0451

INTIMEE

Madame [L] [B] [X] divorcée [Y]

née le 16 Février 1971 à [Localité 5] (CHINE)

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Stéphane FERTIER de l’AARPI JRF AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sophie RODRIGUES, Conseiller, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Patricia GRASSO, Président,

Mme Sophie RODRIGUES, Conseiller

Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Patricia GRASSO, Président, et par Mme Emilie POMPON, Greffier.

***

EXPOSE DU LITIGE

M. [S] [Y] et Mme [L] [B] [X] se sont mariés le 28 janvier 2006 devant l’officier d’état civil de [Localité 6] (92), sans avoir fait précéder leur union d’un contrat de mariage.

Aucun enfant n’est né de leur union.

Durant le mariage, le 25 octobre 2007, ils ont acquis un bien immobilier situé [Adresse 1] au prix de 38 000 euros.

Saisi d’une requête en divorce déposée par l’épouse, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bobigny a, par ordonnance de non-conciliation du 28 septembre 2010, notamment :

– attribué à Mme [L] [B] [X] la jouissance du domicile conjugal, à titre gratuit,

– dit qu’elle devrait remettre à son mari les tableaux laissés par lui au domicile conjugal,

– débouté Mme [L] [B] [X] de sa demande complémentaire de pension alimentaire au titre du devoir de secours.

Par jugement du 15 septembre 2015 dont il n’a pas été interjeté appel, la même juridiction a prononcé le divorce des époux aux torts exclusifs de l’époux, et notamment :

– attribué préférentiellement l’immeuble commun sis aux [Localité 3] à Mme [L] [B] [X], à charge de soulte s’il y a lieu,

– ordonné la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux,

– débouté Mme [L] [B] [X] de sa demande tendant à modifier la date d’effet du divorce entre les époux relativement à leurs biens et rappelé que cette date est fixée au jour de l’ordonnance de non-conciliation,

– condamné M. [S] [Y] à verser à Mme [L] [B] [X] une prestation compensatoire en capital d’un montant de 120 000 euros.

Par acte d’huissier du 22 octobre 2018, Mme [L] [B] [X] a assigné M. [S] [Y] aux fins de liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux.

Par jugement du 28 janvier 2021, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Paris a notamment :

– rappelé que le divorce prend effet entre les parties, concernant leurs biens, à la date du 28 septembre 2010,

– ordonné le partage judiciaire des intérêts patrimoniaux de M. [S] [Y] et Mme [L] [B] [X],

– désigné pour procéder aux opérations de partage, Me [Z] [F], notaire à [Localité 7],

– dit qu’il appartiendra au notaire désigné de préciser la consistance exacte de la masse à partager, de procéder, au besoin, à la constitution des lots pour leur répartition entre les parties, et réaliser, en cas de besoin, leur tirage au sort,

– dit que les tableaux, meubles corporels, listés sur le procès-verbal de constat du 15 juillet 2019, réalisés par M. [S] [Y] entre le 28 janvier 2006 et le 28 septembre 2010, entrent en communauté,

– renvoyé les parties devant le notaire commis qui sera chargé d’évaluer la valeur de ces tableaux à partir des éléments fournis par les parties,

– dit que la valeur du bien immobilier situé [Adresse 1] (93) sera fixé à 218 333 euros, sous réserve d’être réévaluée au jour du partage par application de l’indice national de la construction,

– dit que Mme [L] [B] [X] bénéficie d’une créance de 29 344,06 euros à l’égard de l’indivision post-communautaire au titre du remboursement, à compter de l’ordonnance de non-conciliation, du crédit immobilier concernant le bien situé aux [Localité 3],

– renvoyé les parties devant le notaire commis pour établir les comptes de l’indivision au titre du règlement à compter de l’ordonnance de non-conciliation par Mme [L] [B] [X] des charges de copropriété relatives au bien situé aux [Localité 3],

– dit que Mme [L] [B] [X] est redevable à l’égard de l’indivision post-communautaire, au titre de sa jouissance privative du bien immobilier situé aux [Localité 3], d’une indemnité d’occupation de 450 euros par mois à compter du 22 août 2016, et jusqu’à la date du partage ou de libération effective du bien,

