Droits des artistes : 11 janvier 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 22/00241

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Droits des artistes : 11 janvier 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 22/00241
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ARRÊT DU

11 Janvier 2023

DB/CR

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N° RG 22/00241

N° Portalis

DBVO-V-B7G-C7MQ

———————

L’ETAT pris en la personne du préfet du Gers,

C/

[J] [S]

——————

GROSSES le

à

ARRÊT n°

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Civile

LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère chambre dans l’affaire,

ENTRE :

L’ETAT pris en la personne du préfet du Gers,

agissant pour le compte de l’administration

chargée des domaines

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Jonathan AZOGUI, avocat inscrit au barreau de PARIS

APPELANT d’un Jugement du tribunal judiciaire d’AUCH en date du 02 Mars 2022, RG 20/1148

D’une part,

ET :

Madame [J] [S]

née le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 4] (32)

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée par Me Erwan VIMONT, avocat postulant inscrit au barreau d’AGEN et par Me Olivier LHOMME, avocat plaidant inscrit au barreau de VERSAILLES

INTIMÉE

D’autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 10 Octobre 2022 devant la cour composée de :

Dominique BENON, Conseiller qui a fait un rapport oral à l’audience

qui en a rendu compte dans le délibéré de la cour composée outre lui-même de Claude GATE, présidente de chambre et Cyril VIDALIE, Conseiller

en application de l’article 805 du code de procédure civile

Greffières : Lors des débats : Nathalie CAILHETON, greffière

Lors de la mise à disposition : Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière

ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

‘ ‘

FAITS :

Le 20 février 2011, [K] [B] et [P] [D], particuliers, ont réalisé des fouilles sur la propriété agricole appartenant à [J] [S], située à [Localité 4] (32), d’une surface de 12 ha, cadastrée section [Cadastre 3].

Mme [S] n’avait pas été informée de ces fouilles.

Ils ont mis à jour 278 pièces de monnaie antique qu’ils ont remises au service régional d’archéologie le 7 avril 2011 aux fins d’étude.

Selon arrêté préfectoral du 25 octobre 2011 et avec l’accord de Mme [S], le service régional d’archéologie a fait procéder à des fouilles sous l’autorité de [A] [F], scientifique, du 28 au 30 octobre 2011.

Ces fouilles ont permis de découvrir trois amphores contenant 23 015 pièces de monnaie antique en bronze, qui ont été transférées pour analyse au service régional d’archéologie.

Après vaines discussions entre l’Etat et Mme [S], par acte du 30 juin 2020, cette dernière a fait assigner l’Administration des domaines représentée par la direction départementale des finances publiques du Gers, l’Agent judiciaire de l’Etat et le préfet de la région Occitanie devant le tribunal judiciaire d’Auch afin qu’il leur soit enjoint de lui remettre la totalité des pièces.

Le préfet de région et le directeur départemental des finances publiques n’ont pas comparu.

Le préfet du Gers est intervenu volontairement à l’instance au nom de l’Etat et pour le compte de l’Administration chargée des domaines.

Par jugement rendu le 2 mars 2022, le tribunal judiciaire d’Auch a :

– constaté l’intervention volontaire de l’Administration chargée des domaines prise en la personne de M. le préfet du Gers représentant l’Etat,

– dit que les 23 293 pièces de monnaie antique et leurs contenants à savoir les trois amphores appartiennent en intégralité à Mme [J] [S],

– condamné en conséquence l’Administration chargée des domaines prise en la personne de M. le préfet du Gers à restituer à Mme [J] [S] les 23 293 pièces de monnaie antique et leurs contenants, à savoir les trois amphores, et ce sous astreinte provisoire de 6 mois d’un montant de 200 Euros par jour de retard passé le délai de 6 mois à compter de la signification du jugement,

– condamné l’Administration chargée des domaines prise en la personne de M. le préfet du Gers à verser à Mme [J] [S] la somme de 4 000 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté l’agent judiciaire de l’Etat de sa demande présentée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné l’Administration chargée des domaines prise en la personne de M. le préfet du Gers au paiement des entiers dépens et dit que ces derniers pourront être recouvrés directement par la Selarl Cabinet Olivier JR Lhomme, conseil de Mme [J] [S], pour ceux dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Le tribunal a estimé que la découverte des 278 pièces, en dehors de fouilles réalisées par l’Etat, relevait d’une découverte fortuite ayant pour conséquence qu’elles appartenaient à Mme [S] ; que Mme [S] avait autorisé la poursuite des fouilles également dans le cadre de la poursuite d’une découverte fortuite en vertu de l’article L. 531-15 du code du patrimoine ; que Mme [S] était ainsi seule propriétaire du trésor, les inventeurs étant privés de leur moitié ; et que l’Etat n’avait pas respecté l’article L. 531-6 du code du patrimoine en conservant les éléments découverts au-delà du délai légal de 5 ans.

