COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 04 MAI 2023
N°2023/326
Rôle N° RG 22/08560 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJSDB
[R] [A]
C/
[V] [Y]
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Fabrice BATTESTI
Me Agnès ERMENEUX
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal Judiciaire de DRAGUIGNAN en date du 11 mai 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/02599.
APPELANT
Monsieur [R] [A]
né le 14 juin 1947 à [Localité 16], demeurant [Adresse 10]
représenté par Me Fabrice BATTESTI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, plaidant
INTIME
Monsieur [V] [Y]
né le 21 décembre 1989 à [Localité 17], demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX – CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Alexia FARRUGGIO, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
et assisté de Me Caroline SALAVERT-BULLOT, avocat au barreau de [Localité 17], plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 mars 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Gilles PACAUD, Président, et Mme Angélique NETO, Conseillère, chargés du rapport.
M. Gilles PACAUD, Président, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Gilles PACAUD, Président rapporteur
Mme Angélique NETO, Conseillère
Madame Myriam GINOUX, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 mai 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 mai 2023.
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant actes authentiques en date des 21 septembre 1998 et 15 mars 2008, monsieur [R] [A] est propriétaires des parcelles E [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8] et [Cadastre 9] sises lieudit [Adresse 18]. Sa maison d’habitation se trouve positionnée sur la parcelle E [Cadastre 7].
L’accès auxdites parcelles se fait par un chemin entrecoupé d’un pont qui passe sur un ruisseau et arrive directement devant sa maison à usage d’habitation sise sur la parcelle E [Cadastre 7].
Suivant acte authentique en date du 14 mars 2022, monsieur [V] [Y] a acquis des consorts [O]/[X] une propriété limitrophe, supportant une maison à usage d’habitation, située dans le même quartier et référencée section E [Cadastre 1] et E [Cadastre 2] au cadastre de la commune de [Localité 12].
Se plaignant, procès-verbaux de constat d’huissier à l’appui, de ce que M. [A] obstruait, de manière réitérée, la seule voie d’accès à sa propriété, notamment en stationnant divers véhicules sur ou en travers du chemin utilisé par ses auteurs depuis plus de 50 ans, M. [V] [Y] l’a, sur autorisation présidentielle, fait assigner, par exploit du 8 avril 2022, en référé d’heure à heure, devant le président de tribunal judiciaire de Draguignan aux fins, à titre principal, de l’entendre condamner à cesser ces agissements.
Par ordonnance réputée contradictoire en date du 11 mai 2022 , le juge des référés du tribunal judiciaire de Draguignan :
– a fait interdiction à M. [R] [A] d’empêcher le passage sur le chemin menant à la maison de M. [V] [Y], à ce dernier ou ses ayants droits, venant à pied, en voiture ou avec la camionnette de M. [V] [Y], sous astreinte, pour chaque empêchement, de 300 euros par M. [R] [A] ou toute personne de son chef, et pour un délai d’un an, passé lequel il pourrait être procédé à la liquidation de l’astreinte provisoire et au prononcé éventuel d’une nouvelle astreinte ;
– s’est réservé la liquidation de l’astreinte ;
– a rejeté la demande en interdiction de M. [R] [A] ;
– a condamné M. [R] [A] à verser à M. [V] [Y] la somme de 1 000 euros à titre de provision à valoir sur son préjudice moral et de jouissance ;
– a enjoint aux parties de rencontrer un médiateur désigné par l’UMEDCAAP ;
– a condamné M. [R] [A] à verser à M. [V] [Y] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– a condamné M. [R] [A] aux dépens.
Il a notamment considéré que :
– le fait que le chemin, qui existe depuis les années 1970, ait pu être pédestre n’empêche pas, en soi, le passage de voitures depuis cette période et ce, d’autant qu’il n’y avait pas d’autres moyens pour faire venir les engins et le matériel nécessaire à la construction de la maison ;
– ce chemin ne peut constituer une servitude, faute de titre, mais il n’est pas contesté que le bien de M. [Y] est enclavé.
Selon déclaration reçue au greffe le 14 juin 2022, M. [R] [A] a interjeté appel de cette décision, l’appel portant sur toutes ses dispositions dûment reprises.
