RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 10
ARRÊT DU 02 FÉVRIER 2023
(n° , 1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/22323 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE37U
Décision déférée à la Cour :
Sur renvoi après cassation – arrêt de la Cour de Cassation en date du 03 Novembre 2021 – pourvoi N° Z20-20.135 ayant cassé partiellement l’arrêt de la Cour d’appel de PARIS en date du 10 juillet 2020(Pôle 4 chambre 1) – N° RG 18/23855
Jugement en date du 07 septembre 2017 du tribunal de grande instance de PARIS – RG N° 13/04999
DEMANDERESSE A LA SAISINE
Madame [X] [A]
née le 5 septembre 1966 à [Localité 6]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée à l’audience de Me Jean-daniel DECHEZELLES, avocat au barreau de PARIS, toque : A0073
DÉFENDEURS A LA SAISINE
Monsieur [F] [T]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
ET
Madame [L] [N] épouse [T]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentés et assisté à l’audience de Me Benoît ROBINET de la SELARL DOURDIN-ROBINET, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été plaidée le 01 Décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Florence PAPIN, Présidente
Mme Valérie MORLET, Conseillère
M. Laurent NAJEM, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Florence PAPIN, Présidente dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Ekaterina RAZMAKHNINA
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Florence PAPIN, Présidente et par Ekaterina RAZMAKHNINA, greffier, présent lors de la mise à disposition.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [X] [A] a acquis, le 4 août 2011, un bien immobilier sis [Adresse 4] (Hauts de Seine) composé d’un chalet en bois et d’un jardin en fond d’impasse.
Cet immeuble, cadastré [Cadastre 3], est bordé au sud par la voie ferrée, au nord par la propriété des époux [T], cadastrée [Cadastre 2], elle-même bordée par la propriété de Monsieur [D] cadastrée [Cadastre 1].
L’accès à la voie publique depuis la propriété de Madame [A] est assuré selon le titre de propriété de cette dernière par ‘un passage commun de un mètre de largeur s’élargissant vers la [Adresse 4] où il atteint une largeur d’environ un mètre soixante cinq centimètres et s’exerçant sur la propriété de Monsieur et Madame [E] ou représentants et de Monsieur et Madame [S] ou représentants’.
Ce passage commun constituait le seul moyen d’accéder à la voie publique pour les parcelles cadastrées [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3].
Par acte d’huissier délivré le 27 mars 2013, Madame [A] a fait assigner les époux [T] aux fins de voir :
– constater l’état d`enclavement de sa propriété,
– la recevoir en son action tendant à la reconnaissance d’une servitude, légale de passage sur le fonds des époux [T],
– avant dire droit désigner un expert afin de déterminer l’assiette du passage permettant d’assurer la desserte de son fond et le montant de l’indemnité compensatrice du dommage occasionné au fonds servant,
– dire et juger que la servitude légale de passage s’exercera sur toute la longueur de la limite Est de la propriété des époux [T] sur une largeur de 2 mètres en complément du passage commun de 1 mètre de largeur déjà constitué par les titres,
– faire injonction aux défendeurs de retirer leur clôture, végétaux, ou tout obstacle que ce soit le long de la limite est de leur propriété, sur une largeur de 2 mètres en sus du passage de 1 mètre résultant des titres le tout sous astreinte de 200 euros par jour de retard,
– condamner les époux [T] à lui payer la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts,
– condamner les époux [T] à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 5 février 2015, le tribunal de grande instance de Paris a :
– constaté l’état d’enclave du fonds de Madame [A] dès lors que la dimension actuelle du passage empêchait le passage d’un véhicule autre qu’un deux roues ou d’un véhicule de secours ;
– ordonné une expertise judiciaire aux fins de déterminer 1’assiette du passage occasionnant le moins de désagrément au fonds servant et fixer le montant de l’indemnité compensatrice du dommage causé à ce fonds
– débouté Madame [A] de sa demande de dommages-intérêts ;
– sursis à statuer sur les autres demandes de Madame [A] ;
-rejeté les demandes reconventionnelles en paiement de dommages-intérêts formées par les époux [T].
