N° RG 20/00371 – N° Portalis DBV2-V-B7E-IMPX
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 30 NOVEMBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE D’EVREUX du 10 Novembre 2016
APPELANT :
Monsieur [Z] [Y]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Béatrice MABIRE MORIVAL de la SCP MORIVAL AMISSE MABIRE, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
URSSAF NORMANDIE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Mme [R] [E] munie d’un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 12 Octobre 2022 sans opposition des parties devant Mme DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. CABRELLI, Greffier
DEBATS :
A l’audience publique du 12 Octobre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 30 Novembre 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 30 Novembre 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame ROGER-MINNE, Conseillère, suppléante de la Présidente et par M. CABRELLI, Greffier
* * *
EXPOSE DU LITIGE
M. [Z] [Y], artisan en pose et installation de tous matériels téléphoniques, électroniques, alarmes et électricité, a été affilié au régime social des indépendants (RSI) du 16 février 2004 au 30 juin 2013.
Le RSI a émis à son encontre plusieurs mises en demeure de payer des cotisations, contributions sociales et majorations de retard :
– celle du 13 février 2012 portant sur la somme de 8.303 euros au titre des périodes novembre 2011, décembre 2011, janvier 2012 ;
– celle du 13 mars 2013 portant sur la somme de 17.947 euros au titre des périodes février et mars 2013,
– celle du 15 mai 2013 portant sur la somme de 992 euros au titre de la période avril 2013,
– celle du 14 juin 2013 portant sur la somme de 18.066 euros au titre des périodes année 2011, mai 2013, juin 2013,
– celle du 9 août 2013 portant sur la somme de 1.838 euros au titre des périodes juillet et août 2013,
– celle du 10 octobre 2013 portant sur la somme de 919 euros au titre de la période septembre 2013,
– celle du 12 novembre 2013 portant sur la somme de 9.935 euros au titre des périodes octobre et novembre 2013.
Le 12 juin 2014, la caisse RSI Ile de France Centre a émis à l’encontre de M. [Y] une contrainte portant sur un montant de 35.334 euros représentant des cotisations, contributions et majorations impayées au titre des périodes année 2011, novembre et décembre 2011, janvier 2012, février à novembre 2013 (55.033 euros de cotisations et contributions + 2.967 euros de majorations – 22.666 euros de « déduction »).
Le 30 juin 2014, le RSI l’a fait signifier à M. [Y], qui a formé opposition le 3 juillet 2014.
Par jugement du 10 novembre 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale de l’Eure a :
– validé la contrainte à hauteur de 25.326 euros au titre des cotisations et majorations de retard portant sur les mois de novembre et décembre 2011, l’année 2011, janvier 2012, février, mars et avril 2013,
– condamné M. [Y] à payer au RSI Haute-Normandie la somme de 25.326 euros, en ce compris 2.000 euros au titre des majorations de retard,
– condamné M. [Y] au paiement des frais de recouvrement, en ce compris les frais de signification de la contrainte,
– rejeté la demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– rappelé que la décision était exécutoire de droit à titre provisoire.
Par déclaration (LRAR) du 12 décembre 2016, M. [Y] a formé appel contre ce jugement, en son intégralité.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Soutenant oralement ses conclusions (à l’exception de la demande de nullité de la contrainte fondée sur l’absence de justification d’une délégation de signature), M. [Y] demande à la cour d’infirmer le jugement et de :
– déclarer les deux mises en demeure datées des 13 février 2012 et 13 mars 2013 nulles et inopposables,
– ordonner l’annulation de la contrainte du 12 juin 2014,
– enjoindre au RSI de procéder à l’annulation de tous les appels de cotisations émis à compter de sa radiation au 30 juin 2013,
– condamner la caisse RSI à lui payer la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la caisse RSI aux dépens.
Il soutient que les deux mises en demeure visées sont nulles, dès lors qu’elles ne lui ont pas été notifiées ; qu’il ne les a en effet pas reçues.
Il soutient sur le fondement de l’article 1353 du code civil et de l’article 9 du code de procédure civile que le RSI doit rapporter la preuve du principe et du montant de la créance pour laquelle il a délivré une contrainte. Il considère que les cotisations sociales appelées au titre de l’année 2011, des mois de novembre et décembre 2011, sont infondées, en déplorant l’incohérence des calculs du RSI et le « découpage » des périodes qui empêche l’assuré de procéder à une vérification globale des sommes dues alors que la contrainte et la notification doivent permettre au cotisant de vérifier les cotisations dues. Il ajoute qu’il a cessé son activité d’artisan et a été radié à compter du 30 juin 2013, de sorte qu’il n’est redevable d’aucune cotisation à compter de cette date.