Par acte du 21 mars 2022, l’Administration chargée des domaines prise en la personne du préfet du Gers représentant l’Etat a déclaré former appel du jugement en désignant [J] [S] en qualité de partie intimée et en indiquant que l’appel porte sur les dispositions du jugement qui ont :

– dit que les 23 293 pièces de monnaie antique et leurs contenants à savoir les trois amphores appartiennent en intégralité à Mme [J] [S],

– condamné en conséquence l’Administration chargée des domaines prise en la personne de M. le préfet du Gers à restituer à Mme [J] [S] les 23 293 pièces de monnaie antique et leurs contenants, à savoir les trois amphores, et ce sous astreinte provisoire de 6 mois d’un montant de 200 Euros par jour de retard passé le délai de 6 mois à compter de la signification du jugement,

– condamné l’Administration chargée des domaines prise en la personne de M. le préfet du Gers à verser à Mme [J] [S] la somme de 4 000 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné l’Administration chargée des domaines prise en la personne de M. le préfet du Gers au paiement des entiers dépens et dit que ces derniers pourront être recouvrés directement par la Selarl Cabinet Olivier JR Lhomme, conseil de Mme [J] [S], pour ceux dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Après report, l’affaire a été fixée à l’audience de la Cour du 10 octobre 2022.

PRETENTIONS ET MOYENS :

Par mémoire déposé le 4 octobre 2022, auquel il est renvoyé pour le détail de l’argumentation et repris à l’audience, l’Etat, pris en la personne du préfet du Gers, agissant pour le compte de l’Administration chargée des domaines, présente l’argumentation suivante :

– Mme [S] ne peut être déclarée entièrement propriétaire du dépôt monétaire :

* il ne discute pas que Mme [S] peut être déclarée entièrement propriétaire des 278 pièces initialement découvertes, sur le fondement de l’article 552 du code civil.

En effet, les articles L. 531-16 du code du patrimoine et 716 du code civil ne peuvent trouver application faute de découverte fortuite : les inventeurs se sont rendus sur la propriété pour chercher les pièces de monnaie.

* le jugement est entaché de contradiction pour qualifier la découverte de fortuite tout en reconnaissance ensuite que les 278 pièces n’ont pas été découvertes par l’effet du hasard.

* les fouilles d’octobre 2011 ont été réalisées en application des articles L. 531-9 et L. 531-11 du code du patrimoine et, selon ces textes, au terme d’un délai qui ne peut excéder 5 ans, la propriété des objets trouvés est partagée entre l’Etat et le propriétaire du terrain.

* la loi ne prévoit aucune exception à ce principe.

* ces fouilles ne peuvent être assimilées à la première découverte, faute d’unicité de temps, de cadre légal et de personne qui les a exécutées, la décision du tribunal revenant à priver systématiquement l’Etat de sa part lorsqu’il existerait des fouilles précédentes, mêmes illicites.

* Mme [S] ne peut se prévaloir d’un courrier du 24 mars 2011, dans lequel l’Etat l’a informée de son souhait de conduire une opération archéologique, qui n’a été établi qu’à partir des seules déclarations de cette dernière, a réservé l’examen du caractère fortuit de la découverte, et a fait référence par simple erreur de plume à l’article L. 531-16 du code du patrimoine, étranger aux conditions de recherches sur un terrain.

* le tribunal a méconnu les dispositions de l’article L. 531-11 qui imposent le partage des biens découverts.

– Aucune astreinte ne peut être prononcée à son encontre :

* il a proposé la désignation d’un expert le 26 septembre 2016, que Mme [S] a refusé au point qu’il a fallu saisir le président du tribunal en application de l’article R. 531-13 du code du patrimoine.

