COUR D’APPEL D’ORLÉANS
C H A M B R E C I V I L E
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 31/10/2022
la SELARL CASADEI-JUNG
la SARL ARCOLE
ARRÊT du : 31 OCTOBRE 2022
N° : – N° RG : 20/00420 – N° Portalis DBVN-V-B7E-GDQG
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de BLOIS en date du 07 Novembre 2019
PARTIES EN CAUSE
APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 2456 4380 0647
Monsieur [X] [Y]
né le 24 Janvier 1956 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Emmanuel POTIER de la SELARL CASADEI-JUNG, avocat postulant au barreau d’ORLEANS
Madame [J] [R] épouse [Y]
née le 04 Juin 1954 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Emmanuel POTIER de la SELARL CASADEI-JUNG, avocat postulant au barreau d’ORLEANS
D’UNE PART
INTIMÉE : – Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 2465 3704 4159
La S.A.S. RICHARD TERRASSEMENT ET TRAVAUX PUBLICS DE BAS-RIVIERE immatriculée au RCS de BLOIS sous le numéro 411 478 241, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 4]
[Localité 2]
ayant pour avocat Me Anne-sophie LERNER de la SARL ARCOLE, avocat au barreau de TOURS
D’AUTRE PART
DÉCLARATION D’APPEL en date du : 13 Février 2020.
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 21Juin 2022
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
En l’absence d’opposition des parties ou de leurs représentants :
Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,
Après délibéré au cours duquel Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre et Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de:
Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de chambre,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,
Madame Laure- Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier :
Madame Fatima HAJBI, Greffier lors des débats et du prononcé.
DÉBATS :
A l’audience publique du 19 septembre 2022, à laquelle ont été entendus Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.
Prononcé le 31 OCTOBRE 2022 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Le 12 novembre 2013, M. [X] [Y] et Mme [J] [R] épouse [Y] ont confié à la société Artisan Centre Loir et Cher (la société ACLC) la fourniture, la livraison et la pose d’un enrobé à chaud, pour la somme de 10 000 euros TTC. Le 28 février 2014, un avenant était signé pour la mise en ‘uvre d’un enrobé rouge à froid de l’accès piéton et voiture pour le même prix, en précisant que les qualités du revêtement étaient identiques.
La société ACLC a sous-traité la réalisation de ces travaux à la société Richard terrassement et travaux publics de Bas-rivière.
Le 21 juillet 2014, à la suite de travaux sur le toit de la maison de M. et Mme [Y], l’enrobé a présenté des traces de poinçonnement causées par l’utilisation d’une échelle. Une expertise amiable a été menée par le cabinet Saretec construction.
Par ordonnance du 23 décembre 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Blois a ordonné une mesure d’expertise et a nommé M. [H] [P] pour y procéder, lequel a déposé son rapport dé’nitif le 12 septembre 2017.
Par acte d’huissier en date du 28 février 2018, M. et Mme [Y] ont fait assigner la société Richard terrassement et travaux publics de Bas-rivière devant le tribunal de grande instance de Blois, sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
Par jugement du 7 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Blois a :
– débouté M. et Mme [Y] de leur demande de contre-expertise ;
– débouté M. et Mme [Y] de leur demande tendant à voir établir la responsabilité de la société Richard terrassement et travaux publics de Bas-rivière ;
– débouté M. et Mme [Y] de leurs plus amples demandes ;
– condamné solidairement M. et Mme [Y] aux entiers dépens ;
– accordé à Maître Anne-Sophie Lerner, membre de la SARL Arcole, le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile ;
– condamné solidairement M. et Mme [Y] à payer à la société Richard terrassement et travaux publics de Bas-rivière la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 13 février 2020, M. et Mme [Y] ont interjeté appel de tous les chefs du jugement.
