Droits des Artisans : 26 mai 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/19939

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Droits des Artisans : 26 mai 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/19939

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT AU FOND

DU 26 MAI 2023

N° 2023/182

Rôle N° RG 19/19939 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFLVX

SA ERILIA

C/

[W] [I]

Copie exécutoire délivrée le :

26 MAI 2023

à :

Me Karine GRAVIER de la SELAS GRAVIER FRIBURGER AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Christian BELLAIS, avocat au barreau de MARSEILLE

+ 1 copie Pôle-Emploi

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de MARSEILLE en date du 04 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F 17/00753.

APPELANTE

SA ERILIA, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Karine GRAVIER de la SELAS GRAVIER FRIBURGER AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Lucile RINGENBACH, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [W] [I], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Christian BELLAIS, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Cyril TRAGIN, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Mai 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Mai 2023

Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

[W] [I] a été engagé par la société GIE DELTA LOGIS par contrat à durée indéterminée du 22 février 2001 à effet au ler mars suivant, en qualité d’agent technique principal.

À compter du ler janvier 2006, son contrat a été transféré à la société d’HLM ERILIA.

Au dernier état de la relation de travail, le salarié exerçait les fonctions de technicien de maintenance au sein de l’établissement d'[Localité 4], statut cadre, consistant à assurer le suivi de l’entretien du patrimoine immobilier relevant de son secteur, le respect des procédures et la qualité des travaux effectués par les prestataires.

La relation de travail était régie par la convention collective des personnels des sociétés anonymes et fondations d’HLM.

Par lettre remise en main propre le 18 mars 2015, Monsieur [I] a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entetien préalable, fixé au 26 mars 2015, puis licencié pour faute grave le 31 mars 2015.

Par requête du 21 mars 2017, il a saisi le conseil de prudhommes de Marseille le 21 mars 2017 aux fins de:

DIRE ET JUGER que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

En conséquence :

CONDAMNER la société ERILIA à lui régler les sommes suivantes :

– 87.540,00 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 13.717,75 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 1.823,77 euros au titre du rappel de salaire pendant la mise à pied non rémunérée,

– 182,37 euros au titre des congés payés afférant à la période de mise à pied

– 10.942,64 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis

– 1 094,26 euros au titre des congés payés afférents au préavis

– 3.647,53 euros au titre de l’indemnité pour insuffisance de motivation de la lettre de notification du licenciement,

– 10.000 euros au titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail par la société ERILIA et préjudice moral distinct,

– 3.647,53 euros au titre de l’indemnité pour licenciement brutal et vexatoire,

– 5.000,00 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNER la société ERILIA à lui remettre ses bulletins de salaires, certificat de travail, solde de tout compte, attestation Pôle emploi, modifiés, sans délai à compter du jugement et ce, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et par document

ASSORTIR les sommes ci-dessus des intérêts moratoires au taux légal à compter de la date de la présente requête,

ORDONNER la capitalisation des intérêts échus,

ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir,

CONDAMNER la société ERILIA aux dépens de l’instance.

Par jugement du 4 décembre 2019, la formation de départage du Conseil de Prud’hommes a jugé le licenciement de Monsieur [I] dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la Société ERILIA au versement des sommes suivantes :

– 1.823,77 euros de rappels de salaire afférents à la période de mise à pied conservatoire,

outre 182,37 euros de congés payés afférents ;

– 44.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 10.942,64 euros d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1.094,26 euros de congés payés ;

– 13.617,44 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

– 1.000 euros d’indemnité pour licenciement vexatoire ;

– 1.500 euros au titre de l’article 700 du CPC ;

– Remboursement au Pôle Emploi des indemnités de chômage perçues par Monsieur [I] à hauteur de six mois ;

– Remise des documents de fin de contrats rectifiés, sans astreinte.

Le conseil a débouté Monsieur [I] de ses demandes de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat et pour insuffisance de motivation du licenciement.

La Société ERILIA a interjeté appel de cette décision suivant déclaration du 31 décembre 2019.