Par ordonnance en date du 8 décembre 2022, le président de la chambre 1-2 de la cour d’appel de céans, statuant sur le fondement des dispositions de l’article 524 du code de procédure civile, a :
– constaté l’abandon par M. [V] [Y] de sa demande de radiation de l’affaire pour inexécution de l’ordonnance entreprise ;
– condamné M. [R] [A] à verser à M. [V] [Y] la somme de 400 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit que les dépens du présent incident suivraient le sort de ceux de l’instance principale.
L’instruction de l’affaire a été close par ordonnance en date du 28 février 2023.
Par dernières conclusions transmises le 9 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [R] [A] sollicite de la cour qu’elle infirme l’ordonnance entreprise et, statuant à nouveau :
– déboute M. [V] [Y] de l’ensemble de ses demandes ;
– interdise à M. [V] [Y] de faire passer sur le chemin litigieux tout véhicule et ce, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée ;
– déboute M. [V] [Y] de son appel incident ;
– condamne M. [V] [Y] à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamne M. [V] [Y] aux entiers dépens.
Par dernières conclusions transmises le 6 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [V] [Y] sollicite de la cour qu’elle :
– ordonne la révocation de l’ordonnance de clôture et subsidiairement, à défaut de révocation, rejette les conclusions et pièce n° l5 de M. [A] notifiées le 27 février 2023 à 23 heures 02, en application de l’article 16 du code de procédure civile ;
– confirme l’ordonnance entreprise en ce :
‘ qu’elle a fait interdiction à M. [A] d’empêcher le passage sur le chemin menant à sa maison à pied, en voiture ou camionnette, sous astreinte pour chaque empêchement de 300 euros ;
‘ que le juge des référés s’est réservée la liquidation de l’astreinte ;
‘ qu’elle a rejeté la demandé d’interdiction de passage de M. [R] [A] ;
‘ fait droit à ses demandes de condamnation provisionnelle à valoir sur son préjudice moral et de jouissance ainsi qu’au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens, tout en les réformant sur les montants des condamnations prononcées de ces chefs ;
– statuant à nouveau sur ces deux derniers chefs, condamne M. [A] à lui payer :
‘ la somme de 4 000 euros à titre de provision à valoir sur son préjudice moral et de jouissance de son bien ;
‘ la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance ;
‘ la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ;
– condamne M. [R] [A] aux dépens de première instance et d’appel, ainsi
qu’aux frais des trois constats d’huissier de Maître [P], sur présentation des factures acquittées ;
– déboute M. [A] de l’ensemble de ses demandes.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de révocation de l’ordonnance de clôture
Aux termes de l’article 802 du code de procédure civile, après l’ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office : sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et accessoires échus, aux débours faits jusqu’à l’ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l’objet d’aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes en révocation de l’ordonnance de clôture.
L’article 803 du code de procédure civile dispose : l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue … (elle) peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l’ouverture des débats, par décision du tribunal.
A l’audience, avant le déroulement des débats, l’ensemble des avocats des parties ont indiqué qu’ayant conclu postérieurement, ils sollicitaient la révocation de l’ordonnance de clôture. La cour a donc, avant l’ouverture des débats, révoqué ladite ordonnance puis clôturé à nouveau l’instruction de l’affaire, celle-ci étant en état d’être jugée.
Sur le trouble manifestement illicite
Aux termes de l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection, dans les limites de sa compétence, peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite visé par ce texte désigne toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Il doit être constaté lorsque, même en l’absence de servitude établie, il est fait obstacle à l’utilisation paisible et prolongée d’un passage. Peu importe alors la nature juridique de ce dernier dont l’appréciation relève de la compétence exclusive du juge du fond.
Le trouble manifestement illicite peut également résulter d’une voie de fait, entendue comme un comportement s’écartant si ouvertement des règles légales et usages communs, qu’il justifie de la part de celui qui en est victime le recours immédiat à une procèdure d’urgence afin de le faire cesser.
L’existence de contestations, fussent-elles sérieuses, n’empêche pas le juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Enfin, pour apprécier la réalité de ce dernier, la cour d’appel, statuant en référé, doit se placer au jour où le premier juge a rendu sa décision et non au jour où elle statue.
Il résulte des procès-verbaux de constat dressés les 24 mars 2022 et 4 avril 2022, par Maître [P], huissier de justice, qu’à ces deux dates, le chemin d’accès à la propriété de M. [Y] a été volontairement entravé par deux véhicules distincts, d’abord un Ford modèle Tournéo, immatriculée [Immatriculation 13], puis un 4 x 4 Mitsubishi Pajéro immatriculé [Immatriculation 14]. S’il n’est pas contesté que la seconde des ces automobiles est la propriété de M. [A], celui-ci est peu inspiré de contester tout lien avec la première dès lors que, dans son constat du 22 avril 2022, le même Commissaire de justice a constaté qu’il se trouvait garé devant le domicile de M. [I] [K], son beau-fils, situé à la sortie du chemin litigieux, domicile dont l’adresse a été confirmée par l’attestation de ce dernier.