* c’est le refus d’appliquer le principe du partage des biens opposé par Mme [S] qui a généré le blocage de la situation.

* aucun rapport d’expertise n’a été établi.

* le délai écoulé ne peut remettre en cause le droit de propriété partielle de l’Etat et son droit de revendication qui perdure jusqu’à deux mois après le dépôt du rapport conformément à l’article R. 531-12 du code du patrimoine.

* la seule obligation pouvant être mise à sa charge est celle de désigner un expert.

* il a toujours été indiqué que les pièces de monnaies présentent un caractère artistique de sorte que l’exception invoquée au droit de revendication n’est pas applicable.

Au terme de son mémoire, l’Etat demande à la Cour de :

– réformer le jugement,

– juger que Mme [S] est propriétaire des 278 pièces de monnaie antique découverte par des tiers le 20 février 2011,

– juger que l’Etat et Mme [S] sont propriétaires chacun à concurrence de moitié des trois amphores et 23 015 pièces de monnaie antique découvertes par l’Etat dans le cadre des fouilles exécutées par lui du 28 octobre au 10 novembre 2011 en application de l’article L. 531-11 du code du patrimoine,

– rejeter la demande d’injonction de restitution sous astreinte présentée par Mme [S],

– à titre subsidiaire :

– enjoindre à l’Etat d’initier à nouveau la procédure d’expertise pour déterminer la valeur des objets mobiliers en notifiant à Mme [S] par lettre recommandée avec avis de réception le nom de l’expert désigné, conformément au deuxième alinéa de l’article L. 531-13 du code du patrimoine, alors en vigueur dans un délai de 6 mois à compter de la signification de l’arrêt,

– en tout état de cause :

– condamner Mme [S] à verser à l’Etat la somme de 5 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

*

* *

Par mémoire notifié les 8 et 10 octobre 2022, repris à l’audience, auquel il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, [J] [S] présentel’argumentation suivante :

– Contexte du litige :

* par lettre du 25 février 2011, le service régional d’archéologie, informé de la découverte des 278 pièces, s’est placé sur le terrain de la découverte fortuite et a visé les articles L. 531-16 du code du patrimoine et 716 du code civil.

* par lettre du 24 mars 2011, ce service l’a informée, alors qu’elle vivait en Guyane, de cette découverte en visant à nouveau l’article L. 531-16 relatif aux découvertes fortuites.

* ce n’est que le 21 juin 2012 que ce service a revendiqué la propriété partielle de la découverte en visant les articles R. 531-5 et L. 531-9 du code du patrimoine, provoquant des interrogations de Mme [S] auxquelles il n’a pas été répondu.

* le service régional d’archéologie a ensuite désigné un expert sans solliciter d’établissement d’un rapport puis fait désigner un expert judiciaire, ce dont elle n’a pas été informée.

– La loi applicable :

* il existe trois types de fouilles : les fouilles préventives, les fouilles programmées et les fouilles résultant d’une découverte fortuite.

* c’est l’ancien article L. 531-16 alinéa 2 du code du patrimoine, antérieur à la loi du 7 juillet 2016, et relatif aux découvertes fortuites qui s’applique.

* l’Etat tente de se soustraire à ce texte en niant la possibilité de réaliser des fouilles par suite de découvertes fortuites.

* la découverte de [Localité 4] résulte d’une découverte fortuite, c’est à dire non-programmée ou préventive.

– Le débat sur la propriété du dépôt monétaire est factice :

* en vertu de l’article 716 du code civil, les découvreurs des 278 premières pièces n’ont aucun droit sur elle, et seule Mme [S] en est entièrement propriétaire, l’Etat n’étant ni à l’origine de la découverte, ni propriétaire du fonds.

* la première découverte a été effectuée fortuitement, personne n’ayant connaissance du dépôt de pièces, quelle que soit l’intuition de MM. [B] et [D].

* il s’agit par conséquent d’une découverte fortuite au sens des anciens articles L. 531-14 à L. 531-16 du code du patrimoine, qui renvoient à l’article 716 du code civil, et qui ont initialement été visés par l’Etat.

* il n’existait aucun programme de fouille sur son terrain.

– Il faut appliquer un principe d’unicité de la découverte :

* il y a eu continuation de l’excavation initiale pour découvrir un seul et même trésor.