– rappelé que la prestation compensatoire, comme les intérêts qu’elle produit, sont dus à compter de la date à laquelle la décision prononçant le divorce prend force de chose jugée, soit le 22 août 2016, et renvoyé les parties devant le notaire commis pour le calcul des intérêts afférents à la prestation compensatoire,

– renvoyé Mme [L] [B] [X] devant le notaire commis afin de faire valoir sa créance à l’encontre de M. [S] [Y], en principal et en intérêts, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– rappelé que le bien immobilier situé aux [Localité 3] a été attribué à titre préférentiel à Mme [L] [B] [X] par le jugement de divorce du 15 septembre 2015,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 15 mars 2021, M. [S] [Y] a interjeté appel de ce jugement en ce qu’il a dit que les tableaux, meubles corporels, listés sur le procès-verbal de constat du 15 juillet 2019, réalisés par M. [S] [Y] entre le 28 janvier 2006 et le 28 septembre 2010, entrent en communauté, et dit que Mme [L] [B] [X] est redevable à l’égard de l’indivision post-communautaire, au titre de sa jouissance privative du bien immobilier situé aux [Localité 3], d’une indemnité d’occupation de 450 euros par mois à compter du 22 août 2016, et jusqu’à la date du partage ou de libération effective du bien.

Par conclusions remises au greffe le 2 septembre 2021, l’intimée a formé un appel incident portant sur le montant de l’indemnité d’occupation mise à sa charge, sur l’étendue des ‘uvres qualifiées de biens communs et sur le renvoi devant le notaire commis pour évaluer les tableaux à intégrer à l’actif de communauté.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 décembre 2022, l’appelant demande à la cour de :

– le déclarer recevable et bien fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions,

y faisant droit,

– infirmer le jugement rendu par le juge aux affaires familiales de « Meaux » (désigné par erreur puisque le jugement entrepris a été rendu par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Paris) le 28 janvier 2021, en ce qu’il a dit que les tableaux, meubles corporels, listés sur le procès-verbal de constat du 15 juillet 2019, réalisés par M. [S] [Y] entre le 28 janvier 2006 et le 28 septembre 2010, non cédés à cette date, entrent en communauté et dit que Mme [L] [B] [X] est redevable à l’égard de l’indivision post-communautaire, au titre de sa jouissance privative du bien immobilier situé aux [Localité 3], d’une indemnité d’occupation de 450 euros par mois à compter du 22 août 2016 et jusqu’à la date du partage ou de libération effective du bien,

et statuant à nouveau,

– dire et juger que les tableaux peints par M. [S] [Y] constituent des biens propres,

– dire et juger que Mme [L] [B] [X] est redevable d’une indemnité d’occupation mensuelle à l’égard de l’indivision, à compter du 15 septembre 2015 et jusqu’au jour du partage, d’un montant de 1 150 euros,

– dire et juger qu’il n’y a pas lieu d’appliquer d’abattement à l’indemnité d’occupation due par Mme [L] [B] [X],

– dire et juger que chacune des parties conservera à sa charge le montant de ses frais irrépétibles,

– dire et juger que les dépens seront partagés par moitié entre les parties à l’exception de l’expertise judiciaire sollicitée par Mme [L] [B] [X] qui lui incombera.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 26 décembre 2022, Mme [L] [B] [X], intimée, demande à la cour :

rejetant toutes conclusions contraires comme injustes ou mal fondées,

– de débouter M. [Y] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

– d’infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :

* dit que seuls les tableaux, meubles corporels, listés sur le procès-verbal de constat du 15 juillet 2019, réalisés par M. [S] [Y] entre le 28 janvier 2006 et le 28 septembre 2010, non cédés à cette date, entraient en communauté,

* dit que le notaire commis sera chargé d’évaluer la valeur de ces seuls tableaux,

