Droits des Artisans : 27 septembre 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 19/03987

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Droits des Artisans : 27 septembre 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 19/03987

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 19/03987 – N° Portalis DBVH-V-B7D-HQUB

CRL/EB

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AUBENAS

30 septembre 2019

RG :18/00139

[E]

[V]

G.A.E.C. GAEC DE [Localité 6]

C/

[L]

Grosse délivrée

le

à

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 27 SEPTEMBRE 2022

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AUBENAS en date du 30 Septembre 2019, N°18/00139

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l’audience publique du 05 Juillet 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 27 Septembre 2022.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

APPELANTS :

Monsieur [M] [V] Pris en sa qualité de liquidateur amiable du GAEC DE [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Jean-michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représenté par Me Marcel SCHOTT de la SELARL OGMA, Plaidant, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE

Monsieur [H] [V] Pris en sa qualité de liquidateur amiable du GAEC DE [Localité 6]

[Adresse 5]

[Localité 9]

Représenté par Me Jean-michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représenté par Me Marcel SCHOTT de la SELARL OGMA, Plaidant, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE

GAEC GAEC DE [Localité 6] Prise en la personne de ses deux liquidateurs amiables Monsieur [M] [V] et Monsieur [H] [V]

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Marcel SCHOTT de la SELARL OGMA, Plaidant, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE

INTIMÉ :

Monsieur [B] [W]

né le 11 Février 1987 à [Localité 9]

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représenté par Me Céline QUOIREZ de la SELARL CELINE QUOIREZ, avocat au barreau de NIMES

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 21 Juin 2022

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 27 Septembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [B] [W] a été engagé par le GAEC de [Localité 6], exploité par [M] et [H] [V], à compter du 14 mai 2015 suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel en qualité d’ouvrier agricole niveau II échelon II de la convention collective des exploitations agricoles. Ses horaires de travail ont été fixés aux mercredis de 13h30 à 17h30, jeudis et vendredis de 8h à 12h et 13h30 à 17h00, avec une possibilité de 6 heures complémentaires par semaine.

Parallèlement, M. [B] [W] était également salarié en qualité de chauffeur agricole par la S.A.R.L. James [V].

Le 22 juillet 2016, M. [B] [W] a été placé en arrêt de travail suite à une altercation avec M. [M] [V], laquelle a été prise en charge par la Mutualité sociale agricole au titre de la législation relative aux risques professionnels.

Suite à la visite de reprise en date du 17 octobre 2016, M. [B] [W] était déclaré inapte à son poste en une seule visite par le Dr [D] qui indiquait ‘ tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé’. Par courrier en date du 3 novembre 2016, le médecin informait le GAEC de [Localité 6] qu’elle avait « constaté que l’altercation du 22 juillet 2016 avait eu des conséquences notables sur la santé de M. [W], et que la reprise du travail à son poste lui semblait préjudiciable à la santé du salarié ».

Par courrier en date du 30 novembre 2016, le GAEC de [Localité 6] convoquait M. [B] [W] pour un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 7 décembre 2016, auquel le salarié se présentait.

Le 10 décembre 2016, le GAEC de [Localité 6] licenciait M. [B] [W] pour inaptitude.

Par requête en date du 25 octobre 2018, M. [B] [W] saisissait le conseil de prud’hommes d’Aubenas aux fins de voir juger que son licenciement est la conséquence directe du harcèlement moral dont il a été victime de la part de son employeur.

Par jugement en date du 30 septembre 2019, le conseil de prud’hommes d’Aubenas a :

– dit et jugé que les faits invoqués par M. [W] à l’encontre de son employeur ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral,

– dit et jugé que le licenciement ne peut être la conséquence du harcèlement invoqué et que reposant sur une cause réelle et sérieuse, il ne peut être frappé de nullité, l’employeur ayant respecté ses obligations,

– rejeté la demande de M. [W] pour ses demandes tendant à la nullité de son licenciement,

– ordonné au GAEC de la Crois à verser à M. [W] les sommes suivantes :

* 12 307,48 euros correspondant aux heures complémentaires dues par l’employeur

* 1230,74 euros correspondant aux congés payés afférents et

– fixé les sommes énoncées soit 13 538,22 euros (12 307,48 + 1230,74) au passif de la liquidation amiable,

– débouté M. [W] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé

– condamné le GAEC de [Localité 6] à verser à M. [W] la somme de 1300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

– laissé les dépens à la charge du GAEC de [Localité 6]

– dit qu’il n’y a pas lieu à l’exécution provisoire,

– débouté le GAEC de [Localité 6] de sa demande basée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par acte du 16 octobre 2019, le GAEC de [Localité 6] représenté par ses deux liquidateurs amiables, et lesdits liquidateurs, MM. [M] et [H] [V] ont régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance en date du 12 mai 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 21 juin 2022. L’affaire a été fixée à l’audience du 05 juillet 2022.

