Droits des Artisans : 29 septembre 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 19/05458

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Droits des Artisans : 29 septembre 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 19/05458

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 29/09/2022

****

N° de MINUTE :

N° RG 19/05458 – N° Portalis DBVT-V-B7D-ST62

Jugement (N° 17/02393) rendu le 28 août 2019

par le tribunal de grande instance de Béthune

APPELANT

Monsieur [P] [D]

né le 2 septembre 1951 à [Localité 12]

demeurant [Adresse 5]

[Adresse 5]

représenté et assistés de Me Christophe Loonis, membre de la SELARL Robert et Loonis, avocat au barreau de Béthune

INTIMÉS

Madame [L] [D]

née le 18 octobre 1980 à [Localité 12]

demeurant [Adresse 9]

[Adresse 9]

Monsieur [U] [D]

né le 02 mai 1977 à [Localité 12]

demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]

Madame [K] [OR] veuve [D]

née le 18 novembre 1946 à [Localité 11]

demeurant [Adresse 7]

[Adresse 7]

intervenants en qualité d’héritiers de Monsieur [B] [D], décédé le 10 mars 2021

représentés par Me Bernard Franchi, membres de la SCP Processuel, avocat au barreau de Douai

assistés de Me Vincent Bué, avocat au barreau de Lille

DÉBATS à l’audience publique du 16 juin 2022 tenue par Emmanuelle Boutié magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Christine Simon-Rossenthal, présidente de chambre

Emmanuelle Boutié, conseiller

Céline Miller, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 29 septembre 2022 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Céline Miller conseiller, en remplacement de Christine Simon-Rossenthal présidente empêchée et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 25 mai 2022

****

Du mariage de M. [O] [D] et de Mme [E] [KL] sont issus deux enfants : M. [B] [D] et M. [P] [D].

Par acte notarié en date du 15 décembre 1980, les époux [D]-[KL] ont consenti à leurs deux enfants une donation-partage portant sur :

– la nue-propriété d’un immeuble situé [Adresse 4], attribuée à M. [B] [D],

– la nue-propriété d’un immeuble situé [Adresse 8], attribué à M. [P] [D].

M. [O] [D] est décédé le 27 avril 1994 à [Localité 10] (Pas-de-Calais) et Mme [E] [KL] veuve [D] est décédée le 17 juin 2013 à [Localité 13] (Pas-de-Calais).

Maître [AB] [Z], notaire à [Localité 14], a été chargé des opérations de liquidation et partage amiables des successions des défunts.

Aucun partage amiable n’ayant pu intervenir entre les parties, par acte d’huissier de justice en date du 13 juin 2017, M. [P] [D] a fait assigner M. [B] [D] aux fins de voir :

– ordonner l’ouverture des opérations de comptes liquidation et partage de la communauté ayant existé entre M. [O] [D] et Mme [E] [KL] veuve [D] ainsi que celles de leurs successions respectives,

– dire et juger qu’il bénéficie d’une donation rémunératoire qui lui a été accordée au titre de sa participation à l’activité commerciale de ses parents conformément à l’acte rédigé par Mme [E] [KL]; chiffrer le montant de cette donation rémunératoire à la somme de 33 688,64 euros à prendre sur la valeur de l’immeuble de [Localité 15] ;

– dire et juger que M. [B] [D] a bénéficié d’une donation de la somme de 16 000 euros, à revaloriser, de la part de ses parents; dire et juger que cette donation devra être rapportée à la succession de Mme veuve [D] [O] ;

– dire et juger y avoir lieu à réduction de la donation-partage consentie en 1980 par M. et Mme [O] [D] à leurs deux enfants; dire et juger que dans le cadre du partage à intervenir, en tenant compte de la réduction de la donation-partage et sans préjudice de la réévaluation de la somme de 16 000 euros consentie à M. [B] [D] par ses parents, qu’il doit recevoir un lot d’une valeur totale de 87 888,68 euros tandis que son frère recevra un lot d’une valeur de 29 888,64 euros ;

– statuer ce que de droit sur les dépens.