* dit que Mme [L] [B] [X] était redevable à l’égard de l’indivision post-communautaire, au titre de sa jouissance privative du bien immobilier situé aux [Localité 3], d’une indemnité d’occupation de 450 euros par mois,

– de le confirmer pour le surplus,

en conséquence,

– de dire et juger que la totalité des tableaux de l’époux réalisés pendant le mariage sont des biens communs et entrent à l’actif de communauté, soit 140 tableaux,

– de fixer, à titre principal, la valeur de ces tableaux à intégrer à l’actif de communauté à la somme de 511 677 euros,

à titre subsidiaire, si la cour ne s’estimait pas suffisamment éclairée sur cette estimation,

– d’ordonner, avant-dire-droit, ou dans le cadre des opérations de liquidation confiées à Me [Z] [F], notaire, une expertise des tableaux, à frais partagés et désigner à cette fin tel expert, commissaire-priseur, sous le contrôle du juge en charge des expertises, avec notamment pour mission de :

* convoquer les parties, se faire remettre tout document utile, et entendre tout sachant qu’il jugera nécessaire,

* recueillir les observations des parties contradictoirement,

* examiner les tableaux réalisés pendant le mariage et listés dans le PV de constat d’huissier du 15 juillet 2019 et en déterminer la valeur,

* estimer, sur pièces et au vu du marché de l’art, les autres tableaux, réalisés par M. [Y] entre le 26 janvier 2006 et le 28 septembre 2010, non cédés à cette date et listés dans les pièces 15 à 18,

* plus généralement donner toutes les informations utiles de nature à apporter un éclaircissement sur les valorisations des tableaux relevant de la communauté,

– fixer l’indemnité d’occupation due par Mme [X] à l’indivision post-communautaire à la somme de 375 euros par mois, courant à compter du 22 août 2016,

– condamner M. [Y] au paiement de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l’instance.

Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, il sera renvoyé à leurs écritures susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 janvier 2023.

L’affaire a été appelée à l’audience du 10 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il sera rappelé qu’en vertu de l’article 562 du code de procédure civile, l’appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

Dès lors, eu égard aux termes circonscrits de la déclaration d’appel et des premières conclusions de l’intimée portant appel incident, l’effet dévolutif n’a opéré que pour les chefs de dispositif du jugement frappé d’appel ayant dit que les tableaux, meubles corporels, listés sur le procès-verbal de constat du 15 juillet 2019, réalisés par M. [S] [Y] entre le 28 janvier 2006 et le 28 septembre 2010, entrent en communauté, renvoyé les parties devant le notaire commis qui sera chargé d’évaluer la valeur de ces tableaux à partir des éléments fournis par les parties, et dit que Mme [L] [B] [X] est redevable à l’égard de l’indivision post-communautaire, au titre de sa jouissance privative du bien immobilier situé aux [Localité 3], d’une indemnité d’occupation de 450 euros par mois à compter du 22 août 2016, et jusqu’à la date du partage ou de libération effective du bien.

Ainsi, il n’y a pas lieu de confirmer le jugement entrepris pour le surplus, comme le sollicite l’intimée.

Sur la nature, le nombre et la valeur des tableaux peints par M. [S] [Y] sur la durée de la communauté

Sur l’appel principal : la nature des tableaux

Il sera rappelé qu’à défaut de contrat de mariage, les époux sont soumis au régime matrimonial légale de la communauté réduite aux acquêts, et que, la date des effets du divorce dans les rapports patrimoniaux entre époux a été définitivement fixée au 28 septembre 2010, en application du principe légal de l’article 262-1 du code civil.

Le premier juge, distinguant la propriété intellectuelle de l”uvre de la propriété de l’objet matériel a retenu que le support matériel des ‘uvres de M. [S] [Y] créées pendant le mariage doivent, en tant que biens corporels, être portés à l’actif de la communauté dès lors que l’auteur n’a manifesté à aucun moment la volonté de les modifier ou les détruire.

L’appelant critique cette décision en considérant que les tableaux qu’il a peints doivent être qualifiés de biens propres dont la valeur n’a pas à figurer dans l’actif de communauté à partager.

