COUR D’APPEL
DE RIOM
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Du 25 octobre 2022
N° RG 21/00329 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FRHX
-PV- Arrêt n° 484
[W] [I] / [B] [K], [E] [J] épouse [K]
Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MONTLUÇON, décision attaquée en date du 18 Décembre 2020, enregistrée sous le n° 19/00704
Arrêt rendu le MARDI VINGT CINQ OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
M. Philippe VALLEIX, Président
M. Daniel ACQUARONE, Conseiller
Mme Laurence BEDOS, Conseiller
En présence de :
Mme Marlène BERTHET, greffier lors de l’appel des causes et du prononcé
ENTRE :
M. [W] [I]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Jean-Michel DE ROCQUIGNY de la SCP COLLET DE ROCQUIGNY CHANTELOT BRODIEZ GOURDOU & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
Timbre fiscal acquitté
APPELANT
ET :
M. [B] [K]
et
Mme [E] [J] épouse [K], intervenante volontaire en qualité d’intimée par conclusions du 12 juillet 2021
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentés par Me Michel PRADILLON de la SELARL PRADILLON AVOCATS ET CONSEILS, avocat au barreau de MONTLUCON
Timbre fiscal acquitté
INTIMES
DÉBATS :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 08 septembre 2022, en application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. VALLEIX, rapporteur.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 25 octobre 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. VALLEIX, président et par Mme BERTHET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Conformément à un devis établi le 25 janvier 2016, M. [B] [K] et Mme [E] [J] épouse [K] ont confié à M. [W] [I], artisan carreleur exerçant en entreprise individuelle, des travaux de carrelages et de faïences en vue de réfection d’une salle de bains dans leur maison d’habitation située [Adresse 2]), moyennant le prix total convenu de 8.691,01 € TTC. Une première facture libellée le 10 mai 2016 pour un montant de 6.483,31 € a été réglée par M. et Mme [K] au titre de ces travaux. Le solde de ces travaux n’a donné lieu à aucun règlement, M. et Mme [K] ayant fait état d’un certain nombre de désordres de construction et de défauts esthétiques.
Saisi à l’initiative de M. et Mme [K], le Président du tribunal de grande de Montluçon a, suivant une ordonnance de référé rendue le 13 juin 2018, ordonné sur ce chantier une mesure d’expertise judiciaire confiée à M. [D] [F], architecte-expert près la cour d’appel de Limoges. Après avoir rempli sa mission, l’expert judiciaire commis a établi son rapport le 4 décembre 2018.
Saisi par M. et Mme [K] en lecture de ce rapport d’expertise judiciaire, le tribunal judiciaire de Montluçon a, suivant un jugement n° RG-19/00704 rendu le 18 décembre 2020 :
– condamné M. [I] à payer au profit de M. et Mme [K] :
* la somme principale de 14.193,60 € au titre des travaux de réparation des désordres ;
* la somme distincte de 500,00 € à titre de dommages-intérêts, en réparation de leur trouble de jouissance ;
* une indemnité de 1.500,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civil ;
– ordonné l’exécution provisoire de la décision ;
– condamné M. [I] aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration formalisée par le RPVA le 10 février 2021, le conseil de M. [W] [I] a interjeté appel du jugement susmentionné.
‘ Par dernières conclusions d’appelant notifiées par le RPVA le 7 mai 2021, M. [W] [I] a demandé de :
‘ réformer en toutes ses dispositions le jugement du 18 décembre 2020 du tribunal judiciaire de Montluçon ;
‘ juger que les travaux ayant été examinés dans le cadre de la mesure d’expertise judiciaire ont été intégralement facturés le 10 mai 2016 pour la somme de 6.483,31 € et réglés sans réserve et que leur réception interdit en conséquence la remise en cause de désordres esthétiques ;
‘ débouter en conséquence M. et Mme [K] de l’ensemble de leurs demandes ;
‘ condamner M. et Mme [K] à lui payer une indemnité de 1.500,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ condamner M. et Mme [K] aux dépens de l’instance.
‘ Par dernières conclusions d’intimé notifiées par le RPVA le 2 février 2022, M. [B] [K] et Mme [E] [J] épouse [K] ont demandé de :
‘ au visa des articles 1103 et suivants du Code civil ainsi que de l’article 559 du code de procédure civile ;
‘ confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
‘ débouter M. [I] de l’ensemble de ses demandes ;
‘ condamner M. [I] à lui payer :
* la somme de 5.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour appel abusif et dilatoire ;
* une indemnité de 5.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ condamner M. [I] aux entiers dépens de l’instance.
Par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par chacune des parties à l’appui de leurs prétentions respectives sont directement énoncés dans la partie MOTIFS DE LA DÉCISION.