Aux termes de leurs dernières conclusions intitulés ‘conclusions d’appel ‘ en date du 16 décembre 2019, M. [M] et M. [H] [V] en leur qualité de liquidateurs amiables du GAEC de [Localité 6] demandent à la cour de :

– dire mal jugé et réformant,

– débouter M. [B] [W] de ses demandes en paiement d’heures complémentaires et en congés payés afférents aux dites heures,

– débouter M. [B] [W] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– le condamner à leur payer et porter la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Ils soutiennent que :

– M. [W] ne rapporte pas la preuve qu’il aurait effectué des heures supplémentaires suite à leurs demandes, qu’il ne s’est jamais plaint d’heures complémentaires qui ne lui auraient pas été réglées ou qui lui auraient été imposées, le décompte qu’il produit semble établi par le contrôleur du travail et non pas quotidiennement par le salarié, qu’il ne s’est jamais plaint à réception de ses bulletins de salaire,

– l’inspecteur du travail n’a personnellement constaté aucune heure complémentaire et leur prête, ainsi qu’à M. [I] [T] des propos qu’ils n’ont pas tenus, que l’inspecteur leur reproche des manquements à l’article R 713-36 du code rural et de la pêche maritime alors qu’ils n’ont qu’un seul salarié,

– M. [B] [W] a demandé à son autre employeur, la S.A.R.L. Jammes [V] le même paiement d’heures complémentaires et en a été débouté,

– en cas de dépassement de ses horaires de travail, M. [B] [W] a pu les rattraper sur d’autres périodes comme le prévoit la convention collective,

– le procès verbal de renseignement établi par les gendarmes le 26 juillet 2016 démontre que M. [W] n’a jamais été victime de harcèlement moral, et qu’il estimait qu’il lui était dû 2.500 euros au titre d’heures complémentaires, et non pas 12.000 euros comme il le réclame désormais,

– leur lettre en réponse au courrier du conseil de M. [W] ne vaut pas reconnaissance de la réclamation des heures complémentaires,

– travaillant également pour un autre employeur, M. [B] [W] ne pouvait matériellement pas effectuer les heures dont il réclame le paiement,

– c’est seulement pour des motifs familiaux personnels que M. [W] a décidé qu’il ne viendrait plus travailler.

En l’état de ses dernières écritures intitulées ‘ conclusions d’intimé devant la 5ème chambre sociale ph de la cour d’appel de Nîmes ‘ en date du 12 mars 2020, M. [B] [W] demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé au passif de la liquidation amiable du GAEC de [Localité 6] la somme de 12.307,48 euros au titre des heures complémentaires réalisées entre 2014 et 2016 outre 1.230,74 euros au titre des congés payés afférents,

– infirmer le jugement déféré pour le surplus,

– dire constituée la situation de harcèlement moral décrite,

– en conséquence, lui allouer la somme de 8000 euros en réparation de son préjudice moral,

– dire nul le licenciement pour inaptitude qui lui a été notifié par le GAEC de [Localité 6],

– en conséquence, lui allouer les sommes de :

* 10 000 euros en réparation de son préjudice ( sic),

* 3 330 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 333 euros de congés payés afférents,

– dire que ces sommes seront fixées au passif de la liquidation amiable du GAEC de [Localité 6],

– fixer au passif de la liquidation amiable du GAEC de [Localité 6] la somme de 9 990 euros au titre du travail dissimulé,

– lui allouer la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.

Il fait valoir que :

– il est reconnu comme travailleur handicapé en raison d’un grave déficit auditif,

– il a subi du harcèlement moral de la part de son employeur, qu’il a réalisé un nombre d’heures significatif incompatibles avec son état de santé pour lesquelles il n’a pas été payé, subi quotidiennement des pressions morales, des remarques humiliantes, et le 22 juillet 2016 une agression physique de la part de [H] et [M] [V],

– il a subi des menaces de licenciement s’il s’obstinait à demander le paiement de ses heures de travail effectives,

– les éléments médicaux qu’il produit démontrent l’impact de ces faits sur sa santé,

– son licenciement s’inscrit dans un contexte de harcèlement moral de sorte qu’il est nul,

– le GAEC de [Localité 6] n’apporte aucun élément permettant de contester les décomptes d’heures complémentaires qu’il verse au débat, et les attestations produites sont inopérantes à remettre en cause les faits décrits,

-l’élément intentionnel du travail dissimulé est caractérisé contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, car ses employeurs avaient parfaitement conscience de l’importance du nombre d’heures qu’il réalisait et volontairement n’ont porté aucune mention d’heure complémentaires sur ses bulletins de paie.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues à l’audience.

