COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-1
ARRÊT AU FOND
DU 21 OCTOBRE 2022
N° 2022/365
Rôle N° RG 19/18628 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFIKK
[JS] [LJ]
C/
SAS CASTORAMA FRANCE
Copie exécutoire délivrée
le :
21 OCTOBRE 2022
à :
Me Vincent BURLES de la SELARL BURLES VINCENT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
Me Etienne DE VILLEPIN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARSEILLE en date du 15 Novembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 18/01243.
APPELANT
Monsieur [JS] [LJ], demeurant [Adresse 9]
représenté par Me Vincent BURLES de la SELARL BURLES VINCENT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
SAS CASTORAMA FRANCE poursuites et diligences de son représentant légal en exercice y domicilié en sa qualité audit siège sis, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Etienne DE VILLEPIN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président
Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller
Mme Emmanuelle CASINI, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 octobre 2022 et prorogé au 21 octobre 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 octobre 2022
Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Monsieur [JS] [LJ] a été embauché en qualité de chef de sous-rayon le 4 juin 1998 par la SAS CASTORAMA FRANCE.
Il a occupé le poste de directeur du magasin Castorama Saint-Loup à partir du 1er septembre 2012.
Par courrier du 13 avril 2018 remis en main propre le 14 avril, Monsieur [JS] [LJ] a été convoqué à un entretien préalable fixé le 20 avril, avec notification d’une mise à pied à titre conservatoire, puis il a été licencié pour faute grave le 14 mai 2018 en ces termes, exactement reproduits :
« […] Le samedi 7 avril 2018 à 6h20, le cadre de permanence s’est aperçu que le portail de l’entrée principale du parking du magasin Castorama de [Adresse 6] était ouvert.
Le cadre de permanence en fermeture de magasin, le vendredi 6 avril 2018 à 20h20, avait confirmé avoir refermé ce portail.
Nous avons par conséquent décidé d’entreprendre des recherches approfondies afin de comprendre les raisons pour lesquelles ce portail était resté ouvert.
Après visionnage de la vidéosurveillance, nous avons constaté que le vendredi 6 avril 2018 à 20h01, vous vous étiez présenté en caisse n° 1 du magasin et aviez acheté, en présentant votre carte personnelle Castorama, pour 157,16 € de marchandise (ticket de caisse n° 118255).
Vous avez immédiatement emporté l’ensemble de ces articles, avec le véhicule de location Castorama.
– Ce premier agissement va d’ores et déjà à l’encontre de nos procédures internes.
Le fourgon Castorama a été emprunté après 20h (heure de fermeture de votre magasin), sans respecter la procédure en vigueur concernant ledit véhicule.
En effet, une demande d’autorisation écrite d’utilisation du fourgon Castorama doit impérativement être complétée auprès du service de location de véhicule situé en Zone de Retrait Marchandise.
De plus, lors de cette location de véhicule, une caution par carte est obligatoirement demandée. Vous n’êtes pas sans connaître cette procédure en vigueur sur votre établissement de [Adresse 6].
Vous avez pourtant délibérément choisi de vous en affranchir et avez emprunté à titre gratuit le fourgon du magasin, en dehors des heures d’ouverture, sans avoir versé de caution et sans qu’un contrat de location n’ait été complété. Vous ne disposiez ainsi d’aucune assurance durant l’utilisation du véhicule.
Vous avez pris des libertés inacceptables quant aux procédures en vigueur concernant l’utilisation du fourgon et avez ainsi manqué à votre exemplarité, alors même que vous êtes le garant de l’application des procédures internes. Votre comportement aurait par ailleurs pu avoir de graves conséquences en cas d’accident.
– En poursuivant nos recherches, nous avons en outre constaté que le samedi 7 avril 2018 à 01h30 du matin, vous étiez venu avec le fourgon Castorama sur le parking du magasin par le portail côté logistique (ouverture et fermeture du portail à 1h30).
Vous vous êtes garé au niveau des issues de secours 18 et 19, endroit où sont situés le stock de palettes de terreau, les abris de jardin et les végétaux. Le fourgon est resté stationné environ 15 minutes environ, après quoi vous êtes ressorti par le portail logistique en passant devant le portail d’entrée principale, ce dernier s’étant rouvert lors de votre passage vers 2h du matin.
Le portail d’entrée principale est ainsi resté ouvert d’environ 2h00 à 6h00 du matin, heure d’arrivée du cadre de permanence qui venait ouvrir le magasin.
Les agissements sus-décrits sont graves et parfaitement inacceptables.
Vous avez retiré de la marchandise en dehors des horaires d’ouverture du magasin, sans l’avoir réglée et sans avoir prévenu un membre de votre Comité de Direction ou la Direction régionale.
Vous avez par ailleurs laissé le système de fermeture du magasin ouvert après votre passage.
Concernant cet horaire nocturne, ce dernier est incompréhensible, sachant que les horaires d’ouverture au public de votre établissement du lundi au samedi débutent à 7h et se terminent à 20h. L’établissement est également ouvert tous les dimanches de 9h à 13h puis de 14h30 à 18h30, ce qu’à l’évidence vous n’ignorez pas. Aussi, les premiers horaires des équipes démarrent à 6h00 le matin.
Le samedi 7 avril 2018 à 6h30, vous vous êtes présenté au magasin pour amener le fourgon Castorama emprunté le vendredi 6 avril 2018 après 20h00.
M. [C] [I], Chef de secteur Logistique et cadre de permanence d’ouverture le samedi 7 avril 2018, vous a alors demandé pourquoi vous étiez venu avec le fourgon à 1h30 du matin, le samedi 7 avril 2018, sur le parking du magasin.
Vous avez dans un premier temps nié être venu au magasin, ce à quoi M. [I] a rétorqué vous avoir vu sur les caméras de surveillance. Vous avez alors répondu « vous souvenir » être venu récupérer des sacs de terreau que vous n’aviez pas pu prendre le vendredi 6 avril 2018 au soir.
Cette explication nous paraît particulièrement spécieuse. D’une part, après avoir contrôlé votre ticket de caisse réglé le vendredi 6 avril 2018 à 20h01 et avoir vu votre chariot sur la vidéosurveillance, il s’avère que vous pouviez sans aucun problème ajouter des sacs de terreaux sur votre chariot, sans avoir à scinder vos achats.
D’autre part, nous ne concevons pas l’impérieuse nécessité que vous aviez à « récupérer » des sacs de terreaux à 1h30 du matin, agissement qui selon nous, s’explique davantage par le souhait de sortir de la marchandise en toute discrétion.
En tout état de cause, le samedi 7 avril 2018 à 7h39, vous vous présenté en caisse 13 et avez réglé avec présentation de votre carte personnelle Castorama, 7 sacs de terreau pour un montant de 36,75 € (ticket de caisse n°108035). Vous avez emporté immédiatement la marchandise dans votre véhicule personnel.
À 10h25, le même jour, vous vous êtes présenté en caisse n° 9, et avez réglé pour 59 €, 10 lots de terreaux (LOT 1+1 VERVE), sans qu’aucune marchandise ne soit présente ni récupérée (ticket de caisse n° 130638).
Monsieur [E] [T], Chef de secteur sécurité maintenance, vous a à son tour questionné le mardi 10 avril 2018 sur votre venue sur le parking du magasin à 1h30 le samedi 7 avril 2018. Il vous a par ailleurs demandé votre preuve d’achat du 6 avril 2018, étant donné que vous aviez indiqué à [C] [I] que ces achats avaient été réglés le vendredi 6 avril 2018 au soir.
Vous lui avez alors présenté le ticket de caisse n° 130638 du samedi 7 avril 2018 à 10h25. M. [T] vous a alors fait remarquer que cette preuve d’achat n’était pas la preuve des achats que vous prétendiez avoir réalisé le 6 avril 2018.
Le vendredi 13 avril 2018 à 8h58, vous vous êtes présenté en caisse 13 du bâti drive, et avez réglé 24 sacs de terreau (LOT 1+1 VERVE) pour un montant de 141,60 € (ticket de caisse n° 109218).
Aucune marchandise n’a été présentée. Vous avez déclaré à l’Hôtesse Accueil Caisse, vouloir récupérer les produits en fin de journée, ce que vous n’avez pas fait alors, ni plus tard.
Le vendredi 13 avril 2018 vers 12h00, vous avez montré à Monsieur [C] [I] une photo de ticket de caisse sur votre téléphone portable, en lui indiquant que c’était la preuve d’achat des sacs de terreau que vous étiez venu récupérer le 7 avril à 1h30 du matin.
Monsieur [C] [I] n’a eu le temps de voir ni la date du ticket, ni le montant exact, qui d’après ses souvenirs était d’environ 140 euros. Ce montant semble correspondre au ticket d’achat des 24 sacs de terreau (sans récupération de la marchandise) du vendredi 13 avril 2018 à 8h58, pour un montant de 141,60 €.