Au demeurant, M. [R] [A] assume la responsabilité de l’entrave au passage constatée le 4 avril 2022 puisqu’il précise, en page 10 de ses dernières conclusions, qu’il avait cru devoir stationner ce véhicule à cet endroit car il avait constaté au cours des jours précédents des allers et venues de véhicules lourds sur ce chemin alors qu’aucune autorisation d’urbanisme n’avait été octroyée en vue des travaux de M. [Y].
A ces constats s’ajoutent les deux photographies du véhicule Mitsubishi Pajéro de M. [A] datées du 14 mars 2022, jour de l’acquisition par M. [Y] de sa propriété, et dont M. [A] est tout aussi mal inspiré de prétendre qu’il pouvait être en mouvement alors que l’analyse de ces deux clichés atteste, par le positionnement du 4×4 par rapports aux arbres et à la haie, qu’ils sont contemporains, fixent une même scène et que, sur la prise de vue de face, ce véhicule est dépourvu de conducteur.
Il s’infère par ailleurs du courrier recommandé que le conseil des consorts [O]/[X], auteurs de M. [Y], a envoyé à M. [A] le 22 septembre 2021, que lors des visites de leur propriété avec de potentiels acquéreurs, ce dernier s’était permis d’intervenir en soulevant (qu’il allait) désormais refuser que des véhicules accèdent à la propriété de (ses) clients en passant par le chemin. Les entraves constatées six mois plus tard avaient donc été annoncées par l’appelant, raison pour laquelle le notaire des consorts [O]/[X], propriétaire des parcelles [Cadastre 1] et [Cadastre 2], avait vainement tenté de lui donner rendez-vous en son étude, le 7 septembre 2021 à 11 heures 30, afin de discuter, clarifier la situation et, le cas échéant, trouver une solution amiable telle que la constitution d’une servitude conventionnelle.
Son refus, à l’époque, de toute discussion, est assez singulier puisqu’il s’évince de l’acte authentique reçu, les 22 mars 2002, par Maître [D], notaire à [Localité 11], qu’il avait sollicité, avant qu’un échange puis une vente de parcelles n’aboutissent à ce qu’il devienne propriétaire (le 15 mars 2008) de toutes les parcelles concernées, la création, pour desservir les parcelles [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 6] et [Cadastre 7] … à titre de servitude réelle et perpétuelle, (d’un) droit de passage le plus absolu pouvant être exercé par tous temps et par tous véhicules sur une bande de terrain de 4 mètres, à cheval sur toute la ligne divisoire entre lesdites parcelles, ladite bande correspondant à l’emprise du chemin litigieux.
Cela donne crédit à la thèse soutenue par M. [Y] selon laquelle il aurait, dans l’espoir de les acquérir, tenté de s’opposer à la vente à des tiers des parcelles [Cadastre 1] et [Cadastre 2] puis aurait poursuivi les acquéreurs de sa vindicte. Celle-ci s’est d’ailleurs manifestée par son intrusion filmée, en date du 21 avril 2022, dans la propriété de l’intimé, intrusion suivie d’un dépôt de plainte et d’un constat d’huissier établissant que diverses serrures ont été colmatées par l’intromission de colle type cyanolite dans les barillets, imposant leur remplacement. Les déclarations faites par M. [Y] devant les gendarmes de la brigade de [Localité 11] permettent en outre d’établir que leurs collègues de [Localité 15] avaient déjà dû intervenir sur place le 4 avril 2022 pour mettre fin au blocage sus-évoqué et que le portail par lequel M. [A] a pénétré dans sa propriété le 21 avril suivant avait subi le même sort, entre le 14 et le 15 mars précédent, ce qui empêchait de le fermer à clé.