Après expertise, par jugement du 07 septembre 2017, le tribunal de grande instance de Paris a :
– dit que le droit de passage du fonds de Madame [A] (parcelle [Cadastre 3]) s’exerce sur le fonds des époux [T] (parcelle [Cadastre 2]) sur une longueur de 22 m et une largeur de l.20m,
– condamné les époux [T] à retirer leur clôture et végétaux, et tout obstacle que ce soit, pour permettre l’exercice du droit de passage susvisé reconnu au fonds de Madame [A], et ce dans un délai de 4 mois à compter de la signification du jugement, à l’expiration duquel une astreinte de 100 euros par jour de retard sera due, et ce pendant 3 mois,
– condamné Madame [A] à payer aux époux [T] la somme de 66.240 euros au titre de l’indemnité de droit de passage,
– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– débouté Madame [A] et les époux [T] de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– laissé à Madame [A] et aux époux [T] la charge des dépens, notamment le coût des constats d’huissier exposés par chacune des parties, et incluant les frais d’expertise qui seront partagés par moitié.
Madame [A] a interjeté appel de ce jugement et les époux [T] ont formé un appel incident.
Par un arrêt en date du 10 juillet 2020, la cour d’appel de Paris a :
– confirmé le jugement sauf en ce qu’il a condamné Madame [A] à payer aux époux [T] la somme de 66.240 euros au titre de l’indemnité de droit de passage ;
Statuant à nouveau,
– déclaré sans objet la demande tendant à constater l’acquisition par prescription de l’assiette du droit de passage ;
– déclaré prescrite l`action indemnitaire de Monsieur et Madame [T] en tant qu’elle porte sur l’indemnisation du préjudice causé par le passage sur une bande de 0,80 mètre ;
– condamné Madame [A] à payer aux époux [T] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
– vu l’article 700 du code de procédure civile, rejeté les différentes demandes ;
– condamné les époux [T] aux dépens d’appel.
Les époux [T] ont formé un pourvoi en cassation.
Par un arrêt en date du 3 novembre 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation :
– casse et annule, mais seulement en ce qu’il déclare prescrite l’action indemnitaire des époux [T] relatif au dommage causé par le passage sur une bande de terrain de quatre-vingts centimètres et condamne Madame [A] au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le passage sur la bande supplémentaire de quarante centimètres, l’arrêt rendu le 10 juillet 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
– remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;
– condamne Madame [A] aux dépens ;
– en application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Madame [A] et la condamne à payer à Monsieur et Madame [T] la somme de 3 000 euros.
Madame [A] a saisi la cour par déclaration de saisine en date du 14 décembre 2021.
Par ses dernières conclusions (n°2) notifiées par voie électronique (RPVA), le 17 octobre 2022, Mme [A] demande à la cour d’appel de Paris de :
Déclarer recevable et bien fondée l’action de Mme [A] ; y faisant droit,
– infirmer le jugement du 7 septembre 2017 en ce qu’il :
* « Condamne Madame [X] [A] à payer à Monsieur [F] [T] et Madame [L] [N] épouse [T] la somme de 66.240 euros au titre de l’indemnité de droit de passage »,
* « Déboute les parties du surplus de leurs demandes », mais exclusivement lorsqu’il a débouté Madame [X] [A] de ses demandes,
* « Déboute Madame [X] [A] » de ses « demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile »,
* « Laisse à Madame [X] [A] » « la charge des dépens, notamment le coût des constats d’huissier exposés » par elle, « et incluant les frais d’expertise qui seront partagés par moitié ».
Statuant à nouveau :
* constater l’absence de dépréciation du fonds des époux [T] occasionné par le passage ;
* fixer l’indemnité due par Mme [A] aux époux [T] en raison du dommage occasionné par le passage à la somme de 5000 euros ;
En tout état de cause :
* débouter Madame et Monsieur [T] de toutes demandes contraires au présent dispositif ;
* condamner Monsieur et Madame [T] aux entiers dépens, de première instance et d’appel ;
* condamner par ailleurs Monsieur et Madame [T] à payer à la concluante une indemnité de 8.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par leurs dernières conclusions (n°2) notifiées par voie électronique (RPVA), le 14 novembre 2022, les époux [T] demandent à la cour d’appel de Paris de :
– déclarer recevables et bien fondés les époux [T] en leurs demandes, fins et conclusions,
– déclarer irrecevable et en tout cas mal fondée Madame [A] en ses demandes, fins et conclusions et l’en débouter,
En conséquence,
– réformer le jugement en ce qu’il a condamné Madame [A] à verser aux époux [T] à titre d’indemnisation de l’ensemble des préjudices ainsi causés aux époux [T] une somme de 66.240 euros et fixer ladite indemnisation à la somme de 160.920 euros, comprenant :
* 11.120 euros pour le remplacement de la clôture et le replantage des arbustes,
* 10.000 euros pour le préjudice lié aux nuisances sonores et olfactives,
* 19.800 euros pour le préjudice de jouissance du terrain,
* 120.000 euros pour la moins-value subie par la maison des époux [T].
Subsidiairement :
– 10.000 euros pour le remplacement de la clôture et le replantage des arbustes,
– 10.000 euros pour le préjudice lié aux nuisances sonores et olfactives,
– 19.800 euros pour le préjudice de jouissance du terrain,
– 120.000 euros pour la moins-value subie par la maison des époux [T].
En tout état de cause :
– condamner Madame [A] à payer aux époux [T] la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Madame [A] aux entiers dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais d’expertise,
– confirmer le jugement pour le surplus.
MOTIFS
Selon l’article 682 du code civil : le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner.
L’indemnité ne saurait atteindre la valeur vénale du terrain grevé du droit de passage, puisque celui-ci demeure la propriété du débiteur de la servitude.
Sur la portée de la cassation :
En application de l’article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce. Elle s’étend également à l’ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
S’agissant d’une cassation partielle, notre cour n’est saisie qu’en ce que l’arrêt cassé a déclaré prescrite l’action indemnitaire des époux [T] relative au dommage causé par le passage sur une bande de terrain de quatre-vingts centimètres et condamné Madame [A] au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le passage sur la bande supplémentaire de quarante centimètres.
Notre cour de renvoi n’est pas saisie des questions déjà tranchées relatives à l’état d’enclavement ( tranchée par le jugement définitif du 5 février 2015) et à l’assiette du passage à créer ( d’1,20 m sur 22 m de longueur) en complément du passage commun d’un mètre de large déjà constitué par les titres.
Sur l’indemnité :
Il y a lieu de rappeler que compte tenu du désaccord de madame [A] avec les propositions d’indemnités faites par l’expert, sur demande de son conseil de désignation d’un sapiteur, par ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris en date du 19 novembre 2015, une provision complémentaire de 5.000 euros a été mise à sa charge.
Madame [A] ayant refusé de payer cette consignation complémentaire, le rapport d’expertise a été déposé en l’état par M. [W].
*Au titre du coût des travaux nécessaires à la destruction et à la reconstruction de la clôture existante et du coût de l’arrachage et du replantage des arbustes constituant la haie :
Les époux [T] sollicitent, au titre du coût des travaux nécessaires à la destruction et à la reconstruction de la clôture existante et du coût de l’arrachage et du replantage des arbustes constituant la haie, une indemnité de 11.120 euros à titre principal et à titre subsidiaire la somme de 10.000 euros retenue par l’expert.
Les époux [T] font valoir qu’ils sont en attente d’une juste indemnisation de la part de la Cour avant de pouvoir mandater une société pour réaliser une clôture à l’identique de celle préexistante, ayant réalisé par eux-mêmes une clôture provisoire pour se conformer à l’arrêt de la cour d’appel de Paris et que la remise en terre des végétaux est nécessaire pour préserver leur vie privée.
Madame [A] accepte de prendre en charge ce préjudice mais pas à la hauteur des sommes demandées au motif que les devis de M. et Mme [T] ne sont pas recevables car les prestations proposées ne correspondent pas à un déplacement avec reconstruction d’une clôture à l’identique. Elle observe que la clôture existante avant 2021 était en mauvais état et que la clôture a été refaite par eux en exécution de l’arrêt de la cour d’appel sans qu’ils produisent aux débats de facture.
Sur ce,
L’expert a relevé que la clôture des époux [T] est constituée d’un muret surmonté d’une clôture métallique grillagée sur une longueur de 12 mètres le long du passage (cf. rapport d’expertise page 10).
Aucune vétusté significative de cette clôture ne résulte de ce rapport ni du constat d’huissier en date du 27 avril 2012 versé par Madame [A].
Au vu des devis produits, l’expert avait estimé à 7.000 euros puis suite au dire de Me [Y] à 10.000 euros, le remplacement et les déplacements de la clôture et de la haie. Il n’explique pas ce qui l’a amené à changer d’avis sur son estimation.
Le devis le plus récent produit par les époux [T] de la société MCI en date du 21 octobre 2019 ( qui réactualise un devis du 1er juin 2015), est d’un montant de 9.388,50 euros. Il prévoit la pose d’un portillon et d’une grille ce qui ne correspond pas à l’existant.
Le devis de JD BAT en date du 20 mai 2015 produit par les époux [T] d’un montant de 9.139,90 euros prévoit 20 mètres de grillage alors que le mur initial et donc le grillage le surplombant est de 12 mètres.
Le devis de M.[Z] en date du 11 août 2015 d’un montant de 11.120 euros ne comporte aucune précision ne permettant pas à la cour de s’assurer qu’il correspond bien à un remplacement à l’identique.
Les devis produits par Madame [A] d’un montant inférieur (de 4.393,36 euros et 3.504 euros) ne prévoient qu’une clôture sans soubassement. Le devis d’Autrement Maison ne prévoit en outre pas l’enlèvement de la clôture existante.
Dès lors, il y a lieu de retenir la première estimation de l’expert et de fixer à 7.000 euros l’indemnité due aux époux [T] au titre du coût des travaux nécessaires à la destruction et à la reconstruction de la clôture existante et du coût de l’arrachage et du replantage des arbustes.
*Au titre des préjudices liés à la vue sur la maison et aux nuisances sonores et olfactives liées au passage de véhicules :
Les époux [T] sollicitent la somme de 10.000 euros au titre des préjudices qui seraient liés à la vue sur leur maison et aux nuisances sonores et olfactives qui seraient liées au passage de véhicules.
Ils font valoir que le salon et certaines chambres donnent directement à moins de trois mètres sur la servitude de passage envisagée, que leur maison sera directement visible depuis le passage pendant des années (le temps que la nouvelle haie atteigne la taille et l’ampleur de l’existante) et qu’ils devront donc subir une servitude de vue temporaire en sus de la servitude de passage, ainsi que des nuisances sonores, et olfactives.
Madame [A] sollicite le rejet de cette demande.
Sur ce,
L’expert a écarté un préjudice au titre de la nuisance olfactive et sonore compte tenu que les véhicules de petite taille accédaient déjà, la largeur antérieure du passage étant de 1,80 m.
Il résulte des conclusions N° 2 des époux [A] devant le tribunal de grande instance de Paris et de leurs déclarations devant l’expert ( page 8 du rapport) que, de fait, le passage pratiqué par les parties avant la procédure était d’1,80 m.
Selon le dossier, la maison de madame [A] est un habitat individuel.
L’élargissement du passage n’est pas de nature à modifier le trafic de sorte que des nuisances sonores et olfactives significatives en découlent d’autant qu’il résulte des pièces versées (du rapport amiable de M.[J] soumis aux débats contradictoires dans le cadre de la présente procédure et non contredit sur ce point mais aussi de l’évaluation de GM immobilier et des photos produites en pièce 19 par Madame [A]) que si la maison est dans un secteur pavillonnaire, elle est proche de la voie ferrée donc que l’environnement est déjà relativement bruyant.
Dès lors il ne sera pas fait droit à la demande des époux [T] au titre des nuisances sonores et olfactives.