Il soutient que, faute pour le RSI de justifier de mises en demeure préalables, de la réalité et du montant de la créance sollicitée dans la contrainte, ainsi que de l’ordre d’imputation des paiements, la contrainte doit être annulée.
Soutenant oralement ses conclusions, l’URSSAF de Normandie, venant aux droits de l’URSSAF de Haute-Normandie, demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner M. [Y] aux dépens.
Elle fait valoir que la mise en demeure préalable à la contrainte n’est pas de nature contentieuse, de sorte que l’article 670 du code de procédure civile ne lui est pas applicable, et qu’il importe peu que le cotisant ne soit pas allé retirer la notification de mise en demeure à la Poste et que celle-ci soit revenue à son expéditeur avec la mention « non réclamé ». Elle précise que M. [Y] ne démontre pas que l’adresse d’envoi serait erronée.
Sur le montant de la créance, l’URSSAF indique qu’en l’absence de déclaration des revenus 2008 à 2012, les cotisations des années 2010 à 2012 ont d’abord fait l’objet d’une taxation d’office avant d’être révisées ; que M. [Y] n’a adressé ses revenus 2010 à 2012 qu’en janvier 2016, soit après l’émission de la contrainte. Elle fait remarquer que certaines sommes dues à titre de régularisation ne sont pas réclamées au regard de la prescription, acquise du fait de la tardiveté de la communication des revenus et d’une taxation forfaitaire inférieure au montant réel des cotisations.
L’URSSAF ajoute que depuis 2011 M. [Y] n’effectue aucun paiement spontané sur les cotisations venues à échéance ; que ses paiements depuis le 4 septembre 2013 proviennent de versements effectués auprès de l’huissier de justice, qui les impute en fonction des titres qu’il détient (de multiples contraintes ayant été précédemment délivrées) ; qu’ainsi, aucun versement n’a été imputé sur les échéances litigieuses.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées et oralement reprises à l’audience.
MOTIFS DE L’ARRÊT :
Sur l’opposition à contrainte
1. Sur le fondement de l’article L. 244-2 du code de la sécurité sociale, toute action aux fins de recouvrement de cotisations de sécurité sociale doit être précédée, à peine de nullité, de l’envoi d’une mise en demeure adressée au redevable.
Il importe peu que cette lettre, qui n’est pas de nature contentieuse et n’est donc pas soumise aux dispositions des articles 640 à 694 du code de procédure civile, ne soit pas réceptionnée de manière effective par le cotisant, dès lors qu’elle a été envoyée à l’adresse du cotisant dont l’organisme de sécurité sociale avait connaissance.
Le fait que les mises en demeure des 13 février 2012 et 13 mars 2013 soient revenues avec la mention « non réclamé » ou « pli avisé et non réclamé », est donc à lui seul inopérant.
Il est surabondamment relevé que M. [Y] non seulement ne justifie pas, mais n’allègue même pas que la caisse aurait envoyé ces deux mises en demeure à une autre adresse que la sienne.
Il ne peut dès lors faire grief au RSI de l’absence de réception effective des mises en demeure, qui sont parfaitement valables et opposables.
M. [Y] est débouté de sa demande à ce titre.
2. Sur le fondement des articles L. 244-2 et R.244-1 du code de la sécurité sociale dans leur version alors applicable, la mise en demeure, qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans un délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de cette mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l’intéressé d’avoir connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation ; à cette fin, il importe qu’elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d’un préjudice.
Il est précisé à cet égard qu’une contrainte peut être validée si elle ne contient pas elle-même toutes ces mentions mais se réfère à une ou plusieurs mises en demeure les comportant.
En l’espèce, il a été précédemment indiqué que les deux mises en demeure contestées par M. [Y] étaient parfaitement valables.
La contrainte, qui s’y réfère, n’encourt donc aucune nullité pour ce motif.
Par ailleurs, M. [Y] fait valoir ses difficultés à avoir une parfaite connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation, non pas à raison d’un défaut de motivation de la contrainte, et le cas échéant des mises en demeure sur lesquelles cette contrainte s’appuie, mais à raison de l’incohérence des calculs et sommes réclamées par la caisse ou à raison d’un défaut de justification de l’imputation des paiements.
Or les débats relatifs au bien fondé des sommes réclamées ne sont pas de nature à justifier une annulation de la contrainte.
Il convient donc de débouter M. [Y] de sa demande d’annulation de la contrainte.
3. S’agissant du quantum des sommes réclamées, il est rappelé qu’il appartient à l’opposant à une contrainte de rapporter la preuve du caractère infondé de la créance dont le recouvrement est poursuivi par l’organisme social.