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 17 mars 2022, M. et Mme [Y] demandent de :
– dire recevable et bien fondé leur appel et y faire droit ;
– infirmer ledit jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
– condamner la société Richard terrassement et travaux publics de Bas-rivière à leur payer la somme de 5 214,04 euros en réparation des dommages subis ;
Subsidiairement, ordonner avant dire droit une nouvelle mesure d’expertise ;
– débouter les parties de toutes demandes plus amples ou contraires ;
– condamner la société Richard terrassement et travaux publics de Bas-rivière à leur payer une indemnité de 5 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Richard terrassement et travaux publics de Bas-rivière aux entiers dépens, de première instance et d’appel, par application de l’article 696 du code de procédure civile, en ce compris les dépens de référé et les frais de l’expertise judiciaire.
Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 8 novembre 2021, la société Richard terrassement et travaux publics de Bas-rivière demande de :
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
– débouter purement et simplement M. et Mme [Y] de leurs demandes tendant à obtenir sa condamnation sur le fondement de sa responsabilité délictuelle à prendre en charge les désordres allégués par les demandeurs ;
– débouter purement et simplement M. et Mme [Y] de leur demande de contre-expertise ;
Y ajoutant,
– condamner in solidum M. et Mme [Y] à lui régler la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner in solidum M. et Mme [Y] aux entiers dépens ;
– accorder à Maître Anne-Sophie Lerner, avocat au barreau de Tours, membre de la SARL Arcole, le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.
Il convient de se référer aux conclusions récapitulatives des parties pour un plus ample exposé des moyens soulevés.
SUR QUOI, LA COUR,
Sur la responsabilité du sous-traitant à l’égard du maître d’ouvrage
Les appelants soutiennent que le rapport de l’expert judiciaire ne peut être homologué faute pour celui-ci d’avoir répondu avec une véritable démonstration scientifique ; que le sous-traitant engage, à l’égard du maître de l’ouvrage, sa responsabilité délictuelle par application des articles 1240 et suivants du code civil ; que le rapport Saretec et le rapport établi par le laboratoire LRM montrent que les qualités du revêtement posé ne correspondent ni à la notice technique Bituvia, ni à la norme NF P98-150-2, de sorte que l’intimée a commis une faute en mettant en ‘uvre un produit non conforme et d’une résistance insuffisante ; que la société a également commis une faute à son devoir de conseil en n’attirant pas leur attention et celle de l’entrepreneur principal sur la nécessité de la mise en ‘uvre d’une natte géotextile afin de prévenir la pousse des végétaux au travers du revêtement, sur les limites du revêtement par rapport à l’usage contractuel et les risques de poinçonnement, sur l’application de Viafix après 3 semaines de séchage pourtant hautement recommandée et en ne préconisant pas la pose d’un caniveau pour récupérer les eaux de ruissellement ; que ces fautes ont causé directement les dommages constatés par l’expert judiciaire, à savoir une pente vers le garage sans caniveau entraînant des inondations en cas de forte pluie, le poinçonnement et les déformations du revêtement ; que la société doit être condamnée à leur payer la somme de 5 214,04 euros en réparation des dommages subis.
L’intimée réplique qu’aucun élément ne permet de contredire les conclusions de l’expert judiciaire ; que les époux [Y] ne rapportent pas la preuve d’une faute délictuelle qui aurait été commise à son préjudice ; que le devoir de conseil ne peut se concevoir que dans le cadre de relations contractuelles, ce qui n’était pas le cas s’agissant d’une sous-traitance ; que les reproches formulés par les époux [Y] concernent leur co-contractant s’agissant de ce devoir de conseil ; que la demande de contre-expertise des époux [Y] n’est nullement fondée, ni en droit, ni en fait.
La responsabilité du sous-traitant à l’égard du maître d’ouvrage est de nature délictuelle, de sorte qu’il incombe à ce dernier d’établir l’existence d’une faute ayant causé le préjudice allégué.
En l’espèce, M. et Mme [Y] ont commandé à la société ACLC des travaux de pose d’un enrobé rouge à froid pour l’accès piéton et voiture à leur maison d’habitation.
