Droits des Artisans : 9 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01533

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Droits des Artisans : 9 mars 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/01533

N° RG 21/01533 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IXWF

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 09 MARS 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES D’EVREUX du 17 Mars 2021

APPELANT :

Monsieur [P] [I]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Christelle BEAUVALET, avocat au barreau de l’EURE

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/005789 du 25/05/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Rouen)

INTIME :

Monsieur [K] [X] exerçant sous l’enseigne ART DE LA TOITURE

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Céline GIBARD, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Juliette PETIT, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 25 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 25 Janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 09 Mars 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 09 Mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [P] [I] a été engagé par M. [K] [X], artisan charpentier-couvreur exerçant en nom propre sous l’enseigne ‘L’art de la toiture’ en qualité de couvreur par contrat de travail à durée déterminée du 24 août 2009, puis par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 6 décembre 2009.

La relation contractuelle des parties était soumise à la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu’à 10 salariés.

Le licenciement pour faute grave a été notifié au salarié le 19 décembre 2018.

Par requête du 17 octobre 2019, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes d’Evreux en contestation de son licenciement, ainsi qu’en paiement de rappels de salaire et d’indemnités.

Par jugement du 17 mars 2021, le conseil de prud’hommes a dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse constitutive d’une faute grave, débouté M. [I] des ses demandes de dommages intérêts pour licenciement abusif, d’indemnité de licenciement, d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, condamné M. [K] [X] à lui verser la somme de 150 euros à titre de dommages intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, débouté M. [I] de ses demandes d’exécution provisoire et au titre de l’article 700 du code de procédure civile, débouté M. [K] [X] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, dit que chaque partie supportera ses depens.

M. [P] [I] a interjeté appel de cette décision le 12 avril 2021.

Par conclusions remises le 17 mai 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [P] [I] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a retenu l’irrégularité de la procédure de licenciement et condamné M. [X] au paiement d’une somme de 150 euros de dommages intérêts de ce chef, et en ce qu’il l’a débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, réformer le jugement en ce qu’il a limité à la somme de 150 euros les dommages intérêts dus et les porter à la somme de 1537,70 euros, réformer le jugement en ce qu’il a dit le licenciement pour faute grave légitime, et statuant à nouveau, qualifier d’abusif le licenciement, condamner M. [K] [X] à lui verser les sommes de :

dommages intérêts pour licenciement abusif : 13 839,30 euros,

indemnité de licenciement : 3 684 euros,

préavis : 3 075,40 euros,

congés payés afférents : 307,54 euros,

indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 2 500 euros,

– condamner M. [K] [X] aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 22 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [K] [X] demande à la cour, à titre principal, de déclarer irrecevable et mal fondé M. [P] [I] en son appel et le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions, confirmer le jugement entrepris qui a jugé que le licenciement de M. [P] [I] repose sur une cause réelle et sérieuse fondée sur une faute grave, dire la procédure de licenciement régulière, à titre subsidiaire, confirmer le jugement qui a fixé l’indemnité à titre de dommages et intérêts pour la procédure de licenciement à 150 euros, si la cour infirmait le jugement, juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, très subsidiairement, réduire les demandes de M. [P] [I] à de justes proportions, fixer la moyenne des salaires à 1 384,44 euros, fixer l’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement en fonction du préjudice et le débouter en sa demande, juger que le salarié ne pouvait pas effectuer le préavis de son chef et le débouter en sa demande d’indemnité de préavis et congés payés afférents, fixer l’indemnité de licenciement à la somme de 3 316,09 euros, fixer les dommages et intérêts pour licenciement abusif au regard de l’effectif, de l’ancienneté et du préjudice et fixer le préjudice à 2,5 mois soit 3 421,10 euros, débouter M. [P] [I] de sa demande au titre des frais irrépétibles, condamner M. [P] [I] au montant d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 5 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur le licenciement

I – a) Sur le bien fondé du licenciement

Conformément aux dispositions de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu’elle soit objective, établie, exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

L’article L.1235-1 du même code précise qu’à défaut d’accord, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Il appartient à l’employeur qui l’invoque d’en rapporter la preuve.

En l’espèce, la lettre de licenciement pour faute grave du 19 décembre 2018, qui fixe les limites du litige, est rédigée comme suit : ‘Je constate votre absence qui perturbe gravement mon entreprise car du fait de mon âge et de mon état de santé, je ne peux pas travailler seul et votre absence a nécessité votre remplacement dans l’urgence. De plus, à plusieurs reprises, vous vous êtes présenté en état d’alcoolémie et comme je vous l’ai dit votre refus de vous soigner crée un risque grave quant à votre sécurité et à celle de mes clients. Vous ne vous êtes pas présenté comme vous m’en aviez prévenu à l’entretien du 10 décembre. Votre maintien dans l’entreprise s’avère donc impossible du fait de la gravité des faits reprochés.’

M. [I] ne conteste pas le contexte de son licenciement, à savoir qu’il a informé son employeur qu’à la suite d’un jugement portant rejet de sa demande d’aménagement de peine rendu le 17 août 2018, il a été incarcéré le 25 octobre 2018 à la maison d’arrêt d'[Localité 5] pour purger une peine d’un an d’emprisonnement dont six mois assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve prononcée le 11 décembre 2017 en répression de faits de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, malgré interdiction judiciaire de conduire et sans assurance en récidive commis le 8 novembre 2017 et une peine de trois d’emprisonnement prononcée le 8 novembre 2017 en répression de faits de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, sans assurance et sans permis commis le 12 août 2017.

Toutefois, il considère que cette détention est un fait de vie personnelle qui n’est pas, en soi, une cause valable de licenciement, la durée de la détention ne faisant que suspendre le contrat de travail au même titre qu’un arrêt maladie. En outre et en tout état de cause, il fait observer que son employeur ne rapporte nullement la preuve de son état éthylique sur le temps du travail ni le fait que son absence a gravement perturbé le fonctionnement de l’entreprise.

C’est à juste titre que M. [I] fait valoir qu’à l’instar de la situation d’absence du salarié pour maladie valablement justifié, son absence pour incarcération suspend le contrat de travail pendant toute la durée de la détention, étant cependant précisé que cette suspension n’est effective qu’à condition que l’employeur ait été prévenu de cette absence et qu’elle lui soit justifiée. En outre, il convient de préciser que l’incarcération du salarié ne peut constituer en soi, une cause réelle et sérieuse de licenciement si les faits reprochés sont intervenus en dehors du temps de travail et n’ont aucun lien avec l’activité professionnelle du salarié et à la condition que l’incarcération ne cause pas de trouble dans l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise, la perturbation de l’entreprise permettant la rupture du contrat de travail pouvant tenir au motif de la condamnation incompatible avec les fonctions du salarié ou la finalité de l’entreprise, ou à la durée de la détention qui nécessite le remplacement du salarié.

En l’espèce, M. [X] ne conteste pas avoir été prévenu par M. [I] de son incarcération à venir et de la durée de celle-ci, son salarié lui ayant immédiatement, avec son placement sous écrou, communiqué sa convocation devant la commission d’application des peines mentionnant une durée de 7 mois d’incarcération avec la possibilité d’obtenir d’un mois et 12 jours de crédit de réduction de peine.

Le contrat de travail de M. [I] a donc été valablement suspendu par son incarcération, sans que cette situation ne puisse en soi fonder le licenciement pour faute grave.

Par ailleurs, c’est à tort que M. [X] vise, pour justifier la sanction disciplinaire, l’état d’alcoolémie de son salarié et les risques que cela engendre pour lui et pour ses clients. En effet, si les faits pour lesquels M. [I] a été condamné et incarcéré démontrent effectivement une consommation excessive d’alcool, force est néanmoins de rappeler qu’il n’est pas contesté que ces faits n’ont aucunement été commis sur le temps de travail. En outre, M. [X] ne produit aucune pièce aux débats établissant que son salarié était alcoolisé sur le temps du travail.

