4ème Chambre
ARRÊT N° 410
N° RG 21/01986
N°��Portalis DBVL-V-B7F-RPVC
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 08 DECEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Hélène RAULINE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Nathalie MALARDEL, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Jean-Pierre CHAZAL, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 04 Octobre 2022, devant Madame Nathalie MALARDEL, magistrat rapporteur, tenant seule l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 08 Décembre 2022 par mise à disposition au greffe, date indiquée à l’issue des débats : 17 Novembre 2022 prorogée au 24 Novembre 2022, puis prorogée au 08 Décembre 2022
****
APPELANTE :
S.A.R.L. BUREAU D’ETUDES [O]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Dominique CARTRON de la SELAS DOMINIQUE CARTRON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Madame [U] [M] épouse [Y]
née le 01 Novembre 1991 à [Localité 4] (36)
[Adresse 7]
[Localité 2]
Représentée par Me Mathieu RICHARD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [T] [Y]
né le 25 Mars 1988 à [Localité 5] (91)
[Adresse 7]
[Localité 2]
Représenté par Me Mathieu RICHARD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
FAITS ET PROCÉDURE
Par un contrat en date du 31 juillet 2018, M. et Mme [Y] ont confié à la société Bureau d’études [O] la maîtrise d »uvre complète de la construction de leur maison d’habitation à [Adresse 7].
Les travaux ont débuté en février 2019.
En cours de chantier, par courrier du 6 mars 2020, M. et Mme [Y] ont mis en demeure le maître d »uvre d’obtenir des entreprises la reprise des malfaçons et défauts de conformité sous quinze jours.
Par courrier en date du 9 avril 2020, ils ont mis en demeure, par l’intermédiaire de leur conseil, la société Bureau d’études [O] d’établir un plan de continuation de l’activité sur le chantier eu égard aux circonstances sanitaires du moment, de faire procéder aux travaux de reprise des divers désordres détaillés, et d’assurer la prise de possession du bien par les maîtres d’ouvrage sous dix jours.
Ils ont pris possession de leur maison le 20 mai 2020.
Par acte d’huissier en date du 30 juillet 2020, ils ont fait assigner la société Bureau d’études [O] devant le tribunal judiciaire de Lorient pour qu’elle procède aux opérations de réception et qu’elle les indemnise de leurs préjudices.
La société Bureau d’études [O] n’a pas constitué avocat.
Par un jugement en date du 3 mars 2021, le tribunal judiciaire a :
– condamné la société [O] à payer à M. et Mme [Y] la somme de 6 994,81 euros à titre de dommages-intérêts ;
– enjoint la société [O] à procéder à la réception du chantier des époux [Y] sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai de quinze jours à compter de la signification du jugement et pendant un délai de trois mois passé lequel il pourra de nouveau être fait droit ;
– condamné la société [O] à payer aux époux [Y] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens ;
– débouté M. et Mme [Y] de leurs autres demandes.
La société Bureau d’études [O] a interjeté appel de cette décision le 31 mars 2021.
La réception a été prononcée le 4 mai 2021, sans réserve.
Par jugement du 9 juin 2022, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Lorient a rejeté la demande de M. et Mme [Y] de liquidation de l’astreinte au motif que les circonstances de l’espèce et le délai trop court accordé au maître d »uvre pour organiser la réunion de réception, les maîtres de l’ouvrage n’étant pas disponibles avec un délai de prévenance très court, ont rendu l’injonction judiciaire impossible à respecter.
L’instruction a été clôturée le 6 septembre 2022.
En cours de délibéré, la cour a invité les parties au regard des articles 12 et 13 du code de procédure civile et du caractère subsidiaire de la responsabilité contractuelle à présenter leurs observations sur la nature décennale du désordre d’infiltrations d’eau.
Chacune des parties a transmis une note en délibéré le 30 novembre 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions en date du 1er septembre 2022, au visa des articles 1103 et suivants, 1218 et suivants et 1231-1 et suivants du code civil, la société Bureau d’études [O] demande à la cour de :
– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a rejeté la demande des maîtres de l’ouvrage à voir condamnée la société [O] à les indemniser à hauteur de 3 024 euros TTC au titre du coût de la terre végétale ;
– infirmer le jugement en ce qu’il a :
– condamné la société [O] à payer à M. et Mme [Y] la somme de 6 994,81 euros à titre de dommages-intérêts ;
– condamné la société [O] à payer aux époux [Y] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens ;
Réformant le jugement et statuant à nouveau,
– débouter M. et Mme [Y] de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
À titre subsidiaire,
– ramener le montant des demandes indemnitaires de M. et Mme [Y] à de plus juste proportions ;
– juger que l’indemnité au titre des loyers des mois d’avril et mai 2020 s’élève à 1 217,64 euros ;
– juger que l’indemnité au titre des intérêts intercalaires s’élève à 157,72 euros ;
– condamner M. et Mme [Y] à payer à la société Bureau d’études [O] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Dans leurs dernières conclusions en date du 5 août 2022, M. et Mme [Y] demandent à la cour de :
– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lorient en date du 3 mars 2021 en ce qu’il a débouté M. et Mme [Y] de leurs autres demandes ;
En conséquence,
– condamner la société Bureau d’études [O] à verser à M. et Mme [Y] une indemnité de 3 024 euros TTC au titre du coût de la terre de remblais supporté par les maîtres d’ouvrage en raison de l’absence de suivi de chantier par la société Bureau d’études [O] ;
– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lorient en date du 3 mars 2021 pour le surplus, et le cas échéant après réévaluation des condamnations indemnitaires :
– condamner la société Bureau d’études [O] à verser à M. et Mme [Y], une indemnité de 2 215,96 euros TTC au titre des manquements aux obligations expressément stipulées dans le contrat et à titre subsidiaire, à une indemnité de 975,02 euros calculée au prorata de la durée du chantier ;
– condamner la société Bureau d’études [O] à verser à M. et Mme [Y], une indemnité de 2 585 euros au titre des travaux réparatoires s’imposant pour remédier aux causes des infiltrations subies, incluant le coût du reste à charge indument supporté par M. et Mme [Y] au titre de la recherche de fuite ;
– condamner la société Bureau d’études [O] à verser à M. et Mme [Y], une indemnité de 2 919,21 euros au titre du manquement au devoir de conseil ;
– condamner la société Bureau d’études [O] à verser à M. et Mme [Y], une indemnité de 5 000 euros au titre du manquement au devoir général de direction, de suivi et de surveillance du chantier ainsi qu’à l’obligation de loyauté, à l’origine du préjudice moral et trouble de jouissance subi par les maîtres d’ouvrage ;
– confirmer le jugement en date du 3 mars 2021 en ce qu’il a enjoint la société Bureau d’études [O] à procéder à la réception du chantier des époux [Y] [M] sis au [Adresse 7] sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai de quinze jours à compter de la signification du présent jugement et pendant un délai de trois mois passé lequel il pourra de nouveau être fait droit ;
En tout état de cause,
– condamner la société Bureau d’études [O] à verser à M. et Mme [Y] une somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Bureau d’études [O] aux entiers dépens en ceux compris le coût du constat d’huissier en date du 15 mai 2020 ainsi que le coût du constat d’huissier en date du 4 mai 2021.
MOTIFS
À titre liminaire, la cour rappelle que les demandes de « juger » des intimés ne constituent pas des prétentions, mais des moyens et qu’il n’y sera pas répondu dans le dispositif conformément à l’article 954 du code de procédure civile.
Sur les opérations de réception
Les intimés demandent la confirmation du jugement en ce qu’il a enjoint à la société [O] de procéder à la réception du chantier des époux [Y] sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai de quinze jours à compter de la signification du jugement et pendant un délai de trois mois passé lequel il pourra de nouveau être fait droit.
Selon l’article 1792-6 du code civil, la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves.
Celle-ci est intervenue le 4 mai 2021, après que les maîtres de l’ouvrage ont indiqué ne pas être disponibles le 6 avril 2021, date envisagée par le maître d »uvre.
La demande tendant à ce qu’il soit procédé aux opérations de réception conformément à la mission du maître d »uvre était justifiée, les travaux étant en voie d’achèvement et M. et Mme [Y] ayant pris possession de la maison. La condamnation du maître d »uvre de procéder aux opérations d’expertise sera donc confirmée sauf en ce qu’elle a été assortie d’une astreinte désormais sans objet.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre des manquements de la société Bureau d’études [O] à ses missions
Le tribunal a condamné la société Bureau d’études [O] à payer aux maîtres de l’ouvrage la somme de 2 215,96 euros correspondant à sa note d’honoraires du 1er février 2019 au titre de la mission marchés TD, en raison de sa défaillance dans ses missions de direction d’exécution des marchés de travaux et de direction et comptabilité des travaux.
La société Bureau d’études [O] considère qu’elle a piloté le planning d’exécution et coordonné les différents corps d’état, qu’elle a réalisé sa mission de suivi de chantier, arguant que les époux [Y] ne se sont occupés que des travaux qu’ils s’étaient réservés, et qu’elle a visé toutes les factures des entreprises.
M. et Mme [Y] soutiennent que le maître d »uvre n’a pas vérifié la correspondance des études d’exécution avec la conception du projet (mission visa) et a commis des manquements à sa mission de direction des travaux (DET) de comptabilité des travaux détaillée à la page 3 du contrat. Ils lui reprochent :
-de n’avoir rédigé aucun ordre de service et de n’avoir organisé qu’une réunion de chantier, sans rédiger de compte-rendu, en violation des termes du contrat,
-de s’être désintéressé, à compter de décembre 2019, de l’avancée du chantier et de ne pas avoir coordonné les interventions, ce qui a engendré du retard et les a privés d’une maison achevée lors de leur entrée dans les lieux, notamment sans accès à l’étage, l’escalier n’étant pas posé, et les a obligés à gérer les travaux, à planifier l’intervention de l’électricien pour la pose de la cuisine et de l’entreprise chargée de l’installation de l’escalier et du plombier, des garde-corps, de la porte de garage et du lot revêtement,
– de n’avoir pas réagi à la suite de fuites au niveau des raccords de la pompe à chaleur dont il avait été avisé le 25 août 2020,
– de n’avoir pas constaté les désordres qu’ils ont décelés (salle de bains, positionnement incorrect de la pompe à chaleur, insuffisance de terre végétale, conception de la porte à galandage, fermeture de la porte du garage, crépi endommagé, défaut du dimensionnement du placard et du passage de porte, omission de la dalle de béton au-dessus de la porte et absence de plinthe au niveau de la cuisine),
– de n’avoir pas relancé les différentes sociétés intervenantes malgré les désordres qu’ils avaient dénoncés,
-de n’avoir pas vérifié les situations des entrepreneurs, établi des propositions de paiement, vérifié les mémoires, établi le décompte définitif des travaux et proposer le règlement pour solde,
– ne n’avoir pas organisé la réception des travaux avant d’y être contraint par jugement.
Selon l’article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut demander réparation des conséquences de l’inexécution.
L’article 1231-1 suivant précise que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
Le Bureau d’études [O] était chargé d’une mission complète de maîtrise d »uvre. Les travaux ont débuté en février 2019.
Le maître d »uvre ne s’est pas expliqué sur la raison de l’absence de comptes-rendus de chantier qui permettent de faire le point sur l’avancement du chantier et de garder une trace écrite des difficultés survenues.
Il résulte toutefois des pièces du dossier que les parties ont échangé très régulièrement par courriels entre le 20 juin 2019 et le 13 décembre 2019 (pièces le Bigaut 3-1 à 3-10). Ces documents démontrent l’information régulière par le maître d »uvre de la planification de l’intervention des sociétés, de leur coordination et du suivi de la comptabilité et des réponses apportées aux nombreuses questions des maîtres de l’ouvrage.
De plus, il n’est pas exact, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme [Y], que le maître d »uvre se soit désintéressé de la construction à compter de décembre 2019.
Par courriel du 6 janvier 2020, la société Bureau d’études [O], en réponse à une demande de Mme [Y], lui a répondu qu’elle pouvait poser son préavis pour quitter sa location, précisant que la pose du carrelage et de la faïence était prévue la deuxième quinzaine de janvier, que celle des sanitaires et de différentes finitions intérieures et extérieures serait ensuite réalisée.
Par nouveau message électronique du 17 janvier 2020, il a planifié les travaux du carreleur et de l’électricien et l’intervention du plombier pour la deuxième quinzaine de février. Il est également établi qu’il a continué à se rendre sur le chantier (3-18) et a rencontré les maîtres de l’ouvrage sur site (3-19).
Suite aux griefs des maîtres de l’ouvrage quant à l’installation de la pompe à chaleur, au constat d’un trou dans le crépi occasionné par un artisan et au dysfonctionnement de la porte du garage dénoncés par M. et Mme [Y] le premier mars 2020, la société Bureau d’études [O] a proposé par courriel du 2 mars 2020 de rencontrer les maîtres d’ouvrage sur site.
Sans que l’on sache si la réunion s’est déroulée, M. et Mme [Y] ont mis en demeure le 6 mars 2020 la société Bureau d’études [O] de faire reprendre dans un délai de quinze jours la « PAC installée au mauvais endroit et dans le mauvais sens » ainsi que le défaut de dimensions du placard d’entrée, le passage de la porte entre le cellier et la cuisine insuffisant de 3cm, l’omission de la dalle béton au-dessus de la porte d’entrée, l’absence d’une plinthe dans la cuisine et un trou dans le crépi de la façade nord.
Suite à l’annonce du confinement lié à la pandémie de covid 19 le 17 mars 2020, le maître d »uvre a informé le même jour par mail M. et Mme [Y] que le bureau d’études était fermé et le chantier arrêté jusqu’à la fin de la mesure d’isolement.
Le 21 mars 2020, les maîtres de l’ouvrage ont demandé au maître d »uvre ce qu’il avait entrepris pour répondre à leur mise en demeure. Celui-ci a répondu le 21 mars 2020 que l’entreprise de gros ‘uvre était à l’arrêt et que celles du plombier et du menuisier étaient fermées. Par courriel du 26 mars 2020, il leur a précisé que l’installateur de la pompe à chaleur ne travaillait pas, qu’il n’y avait plus de contrôle de [Localité 6] Assainissement et que la fosse ne pouvait pas être terminée.
Le 9 avril 2020, M. et Mme [Y] ont notifié aux entreprises, par l’intermédiaire de leur conseil, une circulaire de mesures impératives à respecter sur le chantier aux termes de laquelle une seule personne à la fois pouvait être présente sur le site. Le même jour, ils ont mis en demeure le maître d »uvre d’établir un plan de continuation de l’activité et de faire procéder dans un délai de 10 jours, tant que les mesures préventives pouvaient être adoptées, aux travaux de reprise de la porte à galandage, de la pompe à chaleur, au repositionnement de l’évacuation des toilettes, à la pose d’une plinthe de cuisine manquante, à l’installation de la sortie d’eau à l’extérieur de la maison, à la reprise du trou dans le crépi, à la mise en ‘uvre de l’enduit sous les portes et baies vitrées.
Par courriel du 16 avril 2020, le maître d »uvre a objecté qu’il s’agissait de finitions mineures de chantier, que la pompe à chaleur était opérationnelle, qu’il était en contact régulier avec les entreprises depuis le début du confinement mais que le terrassier, le carreleur, l’enduiseur, le plombier travaillaient avec des effectifs incomplets ou étaient à l’arrêt, et que le menuisier ne pouvait pas poser l’escalier puisqu’il n’avait pas reçu tous les éléments de ses fournisseurs.
Le 15 mai 2020, les maîtres de l’ouvrage ont fait dresser un constat d’huissier et ont pris possession de la maison le 20 mai 2020.
Le 11 juin 2020, Mme [Y] a reproché à M. [O] de ne plus intervenir depuis la mise en demeure et ne plus respecter les termes du contrat. Le maître d »uvre lui a proposé un rendez-vous sur place, mais n’a pas donné suite. Après une nouvelle mise en demeure du 25 juin 2020, les maîtres de l’ouvrage ont fait assigner le 30 juillet 2020 la société Bureau d’études [O] afin que soient organisées les opérations de réception.
Il résulte de ces échanges de courriels que si les relations s’étaient tendues entre les parties à l’approche de l’achèvement du chantier, elles ont été très difficiles à compter de la crise sanitaire et du confinement de la population qui ont perturbé l’achèvement du chantier alors que les maîtres de l’ouvrage étaient dans une situation délicate, Mme [Y] devant accoucher en mars avant que le couple, qui avait déposé son préavis, déménage.
M. [O] démontre pourtant que la crise sanitaire a bouleversé l’organisation du chantier sans qu’il ne soit en mesure de pouvoir pallier aux difficultés des constructeurs.
A cet égard le gérant de l’entreprise de plomberie atteste avoir fermé son entreprise du 17 mars jusqu’au 20 mai 2020, et si quelques techniciens ont pu travailler à l’instar de l’électricien qui est intervenu pour effectuer des finitions ponctuellement le 10 avril 2020 et le 23 juin 2020 et le terrassier qui a réalisé des travaux sur la fosse septique le 20 mars et le 8 avril, il n’était pas possible d’achever le chantier pour le 10 avril 2020 compte tenu du manque de personnel et de matériaux.
Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que, lors de la prise de possession de la maison par M. et Mme [Y] le 20 mai 2020, ne subsistaient que des finitions à l’exception de la pose de l’escalier. Lors de la mise en demeure du mois de juin 2020, ce dernier avait été posé, mais manquaient les garde-corps.
Ce n’est donc qu’à compter de juillet 2020 que le maître d »uvre a été défaillant, M. et Mme [Y] justifiant par leurs courriels avoir dû organiser les travaux d’achèvement, le maître d »uvre ne se rendant plus sur site et ne répondant plus à leurs messages électroniques et mises en demeure.
S’agissant de la vérification des situations de règlement des marchés, la société Bureau d’études justifie avoir apposé son cachet sur certaines factures. À l’instar de la direction de travaux, le maître d »uvre n’a plus suivi la comptabilité à compter de juillet 2020. Les maîtres de l’ouvrage ont ainsi dû assumer le paiement de certains travaux alors qu’ils étaient sollicités par les constructeurs.
Il se déduit de ce qui précède que s’il ne peut être reproché au maître d »uvre un défaut général d’accomplissement de ses missions, les maîtres de l’ouvrage démontrent des manquements de la société Bureau d’études [O] dans la coordination et la direction des travaux et dans sa mission comptable postérieurement au mois de juin 2020, lesquels leur ont causé un préjudice, puisqu’ils ont dû se substituer à elle. Le préjudice subi est cependant sans rapport avec la note d’honoraires du 1er février 2019. Les fautes du maître d’oeuvre ayant été commises sur une période limitée dans le cadre de la réalisation des finitions, la société Bureau d’études [O] sera condamnée au paiement d’une indemnité de 800 euros à M. et Mme [Y] par voie d’infirmation.
Sur la demande de dommages et intérêts pour défaut de conseil du maître d’oeuvre
Il a été vu que les travaux ont débuté en février 2019 et que par courriel du 2 janvier 2020, le maître d »uvre en réponse à une demande des maîtres de l’ouvrage leur a indiqué que la maison pourrait être livrée le 10 avril 2020, aucune durée des travaux ne figurant au contrat.
M. et Mme [Y] soutiennent que la société Bureau d’études [O] a manqué à son devoir de conseil en leur indiquant que les travaux seraient terminés le 10 avril 2020 et qu’ils pouvaient déposer leur préavis de trois mois à leur bailleur. Ils demandent en réparation de leur préjudice la somme de 2 919,21 euros correspondant pour 1 242,97 euros au loyer réglé entre le 10 et 30 avril 2020 et au mois de mai suivant ainsi qu’aux intérêts intercalaires supportés jusqu’au 5 octobre 2020, date du paiement de la première échéance de crédit.
Le confinement a été prononcé le 17 mars 2020. Le 2 janvier 2020, le maître d »uvre ne pouvait avoir connaissance de ce que l’épidémie qui venait de se manifester en Chine deviendrait une pandémie qui allait également frapper la France, de ce que les entreprises ne fonctionneraient qu’avec une partie du personnel, et de ce que les difficultés de déplacement entraîneraient des ruptures d’approvisionnement.
Les maîtres de l’ouvrage échouent ainsi dans la démonstration d’un manquement à son devoir de conseil du maître d »uvre quant à la date de la livraison de la maison.
En tout état de cause, les conditions de la force majeure étaient réunies. L’épidémie était imprévisible, elle était extérieure. Inédite, la reprise du chantier a nécessité une nouvelle planification de l’intervention des entreprises et la mise en place de protocoles outre la gestion des malades qui ont rendu insurmontable la tenue du délai annoncé par le maître d’oeuvre.
M. et Mme [Y] seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts. Le jugement est infirmé.
Sur le défaut d’apport de terre
M et Mme [Y] exposent que la société Bregardis chargée du lot gros ‘uvre a unilatéralement pris la décision de surélever la construction d’un rang par rapport au niveau prévu afin qu’elle soit située au-dessus du niveau de la route. Ils font valoir avoir supporté indûment la somme de 3 024 euros pour faire régaler des terres de remblais supplémentaires, et satisfaire aux normes d’urbanisme de la société [Localité 6] Agglomération relatives à l’épandage. Ils considèrent qu’il appartenait au maître d »uvre de se conformer aux études de conception initiale et soutiennent qu’il a manqué à son devoir de suivi et de surveillance du chantier.
La société Bureau d’études [O] demande la confirmation du jugement.
Les premiers juges ont rejeté la demande d’indemnisation de M. et Mme [Y] au motif que les demandeurs auraient dû supporter le coût de l’ajout de terre végétale s’ils avaient été informés dès l’origine des exigences réglementaires d’urbanisme quant à la hauteur des terres extérieures à la construction.
Par courriel du 6 mai 2020 en réponse au message adressé par les maîtres de l’ouvrage, la société Bureau d’études [O] a indiqué que M. et Mme [Y] avaient souhaité un apport de terres supplémentaires sur l’ensemble du terrain qui n’était pas prévu.
En l’absence de pièces justifiant du projet, des demandes de la société [Localité 6] Agglomération et de la société Bregardis, M. et Mme [Y] ne démontre pas la faute du maître d »uvre.
Le jugement qui a rejeté la demande des maîtres de l’ouvrage est confirmé par substitution de motifs.
Sur les infiltrations
Le 2 octobre 2021, Mme [Y] a dénoncé à M. [O] une infiltration d’eau dans la salle de séjour. Le 10 novembre 2021, son assureur la MAIF a fait procéder à une recherche de l’origine de ce désordre ainsi que de celle d’une infiltration au niveau du plafond de la chambre du rez-de-chaussée également apparue.
Après investigations, la société Easy Fuites a estimé que les infiltrations dans la salle à manger provenaient d’un défaut d’étanchéité entre l’enduit de la façade et l’oreille de l’appui préfabriqué et celle de la chambre d’une fissure constatée sur le pignon.
Mme [Y] a adressé à M. [O] deux nouveaux courriels les 7 décembre 2021, l’informant d’une nouvelle infiltration d’eau plus importante dans la salle à manger et dans les deux chambres d’enfant.
Une réunion contradictoire de constatation des désordres a été organisée le 21 janvier 2022 par la MAIF, assureur de Mme [Y], en présence de M. [O].
Il résulte du procès-verbal de constatation de l’assureur, l’existence de deux fissures situées au niveau des deux zones d’infiltrations (40 cm au-dessus du complexe d’étanchéité). Il est noté que M. [O] déclare que le mode constructif est le même sur les deux zones concernées, à savoir une poutre retroussée puis un mur maçonné en aggloméré de ciment.
M. et Mme [Y] ont recherché la responsabilité contractuelle de M. [O] soutenant que ce dernier était tenu de vérifier la conformité des travaux.
La société Bureau d’études [O] qui demande le rejet de l’ensemble des demandes des maîtres de l’ouvrage n’a pas opposé de moyen aux intimés.
Selon l’article 12 du code civil : Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
Il est constant que les désordres qui relèvent d’une garantie légale ne peuvent donner lieu, comme les personnes tenues à cette garantie, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun.
En réponse à la demande de la cour rappelant ce principe et invitant les parties à présenter leurs observations sur la nature décennale du désordre, M. et Mme [Y] font valoir que les désordres d’infiltrations, qui affectent la construction, entrent incontestablement dans le champ d’application de l’article 1792 du code civil et engagent la responsabilité de plein droit du maître d »uvre.
La société Bureau d’études [O] observe que les désordres, à les supposer avérés, sont de nature à porter atteinte au clos et au couvert de l’immeuble et relèvent des garanties légales, mais demande qu’en application du principe du non-cumul de responsabilité la demande des époux [Y] formée sur le fondement de la responsabilité contractuelle soit rejetée.
Il résulte des constatations de la société Easy Fuite et de l’expert de la MAIF, qui se corroborent, et des photographies annexées au rapport, l’existence d’infiltrations en lien avec les fissures.
L’impropriété à destination des infiltrations d’eau qui portent atteinte au clos et au couvert n’est pas contestée.
La nature décennale n’est pas discutable ni discutée. L’action des époux [Y] ne peut être fondée que sur l’article 1792 du code civil. Il convient de procéder à cette requalification conformément à l’article 12 du code de procédure civile précité. L’appelante est mal fondée à invoquer le principe de non-cumul des responsabilités s’agissant d’une requalification.
La société Bureau d’études [O], investie d’une mission complète de maîtrise d »uvre, est tenu d’une obligation de résultat dont elle ne peut s’exonérer que par la preuve d’une cause étrangère, ce qu’elle ne fait pas. Sa responsabilité décennale est engagée.
M. et Mme [Y] réclament au titre de l’indemnisation la somme de 2 585 euros correspondant pour 125 euros au reste à charge de la facture de la recherche de fuites non prise en charge par leur assureur et pour 2 460 euros TTC aux travaux de reprise suivant devis du 29 avril 2022.
En l’absence de débat sur ce point, la société Bureau d’études [O] sera condamnée à payer cette somme à M. et Mme [Y] au titre des travaux de reprise.
Sur le préjudice moral et de jouissance
M. et Mme [Y] demandent de voir réévaluer l’indemnité de 2 500 euros allouée par le tribunal à 5 000 euros. Pour justifier de leur demande, ils font valoir subir les infiltrations pendant les intempéries et se plaignent du refus du maître d »uvre d’enregistrer des réserves lors de la réception.
Il n’est pas contestable que M. et Mme [Y] ont subi un préjudice moral compte tenu du délaissement de leur chantier par le maître d »uvre après le confinement et de la gêne provoquée par les diverses infiltrations. S’agissant de la réception, ils étaient accompagnés d’un huissier qui a dressé un constat et n’étaient donc pas dépourvus d’assistance. La somme allouée par le tribunal est de nature à réparer le préjudice subi. Le jugement est confirmé.
Sur les autres demandes
Les dispositions prononcées par le tribunal au titre des frais irrépétibles et des dépens sont confirmées.
La société Bureau d’études [O] sera condamnée à payer une indemnité complémentaire de 3 000 en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, qui comprendront le coût des constats d’huissier, ainsi qu’aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Bureau d’études [O] à procéder aux opérations de réception, en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnisation des époux [Y] au titre de l’ajout de terre végétale, et en ses dispositions au titre du préjudice moral et de jouissance (2500 euros à ce titre), des frais irrépétibles et des dépens,
L’INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
DECLARE sans objet la demande de condamnation à une astreinte,
CONDAMNE la société Bureau d’études [O] à payer à M. et Mme [Y] à la somme de 800 euros au titre des manquements de la société Bureau d’études [O] à ses missions,
DEBOUTE M. et Mme [Y] de leur demande d’indemnisation au titre du défaut de conseil de la société Bureau d’études [O],
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Bureau d’études [O] à payer à M. et Mme [Y] à la somme de 2 585 euros TTC au titre des travaux de reprises suite aux infiltrations d’eau,
CONDAMNE la société Bureau d’études [O] à payer aux époux [Y] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Bureau d’études [O] aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Po / Le Président empêché,
B. DELAPIERREGROSSE