Par ordonnance rendue le 30 juin 2022, le Conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de cette procédure. Lors de l’audience civile en conseiller-rapporteur du 8 septembre 2022 à 14h00, au cours de laquelle cette affaire a été évoquée, chacun des conseils des parties a réitéré ses précédentes écritures. Après clôture des débats, la décision suivante a été mise en délibéré au 25 octobre 2022, par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le chantier litigieux n’ayant pas donné lieu à l’établissement d’un procès-verbal de réception des travaux et aucune réception tacite ne pouvant être admise à défaut de paiement intégral du prix convenu, le droit commun de la responsabilité contractuelle doit dès lors s’appliquer, en l’occurrence notamment les dispositions de l’article 1231-1 du Code civil suivant lesquelles « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. ».
La lecture du rapport d’expertise judiciaire du 4 décembre 2018 de M. [D] [F] amène notamment à retenir que :
– les travaux litigieux ont consisté à partir du 16 mars 2016 en la réfection complète par M. [I] de la salle de bains située à l’étage de la maison d’habitation de M. et Mme [K], avec modification des cloisonnements, réfection de la plomberie et travaux de revêtements de carrelages et de faïences, sans intervention d’un maître d »uvre, moyennant le prix total convenu de 8.691,01 € TTC ;
– aucune réception des travaux n’est intervenue entre les parties contractantes, s’agissant d’un chantier en cours d’exécution et non achevé avec règlement à titre intermédiaire de la seule somme de 6.483,31 € TTC. ;
– M. et Mme [K] font état des désordres suivants : baguettes de sol de douche mal posées et non alignées, angles métalliques autour de la porte et de la fenêtre non à fleur et non alignés, joints non alignés et de largeurs différentes en particulier au niveau des angles de la pièce, un carreau de sol posé au-dessus du niveau des autres, faïences murales mal posées avec de nombreux carreaux n’étant pas à fleur ;
– concernant les baguettes de sol de douche mal posées et non alignées, les ouvrages ne sont pas bien réalisés, la planimétrie n’étant à observée, les pentes n’étant pas régulières en présentant de fortes déformations et les joints étant totalement irréguliers ;
– les carrelages présentent des déformations et des désaffleurements excédant les tolérances admises ;
– concernant les angles métalliques autour de la porte de la fenêtre non à fleur et non alignés, les baguettes d’encadrement font apparaître des irrégularités de pose tandis que les angles sont traités avec des pièces de profil de manière incohérente avec le profil des baguettes ;
– au niveau de l’encadrement de la fenêtre, la pose est faite de manière totalement irrégulière avec des pièces d’angles ne correspondant pas aux profils ;
– concernant les joints non alignés et de largeurs différentes en particulier au niveau des angles de la pièce, les joints ne sont pas réguliers en largeur et en alignement, ceux-ci présentant des décalages et des effets de désaffleurement ;
– concernant le carreau posé au-dessus du niveau des autres, la planimétrie entre deux rangs de carreaux dans la zone d’accès au local n’est pas observée ;
– concernant les faïences murales mal posées avec de nombreux carreaux n’étant pas à fleur, des défauts de planimétrie sont constatés avec des vues de désaffleurements de carreaux ;
– des défauts de pose sont constatés de toutes parts avec des joints irréguliers le long de la cloison centrale, des aspects de coupes irrégulières de manière générale et de coupes inesthétiques en partie supérieure ;
– en synthèse, les constats justifient de retenir des malfaçons généralisées, des défauts de pose outrepassant les tolérances admises, un certain nombre également de désordres qui sont essentiellement de caractère esthétique au regard de l’appréciation visuelle, sans que puissent être envisagées des réparations ponctuelles du fait de la dispersion des désordres en matière de joints et de planéité ainsi que de l’étendue des malfaçons sur l’ensemble de l’ouvrage ;
– est dès lors préconisée la réfection complète de l’ouvrage comportant protection des lieux et accès, démolition complète des carrelages, sols et parois, réfection des supports en plaques de plâtre détériorés à la dépose, fourniture et pose de nouveaux carrelages à l’identique incluant baguettes d’encadrement et traitement de l’étanchéité en sous-face, travaux de reprise des peintures des plafonds et des menuiseries ;
– le coût général des travaux de reprise peut dès lors être estimé, en fonction des devis produits (M. [I] n’ayant pour sa part produit aucun devis), à la somme totale de 14.193,60 € TTC, la durée des travaux étant estimée à 20 jours ouvrables.
Le rapport d’expertise judiciaire présente en définitive les mêmes constats et conclusions de malfaçons et de non-conformités aux règles de l’art qu’une précédente expertise amiable et contradictoire POLYEXPERT organisée dans le cadre de la garantie de protection juridique de M. et Mme [K], en termes d’irrégularités beaucoup trop importantes et généralisées des joints d’épaisseur, de défauts d’alignement et de planéité sur le sol comme sur les murs, et plus particulièrement sur le côté droit de la paroi de douche provoquant à l’usage des rétentions d’eau, d’effets de pente indésirables. L’ensemble de ces désordres de construction et non-conformités excède indéniablement les normes communément admises en matière de défauts de construction, ne serait-ce que par leur trop importante généralisation. Les défauts de planéité sur le sol d’accès du local peuvent en outre s’avérer dangereux à l’usage pour les personnes. Les protestations de simple inesthétisme opposées par M. [I] ne s’objectivent et ne se limitent en définitive qu’aux parties supérieures de l’ouvrage.
