RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 20/03378 – N° Portalis DBVH-V-B7E-H4HZ
CO
TRIBUNAL DE COMMERCE D’AVIGNON
06 novembre 2020 RG :2019007396
[F]
C/
S.A.R.L. AUTO DELTA
Grosse délivrée le 19 octobre 2022 à :
– Me Fabrice SROGOSZ
– Me Audrey NICOLET
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
4ème chambre commerciale
ARRÊT DU 19 OCTOBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce d’AVIGNON en date du 06 Novembre 2020, N°2019007396
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Madame Claire OUGIER, Conseillère, a entendu les plaidoiries, en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Christine CODOL, Présidente de chambre,
Madame Claire OUGIER, Conseillère,
Madame Agnès VAREILLES, Conseillère.
GREFFIER :
Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l’audience publique du 26 Septembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 19 Octobre 2022.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANT :
Monsieur [Y] [F], exerçant à titre individuel sous l’enseigne […], immatriculée au RCS d’Avignon sous le n° 410 406 268,
[…] [Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Fabrice SROGOSZ, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d’AVIGNON
INTIMÉE :
S.A.R.L. AUTO DELTA, immatriculée au RCS d’AVIGNON sous le n° 488429697, prise en la personne de son représentant légal en exercice,
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Audrey NICOLET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Madame Christine CODOL, Présidente de chambre, le 19 Octobre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour.
EXPOSÉ
Vu l’appel interjeté le 18 décembre 2020 par Monsieur [Y] [F] à l’encontre du jugement prononcé le 6 novembre 2020 par le tribunal de commerce d’Avignon dans l’instance n°2019007396 ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 8 septembre 2022 par l’appelant -ci-après « le cédant »- et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 1er juin 2021 par la SARL Auto delta -ci-après « le cessionnaire », intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu l’ordonnance du 24 mars 2022 de clôture de la procédure à effet différé au 15 septembre 2022.
* * *
Par acte notarié du 31 mars 2016, l’appelant, artisan mécanicien, a cédé à la société intimée un fonds artisanal de réparation automobile, réparation de tracteurs agricoles et de tout matériel agricole, fonds sis à […] et dont l’exploitation lui était jusque là confiée en location gérance, moyennant un prix de 50.000 euros.
Il était stipulé à l’acte une « interdiction de se rétablir et d’établir » un fonds similaire à celui cédé dans un rayon de 15 kilomètres du lieu d’exploitation du fonds cédé pendant cinq ans.
Le 3 mars 2017, le cessionnaire faisait délivrer au cédant une sommation de cesser l’activité concurrente exercée sous l’enseigne « […] » à […] .
Sur la requête du cessionnaire et par ordonnance du 3 aout 2018, le président du tribunal de commerce d’Avignon ordonnait une mesure d’instruction et commettait un huissier de justice aux fins d’établir la nature de l’activité exploitée dans les locaux de cette société.
Un procès verbal de constat était dressé le 30 octobre 2018.
Par courrier recommandé du 14 février 2019 réceptionné le 15 février 2019, le cessionnaire mettait en demeure le cédant de cesser son activité concurrente et de formuler des propositions d’indemnisation amiable, ce à quoi il lui était répondu le 2 avril 2019 que le cédant contestait la validité de la clause.
Par exploit du 13 juin 2019, la société cessionnaire faisait assigner le cédant devant le tribunal de commerce d’Avignon aux fins de lui voir ordonner de cesser son activité concurrente et d’obtenir indemnisation du préjudice causé.
Par jugement du 6 novembre 2020, le tribunal a :
ordonné au cédant la cessation immédiate de cette activité concurrente dans un rayon de 15 kilomètres autour de la société Auto delta et jusqu’au 1er avril 2021,
condamné le cédant à payer au cessionnaire :
* la somme de 44.730 euros au titre de la clause pénale,
* la somme de 8.820 euros outre intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2017,
* la somme de 3.000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
rejeté toutes autres demandes, fins ou conclusions contraires,
et condamné le cédant aux dépens.