Par conclusions notifiées le 29 mars 2020, la société ERILIA demande à la cour de :

CONSTATER que les faits reprochés à Monsieur [I] sont fautifs et de nature à fonder son licenciement,

CONSTATER qu’elle n’a manqué à aucune de ses obligations.

En conséquence :

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que le licenciement de Monsieur [I] était sans cause réelle et sérieuse ;

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la Société ERILIA à verser à Monsieur [I] les sommes de :

o 1.823,77 euros de rappels de salaire afférents à la période de mise à pied conservatoire, outre 182,37 euros de congés payés afférents,

o 44.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

o 10.942,64 euros d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1.094,26 euros de congés payés afférents,

o 13.617,44 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement,

o 1.000 euros d’indemnité pour licenciement vexatoire,

o 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamné à rembourser au Pôle Emploi des indemnités de chômage perçues par Monsieur [I] à hauteur de six mois ;

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Monsieur [I] de ses demandes de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail et pour insuffisance de motivation de la lettre de licenciement.

Et, statuant à nouveau :

CONDAMNER Monsieur [I] à lui verser la somme 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile, outre les entiers dépens.

Monsieur [W] [I] s’est constitué en appel mais n’a pas pu produire de conclusions dans les délais. Il déclare s’en remettre à ses conclusions et pièces communiquées devant le conseil de prud’hommes, qu’il verse devant la cour.

La procédure a été close suivant ordonnance du 19 janvier 2023.

MOTIFS DE L’ARRET

A titre liminaire, la cour relève qu’à défaut de concusions d’appel incident notifiées par l’intimé, la demande de dommages et intérêts pour défaut de motivation de la lettre de licenciement et la demande tendant à l’octroi de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, rejetées par le conseil de prud’hommes, ne sont pas soumises à son appréciation.

Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave

La société ERILIA critique le jugement du conseil de prud’hommes estimant le licenciement pour faute grave pleinement justifié. Elle indique en premier lieu que la présentation d’un devis factice avant travaux n’était pas un grief mais uniquement rappelé dans la lettre de licenciement au titre du contexte entourant les pratiques déloyales de Monsieur [I] et précise qu’elle produit bien le devis concerné, lequel comporte un numéro de Siret ne correspondant à aucune société existante. Elle expose, en second lieu, qu’elle a été alertée en mars 2015, par ses partenaires sur les agissements de Monsieur [I] consistant à solliciter auprès d’eux des ‘cadeaux’ ou ‘commissions’ sur le montant des travaux et prestations à effectuer, pour leur permettre d’obtenir lesdits marchés et les menaçant, à défaut, de ne pas les faire travailler ; qu’elle rapporte la preuve de ces faits au moyens de trois attestations de salariés et de trois attestations d’entreprises prestataires précises et concordantes.

Elle ajoute que Monsieur [I] qui prétend écarter les attestations produites au motif de prétendu chantage, de rancoeur ou de promotion des attestants, n’apporte aucune preuve de ses allégations.

Dans ses conclusions devant le conseil de prud’hommes, Monsieur [I] indiquait que, suite à la réorganisation de la société ERILLA au mois de janvier 2015, il avait été affecté à l’Agence d'[Localité 3]/[XXXXXXXX05] sous la hiérarchie de Monsieur [A] ; qu’il s’était trouvé confronté à la présence d’un prestataire de travaux, Monsieur [K] [X], dirigeant de la société CEMAPI, dont il avait jugé que les prestations étaient insuffisantes au regard des prix pratiqués ; qu’il avait décidé de ne plus retenir ce prestataire ; que Monsieur [X] avait alors eu une attitude menaçante à son endroit, ce dont il s’était ouvert auprès de Monsieur [A], lequel, après avoir reconnu ses relations étroites avec Monsieur [X], n’avait prêté aucun intérêt à ces menaces, ni la directrice des ressources humaines. Monsieur [I] soutenait devant les premiers juges que l’employeur avait alors mené campagne pour le licencier et obtenir des attestations de complaisance de la part de plusieurs salariés et entreprises prestataires de service. Il indiquait à ce titre que Monsieur [E] était titulaire d’une dette à son égard et rechignait à le rembourser ; que Madame [P] avait obtenu une mutation à l’agence d'[Localité 3] grace à son témoignage ; que Monsieur [S] d’Abeille Restauration avait pu continuer à travailler avec la société ERILIA grace à son témoignage ; que Monsieur [C], artisan maçon, avait des motifs de lui en vouloir suite à la découverte de travaux facturés et non réalisés. Monsieur [I] concluait ainsi que le licenciement pour faute grave n’était pas justifié.

***

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’ entreprise pendant le délai du préavis.

Il appartient à l’employeur d’apporter la preuve de la faute alléguée laquelle doit être réelle et sérieuse. Le doute profite au salarié, conformément aux dispositions de l’article L1235-1 alinéa 2 du code du travail.

La lettre de licenciement de [W] [I], qui fixe les limites du litige, est motivée comme suit : ‘vous vous êtes présenté seul à cet entretien, les faits vous ont été exposés :

– Le lundi 16 mars, lors d ‘un point de vue avec votre hiérarchie et M [D], vous avez été questionné quant à la présentation d ‘un devis factice avant travaux.

Devant votre négation de la connaissance de ce fait, il vous a été expressément demandé de respecter les procédures de recours aux entreprises extérieures afin que ceci ne se reproduise plus. Une simple mise au point devant vos explications avait alors paru suffisante.

– Toutefois, dans lesjours qui ont suivi, plusieurs entreprises ont souhaité nous rencontrer et c’est alors que nous avons découvert vos pratiques déloyales et frauduleuses à leur encontre. En effet celles-ci nous indiquent que vous avez exigé de leur part des cadeaux divers, ou encore des reversements d’argent en liquide en pourcentage des factures. A défaut, vous les menaciez de ne plus les faire travailler sur votre secteur.

Ces agissements, constitutifs d’une faute grave, sont contraires aux pratiques et valeurs de notre entreprise, et peuvent engager sa responsabilité pénale, ce que nous ne pouvons accepter. Les éléments d’information que vous avez communiqués lors de l ‘entretien ont été vérifiés et ce qui ne nous ne nous permet pas de modifier notre appréciation des faits.

Cette situation ne peut que nous contraindre à procéder à votre licenciement pour faute grave, privative d’indemnité de licenciement et de préavis’.

En l’espèce, la lettre de licenciement évoque en premier lieu le fait que Monsieur [I] a présenté à sa hiérarchie un devis factice avant travaux et que devant la dénégation par le salarié de la connaissance de ce fait, il lui a été demandé, lors d’un entretien du lundi 16 mars, de respecter les procédures de recours aux entreprises extérieures.

Alors qu’il résulte du courrier adressé par Monsieur [I] à son employeur le 22 avril 2015, suite à la notification de son licenciement (pièce 9 de la société ERILIA), que ce dernier souhaitait connaître, dans le meilleur délai, de quelle entreprise émanait le devis factice, sur quel chantier portaient les travaux et à quelle date il avait été présenté, la cour relève que l’employeur ne lui a pas répondu et n’a produit le devis litigieux qu’en cours de procédure prud’homale, indiquant dans ses conclusions devant la cour, qu’il ne s’agissait pas en réalité d’un grief reproché à Monsieur [I] mais d’un élément de simple contexte. Ce fait, malgré tout visé dans la lettre de licenciement, ne peut être considéré comme un élément suffisamment sérieux pour caractériser une faute commise par l’intimé.

S’agissant des pratiques déloyales et frauduleuses reprochées à Monsieur [I] dans l’exécution de ses fonctions, la société ERILIA verse aux débats le témoignage de M. [H] [E], responsable technique d’ERILIA en date du 18 mars 2015, qui indique : ‘Au mois de janvier 2015 plusieurs entreprises de mon secteur m’ont fait savoir que M. [I] [W] collectait auprès d’eux 10 % de leur chiffre d’affaires mensuel qu’il réalisait avec moi. Après avoir vérifier ces « Affirmations » auprès de plusieurs entreprises et même auprès de M. [I] [W] j’ai pris la décision de ne plus travailler avec ces entreprises. C’était pour moi la solution la plus radicale.

Autre fait :

[W] [I] m’a demandé de passé chez M. [S] [V], gérant de la société Abeille rénovation pour récupérer les factures des cages d’escalier des BAT O et D [Adresse 6]. En même temps que ces factures, M. [S] à déposé sur son bureau une liasse de billet en me disant : « Tiens, tu feras passer ça à [I] c’est les 2000 euros pour les cages.

J’ai bien évidemment refusé en disant : ‘je ne suis pas le coursier de [W] [I]’, il a donc repris l’argent en me disant ‘je lui donnerais quand je le verrai’.

Elle verse également les témoignages de 3 prestataires de services :

-l’attestation du 18 mars 2015 de M. [V] [S], gérant de la société Abeille Rénovation le 18 mars 2015 qui rapporte : ‘Suite à notre entretien du 17 mars 2015 avec Mr [A] et Mme [P], je vous confirme par la présente les faits suivants : J’atteste avoir payé Mr [W] [I] à multiples reprises sous forme de cadeaux qu’ils soient matériels (tablettes tactiles) et financiers (2.000 euros) voir même des voyages, pour obtenir des chantiers.

J’ai été pris dans un engrenage, subissant ainsi une pression constante, et j’ai fais cela sous la contrainte pour pouvoir continuer à travailler en étant obligé de payer pour les chantiers sur lesquels Mr [I] me missionnait’.

-l’attestation de M. [O] [C], MLS Maçonnerie Provence, du 27 mars 2015 :

‘J’atteste avoir rencontré en janvier 2015 M. [W] [I] à [Localité 7] il m a demandé de lui reverser en espèce 5 % des travaux commandé j’ai refusé donc je n’ai plus reçu de Bon commande de sa part’.

-l’attestation de M. [K] [X], Société CEMAPI, du 19 mars 2015 :

‘Fin 2014 Monsieur [W] [G] est venu me rendre visite dans mes bureaux situés dans la [Adresse 8] à [Localité 7] pour m’indiquer qu’à partir du 1er janvier 2015 il deviendrait le technicien du secteur il m’a donc expliqué en détail ce qu’il attendait de moi à savoir : un pourcentage de 5 % sur le volume de chiffre d’affaires de l’électricité qui représente d’après Mr [I] le C.A le plus important et le plus régulier

J’ai bien évidemment refusé ce qui a entraîné l’arrêt immédiat des interventions de ma société CEMAPI sur toutes les interventions en électricité sur le secteur de [Localité 7].

Lorsque j’ai fait savoir à Mr [I] que son comportement mettait en danger mon entreprise il m’a répondu : ‘de mon vivant tu n’interviendras plus en électricité sur [Localité 7]’.

La société communique enfin les attestations de Monsieur [Y] [A], chef d’agence d'[Localité 3]/[Localité 4] en date du 19 mars 2015 et de Madame [L] [P], son assistante, en date du 18 mars 2015, qui rapportent les propos tenus par Monsieur [S] lors de l’entretien du 17 mars 2015 auquel ils ont assisté.

Monsieur [W] [I], qui a contesté fermement avoir perçu des cadeaux ou des récompenses à l’occasion de l’attribution de chantiers, a écrit une lettre adressée au directeur général de la société ERILIA, Monsieur [Z], le 1er avril 2015, dans laquelle il dénonce les faits suivants : ‘la société CEMAPI représentée par son gérant [K] [X], m’a adressé des menaces par téléphone et SMS parce que je ne lui ordonnançais pas des travaux d’électricité (…). Actuellement, Monsieur [A] convoque et reçoit des entreprises en leur demandant d’attester des mensonges à mon sujet si ils veulent encore travailler avec ERILIA’ (pièce 6 de l’employeur).

Le conseil de prud’hommes cite à ce titre dans le jugement déféré, un procès verbal d’huissier établi par Maitre [R], lequel constate que [K] [X] a adressé à Monsieur [I] les 16 et 17 mars 2015 des SMS en ces termes ‘moi, j’ai des vrais amis [N] [J] vient de m’en informer’, ‘tu vas bien te casser le pied avec les 2 Nouader’, ‘j’ai pitié de toi, pauvre con’, ‘tu cherches la merde espèce de connard tu vas l’avoir tu dois justifier ton train de vie et tes dépenses’, ‘Ecoute bien ne m’appelle plus, mois je veux te voir !’, ainsi qu’une déclaration de main courante à la gendarmerie en date du 27 mars 2015 pour les menaces proférées par Monsieur [X], gérant de la société CEMAPI.

Le jugement de première instance rapporte également que Monsieur [I] justifie du procès verbal de son audition dans le cadre de l’enquête préliminaire suite à la plainte pénale déposée le 19 mai 2015 à l’encontre de Monsieur [X], la société ERILIA et X pour dénonciation calomnieuse et fausses déclarations ayant entraîné son licenciement.

Enfin, il résulte du jugement de départage que le salarié a produit les attestations d’un chef de chantier et d’un gérant d’une société d’électricité, aux termes desquelles ces derniers déclarent avoir été approchés par la société ERILIA pour attester, sous la pression du responsable de l’agence d'[Localité 4], Monsieur [A], de mensonges à son encontre ou alors leurs entreprises ne seraient plus missionnées pour la réalisation de travaux sur le parc immobilier de cette dernière.

Aussi, alors que les attestations produites par l’employeur à l’appui de la faute grave sont fortement fragilisées, tant dans leur contenu que sur les conditions de leur obtention, par les éléments produits par Monsieur [I] devant le conseil de prud’hommes et rappelés par le juge départiteur dans la motivation du jugement déféré, la cour relève que la société ERILIA ne verse aucun élément matériellement vérifiable permettant de les corroborer et, par exemple, de démontrer la réalité des cadeaux, des voyages ou le reversement de sommes dont Monsieur [I] aurait été bénéficiaire.

La cour observe par ailleurs la concomitance entre les menaces reçues par Monsieur [I] de la part de Monsieur [X] par SMS des 16 et 17 mars 2015 et les ‘révélations’ de faits litigieux à l’encontre de Monsieur [I] par les deux prestataires, Monsieur [S] et Monsieur [X], les 17 et 19 mars 2015, propos repris par Messieurs [A] et [E] sans aucune vérification tangible sur leur véracité.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la société ERILIA ne démontre pas la matérialité des faits allégués au soutien de la procédure de licenciement pour faute grave initiée à l’encontre de [W] [I].

En conséquence, la cour confirme la décision du conseil de prud’hommes qui a dit le licenciement pour faute grave dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement injustifié

En l’état de la requalification du licenciement du salarié pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse, la mise à pied à titre conservatoire doit ête déclarée injustifiée.

Considérant que le salaire brut mensuel moyen du salarié doit être fixé à la somme de 3.647,54 euros, il convient de condamner la société ERILLA à payer à Monsieur [W] [I] la somme, non contestée en son quantum, de 1.823,77 euros à titre de rappel de salaire afférent à la période de mise à pied conservatoire, outre 182,37 euros de congés payés y afférents.

La société ERILIA sera également condamnée à payer à Monsieur [I] la somme de 10.942,64 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, soit trois mois de salaire, en application de l’article 16 de la convention collective nationale des personnels des sociétés anonymes et fondations d’HLM, outre une somme de 1.094,26 euros au titre des congés payés y afférents.

De même, elle sera condamnée à lui payer la somme de 13.617,44 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement en application de l’article 34 de la convention collective précitée, calculée comme suit : (3.647,53 euros x 1/10 x 4 ans) + (3647,53 euros x 1/3 x 10 ans).