Il résulte de l’ensemble des faits qui précèdent que vous avez délibérément et de manière répétée enfreint nos procédures internes et notamment nos procédures d’encaissement.
Vous montez tout un stratagème pour tenter de justifier vos achats ; ce qui dans tous les cas ne répond en rien à votre présence à 1h30 du matin sur le parking du magasin avec le camion de location Castorama.
Vous avez emporté de la marchandise avec un fourgon Castorama utilisé sans respect des procédures de location de véhicule et sans avoir réglé ladite marchandise.
Vous avez par la suite effectué des paiements pendant votre temps de travail – en contradiction avec les dispositions de notre règlement intérieur – afin de tenter de justifier frauduleusement des marchandises emportées la nuit du 7 avril 2018.
Vous étiez enfin présent sur votre lieu de travail, en dehors des horaires réglementaires et sans aucune raison valable. Ces agissements auraient pu être extrêmement dommageables pour votre propre sécurité, mais également pour celle du magasin dont vous avez laissé un accès ouvert en pleine nuit pendant près de 4 heures.
Nous ne pouvons admettre un tel comportement de la part d’un Directeur de Magasin, en qui nous devons avoir pleinement confiance et dont la probité est essentielle, en particulier vis-à-vis des équipes.
Tout ceci est purement et simplement inacceptable au regard des responsabilités qui vous sont confiées et votre ancienneté ; d’autant plus sans aucune explication de votre part permettant de trouver le commencement du début d’une éventuelle justification à toute cette situation.
L’ensemble de ces agissements est constitutif de graves manquements à vos obligations contractuelles ainsi qu’au Règlement intérieur de l’entreprise.
Compte tenu de la gravité des faits, votre maintien dans l’entreprise s’avérant impossible, y compris pendant la durée de votre préavis, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave’ ».
Contestant le bien fondé de la mesure ainsi prise à son encontre et réclamant le paiement de rappels de salaire, de dommages-intérêts pour violation du repos hebdomadaire, de dommages-intérêts pour travail dissimulé et d’indemnités de rupture, Monsieur [JS] [LJ] a saisi la juridiction prud’homale par requête du 18 juin 2018.
Par jugement du 15 novembre 2019, le conseil de prud’hommes de Marseille a débouté Monsieur [JS] [LJ] de toutes ses demandes et l’a condamné au paiement de la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Monsieur [JS] [LJ] a interjeté appel du jugement prud’homal par déclaration d’appel du 6 décembre 2019.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Monsieur [JS] [LJ] demande à la Cour, aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 17 février 2020, de :
– Dire et juger que la Société n’a pas reversé à Monsieur [LJ] l’intégralité des IJSS perçues :
– Par conséquent :
– Infirmer le jugement et condamner la Société aux sommes suivantes :
o Remboursement des IJSS indûment conservées : 1540 euros nets
– Dire et juger que le licenciement de Monsieur [LJ] est sans cause réelle et sérieuse, que Monsieur [LJ] a subi un licenciement vexatoire et un préjudice moral :
– Par conséquent :
– Infirmer le jugement et condamner la Société aux sommes suivantes :
o Rappel de salaire sur mise à pied conservatoire : 8907 euros bruts
o Congés payés sur rappel de salaire : 890 euros bruts
o Indemnité compensatrice de préavis : 25’860 euros bruts
o Congés payés sur préavis : 2586 euros bruts
o Indemnité de licenciement : 68’991 euros nets
o Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 172’400 euros nets
o Dommages et intérêts pour licenciement vexatoire : 10’000 euros nets
o Dommages et intérêts pour préjudice moral : 20’000 euros nets
– Dire et juger que la Société n’a pas la législation en matière de durée du travail :
– Par conséquent :
– Infirmer le jugement et condamner la Société aux sommes suivantes :
o Rappel de salaire : 170’982 euros bruts
o Congés payés sur rappel de salaire : 17’098 euros bruts
o Dommages et intérêts pour violation du repos hebdomadaire : 30’000 euros nets
o Dommages et intérêts pour travail dissimulé : 51’720 euros nets
– Dire et juger que la Société a remis tardivement l’attestation Pôle Emploi :
– Par conséquent :
– Infirmer le jugement et condamner la Société à la somme suivante :
o Dommages et intérêts pour remise tardive de l’attestation Pôle Emploi : 4000 euros nets
– Condamner la Société à 8000 euros au titre de l’article 700 pour l’intégralité de la procédure ;
– Infirmer le jugement en ce qu’il a condamné Monsieur [LJ] à 1000 euros au titre de l’article 700 et aux dépens ;
– Condamner la Société aux frais de recouvrement et d’encaissement d’huissier en cas de recouvrement forcé des sommes dues ;
– Condamner la Société aux dépens et aux intérêts de droit depuis la demande en justice.
La SAS CASTORAMA FRANCE demande à la Cour, aux termes de ses conclusions d’intimée notifiées par voie électronique le 23 mars 2020, de :
Confirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions.
Débouter Monsieur [LJ] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions notamment :
Sur le licenciement, débouter purement et simplement Monsieur [LJ] de ses demandes fins et conclusions au regard des faits, de ses fonctions et responsabilités et de l’exemplarité attendue d’un Directeur d’établissement.
En conséquence, le débouter de toutes ses demandes fins et conclusions en jugeant que son licenciement repose bien sur une faute grave.
Sur les rappels de rémunération sollicités, débouter purement et simplement Monsieur [LJ] de ses demandes fins et conclusions en constatant, après avoir relevé l’existence d’une délégation de pouvoirs et l’autonomie dont il disposait, relative à l’indemnisation du dépassement ponctuel de la convention de forfait en 2017.
Dire et juger que sur les autres années, Monsieur [LJ] n’est pas en mesure de justifier d’une part l’existence d’un dépassement et d’autre part des instructions et de la volonté de son employeur.
Le débouter de sa demande relative à des rappels d’indemnités journalières de sécurité sociale.
Le débouter de ses plus amples demandes fins et conclusions.
Le condamner à la somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Sur le remboursement des IJSS
Monsieur [LJ] fait valoir que la Société a perçu 1374,54 euros de la Sécurité Sociale en mai 2018 et 165,48 euros le 4 juin 2018 ; que le bulletin de salaire de mai 2018 ne mentionne pas d’IJSS versées au salarié, contrairement à ce qui a été retenu par le conseil de prud’hommes ; que la Cour infirmera le jugement et condamnera la Société à payer à Monsieur [LJ] 1540 euros nets de remboursement des IJSS.
La SAS CASTORAMA FRANCE réplique que la subrogation a été pratiquée si bien que Monsieur [LJ] a vu son salaire intégralement réglé par la société CASTORAMA qui recevait des indemnités journalières correspondantes ; que les bulletins de salaire en attestent ; qu’en outre, c’est la société CASTORAMA qui s’est trouvée contrainte de rembourser la CPAM d’un montant de 744,65 euros correspondant à la période du 15 mai au 1er juin ; qu’enfin, Monsieur [LJ] ne justifie à aucun moment avoir adressé des arrêts de travail à son employeur ; que sa demande est inopérante et qu’il doit en être débouté.
Sur le licenciement
Monsieur [JS] [LJ] fait valoir qu’il a eu une carrière exemplaire depuis 20 ans dans la Société ; qu’il est Directeur du Magasin de [Adresse 6], qu’il a ouvert en 2012, et qu’il gère 150 salariés ; qu’il a toujours eu d’excellentes évaluations professionnelles ; qu’il produit des témoignages de salariés de la Société qui attestent des qualités professionnelles de Monsieur [LJ] ainsi que de sa grande probité ; qu’avant la date des prétendus griefs de la lettre de licenciement et avant l’engagement de la procédure de licenciement, des rumeurs circulaient sur son licenciement ; qu’en réalité, Monsieur [H], Directeur Régional Provence, signataire de la lettre de licenciement, avait une attitude particulièrement hostile à l’égard de Monsieur [LJ] et souhaitait licencier ce dernier car il le considérait comme ayant été imposé à sa région ; que bien plus, la procédure de licenciement s’est inscrite dans une politique de réduction drastique aussi bien des coûts que du personnel de la société CASTORAMA (suppression de 409 postes en 2018, avec notamment des délocalisations en Pologne).
Sur le premier grief, Monsieur [LJ] soutient qu’il n’existe pas de procédure pour les collaborateurs, ni de caution demandée, quant à l’emprunt du véhicule de location Castorama, précisant que le camion est assuré 24 heures sur 24.