Il reproche au premier juge d’avoir méconnu les dispositions de l’article L. 121-9 du code de la propriété intellectuelle aux termes desquelles :

« Sous tous les régimes matrimoniaux et à peine de nullité de toutes clauses contraires portées au contrat de mariage, le droit de divulguer l”uvre, de fixer les conditions de son exploitation et d’en défendre l’intégrité reste propre à l’époux auteur ou à celui des époux à qui de tels droits ont été transmis. Ce droit ne peut être apporté en dot, ni acquis par la communauté ou par une société d’acquêts.

Les produits pécuniaires provenant de l’exploitation d’une ‘uvre de l’esprit ou de la cession totale ou partielle du droit d’exploitation sont soumis au droit commun des régimes matrimoniaux, uniquement lorsqu’ils ont été acquis pendant le mariage ; il en est de même des économies réalisées de ces chefs. »

En citant un extrait du fascicule du Jurisclasseur « Droit des auteurs, Régimes matrimoniaux », il affirme que la doctrine considère qu’il convient de considérer les ‘uvres d’art plastique comme des propres, seuls les produits que l’auteur retire de leur exploitation (vente, reproduction…) pendant le mariage entrant en communauté. Il se prévaut également d’un arrêt en ce sens de la cour d’appel de Bordeaux.

Il fait valoir qu’il dispose d’un droit de repentir (faculté de modifier ou détruire) sur chaque tableau ou de vente jusqu’à sa mort et prétend que tous les tableaux listés par Mme [L] [B] [X] ne sont pas terminés et constituent seulement des essais, des recherches voire un simple objet de détente non destinés à une exploitation commerciale puisque plusieurs ne comportent pas de signature.

L’intimée se prévaut quant à elle de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 mai 2011 (n°10-15.667) au visa de l’article 1401 du code civil. Elle se fonde également sur les dispositions de l’article 1404 du même code.

Elle indique que l’extrait du fascicule du Jurisclasseur cité par l’appelant figure au paragraphe 49, lequel expose seulement une position minoritaire.

Bien qu’elle soutienne que la question de la signature d’une ‘uvre ne change rien à sa nature juridique, commune ou propre, elle produit une attestation de Mme [U] [R] [B] [P], gérante de la galerie d’art Cathaye à [Localité 7], se présentant comme ayant organisé la première exposition personnelle des tableaux de M. [S] [Y] en France, selon laquelle ce dernier ne signait jamais sur le recto de ses teintures pour une raison esthétique ; il émettait un certificat d’authenticité lors de la vente de l”uvre, à la demande du client.

La lecture précise des termes de l’article L. 121-9 du code de la propriété intellectuelle montre qu’il n’existe pas de lien d’interdépendance entre les droits de propriété littéraire et artistique protégés par ce texte et le support matériel de l”uvre, même picturale ; un tel lien, s’il existait, contraindrait l’artiste à céder l’ensemble sans conserver aucune prérogative sur l”uvre immatérielle. Par conséquent, la nature des premiers est sans effets sur la propriété du second. Dès lors, sur ce dernier point, en l’absence de dispositions particulières visant le support, il convient d’appliquer les règles du statut matrimonial des époux.

Selon l’article 1401 du code civil, la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres.

En application de ce texte, le jugement frappé d’appel sera confirmé en ce qu’il a dit que les tableaux réalisés par M. [S] [Y] entre le 28 janvier 2006 et le 28 septembre 2010, non cédés à cette date, entrent en communauté.

Le caractère achevé ou non de l”uvre est sans incidence à cet égard dès lors qu’il n’est pas porté atteinte à la volonté éventuelle de l’artiste de modifier ou détruire l”uvre.

Sur l’appel incident : sur le nombre et la valeur des ‘uvres concernées

Le premier juge a circonscrit les tableaux entrés en communauté aux tableaux listés sur le procès-verbal de constat du 15 juillet 2019 dressé à la demande de Mme [L] [B] [X], lorsqu’ils ont été réalisés par M. [S] [Y] entre le 28 janvier 2006 et le 28 septembre 2010 et non cédés à cette date.