Par jugement en date du 28 août 2019, le tribunal de grande instance de Béthune a :

– ordonné l’ouverture des opérations de partage judiciaire de la succession de M. [O] [D], décédé à [Localité 10] le 27 avril 1994 et celles de la succession de Mme [E] [KL] veuve [D] décédée à [Localité 13] le 17 juin 2013, outre préalablement et pour y parvenir celles de la communauté de biens ayant existé entre M. [O] [KL] et Mme [E] [KL] veuve [D] par suite de leur mariage et conformément aux termes de leur contrat de mariage reçu par Maître [T] [H] le 21 juillet 1948 ;

– désigné pour procéder auxdites opérations Maître [N] [W], notaire à Béthune, sous le contrôle du juge spécialement affecté à la surveillance des opérations de partage de ce tribunal, lequel est commis pour surveiller ces opérations,

– précisé qu’en cas d’empêchement du notaire ou du juge commis, il sera procédé à son remplacement à la requête de la partie la plus diligente par voie d’ordonnance ;

– déclaré prescrite la demande présentée par M. [P] [D] tendant à voir fixer dans la succession de M. [O] [D] une créance d’un montant de 69 962,34 euros sur le fondement de l’enrichissement sans cause au titre de sa participation à l’exploitation commerciale familiale,

– rejeté la demande présentée par M. [P] [D] tendant à voir reconnaître à son profit l’existence d’une donation rémunératoire d’un montant de 33 688,64 euros au titre de sa participation à l’exploitation commerciale familiale,

– rejeté la demande présentée par M. [P] [D] tendant à voir ordonner à M. [B] [D] de rapporter à la succession de Mme [E] [KL] veuve [D] une donation d’un montant de 16 000 euros,

– sursis à statuer sur l’action en réduction introduite par M. [P] [D],

– donné mission au notaire commis de donner son avis sur la valeur vénale des immeubles situés au [Adresse 4], cadastré section AR n°[Cadastre 1] et [Adresse 8], cadastré section AV n° [Cadastre 6] au jour de la donation-partage du 15 décembre 1980 afin de permettre la détermination de la réduction éventuellement due au titre de l’article 1077-2 du code civil,

– dit n’y avoir lieu à ordonner une mesure d’expertise judiciaire pour évaluer l’actif successoral immobilier à ce stade des opérations de partage,

– réservé les dépens,

– sursis à statuer sur les demandes présentées au titre des articles 699 et 700 du code de procédure civile,

– ordonné la révocation de l’ordonnance de clôture,

– renvoyé l’affaire et les parties devant le juge de la mise en état à l’audience de mise en état du 4 décembre 2019 et invité Maître [Y] [A] à conclure sur l’éventuel droit à réduction.

M. [P] [D] a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 mai 2022, il demande à la cour de dire et juger bien appelé mal jugé et de réformer en conséquence, dans la limite de la portée de l’appel fait par M. [P] [D], le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Béthune le 28 août 2019 ;

Et, statuant à nouveau sur les chefs de jugement querellés, de :

– dire et juger que M. [P] [D] bénéficie d’une libéralité rémunératoire qui lui a été accordée au titre de sa participation à l’activité commerciale de ses parents conformément à l’acte rédigé par Mme [E] [KL] le 27 août 2008 et portant sur le montant de la quotité disponible de la succession à déterminer dans le cadre des opérations de partage,

– subsidiairement, dans l’hypothèse où il ne serait pas donné force obligatoire à l’engagement de Mme [D] du 27 août 2008, dire et juger recevable et bien fondée la demande de M. [P] [D] tendant à le voir reconnaître créancier des successions de ses parents pour un montant de 69 962,34 euros, constituant un passif des successions de ses parents, en application de la théorie de l’enrichissement sans cause de l’article 1371 du code civil dans sa rédaction applicable en l’espèce,

– dire et juger que M. [B] [D] a bénéficié d’une donation indirecte ou déguisée consistant en la réalisation de travaux sans contrepartie faits par M. et Mme [O] [D] sur l’immeuble d'[Localité 10] dont il était nu propriétaire et pouvant être revalorisée à la somme de 16 000 euros à revaloriser de la part de ses parents ; dire et juger que la valeur de cette donation devra être rapportée à la succession de Mme veuve [D] [O] ;

Confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions et notamment en ce qu’il a :

– ordonné les opérations de compte liquidation et partage de la communauté ayant existé entre M. [O] [D] et Mme [E] [KL] ainsi que des successions respectives de Mme [E] [KL] et M. [O] [D],

– désigné Maître [W] en qualité de notaire liquidateur,

– sursis à statuer sur l’action en réduction introduite par M. [P] [D],

– donné mission au notaire commis de donner son avis sur la valeur vénale des immeubles situés 29 (devenu [Adresse 3], cadastré section AR n° [Cadastre 1] et [Adresse 8], cadastré section AV n° [Cadastre 6] au jour de la donation-partage du 15 décembre 1980, afin de permettre la détermination de la réduction éventuellement due au titre de l’article 1077-2 du code civil,

– sursis à statuer sur les demandes au titre des articles 699 et 700 du code de procédure civile,

– condamner les consorts [D] venant aux droits de M. [B] [D] à payer à M. [P] [D] une somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter les consorts [D] venant aux droits de M. [B] [D] de toutes ses demandes,

– condamner les consorts [D] venant aux droits de M. [B] [D] aux dépens de première instance et d’appel.