Quant à l’argument tiré de la désorganisation de l’entreprise, au vu des éléments médicaux produits, s’il n’est pas contestable que l’état de santé de M. [X], sujet à des malaises, ne lui permettait pas d’exercer seul son activité de couvreur, il explique lui-même dans la lettre de licenciement qu’il a pu pourvoir au remplacement immédiat de M. [I], dès son incarcération. Il n’a donc subi aucune désorganisation, étant au demeurant relevé qu’il n’est communiqué aucun justificatif établissant que M. [X] a été contrait de décaler ou d’annuler un ou plusieurs chantiers.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, l’employeur ne rapportant pas la preuve de l’existence d’une faute imputable à son salarié, ni a fortiori le caractère de gravité de cette faute, il convient d’infirmer le jugement entrepris et de dire que le licenciement de M. [I] est dénué de cause réelle et sérieuse.

I – b) Sur les conséquences financières

* Sur l’indemnité de préavis

Le salarié licencié suite à son incarcération pour des faits relevant de sa vie personnelle a droit à ses indemnités de licenciement. En revanche, il ne peut prétendre à une indemnité de préavis puisqu’il n’est pas en mesure de l’exécuter.

En conséquence, il convient de débouter M. [I] de sa demande présentée à ce titre.

* Sur l’indemnité légale de licenciement

En application des dispositions des articles L.1234-9 et R.1234-1 à R.1234-4 du code du travail dans leur rédaction issue de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 et du décret du 25 septembre 2017 applicable au présent litige, le salarié licencié qui compte au moins huit mois d’ancienneté au service du même employeur a droit à une indemnité de licenciement dont le montant ne peut être inférieur à un quart de mois de salaire par année d’ancienneté, auquel s’ajoute un tiers de mois de salaire par année au-delà de dix ans d’ancienneté. En cas d’année incomplète, l’indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets. La convention collective applicable ne contient pas de dispositions plus favorables.

En application de ces dispositions, M. [I], qui a 9 ans et 7 mois d’ancienneté, peut prétendre à une indemnité de [(1 461,07/4) x 9] +[(1 461,07/4) x 7/12] = 3 500,48 euros.

* Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [I] ayant plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant de manière habituelle moins de onze salariés, il est fondé à obtenir réparationdu préjudice résultant de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, conformément aux dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable au présent litige.

En considération de son ancienneté de neuf ans et sept mois qui fixe le montant de l’indemnité entre 2, 5 et 9 mois de salaire, de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (38 ans), des circonstances de la rupture, et de ce qu’il justifie ne pas avoir retrouvé d’emploi depuis la rupture, il y a lieu d’allouer à ce titre à M. [I] une somme de 6 500 euros.

II – Sur l’irrégularité de procédure

Aux termes de l’article L. 1235-2 dernier alinéa du code du travail, lorsqu’une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d’un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

En l’espèce, bien qu’il soit constant que M. [I] n’ait pas été régulièrement convoqué à son entretien préalable, puisque seule une convocation à son domicile lui a été adressée, et ce alors que M. [X] était parfaitement informé de sa situation d’incarcération et de son lieu de détention, l’indemnité pour irrégularité de procédure ne se cumule pas avec les dommages et intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence, il convient d’infirmer le jugement entrepris et de débouter M. [I] de sa demande à ce titre.

III – Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner M. [X] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de le débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de le condamner à payer à M. [I] la somme de 2 500 euros sur ce même fondement pour les frais générés tant en première instance qu’en cause d’appel et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement de M. [P] [I] est dénué de cause réelle et sérieuse ;

Condamne M. [K] [X] à payer à M. [P] [I] les sommes suivantes:

indemnité légale de licenciement : 3 500,48 euros

indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 6 500 euros

Déboute M. [P] [I] de sa demande au titre de l’indemnité de préavis, des congés payés y afférents et de l’indemnité pour irrégularité de procédure ;

Condamne M. [K] [X] aux entiers dépens ;

Déboute M. [K] [X] de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [K] [X] à payer à M. [P] [I] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés tant en première instance qu’en cause d’appel.

La greffière La présidente

 


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