Il n’apparaît donc pas davantage contestable en cause d’appel qu’en première instance que M. [I] a manqué, en dépit de ses dénégations, à son obligation contractuelle de résultat concernant les travaux qui lui étaient confiés. Il n’est pas davantage contestable que le caractère diffus et généralisé des désordres de construction, et notamment les défauts de planéité et de jointage, nécessite désormais une réfection totale de l’ouvrage mal réalisé. En tout état ne cause, la simple nécessité de remplacer des carreaux en situation de désaffleurement n’est pas compatible avec des réparations ponctuelles, nécessitant dès lors la reprise complète en vue du maintien de l’harmonisation de l’ensemble. Dans ces conditions, M. [I] ne peut simplement objecter qu’il s’agirait là de simples désordres de nature esthétique.
En application des dispositions précitées de l’article 1231-1 du Code civil, M. et Mme [K] parviennent dès lors à apporter la preuve de leur préjudice bien au-delà du simple ressenti esthétique, résultant du défaut d’atteinte du résultat attendu des travaux en termes de non-conformités et de désordres portant principalement sur des défauts de planéité et des inégalités de jointage ainsi que des désaffleurement de carreaux. Certains défauts de planéité compromettent même la pérennité de l’ouvrage du fait de rétentions d’eau occasionnées au niveau du bac à douche ainsi que la sécurité des personnes du fait de leur emplacement à l’entrée du local à usage de salle de bains. Les fautes ainsi commises par M. [I] apparaissent en trop grand décrochage par rapport au respect des règles de l’art et l’obligation de ne pas outrepasser les seuils de tolérance communément admis. De ce fait, le lien de causalité entre les fautes commises et les préjudices subis apparaît suffisamment objectivé.
Le coût de l’ensemble du préjudice de reprise à hauteur de la somme de 14.193,60 € TTC apparaît correctement apprécié par l’expert judiciaire, d’autant que M. [I] n’a pas lui-même participé au cours des opérations expertales à cette appréciation contradictoire en communiquant d’autres devis d’entreprises ou d’autres données chiffrées.
Le jugement de première instance sera dès lors confirmé en ce qu’il a condamné M. [I] à payer au profit de M. et Mme [K] la somme précitée de 14.193,60 € en réparation du préjudice de reprise des travaux litigieux.
L’indemnisation du préjudice induit au titre du trouble de jouissance ainsi que le défraiement accordé au titre des frais irrépétibles au profit de M. et Mme [K] apparaissent également avoir été justement arbitrés en première instance à hauteur des sommes respectives de 500,00 € et de 1.500,00 €. Par voie de conséquence, le jugement de première instance sera également confirmé en ce qu’il a condamné M. [I] aux entiers dépens de première instance.
Il convient de rappeler que la bonne foi procédurale des parties est toujours présumée et qu’il appartient en conséquence à la partie alléguant un abus de procédure ou une résistance abusive de la part de la partie adverse d’apporter la preuve de cette mauvaise foi. En effet, l’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue par principe un droit ne pouvant le cas échéant dégénérer en abus, et ne devant dans cette situation donner lieu à réparation par l’allocation de dommages-intérêts, que dans les cas de malice ou de mauvaise foi s’objectivant en premier lieu par une erreur grossière équipollente au dol.
En l’occurrence, en l’absence d’erreurs grossières de fait ou de droit, il y a lieu de considérer au terme des débats que les parties intimées n’apportent pas la preuve, qui leur incombe, que la partie appelante se soit opposé à elles dans le cadre de la la présente instance contentieuse et ait préféré en définitive un arbitrage judiciaire à ce différend en étant animée d’une intention relevant de la mauvaise foi ou de la malice.
M. et Mme [K] seront en conséquence déboutés de leur demande reconventionnelle de dommages-intérêts en allégation d’appel abusif et dilatoire.
Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de M. et Mme [K] les frais irrépétibles qu’ils ont été contraints d’engager à l’occasion de cette instance et qu’il convient d’arbitrer à la somme de 2.500,00 €.
Enfin, succombant à l’instance, M. [I] en supportera les entiers dépens, comprenant les frais et dépens afférents à la procédure de référé et à la mesure d’expertise judiciaire susmentionnées.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, STATUANT PUBLIQUEMENT ET CONTRADICTOIREMENT
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement n° RG-19/00704 rendu le 18 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Montluçon dont l’instance opposant M. [B] [K] et Mme [E] [J] épouse [K] à M. [W] [I].
Y ajoutant.
CONDAMNE M. [W] [I] à payer au profit de M. [B] [K] et Mme [E] [J] épouse [K] une indemnité de 2.500,00 € en dédommagement de leurs frais irrépétibles prévus à l’article 700 du code de procédure civile.
REJETTE le surplus des demandes des parties.
CONDAMNE M. [W] [I] aux entiers dépens de l’instance, devant comprendre également les frais et dépens afférents à la procédure de référé et à la mesure d’expertise judiciaire susmentionnées.
Le greffier, Le Président,