Concernant le préjudice de vue, temporaire en attendant que les haies repoussent, il sera justement indemnisé par l’allocation d’une somme de 1.500 euros de dommages et intérêts.
*Au titre du préjudice de jouissance:
Les époux [T] sollicitent, au titre de leur préjudice de jouissance, la somme de 19.800 euros faisant valoir que la consécration au profit de Madame [A] d’une servitude de passage les empêche désormais de jouir de leur bien comme ils avaient l’habitude de le faire depuis de très nombreuses années et notamment de se garer et d’entreposer des objets encombrants, Monsieur [T] étant artisan.
Madame [A] soutient :
-que les époux [T] ont toujours supporté un droit de passage de 1,80 m au profit de son fonds,
-que ce droit de passage était en quelque sorte « immémorial » et que les époux [T] n’ont jamais allégué un quelconque trouble qui naîtrait d’une situation de fait et de droit qui préexistait à leur acquisition du fonds.
-que si à ce jour l’assiette du droit de passage est fixée à 2,20 m, le seul élément de trouble que pourraient invoquer les époux [T] porterait sur une bande correspondant à la différence entre 1,80 m et 2,20 m soit sur 40 cm.
-qu’aucun camion ni même un gros fourgon ne peut passer, ce qui interdit l’accès pour des livraisons ainsi que les secours et que dès lors des passages fréquents sont exclus.
Elle conclut qu’ils ne justifient pas d’un trouble de jouissance.
Sur ce,
L’expert a proposé au titre de la perte de jouissance sur le terrain une indemnité de 9.240 euros, retenant une valeur du terrain de 700 euros par m2, appliquant un coefficient de 0,50 pour estimer la valeur de la servitude et la perte de jouissance portant sur une superficie de 26,40 m2 ( 1,20 m de large sur 22 m de long).
Comme déjà mentionné plus haut, le passage pratiqué et matérialisé par un muret surmonté d’une clôture était en réalité depuis la date où les époux [A] étaient devenus propriétaires (1984) d’1m 80.
Le trouble effectif résultant pour eux de l’élargissement de l’assiette du passage sera justement indemnisé par une indemnité au titre de la perte de jouissance fixée à la somme de 3.000 euros.
*Au titre d’une moins-value que subirait leur propriété, en raison de la servitude octroyée :
Les époux [T] sollicitent la somme de 100.000 euros au titre de la moins-value que subirait leur propriété en raison de la servitude octroyée.
Madame [A] soutient que le prix d’achat de leur fonds a été moindre du fait du passage et qu’il ne subit aucune dépréciation puisqu’il supportait depuis sa création en 1923 les passages et que leur fonds peut être vendu exactement au même prix comme cela résulte de l’estimation de Monsieur [H] [J].
Sur ce,
Le passage sur 1,80 m constituait une simple tolérance qui ne peut plus être remise en cause suite aux décisions intervenues.
La servitude accordée à Madame [A], d’1,20 m de large sur 22 mètres de long occasionne une dépréciation qui doit être indemnisée.
L’indemnité ne saurait atteindre la valeur vénale du terrain grevé du droit de passage, puisque celui-ci demeure la propriété du débiteur de la servitude.
L’expert judiciaire, Monsieur [W], avait estimé la moins- value immobilière à 50.000 euros indiquant que ‘ les agences consultées l’ont estimée à plus de 100.000 euros mais elles oublient toutes de dire que la servitude existe déjà et qu’il ne s’agit que de l’aggravation d’une servitude’. Il divise par deux les évaluations produites par les époux [T].
La Cour observe qu’il est inexact de dire qu’une servitude existait déjà alors qu’une servitude d’1,20 m de large sur 20 mètres de long a été créée suite aux décisions judiciaires dont la charge incombe au fonds des époux [T]. Seul un passage commun d’un mètre prévu aux actes existait déjà.
L’expert, qui est un géomètre et non un expert en évaluation immobilière, a procédé de façon empirique pour fixer l’indemnité à 50.000 euros, la consignation destinée à faire intervenir un sapiteur n’ayant pas été acquittée.
