Droits des Artisans : 30 mai 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/03381

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Droits des Artisans : 30 mai 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/03381

N° RG 21/03381 – N° Portalis DBVM-V-B7F-K7U7

C2

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

la SCP MAGUET & ASSOCIES

la SCP BOUSEKSOU CHARVET CLARET

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 30 MAI 2023

Appel d’un Jugement (N° R.G. 20/00454)

rendu par le Tribunal de Grande Instance de BOURGOIN JALLIEU

en date du 11 mai 2021

suivant déclaration d’appel du 21 juillet 2021

APPELANTS :

M. [J] [E]

né le 20 juillet 1975 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Mme [B] [S] épouse [E]

née le 21 avril 1981 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentés par Me Laurent MAGUET de la SCP MAGUET & ASSOCIES, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU et plaidant par Me Anaïs BERGER, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU

INTIMÉS :

Mme [P] [Z]

née le 24 juillet 1974 à [Localité 10]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 4]

M. [J] [G]

né le 08 janvier 1976 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté par Me Houria BOUSEKSOU de la SCP BOUSEKSOU CHARVET CLARET, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU plaidant par Me Briac MOULIN, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU

COMPOSITION DE LA COUR: LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Mme Catherine Clerc, présidente,

Mme Joëlle Blatry, conseiller,

Mme Véronique Lamoine, conseiller,

Assistées lors des débats de Anne Burel, greffier

DÉBATS :

A l’audience publique du 3 avril 2023, madame Blatry a été entendue en son rapport.

Les avocats ont été entendus en leurs observations.

Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

******

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

Suivant acte du 24 octobre 2019 dressé par Me [K], notaire à [Localité 7], M. [J] [G] et Mme [P] [Z] ont consenti une promesse de vente aux époux [B] [S]/[J] [E] concernant une maison d’habitation cadastrée sur la commune de [Localité 4] section [Cadastre 5] et [Cadastre 1], avec réitération de l’acte au plus tard au 24 janvier 2020.

Une indemnité d’immobilisation a été prévue d’un montant de 33.900€ et avec séquestre de la somme de 16.950€.

Après sommation de comparution du 31 janvier 2020, un procès-verbal de carence a été dressé par Me [K] le 17 février 2020, les époux [E] ayant comparu mais refusé de réitérer la vente.

Par lettre avec accusé de réception du 17 février 2020, les consorts [G]/[Z] ont mis en demeure les époux [E] de régler l’indemnité d’immobilisation.

Par exploit d’huissier du 19 mai 2020, les consorts [G]/[Z] ont fait citer les époux [E] en condamnation à leur payer l’indemnité d’immobilisation stipulée à la promesse de vente.

Par jugement du 11 mai 2021 assorti de l’exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Bourgoin Jallieu a :

condamné M. et Mme [E] à payer aux consorts [G]/[Z] la somme de 33.900€ fixée dans la promesse de vente à titre d’indemnité d’immobilisation,

débouté les époux [E] de leurs demandes,

condamné M. et Mme [E] à payer aux consorts [G]/[Z] une indemnité de procédure de 2.000€ et à supporter les dépens de l’instance.

Suivant déclaration du 21 juillet 2021, M. et Mme [E] ont relevé appel de cette décision.

Au dernier état de leurs écritures du 17 mai 2022, M. et Mme [E] demandent à la cour de réformer le jugement déféré et de :

1) à titre principal :

débouter les consorts [G]/[Z] de leur demande en condamnation,

annuler la promesse de vente pour réticence dolosive,

ordonner la restitution de la somme de 33.900€,

condamner les consorts [G]/[Z] à leur payer des dommages-intérêts de 10.000€ en réparation de leur préjudice moral,

2) subsidiairement :

dire que l’indemnité d’immobilisation n’est pas due et, à défaut, la réduire,

condamner les consorts [G]/[Z] à leur payer des dommages-intérêts de 10.000€ en réparation de leur préjudice moral,

ordonner la compensation entre les sommes dues,

3) en tout état de cause, condamner les consorts [G]/[Z] à leur payer une indemnité de procédure de 5.000€.

Ils exposent que :

sur le manquement à l’obligation d’information pré-contractuelle

les consorts [G]/[Z], qui avaient conscience que leur bien présentait des problèmes d’étanchéité, se sont bien gardés de les en informer,

ce n’est que lors de la visite du 8 janvier 2020, postérieurement à la promesse de vente, que leur attention a été attirée sur les problèmes d’étanchéité des murs et baies, les artisans les accompagnant ayant observé des infiltrations d’eau ainsi qu’une rétention d’eau conséquente sur le toit,

ils produisent une attestation circonstanciée de M. [M],

le jour même, Mme [T], agent immobilier, en a avisé Me [Y],

M. [G] a refusé que des professionnels viennent examiner les travaux de couverture qu’il avait réalisés,

par la suite, les consorts [G]/[Z] ont constamment refusé la réalisation d’une expertise sur leur propriété,

ainsi, les consorts [G]/[Z], qui avaient des informations déterminantes sur le bien, se sont abstenus de les leur transmettre,