S’agissant du chemin litigieux, il résulte de l’acte authentique en date du 12 mai 1966, par lequel ils sont devenus propriétaires des parcelles [Cadastre 1] et [Cadastre 2], que les époux [O], auteurs de M. [Y], avaient pour projet d’y édifier dans un délai de trois ans … une maison individuelle, dont les trois quart au moins (seraient) affectés à l’habitation. C’est nécessairement par cette voie, dessinée sur les plan cadastraux en pointillés, réprésentation propre aux chemins d’exploitation, que sont passés, comme attesté par M. [M] [O], les camions utilisés pour la construction de cet immeuble, dans le courant de l’année 1970. En effet, l’examen du plan cadastral versé aux débats par les appelants permet de se convaincre que les parcelles précitées sont enclavées et qu’il s’agit de la seule voie permettant d’y accéder. Elle est censée, au demeurant, passer par la propriété de M. [Y], n° [Cadastre 1], pour aboutir à la maison de M. [A].
En outre, les photographies aériennes, issues du site Géoportail et datées des années 1971 et 1978, rapprochées du mail de M. [N] [U], attestent que ce ‘chemin d’exploitation’ servait antérieurement, et donc bien avant que M. [A] n’acquière la parcelle [Cadastre 7], en 1998, à l’exploitation agricole de cette dernière et de toutes celles qui l’entourait.
Il n’est à cet égard pas indifférent de relever que l’habitation des époux [Y] a été édifiée bien antérieurement à la sienne et qu’à l’époque, la parcelle [Cadastre 7] était à vocation exclusivement agricole et exploitée (voir notamment la photographie de 1978) ce qui n’a pas empêché M. [A] d’y bâtir sa propre maison d’habitation avec piscine alors même qu’il n’a jamais été agriculteur mais s’est, au contraire, déclaré ‘artisan’ dans les actes authentiques précités en date des 22 mars 2002 et 15 mars 2008, reçus par Maître [D]. Là aussi, il est pour le moins surprenant de sa part et totalement inopérant, d’exciper, par référence à l’article 682 du code civil, de l’absence de qualité d’agriculteur de M. [Y], lui aussi artisan, pour résider dans la maison située sur la parcelle [Cadastre 1].
En tout état de cause et indépendamment du débat sur l’existence d’une servitude et/ou d’un état d’enclave, la cour ne peut que constater que ce chemin d’exploitation était dès les années 1970, et vraisemblabement avant, utilisé pour l’exploitation des parcelles [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 8] et même [Cadastre 3] et [Cadastre 5] ce qui supposait qu’il soit emprunté par des engins de plus en plus lourds, depuis les charettes jusqu’aux tracteurs. Il était donc suffisament viabilisé pour que des voitures puissent l’emprunter à compter de 1970, date d’édification de la maison de M. [Y] et ce, d’autant que, comme l’atteste M. [M] [O], ses parents avaient demandé à l’entreprise Aparicio de Bras d’y répandre du tout venant pour le rendre encore plus praticable avec les engins de chantier. Les attestations de M. [M] [O], Mme [Z] [O] et Mme [E] [X], selon lesquelles ils ont toujours emprunté ce chemin en voiture pour se rendre jusqu’à la résidence secondaire de leurs parents et grands parents, ne sauraient dès lors être discutées et ce, même s’il n’est pas exclu que, comme il le soutient, M. [A] l’ait entretenu à partir de l’acquisition de sa parcelle [Cadastre 7], en 1998. Il doit être de plus fort relevé que c’est bien par ce chemin que ce dernier a fait passer les engins de chantiers destinés à l’édification de sa propre maison d’habitation sur cette parcelle agricole. A suivre son raisonnement, il se serait lui aussi volontairement enclavé puisqu’à l’époque, les parcelles [Cadastre 9] et [Cadastre 8] situées en amont de cette voie, par rapport à sa parcelle, appartenaient à un tiers, à savoir M. [G], agriculteur.
Il résulte de l’ensemble de ces développements qu’en positionnant délibérément son véhicule et celui de son beau fils sur et en travers de ce chemin d’exploitation les 14 mars, 24 mars et 4 avril 2022, pour empêcher M. [Y] d’accéder et de repartir de sa propriété, M. [R] [A] a perturbé de manière unilatérale et soudaine, un passage faisant jusqu’alors l’objet d’un usage continue et paisible.
L’excuse tirée du fait qu’il aurait voulu éviter que celui-ci ne soit dégradé par les allers et venues de véhicules lourds alors qu’aucune autorisation d’urbanisme n’avait été octroyée, ne saurait être reçue dès lors qu’il n’a aucune qualité ni autorité pour faire respecter une telle législation et qu’il résulte du procès-verbal de constat dressé par Maître [P] le 22 avril 2022 que le camion professionnel de M. [Y], d’un PTAC maximun de 3,5 tonnes, n’est pas susceptible et n’a nullement détérioré le chemin dont s’agit.