L’appelante incidente souligne que ce constat porte exclusivement sur les ‘uvres encore présentes à cette date dans le bien situé aux Lilas qui a abrité le domicile conjugal. Elle affirme avoir retrouvé des listings réalisés par M. [S] [Y] lui-même recensant un nombre bien supérieur de 140 tableaux créés entre le 26 janvier 2006 et le 28 septembre 2010, seuls ceux ayant été vendus avant le 28 septembre 2006 étant à exclure de l’actif de la communauté. Elle note que M. [S] [Y] ne conteste pas expressément ce nombre qu’elle avance et qu’il se garde de fournir la moindre information sur la vente éventuelle de certains d’entre eux.

La cour constate en effet que M. [S] [Y] ne développe aucune moyen de fait ou de droit pour s’opposer aux prétentions de l’appelante incidente sur ces points.

Cependant, en application de l’article 9 du code de procédure civile, la charge de la preuve incombe à cette dernière.

Or les inventaires de tableaux qu’elle produit en pièces n° 15 à 18 ne comportent aucun élément de nature à en attribuer la réalisation à M. [S] [Y] comme elle l’affirme ni, plus largement, de déterminer leur auteur. A défaut de garantie quant à leur sincérité, ils ne sauraient bénéficier de la force probante quant à leur contenu.

En revanche, la liste des tableaux déposés le 26 septembre 2007 à Mme [V] [A], portant la signature de celle-ci avec la date du 20 octobre 2007, précédée de la mention manuscrite « reçu », fait état, aux côtés d”uvres datées d’une période antérieure au mariage des parties ou figurant déjà dans le procès-verbal de constat du 15 juillet 2019, complété, pour mieux identifier certaines des ‘uvres concernées par ce procès-verbal, par l’inventaire dressé le 17 janvier 2022 par Mme [O] [D], commissaire-priseur, des ‘uvres 2006 EC 01 (34 x 45,5 cm), 2006 EC 02 (34 x 45,5 cm), 2006 EC A18 (46 x 68 cm) et 2006 EC A6 (46 x 68 cm), qui diffèrent par leurs tailles de celles aux intitulés approchants figurant sur le procès-verbal du 15 juillet 20019 et l’inventaire du 17 janvier 2022 (#63 2006 EC B01, #61 2006 EC B02, #64 2006 EC B06).

De même, la liste des 14 tableaux confiés le 26 octobre 2007 à Mme [V] [A] encore porte notamment sur :

– un tableau 2006 EC 13 (46 x 68 cm), distinct du tableau 2006 EC B13 (138 x 68 cm) de l’inventaire du 17 janvier 2022,

– des tableaux 2007 EC 01, 2007 EC 02, 2007 EC 03, 2007 EC 04 et 2007 EC 05 dont la taille permet aussi de les distinguer de ceux aux intitulés approchants déjà listés,

– un tableau 2006 EC 19 qui ne figure pas parmi ceux du procès-verbal du 15 juillet 20019 et de l’inventaire du 17 janvier 2022.

Au vu de l’annexe au contrat de commission du 10 mars 2009 portant dépôt d”uvres en vue de leur vente dans la galerie Lipao-Huang, il y a lieu d’ajouter encore à la liste des tableaux dont la réalisation au cours du mariage est établie les tableaux 2006 EC A07, 2006 EC A09, 2006 EC A13, 2006 EC A34, 2007 EC A02, 2009 H 01, 2009 H 02, 2009 H 03, 2009 H 04 et 2009 H 05.

Enfin, toutes les ‘uvres reproduites sur le catalogue Pacifica [Localité 7] produit par Mme [L] [B] [X] en pièce n°26 correspondent à des tableaux non encore recensés sauf les ‘uvres 2007 EC B-05 et 2007 EC H-05.

Mme [L] [B] [X], qui rapporte ainsi la preuve de l’existence de ces ‘uvres réalisées pendant la période de communauté, ne saurait se voir imposer la preuve supplémentaire impossible qu’elles n’ont pas été vendues avant le 28 septembre 2010 le cas échéant.

