Droits des Artisans : 26 mai 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/00047

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Droits des Artisans : 26 mai 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/00047

2ème Chambre

ARRÊT N° 276

N° RG 22/00047 – N° Portalis DBVL-V-B7G-SLES

(3)

M. [W] [I]

C/

CRCAM D’ILLE-ET-VILAINE

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

– Me Grégory DUBERNAT

– Me Alexandre TESSIER

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 MAI 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER :

Mme Aichat ASSOUMANI, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 28 Février 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 26 Mai 2023, après prorogations, par mise à disposition au greffe

****

APPELANT :

Monsieur [W] [I]

né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Grégory DUBERNAT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES

INTIMÉE :

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D’ILLE ET VILAINE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Alexandre TESSIER de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

2

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par acte sous seing privé en date du 12 juin 2001, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine (ci-après le Crédit agricole) a accordé à M. [W] [I], artisan cuisiniste, un prêt in fine, destiné à l’achat de plusieurs appartements vendus en l’état futur d’achèvement, adossé à un contrat d’assurance vie souscrit le 27 juin 2000 auprès de la compagnie Henin Vie avec un capital de 373 500,09 euros provenant de la vente de son entreprise. d’un montant de 564 061,36 euros, remboursable sur une durée de 144 mois en 4 échéances de 18 755 euros, 23 échéances de 15 935 euros et une dernière de 579 996 euros.

Ce prêt a fait l’objet d’un réaménagement par avenant du 14 mai 2005 avec un abaissement du taux d’intérêt contractuel à 4,80 % au lieu de 5,65 %.

La dernière échéance n’ayant pas été réglée en intégralité, la banque a mis en demeure M. [I], par courrier recommandé avec avis de réception signé le 5 avril 2014, de lui régler un solde de 380 870,61 euros dont 305 995,88 euros en capital et intérêt échus, 49 957,96 euros de pénalités ou intérêts de retard et 24 916,77 euros au titre d’une indemnité de 7 %.

Par acte d’huissier en date du 29 septembre 2015, le Crédit agricole a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Rennes, M. [I] en paiement de sommes dues.

Par jugement en date du 27 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Rennes a:

– rejeté les fins de non recevoir tirées de la prescription,

– condamné M. [W] [I] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine la somme de 305 995,88 euros au titre du solde du prêt, avec intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2015, capitalisés pour une année entière ainsi que la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté M. [I] de sa demande reconventionnelle,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– condamné M. [I] aux dépens,

– ordonné l’exécution provisoire.

Par déclaration en date du 22 juillet 2020, M. [I] a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance en date du 16 avril 2021, le conseiller de la mise en état saisi par conclusions du 18 décembre 2020 par le Crédit agricole, a ordonné la radiation du rôle de l’affaire.

L’exécution totale de la décision est intervenue à la suite de deux saisies- attributions pratiquées sur les comptes de M. [I] dans les livres de la Société Générale et après paiement à l’huissier de la somme de 9 023,27 euros au titre du solde.

L’affaire a été remise au rôle le 13 décembre 2021. Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le même jour, M. [I] demande à la cour de :

Vu les articles 2231,2241 et 2240 du code civil,

Vu les articles L. 218-2 et L.312-33 du code de la consommation,

Vu les dispositions des articles 64,71 et 72 du code de procédure civile,

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Rennes du 27 janvier 2020,

A titre principal,

– dire et juger que l’action initiée par la Caisse régionale de crédit agricole et mutuel d’Ille et Vilaine à l’encontre de M. [I] par assignation du 29 septembre 2015 est prescrite dès lors que le délai pour agir de deux ans a commencé à courir le 10 juin 2023,

– dire et juger que l’écoulement du délai de prescription n’a été affecté par aucune cause d’interruption ou de suspension les échanges de correspondance entre la banque et le concluant ne pouvant être considérés comme valant une quelconque reconnaissance de dette,

– infirmer en conséquence le jugement du tribunal judiciaire de Rennes du 27 janvier 2020 en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par M. [I],

– débouter la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire,

– déclarer recevables les moyens de défense présentés par M. [I] conformément aux dispositions de l’article 72 du code de procédure civile,

– prononcer la déchéance des intérêts ( 343 404,40 euros) et condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine à leur remboursement lequel interviendra par compensation avec le solde final du prêt qu’elle réclame ( 305 995,88 euros),