MOTIFS

* Demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

– heures complémentaires et supplémentaires

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Au soutien de sa demande de paiement de :

– 63 heures complémentaires majorées à 10% et 92,5 heures majorées à 25% pour l’année 2014,

– 90 heures complémentaires majorées à 10% et 270,5 heures majorées à 25% pour l’année 2015,

– 47 heures complémentaires majorées à 10% et 156 heures majorées à 25% pour l’année 2016,

pour un montant total de 12.307,48 euros outre les congés payés y afférents pour 1.230,74 euros, M. [B] [W] produit :

– ses fiches de salaires qui ne mentionnent aucune heure complémentaire ou supplémentaire,

– une attestation manuscrite de M. [C] [Z], qui se présente comme ancien salarié du GAEC de [Localité 6], décrit ses conditions de travail et dénonce le fait d’avoir effectué de nombreuses heures supplémentaires qui ne lui ont pas été payées et qu’il n’a jamais pu récupérer malgré les engagements qui avaient été pris par son employeur, il précise notamment que le fait d’aborder le sujet de la rémunération du temps de travail rendait les frères [V] agressifs, et générait des remarques désobligeantes telles que ‘ tu n’es pas vaillant’, ‘ les jeunes d’aujourd’hui ne savent pas ce que c’est le travail’, laquelle n’apporte aucun élément concernant la situation de l’appelant au regard des heures supplémentaires,

– une attestation de M.[Y] [A], qui se présente comme charpentier et indique qu’il a vu lors d’un retour d’un chantier M. [B] [W] faire de l’écobuage dans une parcelle en bord de route à 19h30,

– une attestation manuscrite de M. [N] [U], qui se présente comme artisan et indique avoir vu en rentrant d’un dépannage M. [B] [W] avec une ‘énorme charrée de foin le samedi 18.07.15 à environ 13h30″, le décompte produit par M. [B] [W] mentionnant des heures effectuées à cette date,

– une attestation manuscrite de Mme [R] [G], qui se présente comme fleuriste et indique avoir croisé régulièrement M. [B] [W] en train de travailler ‘ les matins aux environs de 7h30 et les soirs après 19h30″,

– un courrier adressé au GAEC de [Localité 6] en date du 22 juillet 2016, par lequel il demande notamment le paiement de ses heures supplémentaires depuis 2014, développant les heures effectuées sur 2016, accompagné de tableaux récapitulatifs reprenant les heures de travail contractuelles, les périodes de congés conformes aux bulletins de salaires produits, les périodes d’arrêt de travail, ainsi qu’un décompte manuscrit des sommes dues,

– un courrier reçu du contrôleur du travail de l’Ardèche en date du 4 octobre 2016 qui indique : ‘ j’ai adressé ce jour un courrier à vos employeurs, messieurs [M] et [H] [V], dans lequel je leur demande de régulariser le paiement de vos heures complémentaires réalisées depuis 3 ans, pour cela je leur ai adressé les tableaux récapitulatifs de vos heures. J’ai effectué une visite de leur exploitation et j’ai constaté qu’ils ne tenaient pas de document de décompte de la journée de travail. Ils m’ont confirmé que vous effectuiez plus d’heures que celles qui étaient prévues à votre contrat. Ils pensaient que le fait de vous verser un salaire supérieur aux minima conventionnels ( 14,172 euros de l’heure ) compensait l’accomplissement de votre part d’heures complémentaires non rémunérées. Ils m’ont aussi déclaré qu’ils travaillaient avec vous en confiance, pensant que vous aimiez votre travail, ce pourquoi, vous ne rechigniez pas à faire plus d’heures que prévu. Monsieur [I] [T], en visite chez eux, a confirmé avoir régulièrement travaillé, dans le cadre de l’entraide agricole, avec vous les samedis et la nuit.’