M. [P] [D] fait valoir que l’engagement écrit de Mme [E] [D] en date du 27 août 2008 s’explique par le fait que durant quatre années, il n’a pas cotisé aux régimes de retraite et supporte donc une baisse de ses droits à retraite, s’agissant d’une aide familiale non rémunérée. Il soutient que l’engagement du 29 juillet 2009 ne remet pas en cause celui du 27 août 2008 dans la mesure où il ne concerne que le partage des liquidités par moitié sans effectuer de compte alors que l’engagement du 27 août 2008 concerne l’abandon de la quotité disponible qui lui revient sur la valeur du studio situé à [Adresse 16], immeuble se retrouvant en nature au jour de l’établissement du testament du 29 juillet 2019 et au jour de l’ouverture de la succession.

Il précise que la rédaction d’un nouveau testament n’entraîne pas automatiquement la remise en cause des testaments antérieurs dès lors que les actes ne sont pas incompatibles en application de l’article 1036 du code civil, ce qui est le cas en l’espèce, s’agissant d’actes complémentaires.

A titre subsidiaire, il ajoute que Mme [D] avait la qualité de gérante de fait de l’activité commerciale de M. [O] [D], à tout le moins de co-exploitante de sorte que la demande d’indemnité formulée dans les cinq années du décès de la co-exploitante est recevable, le fonds de commerce étant par ailleurs commun à M. et Mme [D].

Au surplus, M. [P] [D] soutient qu’il se heurtait à une impossibilité d’agir du vivant de sa mère.

En outre, il avance justifier pleinement de son activité au sein de l’entreprise familiale durant les années 1969 à 1972, sans percevoir de rémunération, et qu’il n’a bénéficié d’aucun avantage particulier lors de la reprise du fonds de commerce de ses parents.

Concernant l’exécution de travaux par M. et Mme [D] dans l’immeuble cédé en nue propriété à leur fils [B], M. [P] [D] expose qu’aucune contrepartie à l’exécution de ces travaux n’étant établie, ce dernier a bénéficié d’une donation ou d’un avantage indirect, l’intention libérale et le dépouillement irrévocable du donateur se trouvant établis par l’acte en date du 29 octobre 2008.

M. [B] [D] est décédé le 10 mars 2021 et Mme [L] [D], M. [U] [D] et Mme [K] [OR] veuve [D] ont repris l’instance en qualité d’héritiers de M. [B] [D].

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 juin 2021, ils sollicitent la confirmation de la décision entreprise en toutes ses dispositions et, y ajoutant, demandent à la cour de:

– condamner M. [P] [D] à leur payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dire que, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, l a SCP Processuel représentée par Maître [B] [X] pourra recouvrer directement les frais dont elle a fait l’avance sans en avoir reçu de provision.

Les consorts [D] font valoir que seules sont prises en compte les dernières volontés du défunt en présence de plusieurs testaments, le testament du 29 juillet 2009 révoquant les précédents testaments.

Ils précisent que M. [P] [D] n’a jamais présenté de demande indemnitaire à la succession de M. [O] [D], pâtissier de profession, décédé en 1994 et que sa demande est irrecevable comme étant prescrite.

Ils ajoutent que la qualité d’aide familiale ne peut être retenue que pour l’activité agricole et non pour les enfants de commerçants ou d’artisans et que M. [P] [D] a bénéficié d’avantages pécuniaires de la part de ses parents en reprenant le fonds de commerce pour une somme très minorée au regard de l’importance de la pâtisserie et qu’il a pu réaliser une économie substantielle par un loyer jamais réindexé ou réévalué sur une très longue période.