* l’Etat s’est limité à poursuivre les fouilles conformément à l’article L. 531-15 du code du patrimoine.

– Elle est propriétaire du tout du fait que MM. [B] et [D] n’ont aucun droit :

* ils ne peuvent être considérés de bonne foi du fait qu’ils n’ont pas trouvé le trésor par le pur effet du hasard.

* ils étaient présents par convoitise pour y trouver un possible dépôt de pièces, et avaient même sollicité l’autorisation à cette fin.

– Sa propriété est retenue abusivement :

* le délai maximum de l’étude scientifique a expiré le 31 octobre 2016.

* pourtant, les pièces ne lui ont pas été restituées, même à hauteur de la moitié dont l’Etat lui reconnaît pourtant la propriété.

* l’Etat n’a pas exercé son droit de revendication de l’article L. 531-16 alinéa 2 (et non de l’article L. 531-11 qu’il invoque à tort) qui, en outre, selon l’article L. 531-17, ne peut s’exercer sur des pièces de monnaie métalliques sans caractère artistique.

– l’Etat a tout mis en oeuvre pour éviter une estimation des biens trouvés :

* elle pensait que l’Etat avait fait désigner un expert, mais en septembre 2016, a été informée qu’il s’agissait en réalité de procéder à un partage.

* en réalité, l’Etat n’a désigné aucun expert amiable.

* M. [Y], expert désigné par le président du tribunal de grande instance d’Auch par ordonnance du 22 novembre 2017, n’a jamais déposé de rapport.

* la situation doit désormais être dénouée rapidement car l’Etat a tout mis en oeuvre pour s’approprier la totalité de la découverte.

Au terme de son mémoire, elle demande à la Cour de :

– confirmer le jugement,

– ordonner à l’Etat de lui communiquer l’inventaire de l’ensemble des biens prélevés sur sa propriété, sous astreinte,

– condamner l’Etat à lui payer la somme de 200 Euros par jours écoulés entre la date de signification du jugement et la date de début de l’astreinte à intervenir,

– à titre subsidiaire :

– nommer un expert agréé spécialisé,

– enjoindre à l’Etat de nommer un expert dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision, et de se faire remettre le rapport dans un délai de 3 mois,

– dire que le montant de son indemnisation pour acquérir les biens sera égal à la plus élevée des estimations,

– ordonner à l’Etat de faire connaître sa position dans un délai de 15 jours à compter de la remise des rapports,

– mettre tous frais à la charge de l’Etat,

– fixer une astreinte pour imposer le respect du calendrier,

– fixer une astreinte de 200 Euros par jour de retard dans l’hypothèse où l’Etat n’aurait pas restitué le dépôt monétaire dans un délai de 6 mois à compter de la signification de la décision à intervenir, sauf accord amiable de sa part,

– rejeter les autres demandes présentées par l’Etat et le condamner à lui payer la somme de 20 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, soit 4 000 Euros pour la procédure de première instance et 16 000 Euros pour la procédure d’appel.

– dire que ce processus ne suspendra pas l’astreinte qui sera calculée à compter de la date de l’arrêt jusqu’à complet règlement de l’indemnité.

*

* *

Par mémoire d’intervention volontaire déposé le 24 juin 2022, auquel il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, l’Administrateur général des finances publique du Gers déclare que son service n’a jamais eu les monnaies en sa possession et demande que les présentions présentées à son encontre par Mme [S] soient rejetées.

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MOTIFS :

1) Considérations préliminaires :

La Cour constate qu’il n’existe pas de litige sur l’entière propriété des 278 pièces de monnaie antique découvertes le 20 février 2011.

Elle doit en être déclarée propriétaire.

2) Sur la propriété des pièces de monnaie antique découvertes entre le 28 et le 31 octobre 2011 :

Les dispositions légales applicables aux fouilles en litige sont celles du code du patrimoine dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016.

Dans sa version applicable au litige, ce code contient un livre V, intitulé ‘archéologie’, dans lequel se trouve un chapitre III intitulé ‘fouilles archéologiques programmées et découvertes fortuites’.

Dans ce chapitre, la section 2 est intitulée ‘exécution de fouilles par l’Etat’.