Le cédant a relevé appel de ce jugement pour le voir annuler ou à tout le moins réformer en toutes ses dispositions à l’exception de la condamnation à la somme de 8.820 euros avec intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2017.
***
Dans ses dernières conclusions, l’appelant demande à la Cour, au visa des articles 1134, 1315 et 1628 du code civil :
d’infirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
déclarer nulle et de nul effet la clause de non rétablissement stipulée dans l’acte de cession du fonds de commerce reçu le 31 mars 2016,
débouter en conséquence le cessionnaire intimé de toutes ses demandes, appel incident, fins et conclusions plus amples ou contraires,
le condamner à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire,
réduire le préjudice subi par le cessionnaire au eul montant des éléménts incorporels cédés, savoir la somme de 8.820 euros,
débouter le cessionnaire de toutes autres demandes indemnitaires,
le condamner aux dépens.
Il soutient à titre principal que la clause de non concurrence stipulée à l’acte de cession est nulle en ce qu’elle porte atteinte à la liberté d’entreprendre et n’est pas proportionnelle aux intérêts à protéger.
Ainsi, une telle clause pour être valable suppose qu’elle soit indispensable à la protection des intérêts légitimes du créancier, c’est à dire à la protection de la clientèle, et qu’elle n’empêche pas son débiteur de continuer à exercer son activité professionnelle.
Or en l’espèce, la délimitation géographique imposée par la clause comprend toutes les communes partageant le même secteur d’activité économique dans cette zone enclavée et couvre « 100% de la population de ce secteur », de sorte qu’elle interdit de fait au cédant de pouvoir travailler dans son domaine d’activité alors même que l’activité de garagiste exige une certaine proximité.
A titre incident, l’appelant fait valoir que le cessionnaire n’a subi aucun préjudice du fait du rétablissement de son activité et ne démontre aucun détournement de clientèle ni démarche en ce sens.
Ainsi, le chiffre d’affaires de la société cessionnaire s’est maintenu, voire a augmenté depuis la cession alors même qu’il ne comporte plus qu’un seul salarié
Il n’est ainsi justifié d’aucun préjudice, lequel ne peut être apprécié forfaitairement, et s’il devait en être admis un, il ne pourrait être supérieur à la valeur des fonds incorporels tel qu’arrêtée entre les parties lors de la cession du fonds artisanal à 30.000 euros.
Enfin, si la clause devait être retenue comme valable, l’évaluation de la perte de chance faite par les premiers juges devrait être confirmée à hauteur de 8.820 euros.
***
L’intimée relève appel incident et demande quant à elle à la Cour, au visa des articles 1626 et suivants du code civil et 909 du code de procédure civile, de :
confirmer le jugement déféré en ce qu’il a jugé que la clause de non concurrence prévue dans l’acte de cession du fonds artisanal est valable, et jugé que l’appelant l’a violée depuis le 1er juin 2016, date de la création de son activité sous l’enseigne […] ,
réformer les termes suivants du jugement déféré :
* concernant la sanction liée à la violation de la clause de non rétablissement,
. à titre principal condamner le cédant à lui verser la somme de 264.900 euros conformément à la sanction prévue dans l’acte de cession,
. à titre subsidiaire si la clause devait être considérée comme une clause pénale et estimée manifestement excessive, la réduire au préjudice subi à 50% de la demande, soit 132.400 euros,
. à titre encore plus subsidiaire, condamner le cédant à régler la somme de 20% de la demande soit 52.980 euros,
* concernant les préjudices subis par le cessionnaire :
condamner le cédant à lui verser les sommes suivantes : 30.000 euros à titre principal ou 8.820 euros à titre subsidiaire au titre du préjudice subi du fait des éléments incorporels cédés, et 43.921 euros au titre de la perte de chiffre d’affaires du cessionnaire depuis la cession du fonds artisanal,
juger que toutes les condamnations prononcées à l’encontre du cédant seront assorties d’intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2017, date de la sommation de cesser,
En tout état de cause,
débouter l’appelant de l’ensemble de ses demandes,
le condamner à verser la somme de 5.000 euros et les entiers dépens, en ce compris le coût de la sommation et des opérations de constat.