Concernant les travaux réalisés dans l’immeuble d'[Localité 10], les consorts [D] soutiennent que la créance sollicitée par M. [P] [D] n’est pas établie par un écrit et qu’elle doit être déclarée prescrite. Ils précisent que la domiciliation de Mme [D] dans l’immeuble explique la réalisation de travaux d’entretien ou d’embellissement pour laquelle elle n’avait jamais sollicité son fils.

Enfin, ils précisent que l’indemnité de réduction équivalente à la portion excessive de la libéralité réductible déterminée au jour du décès se calculera d’après la valeur du bien donné au jour du partage et son état au jour où la libéralité a pris effet et que s’ils n’ont cause d’opposition à la nomination d’un expert immobilier, ils acceptent que le notaire accomplisse la mission fixée par les termes du jugement entrepris.

Pour l’exposé des moyens des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur l’ouverture des opérations de partage judiciaire, la désignation du notaire et l’action en réduction formée par M. [P] [D]

La cour relève que les dispositions du jugement entrepris relatives à l’ouverture des opérations de partage judiciaire de la succession de M. [O] [D], de la succession de Mme [E] [KL] veuve [D] et de la communauté de biens ayant existé entre M. [O] [KL] et Mme [E] [KL] veuve [D] conformément aux termes de leur contrat de mariage reçu par Maître [T] [H] le 21 juillet 1948, celles relatives à la désignation de Maître [N] [W], notaire à [Localité 12], pour y procéder, ainsi que les dispositions relatives à l’action en réduction formée par M. [P] [D] ne font l’objet d’aucune contestation de sorte qu’il y a lieu de les confirmer.

Sur la donation rémunératoire et la créance sollicitée par M. [P] [D] au titre de son activité d’aide familiale

Aux termes des dispositions de l’article 893 du code civil, la libéralité est l’acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne.

Il ne peut être fait de libéralité que par donation entre vifs ou par testament.

Il résulte des dispositions de l’article 1035 du même code que les testaments ne pourront être révoqués, en tout ou partie, que par un testament postérieur, ou par un acte devant notaires portant déclaration du changement de volonté.

Enfin, l’article 1036 du code civil dispose que les testaments postérieurs qui ne révoqueront pas d’une manière expresse les précédents, n’annuleront, dans ceux-ci, que celles des dispositions y contenues qui se trouveront incompatibles avec les nouvelles, ou qui seront contraires.

A titre principal, M. [P] [D] sollicite le bénéfice d’une libéralité rémunératoire qui lui a été accordée au titre de sa participation à l’activité commerciale de ses parents entre le 1er octobre 1969 et le 31 mai 1972 conformément à l’acte rédigé par Mme [E] [KL] le 27 août 2008 et portant sur le montant de la quotité disponible de la succession à déterminer dans le cadre des opérations de partage.

Il fonde sa demande sur le testament établi par Mme [E] [KL] veuve [D] le 27 août 2008 aux termes duquel elle indique : ‘ Je soussignée Mme [KL] [I] [E] épouse de M. [O] [D] décédé demeurant [Adresse 3] décide d’abandonner la quotité disponible qui me revient sur la valeur du studio situé à [Adresse 16] au profit de mon fils [P] [D] pour la raison suivante :

[P] a reçu le décompte pour l’évaluation de sa retraite il lui manque les trimestres de quatre années période pendant laquelle il a été employé comme ‘aide familial’ sans que je paie les charges suite au conseil de mon expert comptable. Aujourd’hui, je m’aperçois que j’ai fait une erreur qu’il va falloir chiffrer ce qui explique la décision’.

Il n’est pas contesté que par un testament olographe établi par Mme [KL] le 10 août 2019, elle a indiqué ‘révoquer toutes dispositions antérieures pour cause de décès. Je demande à mes enfants de partager par moitié les liquidités qui composeront ma succession sans qu’il n’y ait de comptes à faire entre eux pour quelque cause que ce soit. Fait à [Localité 10] le 10 août 2009″.

Si M. [P] [D] soutient que les deux testaments successifs ne sont pas incompatibles mais complémentaires, le premier juge a exactement relevé que le dernier testament révoque l’ensemble des dispositions testamentaires prises par Mme [KL] antérieurement, sans distinction, alors même que les dispositions du premier testament aux termes desquelles Mme [KL] veuve [D] abandonne la quotité disponible qui lui revient sur la valeur du studio situé à [Localité 15], faisant état d’une ‘erreur qu’il va falloir chiffrer’ quant à l’absence de déclaration de l’activité de M. [P] [D] sont incompatibles avec les dispositions du dernier testament qui disposent que les liquidités seront partagées par moitié entre ses enfants ‘sans qu’il n’y ait de compte à faire entre eux pour quelque cause que ce soit’.