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine de ses prétentions au titre des intérêts, majorations d’intérêts et indemnités postérieures à l’échéance finale du prêt à défaut de fondement contractuel justifié,

A titre infiniment subsidiaire,

– dire et juger que la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine aura à l’occasion du montage et dans le cadre du suivi de l’opération, manqué à ses devoirs de conseil et de mise en garde que M. [I] était en droit d’attendre,

– dire et juger que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine aura provoqué la perte d’une chance pour M. [I] d’adosser son investissement et son prêt à un placement qui devait répondre aux exigences de sécurité préconisée par le diagnostic et l’accompagnement patrimonial qu’elle fournissait,

– infirmer en conséquence le jugement du tribunal judiciaire de Rennes sur ce point,

En conséquence,

– condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine à la réparation dudit préjudice qui sera justement évalué au montant du solde de prêt qu’elle réclame,

– ordonner la compensation des condamnations respectives,

En tout état de cause,

– condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine aux dépens,

– condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles par application de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 2 juin 2022, le Crédit agricole demande à la cour de:

Vu les articles 1147 et 2240 du code civil,

Vu les articles L. 137-2 et L. 312-7 à L. 312-10 du code de la consommation (ancienne numérotation),

Vu l’article L. 110-4 du code de commerce,

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a déclaré recevable la demande en paiement de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine,

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes reconventionnelles de M. [I] de déchéance de droit aux intérêts,

– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a déclaré recevable la demande reconventionnelle en responsabilité de la Caisse regionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine,

A titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté cette demande,

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a condamné M.[I] à payer la somme de 305 995,58 euros au titre du solde du prêt du 12 juin 2001,

– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a assorti cette condamnation uniquement des intérêts au taux légal,

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a condamné M. [I] à payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

en conséquence, statuant à nouveau :

– constater au préalable que l’action en paiement de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine n’est pas prescrite,

– dire en conséquence, recevables les demandes de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine,

A titre principal,

– déclarer irrecevables car prescrites les demandes de déchéances de droit aux intérêts et en responsabilité formulées par M. [I],

A titre subsidiaire,

– rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de M. [I],

En conséquence,

– condamner M. [W] [I] en sa qualité d’emprunteur à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine la somme de 305 995,88 euros au titre du prêt 361, outre les intérêts au taux contractuel majoré, soit 8,65 %, à compter du 10 juin 2013 et jusqu’à parfait paiement,

– condamner M. [W] [I] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [W] [I] aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu’aux dernières conclusions déposées par les parties, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 12 janvier 2023.

EXPOSÉ DES MOTIFS :

Sur la prescription de l’action du Crédit agricole :

Aux termes de l’article L. 137-2 devenu L. 218-2 du code de la consommation, l’action en paiement du prêteur exercée contre un particulier emprunteur au titre d’un prêt immobilier se prescrit par deux ans, commençant à courir, s’agissant d’une dette payable par termes successifs, à compter de la date d’exigibilité de chacune des échéances de remboursement impayées et, pour le capital restant dû après déchéance du terme, à compter de la date de cette dernière.

S’agissant d’un prêt in fine, les parties conviennent que le délai de prescription biennale a commencé à courir à compter de la date de la dernière échéance soit le 10 juin 2013.

M. [I] reproche au tribunal d’avoir considéré que l’action en paiement de la banque, exercée pourtant par assignation en date du 29 septembre 2015, n’était cependant pas prescrite au motif que le délai de prescription biennal avait été interrompu par les courriers, analysés comme des reconnaissances de dette par les premiers juges, qu’il avait adressés au prêteur les 4 octobre 2013, 29 novembre 2013 et 13 décembre 2013.

Il soutient que ces courriers s’inscrivent dans un contexte de transaction et ne peuvent valoir reconnaissance univoque, claire et inconditionnelle de sa part.

Toutefois, il apparaît que la transaction alléguée par M. [I] portait sur le rééchelonnement d’une dette dont il se reconnaissait redevable. En effet, dans son courrier du 4 octobre 2013, M. [I] tout en critiquant le montage financier qui lui a été proposé pour apurer la dette, écrit ‘ je me retrouve 13 ans plus tard peu ou prou, en intégrant les différents paramètres de pertes ou de gain, avec mon capital de départ, des appartements partiellement payés en raison d’une dette de 300 000 € à votre égard’. Dans ses courriers de novembre et décembre, M. [I] cherche à trouver une solution pour s’acquitter du paiement de la dette sans remettre en cause celle-ci dans son principe.

Ces courriers valent bien reconnaissance de dette interruptive de prescription au sens de l’article 2240 du code civil. Dès lors, le délai de prescription biennale ayant été interrompu à compter de chacun de ces courriers et ayant recommmencé à courir en décembre 2013, l’action en paiement du Crédit agricole est bien recevable et c’est à juste titre que le tribunal a rejeté la fin de non- recevoir.

Sur la déchéance du droit aux intérêts :

A la demande en paiement de la banque, M.[I] oppose une demande en déchéance de son droit aux intérêts sur le fondement de l’article L. 312-33 du code de la consommation.

C’est à tort que le tribunal a analysé cette demande en une demande reconventionnelle et l’a considérée prescrite. En effet, le moyen tiré de la déchéance du droit du prêteur aux intérêts opposé par M. [I] afin d’obtenir le rejet total ou partiel des prétentions du Crédit agricole sans fonder une demande de restitution du trop-perçu d’intérêts constitue une défense au fond au sens de l’article 72 du code de procédure civile qui échappe à la prescription.

Il résulte du dernier alinéa de l’article L. 312-33 du code de la consommation dans sa rédaction applicable au prêt litigieux, que le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts en totalité ou dans la proportion fixée par le juge lorsqu’il n’a pas respecté l’une des obligations prévues aux articles L. 312-7 et L. 312-8 relatifs au formalisme de l’offre de prêt, notamment l’indication dans l’offre du taux effectif global défini conformément à l’article L. 313-1, L. 312-14 alinéa 2 ou lorsque l’offre ne comporte pas de date ou si elle mentionne une date fausse de nature à faire croire qu’elle a été donnée après l’expiration du délai de dix jours prescrit par l’article L. 312-10 du même code.

Pour solliciter la déchéance du prêteur de son droit aux intérêts, M. [I] soutient que l’offre de prêt ainsi que l’avenant signé le 25 mai 2005 sont entachés de plusieurs irrégularités tenant à leur mode de transmission par voie postale et à leur acceptation, à la mention erronée de l’objet du prêt, à l’absence de notice d’assurance décès jointe à l’offre et à la mention de son coût, à l’absence de mention du coût du nantissement et à l’erreur affectant le calcul du taux effectif global.

irrégularité de la transmission et de l’acceptation de l’offre de prêt:

Il résulte des dispositions des articles L. 312-7 et L. 312-10 du code de la consommation dans leur rédaction applicable à la cause que l’offre émise par le prêteur doit être adressée par voie postale à l’emprunteur éventuel, que ce dernier ne peut accepter l’offre que dix jours après qu’il l’a reçue et que l’acceptation doit être donnée par lettre, le cachet de la poste faisant foi.

La preuve du respect du formalisme, c’est à dire de l’envoi de l’offre par voie postale ainsi que son acceptation par la même voie, incombe au prêteur.

Le Crédit agricole répond sur l’inobservation du délai de dix jours, qui est effectivement sanctionnée par la nullité du contrat de prêt, pour dire que la demande est prescrite. Mais, M. [I] invoque l’inobservation des règles de forme relatives aux modalités d’envoi de l’offre et de l’acceptation qui sont sanctionnées par la déchéance du droit aux intérêts.

En conséquence, la banque ne rapporte pas la preuve du respect des formalités édictées par les articles L. 312-7 et L. 312-10 du code de la consommation que ce soit pour l’offre de prêt initial ou pour l’avenant du 25 mai 2005. Elle encourt la déchéance de son droit aux intérêts pour cette irrégularité.

l’objet du prêt :

Aux termes de l’article L. 312-8 2° dans sa rédaction applicable à la cause, l’offre doit préciser la nature, l’objet, les modalités du prêt notamment celles relatives aux dates et conditions de mise à disposition des fonds.

M. [I] rappelle que le prêt avait pour objet le financement de l’acquisition de plusieurs appartements sur le territoire français commercialisés en l’état futur d’achèvement et soutient en conséquence que l’objet du prêt est erroné puisqu’il est mentionné sous la rubrique ‘objet du financement’:

‘déstination des fonds : résidence principale appartement

Achat neuf usage locatif

lieu d’investissement : [Localité 4] .’

L’avenant mentionne quant à lui, comme objet du prêt réaménagé: résidence principale, achat neuf usage locatif

Le Crédit agricole conclut sur ce point à la prescription de la demande au motif que l’action en déchéance du droit aux intérêts est soumise à la prescription quinquennale de l’article L. 110-4 I du code de commerce et que la prétendue irrégularité est soulevée par conclusions notifiées le 4 octobre 2016 soit plus de cinq ans après l’acceptation de l’offre le 12 juin 2001.

Mais, il a été rappelé ci-dessus que la déchéance du droit aux intérêts est invoquée comme moyen de défense au fond de sorte que la prescription est inopérante. Or, la banque ne conteste pas que l’offre de prêt acceptée le 12 juin 2001, ayant donné lieu à avenant le 25 mai 2005, avait pour objet de financer l’acquisition de cinq appartements Pierre et Vacances en vue de percevoir des revenus locatifs. La déchéance du droit aux intérêts est donc également encourue pour ce motif.

absence de mention de la remise d’une notice d’assurance et du coût de l’assurance décès:

M. [I] expose que si l’offre de prêt précise la possibilité d’une adhésion à une assurance de groupe, il n’est fait mention ni de la remise de la notice d’assurance ni du coût de celle-ci.

Mais comme le relève à juste titre la banque, l’absence de remise de la notice d’assurance prévue à l’article L. 312-9 du code de la consommation dans sa rédaction en vigueur au moment de l’acceptation de l’offre n’est pas sanctionnée par la déchéance du prêteur de son droit aux intérêts. En revanche, l’absence de mention du coût de l’assurance de prêt que le prêteur doit indiquer dans l’offre de prêt, selon l’article L. 312-8 4° du code de la consommation, est sanctionnée par la déchéance du droit aux intérêts. Or, il n’est fait nullement mention du coût de l’assurance du prêt que ce soit dans l’offre initiale ou dans l’avenant.

l’absence de mention du coût de la délégation du contrat de l’assurance vie :

Aux termes de l’article L. 312- 8 4°, l’offre de prêt doit également indiquer les sûretés réelles et personnelles exigées qui conditionnent la conclusion du prêt.

Le Crédit agricole se contente encore d’opposer la prescription de l’action en déchéance du droit aux intérêts alors que celle-ci est invoquée comme un moyen de défense.

L’offre de prêt litigieuse ne mentionne pas le coût du nantissement du prêt par le contrat d’assurance vie alors qu’il apparaît qu’il s’agissait d’une condition d’octroi du prêt. L’avenant de mai 2005 ne fait état d’aucun nantissement.

Il est pourtant avéré, ainsi que le prêteur le fait valoir, que l’assurance vie a été souscrite le 6 juillet 2000 soit près d’un an avant l’offre de prêt de sorte que les frais de cette garantie étaient parfaitement déterminables et devaient être mentionnés.

Le prêteur encourt la déchéance totale ou partielle de son droit aux intérêts pour cette omission.

l’erreur affectant le calcul du taux effectif global :

S’agissant du coût de l’assurance, il convient de souligner d’une part, que M. [I] n’a pas souscrit à l’assurance de groupe mais a préféré souscrire une assurance décès invalidité directement auprès de la compagnie Predica, filiale du groupe Crédit agricole et d’autre part, qu’il n’est pas démontré par l’appelant que la souscription d’une assurance décès invalidité était une condition d’octroi du prêt ou du réaménagement du prêt obligeant la banque à prendre en compte son coût dans le calcul du taux effectif global.

S’agissant du coût du nantissement, il n’est pas établi par M. [I] que l’absence de prise en compte de ce coût, dont le montant n’est pas communiqué, ait pu affecter le calcul du taux effectif global dans l’offre de prêt initial comme dans l’avenant au-delà de la marge d’erreur admise par l’article R. 313-1 du code de la consommation . Aucune déchéance du droit aux interêts du prêteur ne peut donc être encourue pour l’erreur dans le calcul du taux effectif global de l’offre de prêt comme de l’avenant.

En conséquence, la déchéance du prêteur de son droit aux intérêts doit être prononcée pour les irrégularités de l’offre et de l’avenant tenant à leur transmission par voie postale, à la transmission de l’acception et à l’absence du coût de l’assurance et du nantissement du prêt. Elle sera prononcée à hauteur de 10 000 euros.

Sur la créance du Crédit agricole :

Le Crédit agricole se prévaut d’une créance d’un montant de 305 995,88 euros au titre du capital et des intérêts échus au 9 septembre 2015 que M. [I] ne conteste pas dans son principe.

Compte tenu de la déchéance partielle du prêteur de son droit aux intérêts à hauteur de 10 000 euros, M. [I] sera condamné à payer au Crédit agricole la somme de 295 995,88 euros.

La banque sollicite les intérêts au taux contractuel majoré de 8,65 % à compter du 10 juin 2013 jusqu’à parfait paiement.

Cependant, outre le fait qu’à la suite de l’avenant accepté le 25 mai 2005, le taux contractuel a été ramené à 4,80 % au lieu de 5,65 %, le Crédit agricole ne produit pas les conditions générales du prêt prévoyant la majoration de ce taux permettant ainsi à la cour de s’assurer que les conditions d’une telle majoration sont bien remplies.

Il ne sera pas fait droit à la demande de capitalisation des intérêts formés par la banque, les dispositions de l’article L. 311-32 du code de la consommation dans sa rédaction applicable au litige, interdisant au prêteur de capitaliser les intérêts de retard.

En conséquence, la condamnation sera assortie des intérêts au taux de 4,80 % à compter du 9 septembre 2015.

Sur le manquement du Crédit agricole à son devoir de conseil et d’information:

Soutenant être totalement ignorant du fonctionnement et des règles des marchés, M. [I] fait valoir que la banque ne lui a pas proposé un placement en adéquation avec la situation patrimoniale que sous-tendait le projet sur lequel elle l’avait fait s’engager puisque le placement n’a jamais atteint la valorisation permettant de couvrir ou même de s’approcher du montant du capital emprunté. Il considère également qu’elle ne l’a pas mis en garde sur les risques auxquels il s’exposait et les conséquences à assumer, quant au prêt, si le placement s’avérait déficitaire.

Il réclame en conséquence à titre de dommages-intérêts la somme de 305 995,08 euros, à venir en compensation avec la somme due.

Le Crédit agricole fait valoir de son côté que la demande présentée pour la première fois, par conclusions notifiées le 6 juin 2017, est prescrite, la contre- performance du contrat d’assurance-vie étant connue de M. [I] de longue date.

Il est de principe que la prescription d’une action en responsabilité pour manquement au devoir d’information et de conseil court à compter de la réalisation du dommage.

S’agissant en l’espèce d’une opération financière destinée à rembourser le capital prêté par le Crédit agricole au terme du prêt en employant les fonds investis sur un contrat d’assurance-vie – qui pouvait connaître des évolutions à la hausse ou à la baisse – le préjudice ne s’est réalisé que lorsqu’il est apparu à M. [I] que le rachat des contrats d’assurance-vie ne lui permettrait pas de régler la totalité de la somme due au prêteur.

A cet égard, s’il s’est inquiété dès l’année 2002, dans différents courriers, des mauvaises performances des contrats souscrits et a formulé dès juin 2004, une demande de placement différent, à laquelle il a été répondu favorablement, et s’il a exprimé des craintes dans un courrier en décembre 2010 sur les performances du nouveau placement quant à l’échéance prochaine du prêt prévue en juin 2013, il n’a pu réaliser que le défaut de rentabilité des placements compromettait le remboursement in fine du prêt qu’à l’échéance de celui-ci.

Dès lors, le délai de la prescription n’a commencé à courir qu’à compter du 10 juin 2013 et c’est donc à juste titre que le tribunal a jugé que la demande reconventionnelle de M. [I] n’était pas prescrite.

La banque conteste par ailleurs, tout manquement de sa part, soutenant que M. [I] était un client averti qui avait l’expérience des opérations boursières depuis 2000, qu’il était un dirigeant d’entreprise connaissant la portée de ses engagements et des ordres donnés et qu’il a fait lui-même le choix de l’organisation de son patrimoine après une étude patrimoniale de présentation générale, effectuée à sa demande, par son conseiller de gestion patrimoine, et a notamment décidé de l’orientation ‘dynamisme’ du contrat d’assurance vie vers des actions.

Soulignant l’absence de concomitance entre la souscription du contrat d’assurance-vie et le montage immobilier, le Crédit agricole fait valoir que le montage immobilier, qui était adapté à la situation de M. [I], avait pour but de le faire bénéficier d’une économie d’impôts substantielle tout en lui permettant de tirer des revenus locatifs de son investissement. Elle souligne que l’appelant ne donne aucun élément sur l’économie effectuée ni sur les revenus tirés du montage financier défiscalisant.