L’intimée soutient que la clause de non-rétablissement expressément prévue dans le contrat de cession et librement consentie par le cédant est parfaitement valable.
Elle est limitée dans l’espace : « dans un rayon de 15 km autour de la société (cessionnaire) », dans le temps : « 5 années », quant à son objet puisqu’elle ne vise que l’activité de réparation automobile, et n’a pas à être assortie d’une contrepartie financière puisque son débiteur n’est pas un salarié.
Elle permettait ainsi au cédant d’exercer toute autre activité économique, et notamment celle de maintenance, réparation et pose de climatisation automobile, ou d’exercer la même activité mais à plus de 15km, et était ainsi parfaitement proportionnée aux intérêts de chacun.
Or il résulte du procès verbal de constat dressé le 30 octobre 2018 que le cédant exerce une activité concurrente à moins de 5 km du fonds cédé, malgré l’interdiction, et détourne des clients qui étaient habituellement ceux de la société cessionnaire.
Si la clause n’a plus vocation à s’appliquer depuis le 1er avril 2021, il doit être pris en considération que le cédant ne l’a de fait jamais respectée et a ainsi exercé une activité concurrente pendant cinq années malgré l’interdiction.
Le cessionnaire fait en outre valoir que l’acte notarié comprend une clause prévoyant la sanction d’une telle violation, clause que les premiers juges ont qualifié de clause pénale et réduite en retenant qu’elle était excessive tenant la valeur du fonds cédé.
Convenue devant un officier ministériel, elle a été librement acceptée en parfaite connaissance de cause et rien ne justifie qu’elle soit réduite,, les juges devant prendre en compte le but de la clause et se placer à la date de leur décision.
Or en l’espèce, le cédant a fait preuve d’une particulière mauvaise foi en créant un fonds de commerce à moins de 5 kilomètres du fonds cédé et ce, seulement deux mois après la cession, et en tentant de dissimuler l’exercice de son activité concurrente.
En application de cette clause, c’est ainsi une somme de 264.900 euros qui est due (150 euros x 1.766 jours du 1er juin 2016 au 1er avril 2021), sauf subsidiairement, à opérer une réduction de 50%, et plus subsidiairement encore, de 80%.
Le cessionnaire fait en outre valoir que, du fait du détournement de clientèle, les éléments incorporels de la cession n’avaient en réalité aucune valeur et que le prix de 30.000 euros qui y correspond doit lui être reversé. Subsidiairement, il s’en remet au calcul fait par les premiers juges pour apprécier ce préjudice.
Il ajoute que l’activité concurrente exercée par le cédant et le détournement de la clientèle qui s’en est suivie, ont impacté son résultat financier et que son chiffre d’affaires a diminué dès 2016 malgré une augmentation de l’amplitude horaire de travail. Il demande donc indemnisation à ce titre de sa perte de chiffre d’affaires qu’il estime à 43.921 euros depuis la cession jusqu’en 2018.
***
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Sur la procédure :
Si la déclaration d’appel transmise par le cédant ne mentionne pas parmi les chefs critiqués sa condamnation au paiement de la somme de 8.820 euros outre intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2017, l’appel incident en saisit la Cour dès lors qu’en est demandé réformation à titre principal (pour condamnation à 30.000 euros) et confirmation à titre seulement subsidiaire. L’entier litige est donc dévolu à la Cour.
Sur le fond :
Sur la validité de la clause :
L’acte notarié du 31 mars 2016 mentionne précisément, en page 7 :
« Interdiction de se rétablir et d’établir
A titre de condition essentielle et déterminante sans laquelle le cessionnaire n’aurait pas contracté, le cédant s’interdit la faculté :
– de créer, acquérir, exploiter, prendre à bail ou faire valoir, directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit, aucun fonds similaire en tout ou partie à celui présentement cédé ;
– de donner à bail pour une activité identique à l’activité principale cédée ;
– de s’intéresser directement ou indirectement ou par personne interposée, et même en tant qu’associé ou actionnaire de droit ou de fait, même à titre de simple commanditaire, ou de gérant, dirigeant social, salarié ou préposé, fût-ce à titre accessoire, à une activité concurrente ou similaire en tout ou partie à celle exercée par lui dans le fonds présentement cédé.
Cette interdiction s’exerce à compter du jour de l’entrée en jouissance dans un rayon de 15 KM du lieu d’exploitation du fonds cédé et ce pendant 5 ans.
En cas d’infraction, le cédant sera de plein droit redevable d’une indemnité forfaitaire de cent cinquante euros (150,00 EUR) par jour de contravention ; le cessionnaire se réservant en outre le droit de demander à la juridiction compétente d’ordonner la cessation immédiate de ladite infraction.
Toutefois le cessionnaire autorise expressément le cédant à exercer l’activité d’entretien, de maintenance, réparation et pose de climatisation automobiles ».
Cette clause de non-rétablissement est, dans un contrat de cession de fonds de commerce, une clause de non-concurrence dont la validité suppose plusieurs conditions.
La clause n’est valable que si elle est justifiée par un intérêt légitime du créancier de l’obligation.
En l’espèce, s’agissant d’un contrat de cession de fonds de commerce incluant « la clientèle, l’achalandage y attachés » (page 3), cet intérêt est indiscutable car l’obligation est indispensable à la réalisation du transfert de clientèle convenu.
La clause n’est valable que si elle est à la fois limitée dans l’espace et dans le temps (Com 4 mars 2020 n°17-21.764).
En l’espèce, la clause insérée à l’acte du 31 mars 2016 précise à la fois une limite géographique, « un rayon de 15 km du lieu d’exploitation du fonds cédé » et une limite temporelle, « et ce pendant cinq ans ».
La clause doit encore être limitée quant à l’activité prohibée ; elle ne doit pas empêcher le débiteur de l’obligation d’exercer toute activité professionnelle conforme à sa formation et à son expérience professionnelle (Com 2 octobre 2019 n°18-15.676).
En l’espèce, il était parfaitement loisible au cédant d’exercer la même activité au delà du rayon de 15 kilomètres du lieu d’exploitation du fonds de commerce vendu, distance très modique au regard du territoire national.
Et c’est vainement que l’appelant fait valoir à ce sujet que l’activité de garagiste supposant une proximité avec la clientèle, il aurait, en s’éloignant, perdu 100% de celle se trouvant dans ce rayon, puisque c’est précisément l’objet de la clause que d’empêcher que la clientèle vendue ne le suive s’il restait à proximité.
Il lui était également possible, puisque expressément stipulé au contrat, d’exercer n’importe où, y compris dans ce rayons de 15 kilomètres, une activité d’entretien, de maintenance, réparation et pose de climatisation automobiles, ce qui était d’ailleurs très précisément l’objet social de son entreprise personnelle […] créée en juin 2016 (pièce 6 de l’intimée).
Enfin, la validité de la clause de non concurrence suppose qu’elle soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger au regard de l’objet du contrat, c’est à dire qu’elle n’ait pas une portée générale et abstraite mais concrète, et qu’elle soit ajustée à l’atteinte portée à la liberté d’entreprise -aucune contrepartie financière ne pouvant en revanche être exigée (Com 13 juin 2018 n°17-10.131).
En l’espèce, l’accord trouvé entre les parties, devant notaire et donc au bénéfice des éclaircissements apportés par celui-ci, entre les intérêts du cédant qui devait pouvoir continuer à exercer une activité professionnelle conforme à ses compétences dans la région de son domicile, et les intérêts du cessionnaire qui, venant d’acheter la clientèle attaché au fonds de commerce, devait pouvoir compter sur celle-ci sans craindre qu’elle ne suive le cédant, est à la fois concret, équilibré et respectueux de la libre entreprise de chacun. En effet, les limites de temps et de distance imposés, comme la spécificité de l’objet avec exclusion expresse, permettaient d’empêcher un effet de suite de la clientèle au départ du cédant, tout en permettant à celui-ci d’en bénéficier encore pour l’activité relative à la climatisation qu’il était autorisée à poursuivre, ou de créer une nouvelle clientèle au delà des 15 kilomètres et donc sans que cela affecte nécessairement sa vie personnelle.