sur la nullité de la promesse de vente

les consorts [G]/[Z] ont dissimulé des informations déterminantes,

les consorts [G]/[Z] ont réalisé les travaux en auto-construction, ce qui les prive de la garantie assurantielle,

cette rétention d’informations a vicié leur consentement et la promesse doit être annulée,

en manquant à leur obligation pré-contractuelle ainsi qu’à leur devoir de loyauté, les promettants leur ont causé un préjudice certain,

au fil des visites, ils ont fait découvertes sur découvertes,

ils se sont rendu compte que la parcelle de terrain sur laquelle ils pensaient installer un poulailler appartenait depuis peu à un voisin,

ils se sont retrouvés contraints de refuser de réitérer la vente et ils n’ont pas à pâtir financièrement du manque de loyauté de leurs cocontractants,

sur l’exécution de bonne foi de la promesse

leur demande de réalisation d’une expertise n’était pas abusive,

ils voulaient simplement connaître l’état réel du bien afin de décider en connaissance de cause de lever ou non l’option,

ils n’ont pas signé un compromis de vente mais une simple promesse de vente et ils ne sauraient être tenus au règlement d’une indemnité forfaitaire venant sanctionner l’inexécution de la vente,

il a été jugé légitime le refus de lever l’option en cas de découverte par l’acquéreur d’éléments qui auraient pu conduire à une remise en cause ultérieure de la vente si elle avait été poursuivie,

ils ont découvert d’importantes malfaçons affectant l’habitation,

sur la clause pénale

l’indemnité d’immobilisation est en réalité une clause pénale destinée à assurer l’exécution d’une convention,

il convient donc de requalifier cette clause et de la minorer.

Par dernières conclusions du 17 juin 2022, les consorts Porte/ Boulenger demandent à la cour de débouter les époux [E] de l’ensemble de leurs prétentions, de confirmer le jugement déféré et, y ajoutant, de les condamner à leur payer une indemnité de procédure de 5.000€.

Ils font valoir que :

les époux [E] excipent d’une condition au titre d’une expertise non prévue à l’acte,

les époux [E] s’étaient engagés à acquérir le bien en l’état et une clause élusive de responsabilité était également insérée,

ainsi, l’ajout de cette condition unilatérale d’une expertise revenait à contourner leur acceptation de cette clause élusive de responsabilité,

cette condition revenait à remettre en cause l’équilibre du contrat et constitue une violation des engagements des bénéficiaires,

dès lors que les conditions suspensives étaient réalisées et qu’à l’issu du délai contractuellement prévu les époux [E] n’ont pas opté et réitéré la vente, ils sont parfaitement en droit d’exiger le paiement de l’indemnité d’immobilisation,

la pièce prétendument établie par M. [M] n’est pas probante pour établir les désordres allégués par les époux [E],

les désordres ne sont pas localisés,

il convient de souligner que les acquéreurs prenaient le bien en l’état ce qui n’exclut pas de petites réparations ou des rafraichissements,

en tout état de cause, ils n’ont pas refusé une mesure d’expertise mais ils ont simplement posés quelques légitimes limites,

les époux [E] ont été avisés de ce que des travaux avaient été réalisés sur la charpente et le toit plat du garage par M. [G], charpentier-couvreur de son état,

le notaire a également insisté sur l’absence de garantie décennale.

La clôture de la procédure est intervenue le 28 février 2022.

MOTIFS

1/ sur la nullité de la promesse de vente

Les époux [E] demandent de prononcer la nullité de la promesse de vente du 24 octobre 2019 au motif que leur ont été dissimulés la manière dont ont été réalisés les travaux «’faits maison’» et l’absence d’assurance.

Ils soutiennent que leur consentement a été vicié et que s’ils avaient su que les vendeurs avaient réalisés eux même les travaux de charpente et qu’il existait un risque sérieux d’infiltrations, ils n’auraient pas contracté à ces conditions.

La cour observe que la promesse de vente indique que M. [G] est charpentier et souligne, en page 25, qu’aucune police d’assurance dommage-ouvrages n’a été souscrite pour la réalisation des constructions et que les parties reconnaissent avoir reçu du notaire toutes explications utiles concernant les conséquences de cette absence de souscription.

En outre, en page 26, le promettant s’est engagé à poser les couvertines du toit du garage avant la signature de l’acte authentique de vente.

Ainsi, ces éléments viennent corroborer l’affirmation de M. [G] selon laquelle les bénéficiaires de la promesse ont été, dès la première visite, informés de ce que la maison avait été réalisée en auto-construction.

Dès lors, il convient de débouter les époux [E] de leur demande en nullité de la promesse de vente.

2/ sur la condamnation au paiement de l’indemnité d’immobilisation

La promesse de vente a prévu, en page 11, une indemnité d’immobilisation pour indemniser forfaitairement l’indisponibilité du bien depuis sa signature jusqu’à la date de la levée de l’option.

Pour déterminer si cette indemnité est due, il convient d’apprécier si, au regard d’une éventuelle faute des promettants, les bénéficiaires de la promesse étaient ou non légitimes à refuser de lever l’option.

Il n’est pas contesté que les époux [E] ont effectué plusieurs visites du bien dont la dernière le 8 janvier 2020 avec l’agent immobilier et un artisan.