Sauf à ce que M. [S] [Y] rapporte quant à lui cette preuve devant le notaire commis, il convient donc de les intégrer également à l’actif de communauté, en sus de celles dont l’intégration résulte de la confirmation du jugement entrepris, à défaut de critique sur ce point formulée par l’appelant.

Sur la valorisation des tableaux entrés en communauté

Pour demander, à titre principal, à voir fixer la valeur des tableaux à intégrer à l’actif communautaire à la somme de 511 677 euros, Mme [L] [B] [X] prend d’abord en considération les 140 tableaux qu’elle entend voir entrer en communauté alors qu’il a déjà été indiqué que les pièces sur lesquelles elle se fonde à cette fin sont dépourvues de valeur probante.

En outre, pour fonder son estimation de 48 de ces tableaux, elle se réfère en particulier à sa pièce n°26, qui est le catalogue d’une exposition d”uvres de M. [S] [Y] et ne comporte aucune valorisation. Ce catalogue indiquerait-il un prix de vente, celui-ci ne s’assimile pas nécessairement à la valeur des ‘uvres présentées, qui n’ont par hypothèse pas encore été vendues. Il en va de même des « prix d’artiste » figurant sur les actes de dépôt produits.

Mme [L] [B] [X] sera donc déboutée de sa demande de fixation de la valeur des tableaux à intégrer à l’actif de la communauté.

S’agissant de la demande subsidiaire de Mme [L] [B] [X] tendant à voir ordonner, avant-dire-droit ou dans le cadre des opérations de liquidation confiées au notaire commis, une expertise des tableaux confiée à un expert commissaire-priseur, il sera rappelé d’une part qu’il ne revient pas à la cour, appelée à statuer au fond, et non avant-dire-droit, hors du cadre particulier des référés ou des requêtes, d’ordonner une expertise, étant observé que cette mesure d’instruction n’a pas été sollicitée du conseiller de la mise en état, et d’autre part que le notaire commis peut demander aux parties la production d’estimations en vertu de l’article 1365 alinéa 1er du code de procédure civile, et peut s’adjoindre directement un expert s’il l’estime utile.

Par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a renvoyé les parties devant le notaire commis qui sera chargé d’évaluer la valeur de ces tableaux à partir des éléments fournis par les parties.

Sur l’indemnité d’occupation

En vertu de l’article 815-9 alinéa 2 du code civil, l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité.

Il est constant que Mme [L] [B] [X] a continué à vivre après la séparation dans le bien immobilier ayant abrité le domicile conjugal, acquis en communauté et relevant désormais de l’indivision post-communautaire, et qu’elle est donc redevable d’une indemnité d’occupation.

Sur le point de départ de l’indemnité d’occupation

L’appelant critique le jugement entrepris en ce qu’il a dit que cette indemnité était due à compter du 22 août 2016, date à laquelle le prononcé du divorce des époux a acquis force de chose jugée, lui reprochant d’avoir statué ultra petita, puisqu’il affirme que les parties s’accordaient à fixer le point de départ de l’indemnité d’occupation à la date du jugement de divorce, soit au 15 septembre 2015.

Mme [L] [B] [X] prétend n’avoir nullement donné son accord pour voir fixer l’indemnité d’occupation à compter de cette date.

Aucune des parties ne produit les conclusions de première instance de Mme [L] [B] [X].

Au vu de l’exposé du litige du jugement entrepris, elle sollicitait la fixation de l’indemnité d’occupation « à compter du jugement de divorce », une telle formulation n’excluant pas nécessairement la prise en compte de la date à laquelle celui-ci devient définitif.

En effet, comme le premier juge a rappelé à juste titre que, dès lors que le juge conciliateur a attribué à l’épouse la jouissance gratuite du domicile conjugal, cette mesure provisoire perdure jusqu’à la date à laquelle le jugement de divorce passe en force de chose jugée, en application de l’article 254 du code civil.