La décision du conseil de prud’hommes sera confirmée de ces chefs.

Il n’est pas contesté par l’employeur que la société ERILIA employait plus de 10 salariés et que Monsieur [W] [I] disposait d’une ancienneté de 14 années, soit supérieure à deux ans, au moment de la rupture de son contrat de travail. Les dispositions de l’article L1235-3 dans sa version applicable au présent litige, trouvent à s’appliquer, de sorte qu’à défaut de réintégration, le salarié licencié pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, a droit à des dommages et intérêts dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois.

Monsieur [I] justifiait devant le conseil de prud’hommes d’une attestation Pôle Emploi du 26 décembre 2017 l’informant de la fin de sa période d’indemnisation au 22 janvier 2018, soit près de 31 mois de chômage, ainsi que de nombreux courriers et mails attestant de ses recherches d’emploi en 2015, 2016 et 2017. Il justifiait également avoir retrouvé un emploi similaire en contrat à durée déterminée au cours de l’année 2019.

Compte tenu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (49 ans), de son ancienneté dans l’entreprise (14 ans), de sa qualification, de sa rémunération mensuelle moyenne (3.647,53 euros bruts), des circonstances de la rupture mais également de la justification de sa longue situation de chômage, il convient de confirmer la décision du conseil de prud’hommes qui lui a accordé la somme de 44.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il conviendra également de condamner l’employeur à rembourser à Pôle Emploi les allocations chômage versées à Monsieur [W] [I] dans la limite de 6 mois de salaire.

Sur le licenciement vexatoire et brutal

Monsieur [I] exposait devant le conseil de prud’hommes être toujours affecté par les conditions dans lesquelles s’était déroulée la rupture du contrat de travail, devant quitter l’entreprise sans même pouvoir saluer ses collègues, et avoir souffert du discrédit dont il avait fait l’objet.

La société ERILIA fait valoir que Monsieur [I] ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui réparé par les dommages et intérêts alloués au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et qu’elle n’a fait qu’user de son pouvoir disciplinaire en procédant à son licenciement, sans commettre le moindre abus.

***

Il est constant, comme l’indique le juge départiteur, que Monsieur [I] a été mis à pied à titre conservatoire lors de la remise de la convocation à l’entretien préalable en main propre le 18 mars 2015, avec remise des clés, outils de travail et départ immédiat de l’entreprise, après 14 ans d’ancienneté, sans pouvoir dire au revoir à ses collègues .

Au regard du contexte de la rupture injustifiée, ces éléments revêtent un caractère vexatoire et justifient qu’il lui soit alloué une somme de 1.000 euros en réparation du préjudice qui en est découlé.

La décision du conseil de prud’hommes sera confirmée de ce chef.

Sur les intérêts

Il y a lieu de dire que les créances de nature salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice, soit le 21 mars 2017 et que les créances indemnitaires porteront intérêts à compter du prononcé du jugement de départage en date du 4 décembre 2019, le tout avec capitalisation dans les conditions prévues à l’article L1343-2 du code civil.

Sur les documents de fin de contrat

La société ERILIA devra remettre à Monsieur [W] [I] les documents de fin de contrat (bulletin de salaire récapitulatif et attestation Pôle emploi rectifiée) conformes au jugement, sans toutefois que le prononcé d’une astreinte ne soit nécessaire.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

L’équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles et de rejeter la demande formée par la société ERILIA au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

L’employeur qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et en matière prud’homale,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y Ajoutant :

Déboute la société ERILIA de sa demande formée en application de l’article 700 du code de procédure civile en appel,

Condamne la société ERILIA aux dépens de première instance et d’appel,

Déclare le présent arrêt opposable au Pôle Emploi PACA,

Dit que le présent arrêt sera notifié par le greffe de la Cour au Pôle Emploi PACA.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Ghislaine POIRINE faisant fonction

 


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