En l’espèce, c’est vainement que M. [Y] dénonce une double demande de paiement pour les mois de novembre et décembre 2011. Il ressort en effet des débats que :
– les sommes réclamées au titre des échéances de novembre et décembre 2011 correspondent à la régularisation des cotisations provisionnelles 2010, régularisation calculée à partir d’une assiette forfaitaire majorée en l’absence de déclaration par M. [Y] de son revenu 2010 (revenu déclaré seulement en 2016, qui aurait donné lieu à une régularisation d’un montant supérieur en l’absence de prescription),
– tandis que les sommes réclamées au titre de l’ « année 2011 » à hauteur de 14.565 euros dans le cadre de la présente instance correspondent à la partie non prescrite de la régularisation des cotisations provisionnelles 2011 (aux cotisations définitives assises sur le revenu perçu en 2011), régularisation calculée sur la base du revenu 2011 connu en 2016, après émission de la contrainte.
Le fait de qualifier les sommes réclamées d’exorbitantes ne permet pas de prouver qu’elles sont infondées. S’agissant en particulier des sommes réclamées au titre de l’année 2011, dont M. [Y] dénonce le montant global (22.621 euros) au regard d’un « revenu de référence » de 22.000 euros, il ressort en réalité des débats que la somme incriminée correspond à l’addition de la régularisation des cotisations provisionnelles 2010 et de la régularisation des cotisations provisionnelles 2011, outre les majorations afférentes, en tenant compte des revenus perçus en 2010 (22.789 euros) et 2011 (39.090 euros), dont il est rappelé que la caisse n’a eu connaissance que tardivement. Il n’est donc aucunement établi que les sommes réclamées à ce titre seraient infondées.
Contrairement à ce que soutient M. [Y], l’URSSAF verse aux débats certains appels de cotisations (lettre du 13 mai 2011 d’appel des cotisations 2011, lettre du 4 octobre 2011 de notification de régularisation des cotisations 2010, lettres du 3 mars 2016 de notification de la régularisation des cotisations 2011 et des cotisations 2012). En tout état de cause, l’absence de production de ces documents ne serait pas susceptible d’établir le caractère infondé des sommes réclamées.
Le fait que les contraintes portent sur des périodes non continues peut effectivement rendre ardue la compréhension des sommes réclamées mais ne suffit pas à établir que celles-ci sont infondées. Les appels de cotisations et imputation des paiements reposent en outre sur des règles qui excluent toute affectation arbitraire et dont la caisse n’a pas à « justifier » puisqu’elles sont de nature légale et réglementaire (articles 1253 et 1256 anciens du code civil, articles L. 133-6-4 III et D. 133-4 du code de la sécurité sociale). En tout état de cause, l’URSSAF expose dans ses conclusions un tableau présentant les dates des paiements et leur imputation sur telle ou telle dette, sans que M. [Y] n’en critique concrètement le bien fondé.
Par ailleurs, le fait que le RSI ait fait délivrer à M. [Y] diverses contraintes que celui-ci estime injustifiées ne permet pas en soi d’établir le caractère infondé de la contrainte objet du présent litige, ni d’établir un comportement abusif de la caisse, dont au demeurant il ne saurait être déduit le caractère infondé des différentes contraintes délivrées.
En l’absence de preuve du caractère infondé des cotisations réclamées, il y a lieu de confirmer le jugement en toutes ses dispositions. Il est précisé que si ce jugement ne vise pas les échéances de mai à novembre 2013 inclus, c’est en raison du fait que les sommes initialement réclamées – dans la contrainte – par la caisse pour ces périodes ont été ramenées à zéro à la suite d’un nouveau calcul des cotisations prenant en considération la cessation d’activité de M. [Y] courant 2013. La contrainte émise en juin 2014 n’avait manifestement pas encore, à cette date, pris en considération la déclaration des revenus 2013 reçue en mars 2014.
Par suite, M. [Y] est débouté de sa demande d’injonction aux fins d’annulation de tous les appels de cotisations émis à compter de sa radiation au 30 juin 2013.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
En qualité de partie succombante pour l’essentiel, M. [Y] est condamné aux entiers dépens d’appel.
Il est en conséquence débouté de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par décision contradictoire ;
Confirme le jugement rendu le 10 novembre 2016 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de l’Eure, en toutes ses dispositions,
Et y ajoutant,
Déboute M. [Z] [Y] de sa demande tendant à voir déclarer les deux mises en demeure datées des 13 février 2012 et 13 mars 2013 nulles et inopposables,
Déboute M. [Y] de sa demande tendant à l’annulation de la contrainte,
Déboute M. [Y] de sa demande d’injonction aux fins d’annulation de tous les appels de cotisations émis à compter de sa radiation au 30 juin 2013,
Déboute M. [Y] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [Y] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LA CONSEILLERE