Sur le deuxième grief, Monsieur [LJ] expose qu’il a acheté le 6 avril 2018, à 20h01, de nombreux sacs de sel (75 kg), des cartons de pierre de parment (120 kg), du mastic, du charbon et d’autres articles ; que la marchandise a été déposée dans un chariot ; que le mastic, qui est de faible volume, a été déposé dans le panier du chariot ; que Monsieur [LJ] s’est aperçu dans la soirée, alors qu’il passait la soirée chez sa mère pour fêter l’anniversaire de son frère, qu’il avait oublié de récupérer le mastic dans le panier du chariot; qu’il est alors parti de chez sa mère pour revenir chercher ces produits sur le parking et est passé vers 1h30 par l’entrée logistique ; qu’il est également passé par l’entrée logistique lors de son départ vers 1h45 ; qu’il n’est jamais passé par l’entrée principale et qu’il ne peut donc lui être reproché que le portail de l’entrée principale soit resté ouvert de 2 à 6 heures du matin ; que Monsieur [LJ] n’est jamais allé au niveau des issues de secours 18 et 19 et n’a jamais pris de terreau ; qu’il s’est garé près du lieu de chargement du camion et a cherché son chariot quelques minutes, a récupéré le mastic dans le panier, puis est reparti ; qu’en ce qui concerne les allusions sur un prétendu vol de terreau de nuit d’un Directeur ayant 20 ans d’ancienneté, il s’agit d’une allégation mensongère et vexatoire ; que Monsieur [LJ] a bien acheté 7 sacs de terreau le 7 avril 2018 à 7h39 et les a emportés ; qu’il a bien acheté, le 7 avril 2018 à 10h25, 10 lots de terreaux et est allé les récupérer à l’extérieur, au parc des végétaux, puisqu’il n’y avait plus de terreau dans le magasin; que le parc jardin et le parking sont filmés et que la Société est donc en possession des vidéos du chargement de ces sacs de terreau ; que les 48 sacs de terreau qu’il a achetés le 13 avril 2018 ont été récupérés par Monsieur [P] [DI], tel qu’attesté par ce dernier ; que le constat d’huissier versé par la Société n’établit pas les faits.
Sur le troisième grief, Monsieur [LJ] fait valoir qu’il est en forfait jours, et qu’il n’a pas d’horaires de travail et que ce grief est erroné.
Monsieur [LJ] soutient que son licenciement est donc manifestement sans cause réelle et sérieuse.
La SAS CASTORAMA FRANCE soutient que les faits reprochés à Monsieur [LJ] sont parfaitement justifiés, tel que cela ressort des attestations et du constat d’huissier versés par la société.
Sur l’utilisation frauduleuse du fourgon de livraison, la SAS CASTORAMA FRANCE fait valoir que Monsieur [LJ] admet bien l’existence d’une procédure en produisant des exemplaires de contrats destinés à la location des véhicules par des collaborateurs CASTORAMA ; qu’il n’existe pas de procédure écrite concernant les collaborateurs puisque la procédure à suivre est celle qui doit être suivie pour les clients ; que ce grief est établi.
Sur le chargement de produits non payés en milieu de nuit sans fermeture de l’accès, la SAS CASTORAMA FRANCE fait valoir que les explications données par le salarié ne sont pas sérieuses ; que Monsieur [LJ] a utilisé le portail logistique et en passant devant le portail principal, a déclenché son ouverture, cette situation étant parfaitement attestée par l’huissier de justice ; que le constat d’huissier laisse en outre apparaître que Monsieur [LJ] serait resté 30 minutes sur les lieux (01h33 – 02h03) alors qu’il s’agissait, aux dires du salarié, de récupérer quelques articles qu’il aurait laissés dans un chariot ; que Monsieur [LJ] ne donne aucune explication sur le fait qu’il a conservé le camion de l’entreprise pour transporter simplement, d’après ses dires, 5 paquets de mastics, alors qu’il aurait très bien pu récupérer son véhicule personnel laissé sur le parking de l’entreprise.
Sur le règlement a posteriori suite à demande d’explication, la SAS CASTORAMA FRANCE soutient que l’attestation de l’artisan, qui serait venu récupérer les sacs le 13 avril vers midi, est de pure complaisance ; que Monsieur [LJ] avait présenté le ticket de caisse de 141 euros pour justifier des achats de terreau qu’il indique avoir chargé dans la nuit du 6 au 7 avril ; que les attestations de Messieurs [T] et [I] laissent apparaître que Monsieur [LJ] s’est rendu la nuit sur son lieu de travail pour récupérer de la marchandise, qui n’a jamais été réglée, et qu’il a tenté de régulariser ses achats a posteriori, constatant qu’il avait été découvert ; que ces faits sont particulièrement graves et contraires aux responsabilités de Monsieur [LJ] et justifient à tout le moins une faute grave ; qu’en conséquence, le licenciement sera jugé comme reposant sur une faute grave.
Sur les indemnités de rupture
Monsieur [LJ] soutient que son salaire de référence calculé sur les 12 derniers mois précédant le licenciement, de mai 2017 à avril 2018, s’élève à 8620 euros bruts mensuels ; qu’il peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis de trois mois, aux congés payés afférents, au rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire et congés payés afférents et à une indemnité conventionnelle de licenciement de 68’991 euros nets en application de l’article 20 de l’accord d’entreprise CASTORAMA France du 15 mai 2007.
Il demande que le barème des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse soit écarté car contraire aux dispositions internationales et européennes (article 24b de la Charte sociale européenne ; les principes clés du socle européen des droits sociaux adopté par les États membres de l’UE ; l’article 10 de la convention de l’Organisation internationale du travail n° 158 du 22 juin 1982) et sollicite la somme de 172’400 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à hauteur de 20 mois de salaire.
La SAS CASTORAMA FRANCE soutient que le calcul de la moyenne des 12 derniers mois présenté par Monsieur [LJ] est inexact ; que celui-ci a réalisé un tableau qui ne correspondant pourtant pas à la fiche fiscale annuelle qu’il produit lui-même, laquelle fait apparaître un net fiscal à déclarer de 70’040,78 euros, soit 5836,73 euros par mois et non 8620,52 euros comme prétendu par le salarié. Elle fait valoir qu’au regard du motif du licenciement, les demandes de Monsieur [LJ] au titre du préavis et de l’indemnité de licenciement sont infondées et en tout état de cause, inexactes dans leur montant ; que Monsieur [LJ] réclame des dommages-intérêts pour licenciement abusif sans aucune mesure avec un éventuel préjudice, alors qu’il ne verse aux débats aucun élément susceptible de permettre de connaître sa situation professionnelle actuelle et qu’il doit être débouté de ses demandes.
Sur les dommages intérêts pour licenciement vexatoire
Monsieur [LJ] soutient qu’il a été licencié sans motif et dans des conditions particulièrement humiliantes et vexatoires et sollicite la somme de 10’000 euros de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire.
La SAS CASTORAMA FRANCE fait valoir que la lettre de licenciement est motivée, que la procédure a été respectée, que le licenciement n’a pas été entouré de conditions humiliantes et que le salarié doit être débouté de sa demande au titre d’un licenciement vexatoire.
Sur les dommages intérêts pour préjudice moral
Monsieur [LJ] fait valoir qu’il est en dépression sévère depuis son licenciement ; que la Société a informé les autres salariés que Monsieur [LJ] a été licencié pour vol ; qu’il est en droit de réclamer 20’000 euros nets de dommages et intérêts pour préjudice moral.
La SAS CASTORAMA FRANCE soutient que la situation médicale de Monsieur [LJ] est sans rapport avec les obligations de la société CASTORAMA ; que le conseil de prud’hommes n’est pas en mesure de rattacher une situation de santé à une situation de travail et que Monsieur [LJ] doit être débouté de sa demande au titre d’un préjudice moral.
Sur la violation des règles sur la durée du travail et le travail dissimulé
Monsieur [JS] [LJ] soutient qu’il travaillait tous les jours, même pendant ses jours de repos et pendant ses RTT, ce que sa Direction savait pertinemment ; qu’il demande donc le paiement de 2 jours de repos hebdomadaire et de 14 jours de RTT sur les 3 dernières années, soit 354 jours ; qu’il est en droit de réclamer 170’982 euros à titre de rappel de salaire, outre les congés payés afférents.
Monsieur [LJ] demande 30’000 euros net de dommages et intérêts pour violation du repos hebdomadaire, la Société n’ayant pas respecté ses repos hebdomadaires puisque, à l’exception de ses congés payés, le salarié travaillait tous les jours, 7 jours sur 7, et la Société étant parfaitement informée de sa charge de travail.
Monsieur [LJ], citant les articles L.8221-5 et L.8223-1 du code du travail et la jurisprudence de la Cour de cassation sur le délit de travail dissimulé qui est constitué en cas de mention volontaire sur le bulletin de paie d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué, soutient que le travail dissimulé est constitué et qu’il a droit à une indemnité de travail dissimulé de 51’720 euros nets.