A cette occasion, il a été constaté une importante rétention d’eau sur le toit-terrasse d’environ 10 centimètres, un défaut de raccordement de la descente des eaux pluviales et la présence de traces d’eau sur les poutres du garage.

Les époux [E] produisent à cet égard les 4 photographies prises par l’agent immobilier.

Sur les photographies du toit-terrasse, il apparaît la pose d’une bâche présentant des plis et par endroits gonflée, ce qui fait suspecter le passage de l’eau en dessous de celle-ci.

Dans la pièce 12 des appelants, l’artisan, M. [H] [M], expose qu’il a constaté de la moisissure sur l’OSB au plafond, de l’eau stagnante sur le toit d’environ 10 centimètres, des traces d’eau sur les poutres du garage et une infiltration derrière les diverses couvertines en tôle.

Si l’attestation de M. [M] n’est pas conforme, le seul examen des photographies concordantes avec ces constatations démontre l’existence de traces importantes d’eau sur une poutre du garage (les autres poutres n’étant pas photographiées), une bâche mal posée et l’absence ou la défectuosité du système d’évacuation des eaux du toit-terrasse dont on sait que le principal problème de cet ouvrage est l’étanchéité.

Au regard du risque sérieux de l’existence de vices, les époux [E], pour éliminer tous doutes avant la levée de l’option, ont légitimement sollicité, par l’intermédiaire de leur notaire, la mise en place d’une expertise qui pouvait intervenir rapidement le 28 janvier 2020, soit 4 jours après la date limite de la levée d’option.

L’agent immobilier a également eu un échange téléphonique avec M. [G], lequel a soutenu, malgré les photographies, qu’il n’était pas possible qu’il y ait de l’eau stagnante sur le toit et qu’il refusait qu’un professionnel quel qu’il soit vienne vérifier ses travaux au motif que celui-ci n’aurait pas les mêmes méthodes que lui. (pièce 7 des appelants, mail de Mme [T] (agent immobilier) à Me [Y] (notaire).

Les consorts [G]/[Z] ont ensuite subordonné la tenue d’une expertise à la prise en charge totale des frais par les bénéficiaires de la promesse, ce qui a été accepté par les époux [E], mais se sont opposés à une expertise portant sur l’intégralité de la maison.

L’ensemble de ces éléments est de nature à faire suspecter l’existence de désordres liés à la couverture de la maison et du garage.

Le refus des promettants de faire vérifier les travaux vient confirmer la crainte de malfaçons d’autant plus que ces travaux ont été réalisés en auto-construction par M. [G] sans garantie d’assurance.

Par ailleurs, les consorts [G]/[Z] insistent sur l’insertion d’une clause exclusive de garantie acceptée par les époux [E] pour soutenir, qu’au regard des dispositions de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tenant lieu de loi, les époux [E] s’étaient engagés à prendre en l’état le bien litigieux et devaient lever l’option.

Ils prétendent encore que l’ajout d’une condition unilatérale en expertise revient à contourner leur acceptation de cette clause élusive de responsabilité.

Ce faisant, les consorts [G]/[Z] ne prennent pas en compte les dispositions de l’article 1643 du code civil selon lesquelles la clause d’exclusion de garantie ne peut trouver application lorsque le vendeur est le professionnel qui a réalisé les travaux, celui-ci étant réputé en connaître les vices.

Dès lors, contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, les époux [E], au regard de la démonstration d’une déloyauté des promettants,

étaient légitimes à refuser de lever l’option et ne sauraient, dans ces conditions, être tenus de régler l’indemnité d’immobilisation.

Par voie de conséquence, le jugement déféré sera infirmé et les consorts [G]/[Z] déboutés de l’ensemble de leurs prétentions à l’encontre des époux [E].

3/ sur la demande des époux [E] en dommages-intérêts

En l’absence de démonstration d’un préjudice moral, pas même argumenté dans leurs écritures, il convient de débouter les époux [E] de ce chef de demande.

4/ sur les mesures accessoires

L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au seul bénéfice de M. et Mme [E].

Enfin, les consorts [G]/[Z] supporteront les entiers dépens de l’instance.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Déboute M. [J] [G] et Mme [P] [Z] de leur demande en condamnation de M. [J] [E] et Mme [B] [S] épouse [E] en paiement de l’indemnité d’immobilisation,

Ordonne la restitution par M. [J] [G] et Mme [P] [Z] de la somme de 33.900€ à M. [J] [E] et Mme [B] [S] épouse [E],

Déboute M. [J] [E] et Mme [B] [S] épouse [E] de leurs demandes en nullité de la promesse de vente et en dommages-intérêts pour préjudice moral,

Condamne M. [J] [G] et Mme [P] [Z] à payer à M. [J] [E] et Mme [B] [S] épouse [E], unis d’intérêts, la somme de 5.000€ par application de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [J] [E] et Mme [B] [S] épouse [E] de leur demande d’indemnité de procédure, y compris en appel,

Condamne M. [J] [G] et Mme [P] [Z] aux dépens tant de première instance qu’en cause d’appel.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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