La banque expose également que, devant la baisse de valeur des unités de compte du contrat d’assurance vie, elle a proposé à M.[I] de réinvestir les sommes en souscrivant un contrat Espaces Gestion qui enregistrera des hausses de valeur cependant insuffisantes à retrouver le capital initial. Elle souligne toutefois que M. [I], à chaque souscription, a fait le choix d’une gestion libre et à 100 % en unités de compte.

Enfin, elle fait valoir qu’en tout état de cause les demandes indemnitaires sont injustifiées puisque le contrat d’assurance vie n’a jamais enregistré une baisse de valeur équivalente à la somme de 305 995,88 euros.

Il n’est toutefois pas contesté par la banque, que le 18 février 1999, à la demande de M. [I], le conseiller en gestion de patrimoine du Crédit agricole a réalisé une étude patrimoniale formulant plusieurs propositions de placements et d’investissements, parmi lesquelles celle objet du litige.

A la suite de cette étude, M. [I], chef d’entreprise, a réalisé une partie de ses acquis professionnels pour les placer sur un contrat d’assurance- vie ‘ Premium universel’ auprès de la compagnie Hénin Vie devenue La Mondiale Partenaire le 6 juillet 2000 . Il n’est pas davantage contesté qu’il a été démarché , par l’intermédiaire des conseillers en gestion de patrimoine du Crédit agricole, par un commercial de la société Pierre et Vacances et qu’il a investi dans l’achat de cinq appartements en l’état futur d’achèvement situés dans plusieurs résidences de tourisme exploitées par la société Pierre et Vacances en juillet 2001, grâce au prêt litigieux octroyé le 12 juin 2001 par le Crédit agricole. Il est constant également que la banque a souhaité garantir l’opération de financement immobilier par un nantissement sur le contrat d’assurance-vie souscrit par M. [I].

En conséquence, bien que le contrat d’assurance-vie a été souscrit un an avant le prêt, il apparaît que l’ensemble de ces opérations financières’inscrivaient dans un projet global d’investissement, suggéré par la banque, permettant à M. [I] de rembourser intégralement le capital prêté au terme du prêt, par la valorisation de son contrat d’assurance-vie tout en acquérant des biens immobiliers générant des revenus locatifs. La banque ne peut soutenir que M. [I] a procédé seul au choix du contrat d’assurance-vie alors que l’étude patrimoniale effectuée en 1999 comportait le montage financier critiqué par l’appelant, au sein des propositions de placement faites par son conseiller en gestion de patrimoine, ni souligné qu’il a accepté l’offre de prêt alors que le contrat d’assurance vie avait déjà subi une dévalorisation dans la mesure où cette même dévalorisation ne l’a pas dissuadée de nantir le prêt sur ce contrat.

Par ailleurs, s’il est certes établi que lors de son adhésion au contrat d’assurance-vie Hénin Vie, M. [I] a versé la totalité des fonds investis sur des supports gérés selon le profil Dynamisme, orienté pour 60 à 100 % sur les actions et qu’il est également admis que ce profil d’investissement correspondait au niveau de risque le plus élevé, la banque ne peut soutenir que M. [I] était un investisseur averti, capable de mesurer les risques pris dans le placement choisi. Le fait qu’il ait procédé à des opérations boursières en 1998 et 1999 par l’achat d’actions, ne démontre pas qu’il disposait, au moment de la souscription du contrat d’assurance vie en 2000, d’une expérience ou de connaissances particulières en matière de marchés boursiers. Sa qualité de chef d’entreprise, étant rappelé que M. [I], titulaire d’un CAP menuiserie, a repris l’entreprise dans laquelle il était salarié depuis vingt ans au moment du départ en retraite de son dirigeant, ne lui confère pas davantage une expertise en la matière.