La SAS CASTORAMA FRANCE fait valoir que Monsieur [LJ] bénéficiait d’un forfait en jours dont il ne conteste pas la validité ; que le salarié en sa qualité de Directeur d’établissement bénéficiait d’une délégation de pouvoirs et était totalement libre dans l’organisation de son emploi du temps en sa qualité de cadre autonome ; qu’il se trouvait être le garant de l’application de la législation sociale au sein de son établissement ; qu’il ne fournit aucun élément de nature à justifier des jours travaillés ; que le seul élément probant réside dans l’attestation fiscale que Monsieur [LJ] verse aux débats pour 2017, qui mentionne qu’il a effectivement travaillé 223 jours sur l’année 2017 ; que toutefois, ce document est notoirement insuffisant ; que la Cour de Cassation a indiqué que la circonstance que le cadre dépasse le nombre de jours prévus par le forfait n’entraîne pas la nullité de la convention ni son absence d’effet (Cass.soc 24 octobre 2018 n° 17-12535) ; que Monsieur [LJ] ne justifie pas que son employeur ait exigé de sa part sa présence sur les jours supplémentaires constatés sur l’année 2017, alors qu’il était tout à fait libre d’organiser son travail comme il l’entendait ; qu’en outre, en dehors du dépassement consenti, le dépassement de forfait indépendant de la volonté du salarié lui ouvre droit non à une majoration de salaire ou règlement de la rémunération correspondante, mais à des dommages-intérêts en application de l’article L.3121-61 du code du travail, cette indemnisation étant toutefois conditionnée au fait que le salarié doit justifier que sa rémunération est manifestement sans rapport avec son emploi ; que Monsieur [LJ] ne propose pas de faire cette démonstration ; qu’enfin, comme le rappelle Monsieur [LJ], son employeur lui a régulièrement rappelé qu’il se devait impérativement de prendre ses jours de repos et jours de congés à l’occasion des entretiens annuels et de contrôle de la charge de travail ; qu’en outre, Monsieur [LJ] n’a jamais fait de reproches à son employeur de cette situation, notamment à l’occasion des entretiens annuels; qu’il sera en conséquence débouté de ses demandes au titre de la violation des règles sur la durée du travail et travail dissimulé.
Sur la remise tardive des documents de fin de contrat
Monsieur [LJ] fait valoir que, ayant été licencié le 14 mai 2018, il n’a reçu ses documents de fin de contrat que le 9 juin 2018, soit près d’un mois après la rupture du contrat de travail. Il demande 4000 euros nets de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat.
La SAS CASTORAMA FRANCE conclut au débouté du salarié de ses plus amples demandes.
SUR CE :
Sur le licenciement :
S’agissant du premier grief relatif à l’emprunt du fourgon Castorama sans respect de la procédure, la SAS CASTORAMA FRANCE, à laquelle incombe la charge de la preuve de la faute grave, soutient que la procédure à suivre par les collaborateurs est celle qui doit être suivie pour les clients.
La société produit un document intitulé « Processus de mise à disposition d’un véhicule pour la clientèle » prévoyant l’établissement d’un contrat de location et le versement d’un dépôt de garantie, différents courriels d’avril 2018 d'[E] [T], Chef de Secteur Sécurité de CASTORAMA [Adresse 6], mentionnant l’absence de contrat de location pour l’emprunt du véhicule Castorama, et l’attestation du 14 mai 2018 de Monsieur [C] [I], Chef de Secteur Logistique, qui rapporte : « Concernant le process de location pour les collaborateurs, il est le même que pour les clients, nous établissons un contrat de location avec caution de 500 €. M. [JS] [LJ], en fonction de ses besoins, avait l’habitude de prendre le véhicule de location la nuit (de la fermeture jusqu’à l’ouverture) et n’établissait pas de contrat de location ».
Monsieur [I] rapporte que Monsieur [JS] [LJ] prenait habituellement le véhicule de location sans établir de contrat de location. Il n’est pas démontré qu’une quelconque observation ait été adressée à Monsieur [LJ], exigeant de lui l’établissement d’un contrat de location, alors même qu’il ressort du document de « processus de mise à disposition d’un véhicule pour la clientèle » que le Contrôleur de gestion du magasin doit superviser l’établissement du contrat de location.
Par ailleurs, l’appelant produit deux exemplaires de contrat de « prêt de véhicule de location aux employés » et « contrat de mise à disposition d’un véhicule » aux employés du magasin d'[Localité 3] en date des 23 juin 2018 et 15 août 2018 (pièces 68 et 71), qui établissent certes, comme relevé par l’employeur, qu’il existait une procédure spécifique sur le magasin d'[Localité 3], mais que ne s’appliquait pas en tout état de cause la procédure de mise à disposition d’un véhicule à la clientèle.
Monsieur [LJ] produit également l’attestation du 19 juillet 2018 de Madame [DX] [D], hôtesse d’accueil à Castorama [Adresse 5], qui « atteste que le prêt de camion à un collaborateur se fait gracieusement pour les employés qui en font la demande auprès de la direction du magasin. Même en dehors des heures d’ouverture du magasin », ainsi que l’attestation du 25 avril 2018 de Monsieur [F] [XZ], conseiller de vente sur le magasin [Adresse 6], qui rapporte :
« Concernant le véhicule de location pour les collaborateurs, il n’y avait pas et il n’y a toujours pas de procédure écrite ».
Les éléments ainsi versés par le salarié contredisent ceux produits par l’employeur, étant observé que la SAS CASTORAMA FRANCE ne verse aux débats aucun contrat de location qui aurait été établi avec un collaborateur du magasin Castorama [Adresse 6], de telle sorte qu’il n’est pas démontré l’existence d’une procédure de mise à disposition du fourgon Castorama aux collaborateurs du magasin. La société appelante ne justifie pas que le fourgon Castorama n’aurait pas été assuré 24 heures sur 24, comme soutenu par Monsieur [LJ], et que l’absence d’établissement d’un contrat aurait privé le conducteur d’une assurance durant l’utilisation du véhicule.
Ce premier grief n’est donc pas établi.
S’agissant du grief relatif au retrait de marchandise dans la nuit du 6 au 7 avril 2018, sans l’avoir réglée, la Cour constate en premier lieu qu’il n’est pas discuté que Monsieur [JS] [LJ] a acheté de la marchandise pour 157,16 € le 6 avril 2018 à 20h01, qu’il a transportée avec le véhicule de location Castorama, et qu’il est revenu le samedi 7 avril 2018 à 01h30 du matin sur son lieu de travail, toujours avec le fourgon Castorama.
La SAS CASTORAMA FRANCE, qui fait grief au salarié d’avoir retiré de la marchandise qui n’était pas réglée, verse les éléments suivants :
-différents courriels des 13 avril, 16 avril et 18 avril 2018 d'[E] [T], Chef de Secteur Sécurité de CASTORAMA [Adresse 6], adressés à [X] [H], Directeur régional (que M. [T] tutoie), pour lui faire part des événements de la nuit du 6 au 7 avril 2018, tels que relatés dans la lettre de licenciement, avec copies des tickets de caisse du 6 avril 2018 (à 20h01), du 7 avril 2018 (à 7h39), du 7 avril 2018 (à 10h25), du 13 avril 2018 (à 8h58) ainsi que des photos extraites des vidéos de surveillance ; Monsieur [T] conclut que Monsieur [LJ] n’a présenté aucune preuve d’achat de sacs de terreau pour la journée du 6 avril 2018 ;
-l’attestation du 27 mai 2018 de Monsieur [E] [T], CS Sécurité, qui rapporte : « * Le 07/04/18: je suis averti par le chef de poste [Localité 7] que M. [LJ] s’était introduit dans la nuit sur le parking du magasin et que le portail est resté ouvert de 2H à 6H du matin.
* Le 09/04/18 : j’appelle M. [C] [I], qui a fermé le magasin le 07/04/18 vers 20h30 avec Mme [V] [U] (cadre de permanence), et qui a ouvert le magasin le 07/04/18 à 6H00. Il indique avoir constaté le portail entrée principal ouvert lors de son arrivée alors qu’il avait lui-même procédé à sa fermeture la veille au soir. M. [I] a donc visionné les images de vidéosurveillance magasin avec un agent de sécurité et il a constaté que le fourgon CASTORAMA s’était introduit vers 1H30 sur le parking. Il m’indique que ce fourgon a été emprunté par M. [LJ] la veille au soir après qu’il ait effectué quelques achats en magasin. M. [I] m’indique qu’il a déjà échangé avec M. [LJ] sur ces faits. M. [LJ] a d’abord nié les faits et lorsque M. [I] lui dit qu’il l’a vu en caméra, M. [LJ] dit se souvenir finalement de son passage cette nuit avec le fourgon Castorama car il n’avait pas pu récupérer toute la marchandise de son passage caisse de la veille. M. [LJ] a dit venir récupérer des sacs de terreau.