L’article L. 531-9 de cette section dispose :

‘L’Etat est autorisé à procéder d’office à l’exécution de fouilles ou de sondages pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire, l’art ou l’archéologie sur des terrains ne lui appartenant pas, à l’exception toutefois à des terrains attenants à des immeubles bâtis et clos de murs ou de clôtures équivalentes.

A défaut d’accord amiable avec le propriétaire, l’exécution des fouilles ou sondages est déclarée d’utilité publique par décision de l’autorité administrative, qui autorise l’occupation temporaire des terrains.

Cette occupation est ordonnée par une décision de l’autorité administrative qui détermine l’étendue des terrains à occuper ainsi que la date et la durée probable de l’occupation. La durée peut être prolongée, en cas de nécessité, par de nouveaux arrêtés sans pouvoir, en aucun cas, excéder cinq années.’

C’est en application de ce texte que l’Etat a, par arrêté du préfet de région du 25 octobre 2011, et après autorisation écrite donnée par Mme [S] le 4 avril 2011, autorisé la réalisation de fouilles archéologiques sur le terrain appartenant à cette dernière.

Mme [S] prétend que ce n’est pas ce texte, mais la section 3 intitulée ‘découvertes fortuites’ qui devrait trouver application.

Mais la découverte initiale des 278 pièces par MM. [B] et [D] ne peut pas être qualifiée de découverte fortuite, laquelle supporte une découverte résultant du pur effet du hasard.

En effet, MM. [B] et [D] recherchaient délibérément des pièces antiques dont ils soupçonnaient la présence compte tenu de découvertes ponctuelles antérieures, et avaient demandé l’autorisation d’y procéder (en indiquant utiliser des détecteurs de métaux) en application de l’ancien article L. 531-1 du code du patrimoine qui dispose ‘nul ne peut effectuer sur un terrain lui appartenant ou appartenant à autrui des fouilles ou des sondages à l’effet de recherches de monuments ou d’objets pouvant intéresser la préhistoire, l’art, ou l’archéologie, sans en avoir au préalable obtenu l’autorisation.’

Ainsi, par courriel du 14 octobre 2010 adressée à Mme [F], ils ont indiqué que suite à la découverte de monnaie sur le site, ils étaient à la recherche d’un ‘possible dépôt’.

Les fouilles réalisées par l’Etat ne sont donc pas la suite d’une découverte fortuite.

Mme [S] invoque également le courrier daté du 24 mars 2011 qui lui a été adressé par le préfet de région qui lui a notifié :

‘Sous réserve que les conditions juridiques d’une découverte fortuite soient effectivement réunies, je vous précise que dans ce cas, la propriété des monnaies découvertes le 20 février 2011, sur votre propriété, serait alors réglée par l’article 716 du code civil. Ainsi, depuis le jour de leur découverte et jusqu’à leur attribution définitive, tous les objets donnant lieu à partage sont considérés comme provisoirement classés parmi les monuments historiques et tous les effets du classement s’appliquent de plein droit (article L. 531-18 du code du patrimoine).

Les terrains où les découvertes ont été faites sont également considérés comme classés et tous les effets du classement leur sont applicables.

Conformément aux dispositions de l’article L. 531-16 du code du patrimoine, les découvertes de caractère mobilier faites fortuitement sont confiées à l’Etat pendant le délai nécessaire à leur étude scientifique. Au terme de ce délai, qui ne peut excéder cinq ans, leur propriété demeure régie par l’article 716 du code civil.’

Cette lettre a par conséquent réservé l’application des articles L. 531-18 du code du patrimoine et 716 du code civil au caractère fortuit de la découverte et, dès lors ne peut conférer aucun droit acquis à l’application de ces textes à Mme [S], faute de caractère fortuit de la découverte.

En tout état de cause, la réglementation applicable dépend de la situation réelle et non des textes visés par le préfet de région.

Par conséquent, la section 3 invoquée par Mme [S] ne peut trouver application, ce qui exclut qu’elle puisse prétendre être propriétaire de l’ensemble des pièces sur le fondement de l’article 716 du code civil auquel renvoie l’article L. 531-16.