La clause de non-rétablissement telle que stipulée à l’acte du 31 mars 2016 est donc parfaitement valide, comme l’ont à très juste titre retenu les premiers juges.
sur la violation de la clause :
Il incombe au créancier de l’obligation de non-concurrence d’établir la preuve en l’espèce de ce que son cédant a, de fait, exercé directement ou dans les conditions stipulées, créé ou exploité notamment, une activité identique, concurrente ou similaire en tout ou partie à celle cédée qui consiste en la « réparation automobile, réparation de tracteurs agricoles et réparation de tout matériel agricole », entre l’entrée en jouissance après cession et le 1er avril 2021 -date limite sur laquelle s’accordent les deux parties, et dans un rayon de 15 km de l’adresse sise [Adresse 2] .
Dans ses écritures, le cédant explique avoir créé, le 7 juin 2016, un nouveau fonds artisanal dénommé […] , sis sur la même commune, qu’il exploite à titre individuel.
L’extrait Kbis de cette entreprise révèle qu’elle a pour objet social la « maintenance entretien climatisation automobiles, vente de pièces détachées et accessoires » (pièces 2 et 6 de l’intimée), et que l’activité a débuté au 1er juin 2016.
Pour autant, la sommation de cesser délivrée le 3 mars 2017, si elle ne contient par nature aucune constatation, ne suscite aucune contestation du cédant quant à l’exercice d’une activité prohibée à cette adresse.
Bien plus, dans ses dernières écritures, cet exercice n’est pas contesté dans sa matérialité par l’appelant, lequel soutient seulement, comme il le faisait déjà dans le courrier du 14 février 2019, que la clause de non-rétablissement est nulle et que son cocontractant n’a de fait subi aucun préjudice.
Enfin, le procès verbal de constatations dressé le 30 octobre 2018 par huissier de justice, sur l’autorisation du président du tribunal de commerce d’Avignon fait état de facturations portant sur des opérations qui procèdent incontestablement d’une activité de réparation automobile et non pas d’un travail sur la climatisation automobile : « rénovations d’optique ‘ pneus ‘ remplacement de la courroie et galet de distribution ‘ station entretien, contrôles visuel ‘ révision de l’embrayage ».
L’huissier instrumentaire constate également la présence sur site de matériel de réparation automobile : équilibreuse, démonte-pneus, récupérateur d’huile de vidange.
Sur les facturiers saisis qui concernent la période de janvier à octobre 2018, tels que joints au procès verbal de constat par l’huissier instrumentaire, c’est plus de 80% des interventions qui concernent l’activité interdite (autres que liées à la climatisation automobile), ce qui confirme encore davantage que l’exercice par le cédant de cette activité a de fait été reprise dès la création de sa nouvelle entreprise -a minima- et malgré la clause de non-rétablissement.
Il n’est pas davantage soutenu par l’appelant que cette contravention ait pris fin après l’intervention de l’huissier de justice le 30 octobre 2018, alors même que le cédant avait alors déclaré à l’huissier instrumentaire que l’adresse à laquelle était désormais fixée officiellement son siège social était « un local sans activité » et qui ne correspondait pas à son domicile -ce qui était confirmé par la vérification diligentée sur place, et qu’il avait été trouvé lors du constat sur un lieu de travail parfaitement équipé.