* Le 10/04/18 : vu les éléments qui m’ont été remontés, je procède à l’ensemble des recherches vidéos et tickets de caisse concernant ces faits.
* Le 10/04/18 : je constate par moi-même ce que M. [I] m’a rapporté. Sur le ticket de caisse du 06/04/18 à 20h01, N° 118255, aucun sac de terreau n’a été encaissé. Aucun autre ticket n’est retrouvé prouvant que M. [LJ] aurait acheté des sacs de terreau le 06/04/18. Je constate également que la marchandise emportée le 06/04/18 vers 20H00 ne peut pas encombrer totalement le fourgon CASTORAMA.
* Le 10/04/18 : Entretien à M. [LJ] sur ces faits. Il dit être mal à l’aise sur le fait d’avoir laissé le portail ouvert de 2H00 à 6H00. Je lui demande de me fournir la preuve d’achat de sacs de terreau. Celui-ci me présente un ticket de caisse en date 07/04/18′
M. [LJ] n’est toujours pas en mesure de justifier d’un paiement pour des sacs de terreau en date du 06/04/18, et vu les encaissements répétés alors qu’aucune marchandise n’est présentée en caisse, je décide d’alerter M. [X] [H], Directeur Régional, qui m’a reçu le 13/04/18 vers 11h30 pour m’entendre.
J’ajoute que le 11/04/18 vers 20h15, M. [LJ] m’a contacté sur mon portable personnel pour m’informer qu’il était atteint d’une maladie grave, type lymphome, et qu’il allait devoir s’absenter régulièrement du magasin en journée pour se soigner. M. [LJ] m’a précisé qu’il ne voulait se confier qu’à moi, car il n’avait aucune confiance auprès des autres membres du CODIR.
J’ajoute que les 2 portails d’entrée/sortie magasin s’ouvrent et se ferment avec une télécommande dont tous les cadres et M. [LJ] sont en possession » ;
-l’attestation du 14 mai 2018 de Monsieur [C] [I], Chef de Secteur Logistique, qui témoigne :
« [Localité 8] 05H45, le samedi 07 avril 2018, je suis de permanence et j’arrive sur le magasin. Je constate que le portail principal est ouvert. Hors la veille au soir, je suis resté avec le permanent cadre, Mme [V] [U], pour veiller à la bonne fermeture du magasin.
Suite à la constatation, j’ai interrogé l’agent de sécurité, afin de savoir si ce n’était pas lui qui avait ouvert le portail. Ce dernier me confirme que non et qu’il ne dispose pas de la télécommande pour l’ouvrir. On décide de faire un tour du chapiteau, un point sensible en cas de vol potentiel et afin de vérifier qu’il n’y a pas eu de braquage. Suite à la vérification, nous n’avons constaté aucun problème ou anomalie. Nous avons donc décidé de finir l’ouverture du magasin, afin de mettre la journée en route et de procéder ensuite à un contrôle caméra.
Vers 06H45, suite au visionnage des caméras, on voit vers 01H30 du matin, le fourgon de location Castorama, pris la veille au soir par notre Directeur, M. [JS] [LJ], s’arrêter au niveau du portail principal. Puis partir au bout de quelques secondes et le portail d’entrée s’ouvrir.
Vers 06H25, le Directeur, M. [JS] [LJ] arrive dans le PC Sécurité pour déposer les clés du camion de location. De ce fait, je lui demande, « Qu’est-ce que tu foutais sur le magasin cette nuit ‘ ». Il me répond « Comment ça, je ne comprends pas ta question ».
-« Bah oui on te voit à la caméra et tu as laissé le portail ouvert ».
– » Ce n’est pas possible, je ne suis pas passé par ce portail. J’avais besoin de terreau et comme j’avais le véhicule de location et pour éviter de le relouer, plus tu sais que je suis insomniaque, j’en ai profité pour faire l’aller retour ».
Après avoir visionné la caméra, il me précise que sa télécommande fonctionne mal et quand il s’est arrêté, le portail ne s’ouvrait pas, il est passé par l’arrière’ » ;
-le procès verbal de constat établi par Maître [ZR] [RP], huissier de justice, en date du 16 avril 2018, ayant visionné les extraits des vidéos de surveillance du serveur de sécurité sur le poste de Monsieur [E] [T], chef du secteur sécurité, et décrivant les vidéos (18 vidéos stockées sur l’ordinateur) en date des 6, 7 et 8 avril 2018 ;
-l’attestation du 4 juin 2018 de Madame [B] [J], étudiante, qui relate : « Le 7 avril 2018 dans la matinée, Monsieur [LJ] [JS] s’est présenté à ma caisse avec un document mentionnant un code barre et m’a donné verbalement une quantité (sacs de terreau). Je l’ai scanné, lui ai donné le montant et j’ai encaissé la somme » ;
-l’attestation du 9 mai 2018 de Madame [V] [U], Responsable Ressources Humaines, qui relate : « Le vendredi 6 avril 2018, j’étais cadre de permanence l’après-midi. Lors de la fermeture du magasin vers 20 heures, Mr [JS] [LJ] a fait des achats. Les produits présents sur le chariot n’étaient pas de nature à remplir un camion de location. Mr [LJ] a emprunté le camion de location pour ramener la marchandise chez lui. Vers 20h20, 20h30 avec Mr [C] [I], nous avons mis le magasin sous alarme et nous avons fermé le portail d’accès principal au magasin ».
Monsieur [JS] [LJ], qui conteste les faits qui lui sont reprochés, expose :
-qu’il a déposé une partie des articles achetés le 6 avril 2018 à 20h01 [des sacs de sel (75 kg), des cartons de pierre de parment (120 kg), du mastic, du charbon et autre articles, tel que cela résulte du ticket de caisse] chez sa mère, qui habite dans le [Localité 1], afin de rénover une pièce de la maison ; qu’il devait passer la soirée chez sa mère pour fêter l’anniversaire de son frère ; qu’il s’est aperçu dans la soirée qu’il avait oublié de récupérer le mastic dans le panier du chariot ; qu’il est parti de chez sa mère pour revenir chercher ces produits sur le parking ;
Monsieur [LJ] produit l’attestation du 12 mai 2018 de sa mère, Madame [W] [KG], confirmant la version de son fils, précisant que celui-ci s’était aperçu « qu’il avait oublié des produits mastics dans son chariot, il est reparti à minuit environ et il est rentré chez lui dans le Var » ;
-qu’il s’est garé sur le lieu de chargement du camion, a cherché son chariot quelques minutes, a retrouvé le chariot, récupéré le mastic dans le panier puis est reparti ; qu’il n’est jamais allé au niveau des issues de secours 18 et 19 et n’a jamais pris de terreau ;
-que le 7 avril à 2018, à 7h39, il a acheté 7 sacs de terreau et les a emportés, s’agissant des seuls sacs de terreau disponibles à l’entrée du magasin, au niveau des caisses ;
-que le 7 avril 2018, à 10h25, il a acheté 10 lots de terreau et est allé les récupérer à l’extérieur, au parc des végétaux, puisqu’il n’y avait plus de terreau dans le magasin ; que le parc jardin et le parking sont filmés et la société est en possession des vidéos de chargement de ces sacs de terreau ;
-que le 13 avril 2018, il a acheté 48 sacs de terreau ; que l’employeur prétend que Monsieur [LJ] n’aurait jamais emporté ces sacs et que le règlement de la marchandise, sans la récupérer, aurait pour objectif de tenter de justifier le retrait de terreau le 7 avril 2018 à 1h30 du matin, sans paiement ; que toutefois, Monsieur [LJ] a envoyé un artisan récupérer ces 48 sacs de terreau ;
Monsieur [LJ] produit l’attestation du 19 mai 2018 de Monsieur [P] [DI], gérant artisan poseur pour Castorama, qui relate avoir, à la demande de Monsieur [JS] [LJ], récupéré le 13 avril vers midi, au magasin de [Adresse 6], une palette de terreau AU BATI, en présentant le ticket de caisse qu’il avait récupéré auprès de Monsieur [LJ] d’un montant de 141 euros ;
-qu’il produit, outre son évaluation professionnelle positive de 2017 (pièce 5) et ses bulletins de salaire mentionnant le versement de bonus de performance individuelle et de primes individuelles (pièces 6 à 10), des témoignages de salariés attestant de ses qualités professionnelles et de son honnêteté (pièces 11 à 19, 30 à 32, 43 à 45, 69) ;
-que Monsieur [H], Directeur Régional Provence, signataire de la lettre de licenciement, avait une attitude hostile à son égard ;
Monsieur [LJ] produit l’attestation du 20 mai 2018 de Monsieur [KV] [N], Directeur Castorama sur la région Provence de mai 2015 à janvier 2017, qui relate « avoir été reçu en entretien de mobilité par le directeur régional, Mr [X] [H], en avril 2015. Ce jour là, Mr [H] m’a dit : « J’espère que tu ne seras pas aussi nul que [JS] [LJ] et que [M] [G], les deux derniers directeurs qui m’ont été imposés sur ma région ». Je suis resté sans voix devant cette façon de parler de personnes d’autant que je connaissais ces 2 directeurs dans leurs régions précédentes dans lesquelles ils étaient très appréciés et avaient d’excellents résultats. D’ailleurs, quelques mois auparavant, le directeur d’exploitation de la France, Mr [L] [A], avait demandé à l’ensemble des directeurs de la France d’aller s’inspirer et visiter le magasin d'[Localité 2] tenu à l’époque par [JS] [LJ].
J’ai pu me rendre compte par la suite à chaque réunion de directeur comment Mr [H] n’appréciait pas le directeur [JS] [LJ]. Il ne cessait, à l’image de ce qu’il m’avait déjà dit lors de l’entretien, de faire des injonctions disproportionnées et très malveillantes à l’égard de [JS] [LJ].
Il ne cessait de lui mettre la pression, comme s’il souhaitait faire craquer psychologiquement Mr [LJ]. Ce dernier ne pouvait répondre, car les attaques personnelles redoublaient d’intensité » ;
Également, Madame [S] [ST], comptable à Castorama [Localité 3] alors que Monsieur [JS] [LJ] était chef de secteur au magasin d’Antibes en 2008 et que Monsieur [X] [H] venait d’arriver sur la région PACA en tant que directeur régional, rapporte que celui-ci « lors de ses visites au magasin d’Antibes avait des propos très désobligeants vis-à-vis de Monsieur [JS] [LJ], et ce malgré les très bons résultats de ce dernier, Monsieur [H] avait toujours des remarques des jugements négatifs sur la personne de Monsieur [LJ]. Lorsque Monsieur [LJ] est parti dans une autre région en tant que Directeur de magasin, Monsieur [H] [X] a tenu les propos suivants « BON DEBARRAS » et je ne suis pas la seule à avoir entendu ces propos, plusieurs collaborateurs ont entendu » (attestation: du 30 mai 2018 – pièce 43) ;
Madame [S] [ST] rapporte également, dans une autre attestation du 28 mai 2018 (pièce 69), « avoir entendu dans le magasin d'[Localité 3] des propos désobligeants vis-à-vis de Monsieur [LJ] à propos d’une vidéosurveillance sur le magasin de [Adresse 6] dictée par la direction régionale en l’occurrence Monsieur [H] [X], pour compenser le manque de preuves. Il a été dit aussi que Monsieur [H] avait mis en place ce nouveau chef de la sécurité, Monsieur [T], et que celui-ci avait comme par hasard fait une attestation à l’encontre de Monsieur [LJ] son directeur, il s’en est d’ailleurs vanté auprès de certains collaborateurs et leur a demandé de faire des attestations que la direction régionale saurait apprécier ! Il est dit aussi qu’une enquête CHSCT a été diligentée sur le magasin de [Adresse 6] à la demande de certains collaborateurs outrés de la façon de faire de la direction régionale » ;
-que des rumeurs ont circulé sur son licenciement ;
Monsieur [LJ] produit notamment l’attestation du 28 mars 2018 de Madame [XK] [R], agent de maîtrise Castorama [Localité 3], qui atteste « que des rumeurs circulent au sein du magasin d’Antibes sur le fait que Monsieur [JS] [LJ] allait se faire licencier » ;
Les autres témoignages versés par l’appelant attestent de « rumeurs » sur le licenciement de Monsieur [LJ] antérieurement à l’envoi de la lettre de licenciement, mais postérieurement aux faits reprochés au salarié ;
-que la procédure de licenciement s’inscrit dans une politique de réduction drastique, aussi bien des coûts que du personnel de la société CASTORAMA ;
Monsieur [LJ] verse un article de presse « Les Echos » sur la suppression de plus de 400 postes chez Castorama et Brico Dépôt.
*
Au vu des éléments ainsi versés par les parties et alors qu’il apparaît que le directeur régional, Monsieur [X] [H], manifestait une attitude hostile à l’égard de Monsieur [JS] [LJ], ce depuis plusieurs années, et que des rumeurs ont circulé sur le licenciement du directeur de l’établissement Castorama de [Adresse 6] avant même la date de la commission des faits qui lui sont reprochés, le 7 avril 2018, selon le témoignage du 28 mars 2018 de Madame [XK] [R], la Cour observe que le procès-verbal de constat d’huissier de justice ne permet pas de démontrer que Monsieur [JS] [LJ], entrant dans le parking du magasin Castorama le 7 avril 2018 à 01h33, s’était garé « au niveau des issues de secours 18 et 19, endroit ou sont situés le stock de palettes de terreau, les abris de jardin et les végétaux » (selon la lettre de licenciement). En effet, les seuls extraits des fichiers vidéo soumis à la lecture de l’huissier de justice ont permis de relever les passages du fourgon Castorama « au devant de la caméra sur le parking du magasin » (à 01h36), le déclenchement d’un détecteur de mouvement éclairant le parking à 1h36 et de nouveau à 1h43, un nouveau passage du fourgon à 1h53, celui-ci passant « aux abords du portail d’entrée principale » à 1h58 puis se dirigeant vers le portail logistique qui s’ouvre (à 2h03).
La version du salarié selon laquelle il est venu récupérer le mastic qu’il avait oublié dans le panier du chariot qu’il avait utilisé pour transporter les marchandises achetées à 20h01, le 6 avril 2018, n’est pas démentie par le constat d’huissier, qui ne permet pas de démontrer que Monsieur [JS] [LJ] aurait retiré des sacs de terreau, entre 1h30 et 2 heures du matin, sans les avoir payés.
Par ailleurs, le témoignage de Monsieur [P] [DI], produit par le salarié, non utilement contredit par les seuls extraits de vidéosurveillance analysés dans le cadre du procès-verbal de constat d’huissier de justice, démontre que Monsieur [JS] [LJ] a effectivement retiré les sacs de terreau payés le 13 avril 2018 à 8h58 en caisse 13. Les extraits de vidéos analysés dans le cadre du procès-verbal de constat d’huissier de justice permettent d’établir tout au plus que Monsieur [LJ] n’a pas retiré immédiatement les sacs de terreau, suite à son achat du 7 avril 2018 à 10h30, Monsieur [LJ] affirmant qu’il aurait retiré par la suite la marchandise au parc des végétaux.
Le témoignage de Monsieur [C] [I] rapportant que Monsieur [JS] [LJ] lui aurait dit être venu récupérer des sacs de terreau, et le témoignage de Monsieur [E] [T], présenté par Madame [S] [ST] comme ayant été nouvellement « mis en place » par le directeur régional, lequel avait manifesté une hostilité à l’encontre de Monsieur [LJ], non corroborés par des constatations matérielles effectuées dans le cadre du procès-verbal de constat d’huissier de justice, ne présentent pas de garanties suffisantes de crédibilité en l’état du lien de subordination de leurs auteurs à l’égard de l’employeur.
En conséquence, la Cour constate que le grief relatif au retrait de marchandises non payées n’est pas suffisamment établi.
Par contre, il ressort bien du procès-verbal de constat d’huissier de justice en date du 16 avril 2018 que Monsieur [JS] [LJ], conduisant le fourgon Castorama le 7 avril 2018, se dirigeait à 1h58 vers le portail d’entrée principale et que, peu après son passage aux abords du portail d’entrée principale, « un spot du portail s’allume annonçant l’ouverture du portail », ce dont il peut être déduit que Monsieur [JS] [LJ] a tenté d’ouvrir avec sa télécommande le portail de l’entrée principale, lequel est de ce fait resté ouvert jusqu’à 6 heures du matin.
S’agissant du grief relatif à l’achat et au paiement de marchandises pendant le temps de travail de Monsieur [LJ], il n’est pas discuté que ce dernier, bénéficiant d’un forfait jours, n’était pas soumis à des horaires de travail. Ce grief n’est donc pas établi.
De même, le règlement intérieur qui prévoit que « le personnel est tenu de se conformer aux horaires de travail effectif établis par la direction » et qu’ « aucun salarié ne peut, sans autorisation préalable de l’employeur, ou sans justification, se trouvait sur les lieux du travail ni être occupé en dehors de l’horaire fixé’ » ne permet pas de conclure que Monsieur [LJ], non astreint à des horaires de travail, aurait méconnu ses obligations contractuelles en étant présent sur son lieu de travail « en dehors des horaires réglementaires ».
En conséquence, seule est établie l’ouverture par Monsieur [LJ] du portail de l’entrée principale du magasin à 2 heures du matin, le 7 avril 2018, portail resté ouvert jusqu’à 6 heures du matin. Une telle action résultant d’une négligence du salarié, lequel présentait une ancienneté de 19 ans dans l’entreprise, sans antécédent disciplinaire, ne caractérise pas une faute grave justifiant son licenciement.
La Cour infirme le jugement du 15 novembre 2019 du conseil de prud’hommes de Marseille et dit que le licenciement de Monsieur [JS] [LJ] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les indemnités de rupture :
La SAS CASTORAMA FRANCE, qui conteste le calcul présenté par le salarié en pièce 4 de sa rémunération annuelle brute sur les 12 mois précédant le licenciement en date du 14 mai 2018 (de mai 2017 à avril 2018), se réfère à la fiche fiscale produite par le salarié laissant apparaître un net fiscal à déclarer de 70’040,78 euros.
Toutefois, le salaire mensuel moyen brut de Monsieur [LJ] doit être calculé sur la base de sa rémunération annuelle brute sur les 12 mois précédant son licenciement, et non sur sa rémunération nette.
La Cour retient le calcul présenté par Monsieur [LJ], conforme aux salaires mensuels bruts inscrits sur les bulletins de paie de mai 2017 à avril 2018 versés au débat par le salarié (ses pièces 3), dont il ressort que ce dernier a perçu une rémunération brute annuelle de 103’446,30 euros, soit une rémunération mensuelle moyenne brute de 8620,52 euros.
Monsieur [JS] [LJ], qui a été en arrêt de travail pour maladie à compter du 16 avril 2018 et qui ne s’est vu retenu aucun salaire sur la période de mise à pied à titre conservatoire du 13 au 16 avril 2018 sur son bulletin de paie d’avril 2018, est débouté de sa demande en paiement d’un rappel de salaire et de congés payés afférents sur la période de la mise à pied conservatoire.
Il y a lieu de faire droit à la réclamation de Monsieur [LJ] et de lui accorder la somme brute de 25’860 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, correspondant à trois mois de salaire, ainsi que la somme brute de 2586 euros de congés payés y afférents.
Selon l’Accord d’entreprise CASTORAMA FRANCE du 15 mai 2017 (pièce 26 produite par le salarié), le cadre ayant une ancienneté supérieure à 5 ans, a droit à une indemnité de licenciement calculée sur la base de 3,3 % du total des salaires des 12 mois précédents par année d’ancienneté, qui ne peut excéder 12 mensualités de salaires.
Par conséquent, Monsieur [LJ] a droit à une indemnité conventionnelle de licenciement de 68’991 euros (103’446 x 3,3 % x 20,21 ans incluant le préavis).
Il appartient au juge du fond de vérifier la compatibilité des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui fixent un barème applicable à la détermination par le juge du montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec les normes supra-nationales que la France s’est engagée à respecter et qui ont une autorité supérieure à celle des normes nationales.
Les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, qui garantissent à toute personne le droit à un recours effectif en cas de violation des droits et libertés reconnus par ladite Convention et le droit à un procés équitable, ne s’appliquent pas aux limitations matérielles d’un droit consacré par la législation interne, comme la limitation du montant de l’indemnité susceptible d’être allouée à un salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Une telle limitation ne constitue pas un obstacle procédural entravant l’accès du salarié à la justice ou une violation du droit à un procés équitable.
Il n’y a donc pas lieu d’écarter les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail qui ne violent pas les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des drots de l’Homme.
Monsieur [JS] [LJ] invoque par ailleurs l’article 10 de la Convention internationale du travail n°158 qui dispose que « si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».
Cet article de la Convention n° 158 de l’OIT est d’application directe en droit interne.
Le terme « adéquat » doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d’appréciation.
En droit français, si le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise.
Lorsque la réintégration est refusée par l’une ou l’autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux édictés sur la base de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise. Le juge français garde une marge d’appréciation quant à l’évaluation de l’indemnité adéquate ou d’une réparation appropriée, entre une limite minimale et une limite maximale exprimées en mois de salaire brut, de telle sorte que l’indemnisation réponde à la situation particulière du salarié, par la prise en compte de critères autres que l’ancienneté, tels que l’âge, la situation de famille, la difficulté à retrouver un emploi.
Le barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail est écarté en cas de nullité du licenciement, par application des dispositions de l’article L.1235-3-1 du même code.
Il s’en déduit que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail.
Monsieur [JS] [LJ] invoque également l’article 24b) de la Charte sociale européenne, révisée le 3 mai 1996.
Selon la partie II de cette Charte : « Les Parties s’engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et des paragraphes ci-après.
[…]
Article 24 ‘ Droit à la protection en cas de licenciement
En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :
a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;
b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial ».
Eu égard à l’importance de la marge d’appréciation laissée aux parties contractantes par les termes précités de la Charte sociale européenne révisée, rapprochés de ceux des parties I et III du même texte, les dispositions de l’article 24 de ladite Charte ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
Enfin, le renforcement de la prévisibilité des conséquences qui s’attachent à la rupture du contrat de travail, organisé par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, texte de valeur législative, a poursuivi un objectif d’intérêt général qu’il n’appartient pas au juge judiciaire de discuter. En tout état de cause, la fourchette de l’indemnisation entre une indemnité minimale et une indemnité maximale ne saurait, en raison de sa progression réelle, être considérée comme incitant en elle-même au licenciement d’un salarié.
Par ailleurs, la condamnation de l’employeur peut s’accompagner de la sanction prévue à l’article L.1235-4 du code du travail lorsque les conditions en sont réunies.
En outre, une possibilité de voies de droit alternatives non soumises à un plafond est ouverte pour demander la réparation de licenciements nuls et de préjudices distincts de celui tiré de la perte d’emploi. Le champ de ces voies de droit alternatives est étendu.
Par conséquent, le plafonnement instauré par l’article L.1235-3 du code du travail présente des garanties qui permettent d’en déduire qu’au regard de l’objectif poursuivi, l’atteinte nécessaire aux droits fondamentaux n’apparaît pas, en elle-même, disproportionnée et de conclure à la conventionnalité de ce texte.
En l’espèce, alors que le salarié a une ancienneté de 20 ans au sein de l’entreprise occupant plus de 10 salariés et qu’il produit un tableau d’amortissement prévisionnel du remboursement de son crédit immobilier et des éléments médicaux justifiant de son état dépressif « majeur » suite à son licenciement, « avec une crise suicidaire et risque majeur de passage à l’acte nécessitant une prise en charge immédiate et adaptée » (certificat du Dr [O], médecin généraliste, du 9 juin 2018), sans justifier de l’évolution de sa situation professionnelle postérieurement à son licenciement, la Cour accorde à Monsieur [LJ] la somme brute de 60’000 euros à titre de dommages-intérêts, cette somme offrant au salarié une indemnisation adéquate de son préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse par application de l’article L.1235-3 du code du travail.
Sur le préjudice moral :
L’indemnisation allouée ci-dessus au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse répare l’ensemble du préjudice subi par le salarié résultant de la rupture de son contrat de travail, notamment les répercussions sur son état de santé telles que décrites par les certificats médicaux versés par l’appelant et examinés ci-dessus.
Par conséquent, la Cour déboute Monsieur [LJ] de sa demande d’indemnisation supplémentaire au titre d’un préjudice moral.
Sur le licenciement vexatoire :
Monsieur [JS] [LJ] verse différentes attestations de salariés rapportant les « rumeurs » circulant au sein de l’entreprise quant au licenciement de Monsieur [LJ] (« licencié pour vol » selon Mmes [R], [ST] et [K]).
Ces témoignages démontrent l’existence de circonstances vexatoires ayant entouré le licenciement du salarié.
En conséquence, la Cour accorde à Monsieur [LJ] la somme de 3000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire.
Sur le paiement des jours de repos travaillés :
Monsieur [JS] [LJ], qui soutient qu’il travaillait tous les jours, à l’exception des congés payés, et qu’il travaillait donc pendant ses RTT et jours de repos, produit les éléments suivants :
-le document d’entretien professionnel du 8 mars 2018 avec les commentaires de son manager, dans le cadre de l’évaluation de la conciliation vie professionnelle/vie personnelle : « prendre ses jours de repos
prendre le temps du recul » ;
-le document d’entretien professionnel du 3 mars 2015 avec les commentaires de son manager, dans le cadre de l’évaluation de la conciliation vie professionnelle/vie personnelle :
« prendre son temps de repos ainsi que le solde de ses vacances » ;
-l’attestation du 25 avril 2018 de Monsieur [F] [XZ], vendeur technique depuis 7 ans et travaillant avec Monsieur [LJ] sur le magasin Castorama [Adresse 6], lequel témoin précise que Monsieur [LJ] « ne prenait jamais son jour de repos’ » ;
-l’attestation de Madame [UZ] [Z], ayant travaillé avec Monsieur [JS] [LJ] de 2006 à 2009 au magasin d'[Localité 3] et rapportant que « c’est une personne très engagé qui ne compte pas ses heures de travail » ;
-l’attestation du 23 avril 2018 de Madame [Y] [EL], chef de rayon à Castorama [Adresse 6], travaillant depuis 4 ans avec Monsieur [LJ], le témoin indiquant : « Mr [LJ] était présent tous les jours 7 jours sur 7 sur le magasin en dehors des réunions et des congés d’été, nous échangions souvent avec mes collègues de travail sur le fait qu’il ne prenait jamais de jours de repos, ce que tout le monde savait dans le magasin’ » ;
-des photographies publiées sur le logiciel Yammer du magasin par Monsieur [LJ], avec des commentaires, aux dates des 9 mars 2018, 16 mars 2018, 30 mars 2018, alors que le salarié était officiellement en repos selon le planning du mois de mars 2018 ; d’autres photographies professionnelles publiées par le salarié le 5 avril 2018 alors qu’il était officiellement en repos, selon planning du mois d’avril 2018 ;
-les relevés de péage de Monsieur [LJ] sur les mois de mars et avril 2018.
Alors que Monsieur [JS] [LJ] détenait une délégation de pouvoirs du 1er mars 2013, lui conférant tous pouvoirs au fin de veiller au sein de son magasin au respect des dispositions légales et collectives en matière sociale et notamment de suivi du temps de travail du personnel (pièce 2 versée par l’employeur) et qu’il remplissait pour lui-même des tableaux sur le nombre de jours travaillés sur l’année et les avis d’absences (tableaux de 2012, 2014, 2015, 2016 et 2017, portant la signature du responsable de Monsieur [LJ], à l’exception du tableau de 2015 – pièces 13 versées par l’employeur), sur lesquels apparaissent ses jours de repos et ARTT (outre les jours fériés et congés payés), il n’est pas démontré que le salarié a travaillé tous les jours de la semaine avec l’accord au moins implicite de sa hiérarchie, ni que cette dernière était informée de l’absence de prise de repos par le salarié, alors même que la nécessité de « prendre ses jours de repos » lui était rappelée par son supérieur hiérarchique dans le cadre des entretiens d’évaluation de sa charge de travail.
Monsieur [LJ] ne peut donc prétendre au paiement de deux jours de repos hebdomadaire sur 52 semaines et de 14 jours de RTT, soit 118 jours multipliés par 3 ans, tel qu’il le réclame.
Au vu des tableaux du nombre de jours travaillés sur les trois années précédant sa requête, il est établi que Monsieur [LJ] a travaillé 221 jours sur l’année 2015, 218 jours sur l’année 2016 et 222,5 jours sur l’année 2017 (223 jours travaillés selon la fiche fiscale annuelle 2017 délivrée par CASTORAMA à Monsieur [LJ] – pièce 49), alors que la convention de forfait jours était de 214 jours aux termes du contrat de travail du 27 août 2012 (pièce 1 versée par l’employeur).
Monsieur [LJ] a donc travaillé 20 jours au-delà de sa convention de forfait jours sur les années 2015 à 2017 (7 jours en plus en 2015, 4 jours en plus en 2016 et 9 jours en plus en 2017).
La valeur d’une journée de travail étant de 483 euros (salaire annuel de 103’446 euros, divisé par 214 jours de forfait), la Cour accorde à Monsieur [LJ] la somme brute de 9660 euros de rappel de salaire au titre des jours de travail impayés (483 x 20 jours), ainsi que la somme brute de 966 euros de congés payés afférents.
Sur la violation du repos hébdomadaire :
Il a été vu ci-dessus qu’il n’était pas établi que Monsieur [LJ] avait travaillé tous les jours de la semaine, sans repos hebdomadaire, avec l’accord au moins implicite de sa direction.
À défaut de justifier du non respect par l’employeur des dispositions légales relatives au repos hebdomadaire, il convient de débouter Monsieur [LJ] de sa demande en paiement de dommages-intérêts de ce chef.
Sur le travail dissimulé :
Monsieur [JS] [LJ] ne verse aucun élément de nature à établir que l’employeur a intentionnellement dissimulé une partie de l’emploi du salarié.
Il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Monsieur [LJ] de sa demande en paiement d’une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
Sur la remise tardive des documents de fin de contrat :
Si Monsieur [LJ] invoque que ses documents de fin de contrat lui ont été remis près d’un mois après la rupture, le 9 juin 2018, il ne verse toutefois aucun élément de nature à démontrer qu’il a subi un préjudice résultant de cette remise tardive, alors même qu’il ne produit aucune pièce sur l’évolution de sa situation professionnelle postérieurement à son licenciement.
À défaut de justifier d’un préjudice, Monsieur [LJ] est débouté de sa demande d’indemnisation de ce chef.
Sur le remboursement des indemnités journalières de la sécurité sociale :
Monsieur [LJ] produit des attestations de paiement des indemnités journalières versées par la sécurité sociale sur la période du 1er mai au 1er juin 2018 (pièces 65 et 66) à l’employeur, par subrogation.
Si la SAS CASTORAMA FRANCE soutient qu’elle a maintenu intégralement le salaire de Monsieur [LJ], en contrepartie de la subrogation pratiquée et de la perception des indemnités journalières correspondantes, il ne ressort toutefois pas de l’examen du bulletin de paie de mai 2018 que la rémunération du salarié lui ait été maintenue (mention du salaire contractuel de 2426,67 euros, outre d’autres éléments du salaire, avec une déduction de « MAP CONS NP 16 au 30 avril » d’un montant de 2999,93 euros et une déduction de « MAP CONS NP du 1 au 14 mai » d’un montant de 2399,94 euros, étant observé que la rémunération brute de mai 2018 de M. [LJ] s’élevant à 6980,01 euros est constituée d’indemnités compensatrices de congés payés et du paiement de jours de récupération).
La SAS CASTORAMA FRANCE procède par voie d’affirmation et non de démonstration lorsqu’elle affirme qu’elle a maintenu intégralement le salaire de Monsieur [JS] [LJ].
Par conséquent, alors qu’il n’est pas justifié par l’employeur qu’il a remboursé au salarié les indemnités journalières de la sécurité sociale versées au nom de Monsieur [JS] [LJ], il convient de faire droit à la réclamation de ce dernier.
Si la SAS CASTORAMA FRANCE soutient avoir dû rembourser à la CPAM un trop perçu des indemnités journalières et produit le courrier du 11 septembre 2018 de mise en demeure qui lui a été adressée par l’Assurance Maladie, elle ne justifie pas cependant du remboursement de la somme ainsi réclamée.
La Cour condamne la SAS CASTORAMA FRANCE à rembourser à Monsieur [LJ] la somme nette de 1282,47 euros due sur la période du 1er au 31 mai 2018 (1374,54 euros, sous déduction de 85,25 euros de CSG et de 6,82 euros de CRDS), ainsi que la somme nette de 41,37 euros du 1er juin 2018 (44,34 euros sous déduction de 0,22 euros de RDS et de 2,75 euros de CSG), soit au total la somme nette de 1323,84 euros de remboursement des indemnités journalières de la sécurité sociale.
Sur l’article 700 du code de procédure civile :
Il y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, tel que précisé au dispositif.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et en matière prud’homale,
Infirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté Monsieur [JS] [LJ] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral, de sa demande en paiement de rappels de salaire sur la période de mise à pied à titre conservatoire, de sa demande de dommages-intérêts pour violation du repos hebdomadaire, de sa demande de dommages-intérêts pour travail dissimulé et de sa demande de dommages-intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,
Statuant à nouveau sur les points réformés,
Dit que le licenciement de Monsieur [JS] [LJ] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la SAS CASTORAMA FRANCE à payer à Monsieur [JS] [LJ] les sommes suivantes:
– 1323,84 euros net de remboursement des indemnités journalières de la sécurité sociale,
– 25’860 euros brut d’indemnité compensatrice de préavis,
– 2586 euros brut de congés payés sur préavis,
– 68’991 euros net d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 60’000 euros brut de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 3000 euros de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire,
– 9660 euros brut de rappel de salaire au titre des jours de travail impayés,
– 966 euros brut de congés payés sur rappel de salaire,
Condamne la SAS CASTORAMA FRANCE aux dépens de première instance et d’appel et à payer à Monsieur [JS] [LJ]. 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Ghislaine POIRINE faisant fonction