Dès lors, il y a lieu de rejeter la demande de M. [P] [D] sur ce fondement.

A titre subsidiaire, l’appelant sollicite la reconnaissance d’une créance à son profit d’un montant de 69 962,34 euros sur le fondement de l’enrichissement sans cause au titre de sa participation à l’exploitation commerciale familiale.

C’est à juste titre que le premier juge a relevé que s’il n’existe pas de dispositions légales permettant à l’aidant familial du secteur des métiers de commerce et d’artisanat de faire valoir sa contribution à la participation à l’entreprise familiale dans le cadre d’une demande de créance de salaire différé, tout héritier peut obtenir l’indemnisation de son travail en justifiant d’une participation effective et durable à l’exploitation de l’entreprise commerciale familiale sur le fondement de l’enrichissement sans cause.

Aux termes des dispositions de l’article 2222 du code civil, la loi qui allonge la durée d’une prescription ou d’un délai de forclusion est sans effet sur la prescription ou une forclusion déjà acquise. Elle s’applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n’était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.

En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

L’article 2224 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Alors que la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 a réduit le délai de prescription de droit commun de trente ans à cinq ans en matière mobilière, il résulte des dispositions de l’article 2222 du code civil susvisées que ce nouveau délai de prescription quinquennal court à compter du 19 juin 2008, date de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale ne puisse excéder la durée antérieure de sorte que le délai de prescription expirait le 19 juin 2013.

En cause d’appel, M. [P] [D] fait valoir que son action n’est pas prescrite, Mme [E] [KL] étant impliquée dans l’activité commerciale en qualité de gérant de fait ou, à tout le moins, de co-exploitante, le fonds de commerce constituant par ailleurs un bien commun de M. et Mme [O] [D].

Ainsi, Mme [KL] ne peut se voir reconnaître cette qualité que si la preuve d’une co-exploitation effective est rapportée, notamment en démontrant qu’elle a participé effectivement et régulièrement à la direction de l’exploitation sans que sa participation se limite à de simples tâches d’exécution.

Au soutien de sa demande, M. [P] [D] produit aux débats :

– deux lettres de change en date des 6 et 23 novembre 1973 signées par Mme [KL], la signature de ces lettres constituant des actes de commerce au sens de l’article L.110-1 du code de commerce,

– plusieurs bulletins de paie signés par Mme [KL],

– un bon de commande de matériel signé par Mme [KL],

– plusieurs contrats d’apprentissage signés par Mme [D],

– un courrier de M. [M] [F] précisant que Mme [KL] s’est ‘toujours comportée en maître conjoint de l’affaire et assurait en pratique la direction de l’exploitation’ ainsi qu’une attestation établie par M. [V] [J] faisant état de ce que ‘Mme [D] [E] était considérée comme dirigeant de l’entreprise et il fallait obligatoirement passer par elle pour avoir son accord pour toutes les questions relatives au bon fonctionnement de l’entreprise: congés payés, fiches de paie, arrêt maladie, règlement des salaires, changement d’horaires, médecine du travail … son époux M. [D] [O] ne s’occupant que de la fabrication et l’élaboration des glaces, gâteaux, moulages des chocolats secondé par son fils M. [D] [P]’.

Ainsi, il résulte de ces éléments que la participation de Mme [KL] à l’activité de l’entreprise ne relevait pas de simples tâches d’exécution mais à l’exercice de responsabilités de nature à lui conférer la qualité de co-exploitante, avec notamment la réalisation d’actes de commerce et d’actes de gestion.

Dès lors, la demande de M. [P] [D] doit être déclarée recevable, celui-ci rapportant la preuve d’une co-exploitation du fonds de commerce par Mme [KL], le jugement entrepris étant infirmé sur ce point.

L’article 1303 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose qu’en dehors des cas de gestion d’affaires et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement.

Il résulte des dispositions de l’article 1303-1 du même code que l’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni de l’accomplissement d’une obligation par l’appauvri ni de son intention libérale.