Ensuite, l’article L. 531-11, situé dans la section 2, et par conséquent applicable au litige, dispose :

‘Le mobilier issu des fouilles archéologiques exécutées par l’Etat lui est confié pendant le délai nécessaire à son étude scientifique. Au terme de ce délai, qui ne peut excéder cinq ans, la propriété des découvertes de caractère mobilier faite au cours des fouilles est partagée entre l’Etat et le propriétaire du terrain suivant les règles du droit commun.

L’Etat peut toujours exercer sur les objets trouvés le droit de revendication prévu aux articles L. 531-5 et L. 531-16.’

Ce texte pose le principe du partage par moitié, entre l’Etat et le propriétaire du terrain, pour les découvertes faites en vertu de l’article L. 531-9 et n’y prévoit pas d’exception.

Il ne peut y être dérogé par l’existence des fouilles antérieures illégales auxquelles ont procédé MM. [B] et [D].

En effet, il ne peut y avoir aucune continuité entre les fouilles exécutées selon la procédure légale et celles auxquelles se sont livrés ce derniers.

Dès lors, tant les 23 015 pièces découvertes entre le 28 et le 30 octobre 2011 que leurs contenants, doivent faire l’objet d’un partage à parts égales entre l’Etat et Mme [S].

Le jugement doit être infirmé sur ce point.

3) Sur le droit de revendication :

Selon le second alinéa de l’article L. 531-11 cité supra, le délai de 5 ans à l’issue duquel l’attribution des objets découverts doit intervenir est néanmoins subordonné à la possibilité, pour l’Etat d’exercer un droit de revendication.

Les textes applicables au litige qui réglementent ce droit sont les suivants :

‘Article L. 531-5 :

L’autorité administrative peut, au nom de l’Etat et dans le seul intérêt des collections publiques, revendiquer les pièces provenant des fouilles autorisées en vertu de l’article L. 531-1 dans les conditions prévues à l’article L. 531-16 pour la revendication des découvertes fortuites.’

‘Article L. 531-16 :

L’autorité administrative statue sur les mesures définitives à prendre à l’égard des découvertes de caractère immobilier faites fortuitement. Elle peut, à cet effet, ouvrir pour ces vestiges une instance de classement conformément à la législation sur les monuments historiques.

Les découvertes de caractère mobilier faites fortuitement sont confiées à l’Etat pendant le délai nécessaire à leur étude scientifique. Au terme de ce délai, qui ne peut excéder cinq ans, leur propriété demeure régie par l’article 716 du code civil. Toutefois, l’Etat peut revendiquer ces découvertes moyennant une indemnité fixée à l’amiable ou à dire d’experts. Le montant de l’indemnité est réparti entre l’inventeur et le propriétaire suivant les règles du droit commun, les frais d’expertise étant imputés sur elle.

Dans un délai de deux mois à compter de la fixation de la valeur de l’objet, l’Etat peut renoncer à l’achat. Il reste tenu, en ce cas, des frais d’expertise.’

‘Article R. 531-12 :

Lorsqu’il y a lieu, par application des articles L. 523-14, L. 531-5, L. 531-11 et L. 531-16 de déterminer la valeur des objets mobiliers provenant de fouilles archéologiques ou de découvertes fortuites, soit pour un partage d’objets, soit pour l’exercice du droit de revendication conféré à l’Etat, les experts sont choisis sur une liste dressée chaque année par le Conseil national de la recherche archéologique.

Cette liste comprend des experts représentatifs des différents domaines scientifiques constituant la discipline.

‘Article R. 531-13 :

L’expertise est confiée à deux experts choisis sur la liste prévue à l’article R. 531-12, l’un par le préfet de région, l’autre par le ou les ayants droit aux découvertes faites au cours des fouilles ou aux découvertes fortuites.

Le préfet de région notifie par lettre recommandée avec demande d’avis de réception aux ayants droit le nom de l’expert qu’il a désigné, ainsi qu’une copie intégrale de la liste des experts, et les invite à choisir sur cette liste leur expert.

Dans un délai de deux mois à compter de cette notification, les intéressés informent le préfet de région par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du choix de leur expert et de l’acceptation de ce dernier.

Faute pour le, ou les, ayants droit de désigner un expert dans le délai de deux mois qui leur est imparti, ou faute pour les divers intéressés de s’entendre sur le choix d’un expert commun, l’expert des ayants droit est désigné par le président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel la découverte a eu lieu.’