Il appartenait donc à l’établissement de crédit de délivrer à son client une information complète, loyale et cohérente sur les caractéristiques du contrat d’assurance-vie proposé et de s’assurer de l’adéquation de ce placement avec la situation personnelle et les attentes de celui-ci. Il était également tenu de lui remettre une information complète sur les caractéristiques du contrat en attirant son attention non seulement sur les perspectives favorables de rendement de ce placement mais également sur le risque important de moins-value qu’il comportait et qui pouvait se traduire par une perte du capital investi. Il ne peut se retrancher derrière le fait que M. [I] a signé le contrat d’assurance-vie ‘ après avoir pris connaissance que le contrat ne comporte aucune garantie concernant la valeur épargne, les valeurs des unités de compte auxquelles il est adossé étant sujet à fluctuations à la hausse comme à la baisse’, sans démontrer que les risques les plus défavorables du placement de 2000 ou de celui réalisé en 2005 après rachat du premier contrat, ont été signalés en même temps que les perspectives de rendement les plus favorables étaient exposées.

Or, la banque ne verse aux débats aucun document relatif à l’information fournie lors de la souscription du contrat d’assurance-vie sur lequel elle a garanti le prêt in fine, se contentant de soutenir que M. [I] a conclu seul ce contrat, alors qu’elle a réalisé une étude patrimoniale en 1999 préconisant ce type de placement et que le prêt in fine était nanti par ce contrat.

L’appelant est fondé, dès lors, à soutenir que le Crédit agricole ne s’est pas acquitté de son obligation d’information lors du montage financier.

Le préjudice est constitué par la perte de chance de ne pas mettre en oeuvre le montage proposé par la banque et de renoncer à l’acquisition immobilière ou de recourir à un prêt amortissable, sans employer l’épargne résultant de la réalisation des actifs professionnels.

Cependant, s’il n’est pas exclu que, correctement informé du risque de perte du capital investi sur le contrat d’assurance vie, M. [I] aurait renoncé au prêt in fine, il doit être également tenu compte des avantages financiers et fiscaux attachés au montage présenté par la banque à la date à laquelle il devait être mis en place, soit antérieurement à l’éclatement de la crise boursière des années 2000.

Le préjudice ne peut pas davantage être évalué à la hauteur du solde réclamé, dans la mesure où rien ne permet de considérer que la banque avait garanti à l’emprunteur la possibilité de rembourser son prêt au moyen du seul contrat d’assurance vie. Si l’information délivrée par la banque a été défaillante quant au risque de perte de capital, M. [I] ne pouvait toutefois ignorer que le rendement de ces contrats était soumis aux aléas des marchés financiers.

En outre, il apparaît que son conseiller en gestion de patrimoine a confirmé la nécessité de procéder au rachat de son contrat neuf ans avant la fin du prêt pour investir les fonds par l’intermédiaire de la banque de gestion privée Indosuez, faisant partie du groupe Crédit agricole, sur différents supports. A la demande de M. [I], considérant que le rendement était insuffisant, un nouvel arbitrage de répartition des fonds a été opéré avec la banque en juillet 2008 sur un contrat en fonds euros.

S’il est justifié que la valeur de rachat du contrat au 31 mars 2013 était de 276 775,13 euros, M. [I] ne produit aucun élément sur la valeur de rachat du contrat au terme du contrat de prêt pour établir la perte subie par rapport à la valeur de placement s’établissant à la somme de

367 897,59 euros au 6 juillet 2000. Or, il apparaît qu’à la suite des réorientations de placement opérées sur conseil de la banque, M. [I] n’a plus perdu d’argent. Compte tenu de la plus value opérée à partir de la valeur de rachat en 2004, et du montant placé en juillet 2000, en l’absence d’éléments relatifs aux économies d’impôts réalisées et au rendement locatif de l’acquisition immobilière, le préjudice subi par M. [I] sera estimé à la somme de 45 000 euros.

En conséquence, le Crédit agricole sera condamné à payer à M. [I] la somme de 45 000 euros et la compensation sera ordonnée avec la somme due par l’appelant.

Sur les demandes accessoires :

Chaque partie conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d’appel.

Il n’y a enfin pas matière à application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de quiconque en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme partiellement le jugement rendu le 27 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Rennes,

Statuant à nouveau sur l’entier litige :

Prononce la déchéance partielle de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine de son droit aux intérêts contractuels à hauteur de 10 000 euros,

Condamne M. [W] [I] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine la somme de 295 995,88 euros avec interêts au taux contractuel de 4,80 % à compter du 9 septembre 2015 jusqu’à parfait paiement,

Condamne la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Ille et Vilaine à payer à M. [W] [I] la somme de 45 000 euros à titre de dommages-intérêts,

Ordonne la compensation des sommes dues par les parties,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d’appel,

Rejette toute demande plus ample ou contraire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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