Pour remettre en cause ces éléments, le GAEC de [Localité 6] conteste avoir sollicité de son salarié, qui n’en a jamais demandé le paiement, l’exécution d’heures de travail complémentaires ou supplémentaires, et observe que le contrôleur du travail, dont il remet en cause les propos qui lui sont attribués, n’a pas établi de procès-verbal de constat. Il verse aux débats une attestation de M. [I] [T] qui considère que les heures de travail de M. [B] [W] étaient ‘approximativement’ respectées, et qu’il avait dit lors de la visite de l’inspectrice qu’en agriculture on travaille ‘ le samedi, le dimanche et parfois la nuit’ mais que M. [B] [W] n’a ‘pas effectué de travail en dehors de ses heures’, et que si en été il ‘finissait le travail en cours’, ‘il était largement compensé en hiver’ sans qu’il ne soit possible de savoir dans quelle mesure ce témoin qui n’est pas collègue de travail de M. [B] [W] serait en capacité d’attester aussi précisément sur la situation de travail de l’appelant.

Les autres attestations produites par le GAEC de [Localité 6], émanant de deux membres de la famille de M. [B] [W], oncle et cousin, et de professionnels du monde agricole, qui décrivent en terme très généraux un bon climat de travail entre les frères [V] et leur salarié sont sans incidence sur la remise en cause des demandes présentées au titre des heures complémentaires ou supplémentaires

Force est de constater que les contestations émises par le GAEC de [Localité 6] sont contraires aux propos rapportés par le contrôleur du travail, qui reprend les explications qui lui ont été données par l’employeur quant à la réalité des heures travaillées non rémunérées.

Si l’absence de contestation de ce décompte d’heures par le GAEC de [Localité 6] dans le courrier adressé en réponse à la demande de leur paiement par le conseil de M. [B] [W] ne saurait constituer à elle seule une reconnaissance de cette dette envers le salarié ; il n’en demeure pas moins que ce courrier indique ‘ afin de donner une suite favorable à cette demande, je vous informe qu’il faut que je vérifie de mon côté les heures travaillées par M. [B] [W] et que je vais confier ce travail à un de vos confrères’. Une telle réponse constitue, contrairement à ce que soutient le GAEC de [Localité 6], une reconnaissance du principe de l’existence d’heures complémentaires ou supplémentaires, laquelle confirme les propos tenus au contrôleur du travail.

Par ailleurs, le GAEC de [Localité 6] n’apporte au soutien de sa contestation aucun élément objectif probant qui permettrait de remettre en cause le décompte produit par M. [B] [W].

Le fait que le volume d’heures non rémunérées invoqué lors de l’établissement d’une main courante auprès des services de gendarmerie suite à l’agression de juillet 2017 est sans incidence sur la demande présentée au titre des heures complémentaires et supplémentaires, dès lors que l’objet de cette démarche était l’agression et non la dénonciation de travail dissimulé.

En conséquence, c’est à juste titre que les premiers juges ont considéré que M. [B] [W] devait obtenir le paiement des heures de travail qu’il dit avoir effectuées et pour lesquelles il n’a pas été rémunéré, ainsi que les congés payés y afférents et leur décision sera confirmée sur ce point.

– harcèlement moral

Aux termes de l’article L. 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l’article L. 1154-1 du Code du travail, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du Code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

Au soutien de sa demande, M. [B] [W] invoque le fait d’avoir dû effectuer un volume important d’heures de travail supplémentaires pour lesquelles il n’a pas été rémunéré, d’avoir travaillé selon des amplitudes horaires incompatibles avec l’obligation de santé à laquelle l’employeur était tenu, d’avoir été menacé de licenciement s’il n’effectuait pas les heures qui lui étaient demandées et d’avoir fait l’objet de propos humiliants.

Il verse aux débats, outre les pièces relatives aux heures complémentaires et supplémentaires précédemment évoquées, les éléments suivants :

– le courrier du 22 juillet 2016 adressé à le GAEC de [Localité 6] dans lequel il dénonce outre les faits de violence qualifiés d’accident de travail, et les heures non rémunérées, le fait de subir ‘ quotidiennement des pressions morales, des remarques désobligeantes’, précisant ‘ nous sommes constamment en désaccord concernant mon temps de travail que vous jugez trop faible. Nos conversations à ce sujet restent à chaque fois une épreuve pour moi, tellement ce la vous dérange et vous mets en colère, et vous me le faites payer les semaines et mois qui suivent par des pressions morales quotidiennes et des remarques déplacées à longueur de journée. Quelques exemples de réponses que vous m’apportez à ce sujet ‘ tu ne vois pas qu’on est surchargé de travail’! »’ ou ‘Y’en a plein qui voudraient travailler les dimanches et toi tu ne veux pas  » » ou après +60h ( non payé) dans ma semaine en période estivale du lundi au samedi, je refus de travailler le dimanche et vous me dites ‘ Vas te la couler douce, si tu ne viens pas dimanche… Lundi tu as INTERET d’être en forme… sur un ton de menace’ ou encore ‘ tu connais bien le travail, et tu vois bien tout ce qu’il y a à faire’ (…) ‘ donne ta lettre de démission’ et j’en passe …’,