‘Article R. 531-19 :

Le délai de deux mois imparti à l’Etat par le dernier paragraphe de l’article L. 531-16 pour faire connaître s’il renonce à exercer son droit de revendication sur les objets mobiliers soumis à l’expertise part du jour de la remise au préfet de région du rapport établi par les deux experts ou, le cas échéant, par le tiers expert.’

En l’espèce, en premier lieu, il ne peut être question de dire que le droit de revendication de l’Etat n’existe pas compte tenu de l’absence de caractère artistique des pièces découvertes, alors que seule l’expertise à réaliser permettra de déterminer si elles ont, ou non, ce caractère.

En outre, selon les premières constatations, il s’agit de pièces frappées entre l’an 290 et l’an 310 par différents ateliers de l’Empire Romain qui présentent effectivement un caractère artistique.

L’étude effectuée par M. [C] mentionne l’existence d’iconographies sur les pièces (Génie du peuple Romain, Sol Invictus, Moneta, Fortuna, Nummus de Constantin).

En second lieu, Mme [S] ne peut utilement reprocher à l’Etat de ne pas lui avoir restitué les objets lui appartenant, au plus tard cinq années après leur découverte.

En effet, il est constant qu’elle a refusé de donner suite à la lettre recommandée du 26 septembre 2016, par laquelle le préfet de région lui a notifié qu’il désignait [R] [X] en qualité d’expert, lui a remis la liste des experts, et qu’elle disposait un délai de deux mois pour désigner son expert, et ce en application de l’article R. 531-13.

Elle entendait en effet, selon sa lettre de réponse du 24 novembre 2016, puis selon ses courriers ultérieurs, être déclarée propriétaire de l’ensemble des découvertes, alors pourtant que l’article L. 531-11 s’y opposait.

En l’absence de réalisation de l’expertise prévue par les textes et du dépôt du rapport, le droit de revendication de l’Etat, qui court à compter du dépôt de ce rapport, n’est pas purgé.

Par suite, il y a lieu de procéder à nouveau à l’expertise prévue aux articles R. 531-12 et R. 531-13, étant précisé que la fixation de la valeur des biens doit se faire conformément à cette expertise de sorte qu’il ne peut être question ni de décider par avance de cette valeur en cas de divergence ni de fixer des délais et procédures autres que ceux prévues par les articles ci-dessus rappelés.

Aucune astreinte n’a être prononcée pour ce faire.

Enfin, d’une part, l’équité n’impose pas l’application de l’article 700 du code de procédure civile et, d’autre part, la distraction des dépens ne peut être prononcée compte tenu que les articles R. 2331-10 et R. 2331-11 du code général de la propriété des personnes publiques disposent que les instances en la matière du présent litige ne sont pas soumises à représentation obligatoire.

PAR CES MOTIFS :

– la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt réputé contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

– INFIRME le jugement, SAUF en ce qu’il a :

– constaté l’intervention volontaire de l’Administration chargée des domaines prise en la personne de M. le préfet du Gers représentant l’Etat,

– débouté l’agent judiciaire de l’Etat de sa demande présentée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– STATUANT A NOUVEAU,

– DECLARE [J] [S] seule propriétaire des 278 pièces de monnaie antique découvertes sur sa propriété le 20 février 2011 ;

– DIT que les trois amphores et les 23 015 pièces de monnaie antique découvertes sur la propriété de [J] [S] en vertu des fouilles effectuées en octobre 2011 doivent être partagées en deux parts égales entre [J] [S] et l’Etat ;

– DIT que l’Etat peut exercer sur la totalité des objets mentionnés ci-dessus le droit de revendication prévu à l’ancien article L. 531-5 du code du patrimoine et qu’il doit mettre en oeuvre, dans un délai maximum de quatre mois à compter de la signification du présent arrêt, la procédure de désignation d’experts instituée aux anciens articles R. 531-13 et suivants du code du patrimoine ;

– DIT n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– PARTAGE les dépens de 1ère instance et d’appel par moitié entre, d’une part, [J] [S] et, d’autre part, l’Etat.

Vu l’article 456 du code de procédure civile, le présent arrêt a été signé par Dominique Benon, conseiller ayant participé au délibéré en l’absence de Madame la présidente de chambre empêchée, et par Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE CONSEILLER

 


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