C’est donc par des motifs pertinents qu’indépendamment de tout débat relatif à la nature juridique dudit chemin, et notamment à l’existence d’une servitude née d’une usucapion ou d’un état d’enclave, le premier juge a ordonné la cessation et prévenu le renouvellement du trouble manifestement illicite ainsi constitué.
L’ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu’elle a a fait interdiction à M. [R] [A] d’empêcher le passage sur le chemin menant à la maison de M. [V] [Y], à ce dernier ou ses ayants droits, venant à pied, en voiture ou avec la camionnette de M. [V] [Y], sous astreinte, pour chaque empêchement, de 300 euros par M. [R] [A] ou toute personne de son chef, et pour un délai d’un an, passé lequel il pourrait être procédé à la liquidation de l’astreinte provisoire et au prononcé éventuel d’une nouvelle astreinte.
Elle le sera également, par voie de conséquence, en ce qu’elle a débouté M. [A] de sa demande visant à faire interdiction à M. [V] [Y] de faire passer sur le chemin litigieux tout véhicule et ce, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée.
Sur la demande de provision à valoir sur l’indemnisation des préjudices moral et de jouissance
Aux termes de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable … le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence … peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution d’une obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
L’absence de constestation sérieuse implique l’évidence de la solution qu’appelle le point contesté. Il appartient au demandeur d’établir l’existence de l’obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu’en son montant, laquelle n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Au vu des développements qui précèdent, il n’est pas contestable que M. [Y], qui comptait aménager au plus vite dans sa maison rénovée, avec sa femme et ses trois enfants, a subi un préjudice moral et de jouissance, ne pouvant jamais savoir jusqu’à ce que l’ordonnance entreprise soit rendue, le 11 mai 2022, s’il pourrait, à l’occasion de ses déplacements sur place, accéder à sa propriété ou en repartir. Il résulte néanmoins des pièces du dossier, et notamment de l’attestation de Mme [H] [T] épouse [A], qu’il avait entrepris ses travaux de rénovation, dès le mois de juillet 2021, empruntant le chemin avec son camion, tant et si bien qu’il n’est pas impossible qu’il ait pu, comme il le souhaitait (page 19 de ses conclusions), aménager pour ‘la rentrée de septembre 2022″.
C’est, dès lors, par des motifs pertinents que le premier juge a estimé à 1 000 euros le montant non sérieusement contestable de sa créance indemnitaire.
L’ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu’elle a condamné M. [R] [A] à verser à M. [V] [Y] la somme de 1 000 euros à titre de provision à valoir sur son préjudice moral et de jouissance.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il convient de confirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a condamné M. [R] [A] aux dépens.
Elle sera néanmoins infirmée en ce qu’elle l’a condamné à verser à M. [V] [Y] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, cette somme, correspondant aux frais irrépétibles engagés en première instance devant être doublée.
M. [R] [A], qui succombe au litige, sera débouté de sa demande formulée sur le fondement de ce texte. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l’intimé les frais non compris dans les dépens, qu’il a exposés pour sa défense. Il lui sera donc alloué une somme de 4 000 euros en cause d’appel.
M. [R] [A] supportera en outre les dépens d’appel qui n’intègreront pas les frais des trois constats d’huissier de M. [Y] puisque ces derniers ne s’analysent pas comme des frais afférents aux instances, actes et procédure d’exécution au sens des dispositions de l’article 695 du code de procédure civile mais relèvent du régime des frais irrépétibles et ont donc été pris en considération dans l’évaluation des sommes allouéessur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rappelle qu’à l’audience, avant l’ouverture des débats, elle a révoqué l’ordonnance de clôture puis clôturé à nouveau l’instruction de l’affaire, celle-ci étant en état d’être jugée ;
Confirme l’ordonnance entreprise sauf en ce qu’elle a condamné M. [R] [A] à verser à M. [V] [Y] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Condamne M. [R] [A] à verser à M. [V] [Y] la somme de 2 000 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles engagés en première instance ;
Condamne M. [R] [A] à verser à M. [V] [Y] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles engagés en cause appel ;
Déboute M. [R] [A] de sa demande sur ce même fondement ;
Condamne M. [R] [A] aux dépens d’appel en ceux non compris les frais de constat d’huissier.
La greffière Le président