En l’espèce il n’est pas discuté que le jugement de divorce, signifié le 22 juillet 2016, a acquis force de chose jugée le 22 août 2016.

En application du principe légal, et à défaut de preuve d’un accord contraire des parties, le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a fixé à cette date le point de départ de l’indemnité d’occupation due par Mme [L] [B] [X].

Sur le montant de l’indemnité d’occupation

L’appelant reproche au premier juge d’avoir fixé le montant de cette indemnité à 450 euros par mois en retenant les estimations locatives versées aux débats par Mme [L] [B] [X] et en y appliquant un abattement de 15 %.

Il entend voir écarter la méthode de calcul de l’indemnité d’occupation fondée sur la valeur locative du bien pour lui préférer une évaluation fondée sur la valeur vénale du bien, qu’il estime à 345 000 euros, conteste les estimations locatives produites par Mme [L] [B] [X], et s’oppose à tout abattement en réfutant le caractère précaire de son occupation des lieux, en soulignant qu’elle y vit seule, sans y élever d’enfant commun et en faisant valoir qu’elle est de mauvaise foi pour avoir refusé de liquider rapidement le régime matrimonial et de lui remettre ses tableaux malgré les dispositions de l’ordonnance de non-conciliation.

L’intimée indique qu’elle a fait procéder à plusieurs estimations tenant compte de la spécificité du bien, qui est un local d’activité utilisé comme habitation et sollicite l’application d’un abattement de 30 %.

Bien qu’elle privilégie la fixation de l’indemnité d’occupation fondée sur la valeur locative du bien, elle conteste la valeur vénale retenue par M. [S] [Y] pour son propre calcul, qui diffère de celle fixée par le premier juge en considération de leur accord dans un chef de dispositif qui n’a pas été dévolu à la cour, et qui découle d’une estimation réalisée par une agence immobilière n’ayant pas visité le bien.

Puisque M. [S] [Y] évoque sa mauvaise foi, elle souligne qu’il n’a quant à lui jamais réglé la prestation compensatoire mise à sa charge par le jugement de divorce.

Si le juge n’est pas tenu de se fonder sur la seule valeur locative pour déterminer le montant de l’indemnité d’occupation, il ne saurait écarter les estimations locatives versées aux débats pour le fixer.

En l’espèce, M. [S] [Y] produit une estimation d’une agence Orpi datée du 28 octobre 2021 rédigée comme suit : «  Nous estimons la valeur de votre bien entre sept cent cinquante euros et huit cents euros (750 euros et 800 euros) ». Même en considérant qu’est ainsi mentionnée la valeur locative du bien indivis, aucune mention de cette estimation ne permet de contredire l’affirmation de Mme [L] [B] [X] selon laquelle elle a été réalisée sans visite du bien, ce qui affaiblit sa pertinence.

Mme [L] [B] [X] produit quant à elle :

– deux estimations réalisées par une agence Guy Hoquet, l’une datée du 16 juillet 2012, retenant une valeur locative du bien entre 850 et 880 euros par mois, et l’autre datée du 15 mai 2018, retenant une valeur locative du bien entre 500 et 550 euros par mois charges comprises, sans explication sur cette diminution de valeur,

– avis de valeur de loyer mensuel de l’agence Benizri Immobilier en date du 26 juillet 2019 de 500 euros hors charges,

– une estimation du « prix à la location » réalisée par une agence Century 21 le 18 juin 2019, comprise entre 550 et 600 euros,

– un avis de valeur locative de l’agence Odéon immobilier en date du 26 juillet 2019, situé entre 510 et 520 euros par mois.

La moyenne de ces valeurs locatives s’établit à 607 euros par mois.

Outre que la méthode de calcul fondée sur la valeur vénale du bien immobilier mise en ‘uvre par l’appelant est moins opérante et retenue plutôt à titre subsidiaire, lorsque la valeur locative ne peut être déterminée, il y a lieu de constater comme l’intimée que la valeur vénale retenue par M. [S] [Y] diffère de celle de 218 333 euros fixée par un chef de dispositif du jugement entrepris devenu définitif à défaut de dévolution à la cour. L’estimation de la valeur locative qu’il propose sera donc écartée.