La société ACLC a sous-traité ces travaux à la société Richard terrassement et travaux publics de Bas-Rivière, qui lui a adressé une facture le 22 avril 2014, pour les travaux suivants :
– mise en place protection contre le mur et sciage de la bordure maison ;
– démolition avec marteau piqueur de l’ensemble du dallage, chargement et évacuation en décharge ;
– fourniture et mise en place de calcaire épaisseur moyenne 10/12 cm ;
– fermeture en enrobé froid rouge 2/6 ;
– fourniture couvercle de regard.
Les appelants allèguent que le revêtement posé par le sous-traitant de la société ACLC a directement causé les dommages suivants : une pente vers le garage sans caniveau entraînant des inondations en cas de forte pluie, le poinçonnement et les déformations du revêtement.
Ils soutiennent en premier lieu que le revêtement posé n’est pas conforme à la norme NF P98-150-2 et à la notice technique Bituvia.
Lors des opérations d’expertise, il a été procédé à l’extraction de carottes dans le revêtement posé devant le garage de M. et Mme [Y], qui ont été analysées par le laboratoire LRM, dont le rapport final a été soumis à l’expert judiciaire. Le rapport d’expertise mentionne que l’épaisseur moyenne des carottes est de 3,2 cm ce qui est conforme aux préconisations du fabricant. Cependant, le laboratoire LRM a également indiqué que la compacité moyenne de l’enrobé (78,4 %) était non-conforme à la fiche technique du fabricant qui mentionne une compacité devant être supérieure à 80 % à la mise en ‘uvre. Le laboratoire rappelait également que la norme NF P98-150-2, non produite aux débats, préconisait une compacité supérieure à 92 % pour une couche de roulement de 5 cm d’épaisseur minimum, de sorte qu’il ne peut être allégué une non-conformité à la norme NF en l’espèce s’agissant d’un revêtement avec une épaisseur inférieure à 5 %.
Le défaut de compactage de l’enrobé est corroboré par le rapport d’expertise extra-judiciaire de la société Saretec qui mentionne : « Selon les témoignages recueillis, le compactage aurait été réalisé non pas avec une plaque vibrante mais avec des morceaux de planches attachées aux chaussures des ouvriers.
Le caractère drainant de l’enrobé et donc sa faible compacité contribuent à une vitesse de rupture plus lente ».
L’expert Sarectec avait préalablement rappelé : « Le durcissement de l’enrobé résulte du phénomène de « rupture » de l’émulsion de bitume présente dans l’enrobé.
Globalement, ce phénomène dépend de la vitesse d’évaporation de l’eau contenue dans l’enrobé, du type d’émulsion et du type de régulateur de rupture.
Manifestement, pour ce type d’enrobé, le temps de rupture est très long car 4 mois après la fin de la réception des travaux, cet enrobé n’a pas une résistance suffisante pour résister au poinçonnement d’une échelle ».
Il est donc établi, nonobstant le silence de l’expert judiciaire sur ce point, que l’enrobé présentait un défaut de compactage à la mise en ‘uvre, qui a diminué sa dureté et augmenté sa sensibilité au poinçonnement, les marques sur l’enrobé ayant été constatées par l’expert judiciaire. Il s’ensuit que le sous-traitant a commis une faute en ne respectant pas les préconisations du fabricant lors de la mise en ‘uvre du revêtement.
Les autres fautes alléguées par les appelants résident en un manquement du sous-traitant au devoir de conseil auquel il est tenu à l’égard du maître d’ouvrage, ainsi qu’il est retenu par la Cour de cassation (3e Civ., 19 novembre 1997, pourvoi n° 95-13.656).
La société Richard terrassement et travaux publics de Bas-Rivière ne justifie pas avoir informé et conseillé le maître d’ouvrage sur le risque de poinçonnement de l’enrobé à froid, alors que la fiche technique du produit mentionne expressément que « les enrobés froids supportent mal les efforts tangentiels et les poinçonnements ». Il convient donc de retenir une faute du sous-traitant à ce titre.