Doit en conséquence être retenue comme caractérisée et démontrée la violation par l’appelant de la clause contractuelle à compter du 1er juin 2016, date de début d’activité de la nouvelle entreprise du cédant, et jusqu’au 1er avril 2021, soit pendant 1.765 jours (214 jours en 2016, 365 jours en 2017, 365 jours en 2018, 365 jours en 2019, 366 jours en 2020 et 90 jours en 2021).
sur la sanction de la violation de la clause :
S’agissant d’une obligation contractuelle, son créancier a, en cas d’inexécution, le choix de droit commun, de refuser d’exécuter sa propre obligation ou d’obtenir une réduction du prix, d’en poursuivre l’exécution forcée en nature, de provoquer la résolution du contrat, de demander réparation des conséquences de l’inexécution, l’article 1217 du code civil précisant à ce sujet que les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées, et que des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter.
Le cessionnaire pouvait ainsi valablement demander l’exécution forcée de la clause pour l’avenir et l’indemnisation du préjudice déjà causé.
En tout état de cause, à ce jour, la clause de non-rétablissement n’a plus vocation à s’appliquer, le délai de cinq ans dans lequel elle était enfermée étant expiré au 1er avril 2021 comme s’accordent à le retenir les parties.
S’agissant de l’indemnisation du préjudice causé par la violation de cette obligation contractuelle, elle peut être évaluée par une clause pénale insérée au contrat, mais suppose en tout état de cause la démonstration d’un préjudice (Com 7 mai 2019 n°18-11.128).
L’acte de cession du 31 mars 2016 prévoit effectivement que « en cas d’infraction, le cédant sera de plein droit redevable d’une indemnité forfaitaire de 150 euros par jour de contravention », clause qui a été à juste titre qualifiée de clause pénale par les premiers juges en ce qu’elle comportait un volet dissuasif autant qu’un but indemnitaire.
Tenant la liberté contractuelle, une telle clause est en principe valide et ce d’autant qu’elle a été, comme en l’espèce, consentie par deux professionnels, et, qui plus est, devant notaire. Sa mise en ‘uvre a été régulièrement précédée d’une mise en demeure effectuée par courrier recommandé du 14 février 2019 produit en pièce 10 par l’intimée.
Pour autant la force obligatoire de la clause pénale peut être altérée puisque, en vertu des articles 1152 et 1231 du code civil, repris après l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 par l’article 1231-5 du code civil, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire, et peut également la diminuer à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier.
Et précisément, le caractère excessif de la clause convenue s’apprécie au regard du préjudice subi, préjudice qu’il appartient au créancier de démontrer tant dans son principe que dans son quantum.
L’application stricte de la clause pénale contractuelle conduirait à fixer l’indemnisation due par le créancier à 264.750 euros (1.765 jours x 150 euros).
S’agissant du préjudice, la Cour observe tout d’abord que la valeur des éléments incorporels du fonds de commerce vendu avait été évaluée par les parties à 30.000 euros, et que la clientèle en faisait partie.
Pour autant, l’acte notarié précise que l’obligation de non-rétablissement est une « condition essentielle et déterminante sans laquelle le cessionnaire n’aurait pas contracté », de sorte que le préjudice subi ne peut être rapporté au simple prix marchand de l’élément incorporel que constitue la clientèle.
Il peut en outre être relevé dans les pièces produites par l’appelant lui même, l’attestation établie par l’un de ses clients le 29 juin 2020, aux termes de laquelle il certifie, au sujet de l’appelant, que, « depuis qu’il s’est mis à son propre compte en 1997, je l’ai évidemment suivi (‘), il est bien sur un mécanicien chevronné et honnête », ce qui établit et confirme la matérialité d’un détournement de clientèle (pièce 8).
Des éléments produits par l’intimée, il ressort que son résultat net comptable s’élevait à 3.103 euros pour un chiffre d’affaires hors taxe de 110.351 euros sur l’exercice 2017 alors qu’il chutait à 544 euros avec un chiffre d’affaires hors taxe de 105.485 euros sur l’exercice 2018 (pièces 14 et 15 constituées d’attestations de l’expert comptable dûment signées).