La bonne foi de l’occupant dans le cadre général de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des époux sont sans incidence sur l’appréciation d’un abattement que la pratique accorde pour compenser la nature précaire d’une jouissance appelée à cesser dans un cadre moins protecteur que celui fixé pour les locataires par exemple.

En l’absence d’enfant commun dont les conditions de logement serait à garantir, l’abattement de 15 % utilisé par le premier juge sera conservé et en conséquence le montant de l’indemnité d’occupation due par Mme [L] [B] [X] sera fixé à 516 euros par mois.

Sur les frais et dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Il convient, eu égard à la nature du litige et alors qu’il n’est que partiellement fait droit aux prétentions de l’appelant, de dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage et supportés par les parties à proportion de leurs droits dans le partage.

A défaut de condamnation d’une partie aux dépens, il ne saurait être fait application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement prononcé le 28 janvier 2021 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Paris en ce qu’il a :

– dit que les tableaux réalisés par M. [S] [Y] entre le 28 janvier 2006 et le 28 septembre 2010, non cédés à cette date, sont à intégrer à l’actif de communauté,

– renvoyé les parties devant le notaire commis qui sera chargé d’évaluer la valeur de ces tableaux à partir des éléments fournis par les parties,

– dit que Mme [L] [B] [X] est redevable à l’égard de l’indivision post-communautaire, au titre de sa jouissance privative du bien immobilier situé aux [Localité 3], d’une indemnité d’occupation à compter du 22 août 2016 ;

Infirme le jugement prononcé le 28 janvier 2021 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Paris en ce qu’il a :

– circonscrit les tableaux entrés en communauté aux tableaux listés sur le procès-verbal de constat du 15 juillet 2019 dressé à la demande de Mme [L] [B] [X], lorsqu’ils ont été réalisés par M. [S] [Y] entre le 28 janvier 2006 et le 28 septembre 2010 et non cédés à cette date,

– fixé à 450 euros par mois le montant de l’indemnité d’occupation dont Mme [L] [B] [X] est redevable à l’égard de l’indivision post-communautaire, au titre de sa jouissance privative du bien immobilier situé aux [Localité 3] ;

Statuant à nouveau,

Dit que dit que sont à intégrer à l’actif de communauté les tableaux réalisés par M. [S] [Y] entre le 28 janvier 2006 et le 28 septembre 2010, non cédés à cette date, outre ceux figurant sur le procès-verbal de constat du 15 juillet 2019 :

– les tableaux 2006 EC 01 (34 x 45,5 cm), 2006 EC 02 (34 x 45,5 cm), 2006 EC A18 (46 x 68 cm) et 2006 EC A6 (46 x 68 cm),

– le tableau 2006 EC 13 (46 x 68 cm),

– les tableaux 2007 EC 01, 2007 EC 02, 2007 EC 03, 2007 EC 04 et 2007 EC 05,

– le tableau 2006 EC 19,

– les tableaux 2006 EC A07, 2006 EC A09, 2006 EC A13, 2006 EC A34, 2007 EC A02, 2009 H 01, 2009 H 02, 2009 H 03, 2009 H 04 et 2009 H 05,

– toutes les ‘uvres reproduites sur le catalogue Pacifica [Localité 7] produit par Mme [L] [B] [X] en pièce n°26 sauf les ‘uvres 2007 EC B-05 et 2007 EC H-05,

sauf à ce que M. [S] [Y] rapporte la preuve devant le notaire commis que tout ou partie de ces ‘uvres ont été vendues avant le 28 septembre 2010 le cas échéant ;

Fixe à 516 euros par mois le montant de l’indemnité d’occupation dont Mme [L] [B] [X] est redevable à l’égard de l’indivision post-communautaire, au titre de sa jouissance privative du bien immobilier situé [Adresse 1] ;

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage et supportés par les parties à proportion de leurs droits dans le partage ;

Rejette la demande de Mme [L] [B] [X] au titre l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,

 


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