Il résulte d’un procès-verbal de constat établi par huissier de justice le 12 juillet 2017 que des végétaux poussaient à de nombreux endroits sur l’enrobé. L’expert judiciaire qui n’a pas contesté ce fait en a attribué la responsabilité à un défaut d’entretien du revêtement par M. et Mme [Y], sans s’interroger sur la nature des travaux réalisés par le sous-traitant pour éviter la prolifération des végétaux. Or, dans les travaux facturés par le sous-traitant à la société ACLC, il n’apparaît aucun élément de nature à lutter contre la pousse de végétaux. En outre, il n’est ni justifié ni allégué que le sous-traitant a informé le maître d’ouvrage des moyens pouvant être mis en ‘uvre pour éviter la prolifération de végétaux tel un géotextile, ni sur les modalités d’entretien de l’enrobé, de sorte qu’il convient également de retenir une faute sur ce point.
Si l’expert judiciaire a pu constater l’étanchéité du joint de la porte de garage par aspersion de celle-ci par un tuyau d’arrosage, qui ne peut suffire à simuler un fort orage, il n’est pas contesté que la pente de l’allée est en direction du garage et non de la rue et qu’il existe une cuvette devant la porte de garage, ainsi qu’il résulte du rapport d’expertise Saretec et du procès-verbal de constat d’huissier de justice produit aux débats, ce qui constitue un défaut de mise en ‘uvre. Il n’est ni allégué ni justifié par le sous-traitant que l’attention du maître d’ouvrage ait été attiré sur cette situation et sur l’opportunité de poser un caniveau pour récupérer les eaux de ruissellement, de sorte qu’une faute délictuelle doit également être retenue à ce titre.
Il est donc établi que le sous-traitant a manqué à son devoir de conseil à l’égard du maître d’ouvrage mais s’est également rendu l’auteur de défauts de mise en ‘uvre de l’enrobé qui ne peuvent être réparés que par sa réfection intégrale.
M. et Mme [Y] ont fait établir un devis, le 21 mai 2014, pour la « réfection de la cour suite à enrobé rouge froid mis en ‘uvre sans compactage suffisant et pente dirigée vers la maison », comportant des travaux de dépose et de pose d’un nouveau revêtement d’un montant de 5 014,04 euros TTC. Il convient de réparer intégralement le préjudice subi par M. et Mme [Y] par la faute de la société Richard terrassement et travaux publics de Bas-Rivière en condamnant celle-ci à leur verser la somme de 5 014,04 euros.
En revanche, ayant opté pour la réfection intégrale de l’enrobé, M. et Mme [Y] sont mal fondés à solliciter également la somme de 200 euros pour la réparation ponctuelle des poinçonnements qui était l’autre solution proposée par la société Saretec à défaut de réfection totale de l’enrobé.
Le jugement sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions.
Sur les demandes accessoires
La société Richard terrassement et travaux publics de Bas-Rivière sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel comprenant les dépens de référé et d’expertise judiciaire, ainsi qu’au paiement, au profit des appelants, d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
STATUANT À NOUVEAU,
DÉCLARE la société Richard terrassement et travaux publics de Bas-Rivière entièrement responsable du préjudice subi par M. et Mme [Y] ;
CONDAMNE la société Richard terrassement et travaux publics de Bas-Rivière à payer à M. et Mme [Y] la somme de 5 014,04 euros à titre de dommages et intérêts ;
CONDAMNE la société Richard terrassement et travaux publics de Bas-Rivière à payer à M. et Mme [Y] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE a société Richard terrassement et travaux publics de Bas-Rivière aux entiers dépens d’appel de première instance et d’appel, comprenant les dépens de référé et les honoraires de l’expert judiciaire.
Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de Chambre et Madame Fatima HAJBI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT