ARRÊT N°
BM/LZ
COUR D’APPEL DE BESANÇON
– 172 501 116 00013 –
ARRÊT DU 20 AVRIL 2023
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Audience publique du 23 Février 2023
N° RG 22/00078 – N° Portalis DBVG-V-B7G-EO4D
S/appel d’une décision du tribunal judiciaire de VESOUL en date du 21 décembre 2021 [RG N° 19/01691]
Code affaire : 64B – Demande en réparation des dommages causés par d’autres faits personnels
S.C.I. JYTMA C/ [N] [W], S.A. ALLIANZ, Association Tutelaire de la Haute-Saone
PARTIES EN CAUSE :
S.C.I. JYTMA
RCS de Vesoul n°410 465 256
sise [Adresse 2]
Représentée par Me Emilie BAUDRY de la SELARL BALLORIN – BAUDRY, avocat au barreau de HAUTE-SAONE
APPELANTE
ET :
Madame [N] [W]
représentée par l’association Tutelaire de la Haute-Saône en qualité de curateur
née le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 4]
demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Pierre-Henri BARRAIL de la SCP LVL BONNOT- BARRAIL – POIROT, avocat au barreau de HAUTE-SAONE
ASSOCIATION TUTELAIRE DE LA HAUTE-SAONE
représentant Madame [W] en qualité de curateur
[Adresse 6]
Représentée par Me Pierre-Henri BARRAIL de la SCP LVL BONNOT- BARRAIL – POIROT, avocat au barreau de HAUTE-SAONE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2022/000173 du 03/03/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de BESANCON)
S.A. ALLIANZ
sise [Adresse 5]
Représentée par Me Pascal LATIL de la SCP A.L.L. CONSEILS, avocat au barreau de HAUTE-SAONE
INTIMÉES
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
MAGISTRAT RAPPORTEUR : Madame B. MANTEAUX, Conseiller, conformément aux dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, avec l’accord des Conseils des parties.
GREFFIER : Madame Leila Zait Greffier.
Lors du délibéré :
Madame B. MANTEAUX, conseiller, a rendu compte conformément à l’article 786 du Code de Procédure Civile aux autres magistrats :
Monsieur M. WACHTER, Président et Monsieur J.F. LEVEQUE, conseiller
L’affaire, plaidée à l’audience du 23 février 2023 a été mise en délibéré au 20 avril 2023. Les parties ont été avisées qu’à cette date l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
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Exposé des faits et de la procédure
La société civile immobilière Jytma est propriétaire d’un immeuble situé [Adresse 3] comprenant un fonds de commerce au rez-de-chaussée et sept logements. Selon contrat du 21 avril 2009, un appartement du troisième étage a été donné à bail à Mme [N] [W], laquelle a souscrit un contrat d’assurance habitation avec effet au 1er mai 2009 auprès de la société AGF, filiale de la société anonyme Allianz IARD.
Selon jugement du 21 novembre 2013 renouvelé pour une durée de cinq ans par jugement du 14 novembre 2018, Mme [W] bénéficie d’une mesure de curatelle renforcée confiée à l’Association Tutélaire 70 en qualité de curatrice.
Considérant que Mme [W] était responsable d’un dégât des eaux survenu dans son logement et ayant affecté le reste de l’immeuble, la SCI Jytma a, suivant acte d’huissier de justice délivré 16 décembre 2019, fait assigner celle-ci, sa curatrice et la société Allianz devant le tribunal de grande instance de Vesoul en dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
Par jugement avant dire droit en date du 14 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Vesoul a ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties d’apporter leurs observations à l’égard des moyens relevés d’office tenant au principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle et à l’application de la loi du 6 juillet 1989 et du titre huitième du code civil relatif au contrat de louage.
Puis, par jugement rendu le 21 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Vesoul a :
– débouté la SCI Jytma de sa demande formée à l’encontre de Mme [W] et de la société Allianz au titre des dégradations ;
– débouté la SCI Jytma de sa demande au titre de la résistance abusive ;
– débouté la SCI Jytma de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et, sur ce même fondement, condamné la SCI Jytma à payer à Mme [W] la somme de 1 000 euros et à la société Allianz la somme de 800 euros ;
– condamné la SCI Jytma aux dépens.
Pour parvenir à cette décision, le premier juge a considéré que la SCI Jytma n’apportait pas la preuve de ce que le dégât des eaux provenait du logement de Mme [W].
Par déclaration parvenue au greffe le 14 janvier 2021, la SCI Jytma a régulièrement interjeté appel du jugement du 21 décembre 2021.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 2023 et l’affaire a été appelée à l’audience du 23 février 2023 et mise en délibéré au 20 avril 2023.
Exposé des prétentions et moyens des parties
Selon dernières conclusions transmises le 12 décembre 2022, la SCI Jytma demande à la cour d’infirmer la décision déférée en toutes ses dispositions et de :
– condamner solidairement Mme [W] et la société Allianz à lui payer :
30 456 euros au titre des dommages immobiliers,
36 000 euros au titre des pertes locatives,
5 000 euros pour résistance abusive,
– les débouter de toutes leurs demandes,
– les condamner solidairement à lui payer la somme de 2 400 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens de première instance et d’appel,
A titre subsidiaire :
– ordonner une expertise judiciaire avec la mission habituelle en la matière à ses frais avancés.
Elle expose qu’à la suite d’un dégât des eaux constaté dans les parties communes et les étages inférieurs de l’immeuble, une visite de l’appartement de Mme [W] a été réalisée en présence de cette dernière et de sa curatrice, visite qui a montré que l’eau de la douche débordait du bac en continu. Elle explique le long délai entre cette réunion du 27 avril 2015 et la déclaration du sinistre à son assureur par la carence de l’Association Tutélaire, ses difficultés à obtenir les coordonnées de son assureur et le refus de Mme [W] d’ouvrir sa porte pour réaliser le constat contradictoire par l’expert d’assurance.
Elle fait valoir qu’en sa qualité de locataire responsable du fait des choses qu’elle a sous sa garde, Mme [W] doit répondre des dégradations ayant affecté son logement et les autres locaux du fait du dégât des eaux qui a démarré dans son appartement sans avoir à prouver une faute intentionnelle.
Mme [W], assistée de son curateur, a répliqué en dernier lieu par conclusions transmises le 5 octobre 2022 pour demander à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
– à titre subsidiaire si par impossible Madame [W] devait être condamnée à indemniser la SCI Jytma des conséquences du prétendu dégât des eaux, condamner Allianz à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre elle,
– en toutes hypothèses, à hauteur d’appel, condamner la SCI Jytma à lui payer la somme de 2500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Elle conteste que l’origine du dégât des eaux se situe dans son appartement et soutient que les attestations produites par la SCI Jytma, rédigées cinq ans après les faits, sont en contradiction avec la réalité des faits telle que rapportés par les premiers courriers de la SCI Jytma.
La société Allianz, dans des conclusions transmises le 20 avril 2022, demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, débouter la SCI Jytma de l’ensemble de ses demandes formées contre elle, et la condamner au paiement d’une somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’instance et d’appel dont distraction au profit de la SCP ALL Conseils.
Elle fait valoir que l’action directe de la SCI Jytma contre elle ne peut jouer que si la responsabilité de Mme [W] est établie, ce qui n’est pas le cas. Par ailleurs, elle oppose à la SCI Jytma les clauses d’exclusion contractuelle de sa garantie et notamment le fait que Mme [W] ait pu intentionnellement commettre le dégât des eaux en arrachant le pommeau de la douche et en laissant couler l’eau.
Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
Avant de rechercher si Mme [W] a manqué à ses obligations de locataire et engagé sa responsabilité, la cour soit s’attacher à vérifier que la SCI Jytma, en vertu des dispositions de l’article 1353 du code civil, apporte la preuve que le dégât des eaux de l’immeuble a pris naissance dans le logement donné à bail à Mme [W].
La SCI Jytma verse aux débats :
– un courrier émanant de son propre assureur en date du 4 décembre 2015, reçu le 10 par l’Association Tutélaire de Haute-Saône en sa qualité de curatrice de Mme [W], dans lequel est évoqué un sinistre de dégât des eaux non daté provenant de l’appartement de Mme [W] ayant entraîné des dommages immobiliers importants à la SCI Jytma ; dans ce courrier, l’assureur indique également que des contacts antérieurs entre lui et l’Association Tutélaire n’ont pas été suivis d’effets pour déclarer le sinistre ;
– un courrier de réponse émanant de l’Association Tutélaire en date du 30 décembre 2015 relevant le caractère confus du possible dégât des eaux, l’invitant à effectuer seul un constat et lui communiquant les coordonnées de l’assureur de Mme [W] ;
– un courrier émanant de son assureur en date du 9 octobre 2019 adressé à l’assureur de Mme [W] pour lui adresser l’état des pertes de la SCI Jytma, son assuré, après l’avoir informé qu’il ne lui avait pas été possible de faire un constat d’état des lieux en raison du refus de Mme [W] d’ouvrir sa porte à l’expert d’assurance ;
– un état préparatoire à l’évaluation des dommages élaboré unilatéralement le 26 juin 2019 par son assureur ;
– une attestation de M. [L] [O], artisan plaquiste-peintre intervenu à la demande de M. [K] gérant de la SCI Jytma, datée du 31 juillet 2020, indiquant qu’il avait pu constater, le 27 avril 2015 en présence de Mme [W], d’un représentant de la SCI Jytma, d’un représentant de son assureur, et d’un représentant de l’Association Tutélaire, que les infiltrations qui affectaient l’immeuble (parquet de l’appartement du 3ème étage, cage d’escalier et appartements des étages inférieurs) provenaient de l’appartement de Mme [W] dans lequel l’eau de la douche coulait hors de son réceptacle ;
– des photographies non datées ni situées montrant des traces d’humidité dans différents lieux et une douche avec un tuyau sans pommeau mais sans écoulement d’eau ;
– une attestation de l’assureur de la SCI Jytma, M. [V], rédigée le 12 août 2020, confirmant sa présence sur les lieux le 27 avril 2015 aux côtés de M. [O], du gérant de la SCI Jytma et d’une personne de l’Association Tutélaire, dans laquelle il indique avoir pu constater les dégâts qu’il dit provenir de l’appartement occupé par Mme [W] mais sans préciser s’il est entré dans l’appartement de cette dernière ni avoir lui-même constaté que l’eau coulait de la douche de celle-ci ;
– une nouvelle attestation de M. [V] rédigée le 25 février 2021 dans laquelle il indique qu’à la suite de la réunion sur les lieux du sinistre le 27 avril 2015, et à défaut pour l’Association Tutélaire de lui avoir remis les coordonnées précises de Mme [W] et de son assureur comme elle s’y était engagée, il l’avait relancée le 9 juin 2015 puis le 10 septembre 2015 pour obtenir le constat de dégât des eaux, avant d’envoyer le courrier recommandé du 4 décembre 2015.
Ainsi, M. [V], dans son attestation, n’évoque pas la présence de Mme [W] ; ses propos sont confus et rien n’indique qu’il était présent dans l’appartement de Mme [W] ni sur quels éléments il se fonde pour dire que l’origine du dégâts des eaux se situait chez elle ; il indique simplement avoir constaté les dommages immobiliers dans les appartements et les cages d’escalier (2e étage, 1er étage et rez-de-chaussée).
Les courriers et pièces qui émanent de la SCI Jytma ou de son assurance n’établissent rien.
Au final, seule l’attestation de M. [O] indique que la réunion du 27 avril 2015 s’est déroulée en présence de Mme [W], qu’elle a eu lieu dans l’appartement de celle-ci et qu’ils ont pu constater que l’eau coulait.
Considérant que l’affirmation par la SCI Jytma que le dégât des eaux s’explique par la fuite la douche de Mme [W] ne repose au final que sur la déclaration d’un seul témoin, dont l’attestation ne recoupe pas totalement celle de l’assureur censé être également présent le même jour, qu’il n’y a strictement aucune constatation technique circonstanciée ou constat d’huissier de justice permettant de déterminer de manière certaine l’origine du sinistre comme provenant du logement de l’intéressée, que, de surcroît, les faits sont particulièrement anciens, sans explication convaincante sur le délai écoulé, alors pourtant que le préjudice invoqué est très élevé, et que le bailleur disposait en cas de difficulté avec sa locataire d’un interlocuteur en la personne du curateur institutionnel, dont il n’est pas justifié qu’il ait jamais été relancé à la suite du courrier de décembre 2015 dont le curateur avait signalé le caractère confus, la cour, suivant le juge de première instance en sa démonstration, considère que la SCI Jytma n’établit pas que les préjudices qu’il a subis doivent être imputés à Mme [W].
La SCI Jytma formule une demande subsidiaire d’expertise sans préciser l’objectif recherché puisqu’il est demandé de « donner à l’expert une mission habituelle en la matière ».
Au stade, non pas de l’évaluation des différents préjudices, mais de l’imputation du dégât des eaux à Mme [W], diligenter une expertise serait non seulement particulièrement inefficace au vu de l’ancienneté du sinistre qui remonte à 2015 mais également contraire aux dispositions de l’article 146 du code de procédure civile aux termes duquel une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve.
Cette demande subsidiaire est donc rejetée.
Dès lors, la cour confirme le jugement de première instance en toutes ses dispositions.
Dispositif :
Par ces motifs,
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique :
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties le 21 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Vesoul ;
Condamne la SCI Jytma aux dépens de l’instance d’appel ;
Accorde aux avocats de la cause qui l’ont sollicité, le droit de se prévaloir des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
Et, vu l’article 700 du code de procédure civile, déboute la SCI Jytma de sa demande et la condamne à payer à chacune des parties, Mme [N] [W] assistée de son curateur l’Association Tutélaire de Haute-Saône d’une part, et la SA Allianz IARD d’autre part, la somme de 1200 euros au titre de leurs frais exposés devant la cour.
Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Leila Zait, greffier.
Le greffier, Le président de chambre,