– le courrier en réponse de le GAEC de [Localité 6] qui n’apporte pas de réponse sur ces accusations,

– un certificat médical établi le 22 juillet 2016 par un interne, M. [F], sous couvert du Dr [K] lequel indique avoir reçu en consultation M. [B] [W] ‘ qui me dit avoir été victime ce jour sur son lieu de travail d’une agression verbale ( reproches multiples ‘ si tu ne me connais pas, tu vas apprendre à me connaitre’) et physique ( ‘il m’a plaqué sur mon siège de la chrageuse par le cou’). Ce jour mon examen retrouve un traumatisme psychologique, l’absence de lésion au niveau de l’ensemble du corps.’,

– un certificat médical établi le 3 juillet 2017 par le Dr [K] qui rappelle l’examen du 22 juillet 2016 et précise ‘ j’atteste qu’au cours de cette année, M. [B] [W] a été très perturbé psychologiquement et le demeure encore aujourd’hui, suite à ces faits, avec une anxiété récurrente, troubles du sommeil’.

Ces éléments pris dans leur ensemble établissent une présomption de harcèlement moral.

En complément des arguments développés au titre de la contestation des heures non rémunérées et des pièces s’y rapportant, l’employeur rétorque que lorsqu’il s’est présenté à la gendarmerie en juillet 2016, M. [B] [W] n’a jamais dénoncé de faits de harcèlement moral.

Si les éléments produits ne suffisent pas à établir la réalité des propos humiliants dénoncés par M. [B] [W], il n’en demeure pas moins que le fait d’avoir fait exécuter à son salarié plus de 700 heures de travail non rémunérées en trois années et le fait de l’avoir agressé a minima verbalement dans le cadre de son travail, agression reconnue comme étant constitutive d’un accident du travail ayant généré un taux d’incapacité permanente partielle de 4%, constituent des agissements répétés qui ont entraîné une dégradation de l’état de santé du dit salarié et sont donc constitutifs de harcèlement moral.

En conséquence, la décision déférée sera infirmée sur ce point.

Les éléments médicaux produits démontrent la persistance de trouble une année après la rupture du contrat de travail et justifient l’octroi de dommages et intérêts pour un montant de 4.000 euros.

– travail dissimulé

La dissimulation d’emploi salarié prévue par le dernier alinéa de l’article L. 8221-5 du Code du travail n’est caractérisée que si l’employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué.

Pour allouer au salarié cette indemnité pour travail dissimulé, les juges du fond doivent rechercher le caractère intentionnel de la dissimulation. Mais ce caractère intentionnel ne peut résulter du seul défaut de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie. L’élément moral de l’infraction peut résulter de ce que l’employeur n’a pu ignorer l’amplitude du travail des salariés en raison des moyens de contrôle du temps de travail existant dans l’entreprise.

Il n’est pas contesté qu’aucun moyen de contrôle du temps de travail n’existait au sein de le GAEC de [Localité 6].

Les explications données par le GAEC de [Localité 6] au contrôleur du travail concernant la non rémunération des heures complémentaires et supplémentaires, bien que particulièrement naïve, démontre l’absence de caractère intentionnel de la dissimulation.

En conséquence, c’est à juste titre que les premiers juges ont débouté M. [B] [W] de la demande présentée de ce chef et leur décision sera confirmée sur ce point.

* Demandes relatives à la rupture du contrat de travail.

M. [B] [W] a été licencié pour inaptitude le 10 décembre 2016 dans les terme suivants :

‘ Monsieur,

Vous avez été reconnu victime le 22/07/2016 d’un accident du travail. A l’issue de l’arrêt de travail qui s’en est suivi, vous avez rencontré le 10/11/2016, le médecin du travail, Madame [D] [S]. Ce dernier vous a déclaré inapte et a précisé que votre maintient dans le GAEC serait gravement préjudiciable à votre état de santé.