Madame [A] verse aux débats l’expertise amiable de M.[J] selon laquelle il n’y a pas de moins-value, la perte résultant de l’élargissement n’étant pas significative au niveau de la surface du jardin, de la vue, ni de perte de places de stationnement.
Cette expertise amiable ne prend pas en compte l’atteinte au droit de propriété résultant de la création de la servitude.
Madame [A] allègue sans en rapporter la preuve que les époux [T] auraient bénéficié d’une réduction du prix de leur maison à l’achat du fait du passage d’1,80 m.
Les époux [T] versent aux débats plusieurs évaluations immobilières.
ADS immobilier estime en juillet 2015 puis en juin 2016 que l’élargissement de la servitude de passage entraine une moins-value de 100.000 euros et Century 21 en juin 2015 de 120.000 euros.
La première évaluation inclut dans son calcul la totalité de la valeur vénale du terrain de 39.600 euros ( sur la base de 1.500 euros le M2) alors que l’indemnité de dépréciation ne peut pas correspondre à la valeur vénale, des nuisances sonores, non retenues par la cour, et le fait que l’accès en voiture donnerait une plus-value au fonds dominant, élément qui ne doit pas entrer en ligne de compte pour fixer ladite indemnité.
La seconde évaluation retient un désagrément sonore, écarté par la cour, et visuel, lequel n’est que temporaire, la haie qui sera plantée étant amenée à repousser.
L’agence GM Immobilier propose en mai 2015 une évaluation du bien en tenant compte de la servitude entre 930.00 et 940.000 euros au lieu de 935.000 et 965.000 euros sans la servitude. Son évaluation retient la totalité de la valeur vénale du terrain ( sur la base de 1.200 euros le m2) en contrariété avec le fait que l’indemnité ne peut correspondre à la valeur vénale et les nuisances de l’opération dont l’indemnisation a déjà été demandée à un autre titre.
L’agence Laforêt évalue, comme déjà en 2015, en novembre 2018, de 150.000 à 200.000 euros l’impact sur le prix de vente sans expliciter les critères retenus se contentant d’affirmer que la servitude aura ‘nécessairement’ pour conséquence cette dépréciation.
L’Agence Principale estime en mai 2016 la perte de valeur de l’ordre de 5 à 8 %, l’évaluation du bien immobilier étant fixée, hors servitude, dans une fourchette de 800.000 à 850.000 euros. Elle n’explicite pas les critères qu’elle retient pour évaluer le montant de la dépréciation.
Ces deux estimations ne permettent pas à la cour de vérifier si elles n’incluent pas l’entièreté de la valeur vénale du terrain de l’assiette.
Aucune des évaluations produites n’étant satisfaisante, aucune nouvelle expertise n’étant demandée par les parties et une provision complémentaire aux fins de solliciter un sapiteur n’ayant pas été consignée par Madame [A], il y a lieu d’évaluer la dépréciation du fonds que la servitude occasionne, compte tenu d’une valeur moyenne du m2 à [Localité 5] telle qu’elle résulte des évaluations précitées à 1.350 euros, en appliquant un coefficient de 0,40 et de fixer l’indemnité de dépréciation à la somme de 35.640 euros (26,40 m2 x 1350).
***
En conséquence Madame [A] est condamnée à payer aux consorts [T] la somme totale de 47.140 euros.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
La décision déférée est confirmée en ce qui concerne les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.
Chaque partie conservera la charge de ses dépens d’appel et il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant dans les limites de la saisine,
Infirme partiellement la décision déférée et statuant à nouveau ;
Condamne Madame [A] à payer aux consorts [T] la somme de 7.000 euros au titre du coût des travaux nécessaires à la destruction et à la reconstruction de la clôture existante et du coût de l’arrachage et du replantage des arbustes ;
Condamne Madame [A] à payer aux consorts [T] la somme de 1.500 euros au titre du préjudice de vue ;
Condamne Madame [A] à payer aux consorts [T] la somme de 3.000 euros au titre du préjudice de jouissance ;
Condamne Madame [A] à payer aux consorts [T] la somme de 35.640 euros au titre de l’indemnité de dépréciation ;
Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d’appel ;
Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,