L’examen des comptes de résultats également communiqués en pièce 16 révèle en outre que la diminution du chiffre d’affaires était constante depuis l’exercice 2016 -au début duquel l’acte de cession a été conclu. Ainsi, si le chiffre d’affaires net passait de 128.834 euros sur l’exercice 2014 à 149.406 euros sur l’exercice 2015, il chutait ensuite à 129.619 euros pour 2016, puis à 110.351 euros pour 2017 et enfin à 105.485 euros sur l’exercice 2018, avant de remonter à 108.680 euros sur l’exercice 2019.
Ces éléments permettent de retenir d’évidence que depuis la cession conclue le 31 mars 2016, l’activité du fonds de commerce vendue n’a eu de cesse de diminuer drastiquement pendant trois années successives, et rien ne permet de retenir, comme l’allègue l’appelant, que ce serait en raison d’un moindre effectif.
Ce constat étant à rapprocher du détournement de clientèle retenu et de l’installation du cédant sur la même commune, avec une activité identique et seulement deux mois après la cession du fonds de commerce au mépris de l’engagement de non-rétablissement consenti, le préjudice comme le lien de causalité de ce préjudice avec le manquement contractuel constaté, sont parfaitement démontrés.
La proximité géographique comme temporelle de l’établissement contrevenant de l’appelant, comme les conséquences qui ont suivi pour le fonds de commerce vendu et dont l’ampleur est révélée par l’évolution du volume d’affaires, permettent à la Cour de retenir que l’évaluation du préjudice contractuellement fixée à 264.750 euros n’a rien d’excessif, et ce d’autant moins que le cédant a persisté, au mépris d’une première sommation délivrée le 3 mars 2017 et d’une mise en demeure adressée le 14 février 2019, à poursuivre la violation de la clause contractuelle à laquelle il avait librement consenti devant notaire.
Il sera donc fait droit à la demande principale de l’intimée en paiement de cette somme de 264.750 euros telle que fixée contractuellement, la clause pénale n’ayant pas lieu d’être réduite puisque n’étant pas excessive au regard du préjudice causé par l’inexécution.
Les intérêts ne peuvent courir au taux légal qu’à compter de la mise en demeure délivrée le 15 février 2019 qui conditionne son application.
Le jugement déféré sera donc infirmé.
Sur les autres demandes :
Il n’est pas justifié par l’intimée de l’existence de préjudices qui seraient liés à l’inexécution par l’appelant de son obligation contractuelle de non-rétablissement et qui ne seraient pas déjà indemnisés par le jeu de la clause pénale, de sorte que ses autres demandes indemnitaires ne peuvent qu’être rejetées.
Sur les frais de l’instance :
L’appelant, qui succombe, devra supporter les dépens de la première instance et de l’instance d’appel, et payer à l’intimée une somme équitablement arbitrée à 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
En revanche, le coût des constats d’huissier produits par les parties à l’appui de leurs prétentions, comme les émoluments des huissiers instrumentaires requis pour sommation non exigée pour la régularité de la procédure, ne font pas partie de la liste limitative des frais composant les dépens telle que fixée par l’article 695 du code de procédure civile, et relèvent donc de la somme allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile telle que fixée ci-dessus.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Dit que la clause de non-rétablissement stipulée à l’acte authentique de cession de fonds de commerce du 31 mars 2016 est valable ;
Dit que Monsieur [Y] [F] a manqué à son obligation contractuelle telle stipulée dans cette clause à compter du 1er juin 2016 et jusqu’au 1er avril 2021, soit pendant 1.765 jours ;
Dit que la clause pénale prévue au contrat n’est pas excessive au regard du préjudice causé par le manquement constaté et qu’il n’y a pas lieu à réduction ;
Condamne en conséquence Monsieur [Y] [F] à payer à la SARL Auto delta la somme de 264.750 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 15 février 2019 ;
Dit que Monsieur [Y] [F] supportera les dépens de première instance et d’appel et payera à la SARL Auto delta une somme de 3.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes.
Arrêt signé par Mme Christine CODOL, Présidente de chambre, et par M. Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,