Au soutien de sa demande, M. [P] [D] produit aux débats :

– une attestation d’aide familiale établie par la RSI aux termes de laquelle M. [P] [D] a participé de façon habituelle à l’exercice d’une activité artisanale exercée par M. [O] [D] pour la période comprise du 1er octobre 1969 au 31 mai 1972,

– des attestations établies par Mme [C] et M. [S] faisant état de la participation effective et habituelle de M. [P] [D] à l’activité artisanale de M. [O] [D],

– une attestation établie par M. [G] [R] indiquant que les parents de M. [P] [D] ne lui ont ‘pas permis de suivre des cours dans un établissement réputé internationalement’,

– une attestation établie par Mme [C] indiquant que Mme [KL] s’était opposée à l’embauche de son fils par son époux, boulanger-pâtissier.

Si M. [P] [D] justifie de sa participation directe et effective à l’activité artisanale de son père, M. [O] [D], artisan pâtissier, force est constater que les seuls éléments produits aux débats sont insuffisants à justifier de la réalité de l’absence de rémunération versée en contrepartie de sa participation et de l’appauvrissement de M. [P] [D] alors que ce dernier ne conteste pas avoir effectué son apprentissage au sein de l’entreprise familiale.

Dès lors, il y a lieu de débouter M. [P] [D] de sa demande à ce titre.

Sur la demande relative aux travaux réalisés dans l’immeuble situé [Adresse 3]

M. [P] [D] soutient que M. [B] [D] a bénéficié d’une donation d’un montant de 16 000 euros au titre des travaux réalisés dans l’immeuble sis [Adresse 3] dont il était nu-propriétaire et que cette somme doit être rapportée à la succession.

Il fonde sa demande sur un acte établi par Mme [E] [KL] veuve [D] le 29 octobre 2008 aux termes duquel il est indiqué: ‘Je veux léguer à mon fils [P], une somme de 16 000 euros, montant approximatif des frais que j’ai engagés dans la maison destinée à son frère [B] située [Adresse 3], sans qu’il y ait de contrepartie’.

C’est par des motifs pertinents, que la cour adopte, que le premier juge a relevé qu’alors que cette disposition de dernière volonté a, à l’instar de celle du 27 août 2008, été annulée par le testament révocatoire de toute disposition antérieure en date du 29 juillet 2009, M. [P] [D], à qui incombe la charge de la preuve d’un dépouillement irrévocable du disposant et d’une intention libérale, ne rapporte pas la preuve de l’existence de la donation alléguée en l’absence de précisions tant sur la nature que sur l’objet des travaux réalisés alors que M. et Mme [D] ont conservé l’usufruit de l’immeuble.

En outre, il n’est pas contesté que Mme [KL] veuve [D] a occupé personnellement l’immeuble concerné jusqu’à son décès et a pu valablement, en sa qualité d’usufruitière, procéder à la réalisation de travaux d’entretien de cet immeuble.

Dès lors, il y a lieu de rejeter la demande de M. [P] [D], le jugement entrepris étant confirmé sur ce point.

Sur les autres demandes

M. [P] [D], partie perdante, sera condamné à supporter les dépens d’appel dont distraction au profit de la SCP Processuel en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Il n’apparaît pas inéquitable de le condamner à verser aux consorts [D] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.

M. [P] [D] sera en outre débouté de sa demande d’indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a déclaré prescrite la demande présentée par M. [P] [D] tendant à voir fixer dans la succession de M. [O] [D] une créance d’un montant de 69 962,34 euros sur le fondement de l’enrichissement sans cause au titre de sa participation à l’exploitation commerciale familiale ;

Statuant à nouveau sur ce point,

Déclare recevable la demande présentée par M. [P] [D] tendant à voir fixer dans la succession de M. [O] [D] une créance d’un montant de 69 962,34 euros sur le fondement de l’enrichissement sans cause au titre de sa participation à l’exploitation commerciale familiale;

Déboute M. [P] [D] de sa demande tendant à voir fixer dans la succession de M. [O] [D] une créance d’un montant de 69 962,34 euros sur le fondement de l’enrichissement sans cause au titre de sa participation à l’exploitation commerciale familiale ;

Confirme les autres dispositions du jugement entrepris ;

Y ajoutant,

Condamne M. [P] [D] aux dépens d’appel dont distraction au profit de la SCP Processuel ;

Condamne M. [P] [D] à payer à Mme [L] [D], M. [U] [D] et Mme [K] [OR] veuve [D], intervenant en qualité d’héritiers de M. [B] [D], la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;

Déboute M. [P] [D] de sa demande d’indemnité de procédure.

Le greffier,Pour la présidente,

Delphine Verhaeghe.Céline Miller.

 


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