Comme nous vous en avions informé lors de votre entretien du 7 décembre 2016, des échanges téléphoniques et un échange de courrier avec le médecin du travail a confirmé que votre maintien dans le GAEC serait gravement préjudiciable à votre santé.

C’est pourquoi nous sommes dans la nécessité de vous licencier pour inaptitude en raison de l’avis du médecin du travail précisant que le maintien dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à votre état de santé.

Nous vous précisons que votre contrat prend fin à la date d’envoi de cette lettre, soit le 10 décembre 2016.

De ce fait, vous n’effectuerez pas de préavis mais vous percevrez une indemnité compensatrice d’un montant égal à l’indemnité compensatrice de préavis de droit commun ainsi que l’indemnité spéciale de licenciement.

Vos indemnités et les sommes restant dues vous seront adresséespar courrier ainsi que les documents obligatoires ( certificat de travail, solde de tout compte, attestation Pôle emploi).

Veuillez agréer, monsieur, l’expression de notre considération distinguée’.

– sur la nullité du licenciement

Par application des dispositions de l’article L 1152-3 du code du travail toute rupture du contrat de travail qui résulte d’un harcèlement moral est nulle de plein droit.

En conséquence de la caractérisation de faits de harcèlement moral commis par le GAEC de [Localité 6] au préjudice de M. [B] [W], le licenciement pour inaptitude prononcé à son encontre le 10 décembre 2016 est entaché de nullité.

La décision déférée sera infirmée sur ce point.

– sur les demandes indemnitaires subséquentes

Le salarié dont le licenciement est nul, et qui ne demande pas sa réintégration, a droit, en toute hypothèse, outre les indemnités de rupture, à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaires.

Il ressort des fiches de paie produites par les parties que M. [B] [W] bénéficiait d’un salaire mensuel brut de 1.166,82 euros soit un salaire net de 873,77 euros.

Il sera en conséquence justement indemnisé du préjudice résultant de la nullité de son licenciement par une somme de 6.000 euros.

S’agissant de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents, M. [B] [W] ne produit ses bulletins de salaire que jusqu’en août 2017 et ne démontre pas que son employeur ne lui aurait pas versé, comme mentionné dans la lettre de licenciement, l’indemnité compensatrice égale au montant de l’indemnité compensatrice de préavis. M. [B] [W] sera en conséquence débouté de la demande présentée de ce chef.

L’article 49 de la convention collective de travail concernant les exploitations agricoles, les entreprises de travaux agricoles et les coopératives d’utilisation de matériel agricole de l’Ardèche du 20 décembre 1983, applicable au contrat de travail de M. [B] [W], fixe à 2 mois la durée du préavis pour les salariés licenciés avec plus de deux ans d’ancienneté. En conséquence, les congés payés afférents à l’indemnité compensatrice de préavis auxquels peut prétendre M. [B] [W] sont de 174,74 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

Confirme le jugement rendu le 30 septembre 2019 par le conseil de prud’hommes d’Aubenas en ce qu’il a :

– ordonné au GAEC de [Localité 6] à verser à M. [W] les sommes suivantes :

* 12 307,48 euros correspondant aux heures complémentaires dues par l’employeur

* 1230,74 euros correspondant aux congés payés afférents et

– fixé les sommes énoncées soit 13 538,22 euros (12 307,48 + 1230,74) au passif de la liquidation amiable,

– débouté M. [W] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé

– condamné le GAEC de [Localité 6] à verser à M. [W] la somme de 1300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

– laissé les dépens à la charge du GAEC de [Localité 6]

– débouté le GAEC de [Localité 6] de sa demande basée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau sur les éléments infirmés,

Dit que M. [B] [W] a été victime de harcèlement moral de la part de le GAEC de [Localité 6],

Constate que le licenciement de M. [B] [W] notifié par le GAEC de [Localité 6] par courrier en date du 10 décembre 2016 est entaché de nullité en raison de ces faits de harcèlement moral,

Fixe les indemnisations de M. [B] [W] aux sommes suivantes :

– 4.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant du harcèlement moral,

– 6.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant de la nullité du licenciement,

– 174,74 euros au titre des congés payés afférents à l’indemnité compensatrice de préavis,

– 1.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que ces sommes seront inscrites au passif de la liquidation amiable du GAEC de [Localité 6],

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Condamne M. [M] [V] et M. [H] [V] en leur qualité de liquidateurs amiables du GAEC de [Localité 6] aux dépens de la procédure d’appel.

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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