COUR D’APPEL DE BORDEAUX
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 16 FEVRIER 2023
N° RG 19/06433 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LLH3
Monsieur [X] [M]
c/
Madame [L] [G]
Monsieur [P]-[H] [U]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 21 novembre 2019 (R.G. 18/01275) par le Tribunal de Grande Instance de LIBOURNE suivant déclaration d’appel du 10 décembre 2019
APPELANT :
[X] [M] exerçant sous l’enseigne 3TE
né le 26 Janvier 1966 à [Localité 5]
de nationalité Française
Profession : Artisan,
demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Jérôme DIROU, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
[L] [G]
née le 16 Août 1960 à [Localité 6]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 1]
[P]-[H] [U]
né le 30 Avril 1960 à [Localité 6]
de nationalité Française
Profession : Médecin généraliste,
demeurant [Adresse 3]
Représentés par Me Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX
et assistés de Me Pascal LAVISSE de la SCP LAVISSE BOUAMRIRENE GAFTONIUC, avocat au barreau d’ORLEANS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Paule POIREL, Président,
Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller,
Madame Christine DEFOY, Conseiller,
Greffier lors des débats : Mme Chantal BUREAU
Greffier lors du prononcé : Mme Audrey COLLIN
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Monsieur [P] [U] et Madame [L] [G] ont confié à Monsieur [X] [M], exerçant sous l’enseigne 3TE, la réalisation de travaux de terrassement portant sur un bien immobilier sis [Adresse 3] à [Localité 4], suivant devis du 09 octobre 2017 approuvé le 20 janvier 2018 pour un montant de 15 366,34 euros avec le règlement d’un acompte de 6 146 euros le jour de la signature du devis, le solde étant payable à la réception du chantier.
Se plaignant de malfaçons et de non conformités, M. [U] et Mme [G] ont notifié à l’entrepreneur, suivant une lettre recommandée du 14 avril 2018, la résolution du contrat.
Par acte du 11 septembre 2018, les maîtres d’ouvrage ont fait assigner M. [M] devant le tribunal de grande instance de Libourne afin que soit constatée ou prononcée la résolution judiciaire du contrat liant les parties à la date du 14 avril 2018.
Le jugement rendu le 21 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Libourne a :
– constaté la résolution du contrat par M. [U] et Mme [G] le 14 avril 2018 et dit que cette résolution était bien fondée,
– condamné en conséquence M. [M] à restituer à M. [U] et à Mme [G] la somme de 6 146 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 11 septembre 2018,
– condamné M. [M] à payer à M. [U] et à Mme [G] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance,
– condamné M. [M] à payer à M. [U] et à Mme [G] la somme de 700 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté le surplus des prétentions des parties,
– condamné M. [M] aux dépens dont distraction au profit de maître Sirgue, avocat.
M. [M] a relevé appel de cette décision le 10 décembre 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 10 mars 2022, M. [M] sollicite l’entière réformation du jugement attaqué et demande à la cour de :
– débouter les consorts [U] [G] de toutes leurs demandes,
à titre reconventionnel :
– prononcer la résolution du marché du travaux selon devis n°2017.10.1276 en date du 9 octobre 2017,
– dire que cette résiliation sera prononcée aux torts des consorts [U] [G],
– condamner solidairement les consorts [U] [G] à payer les sommes suivantes :
– 2 452,65 euros correspondant au solde des travaux réalisés arrêtés au jour de la résiliation,
– 6 767,69 euros correspondant à la perte de chance d’avoir perdu un marché de 15 366,34 euros,
– condamner solidairement les consorts [U] [G] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Suivant leurs dernières conclusions notifiées le 10 avril 2020, Mme [G] et M. [U] demandent à la cour, sur le fondement des articles 1224 à 1230, 1352 à 1352-9 du code civil, L.241-1 et L.243-2 du code des assurances, de :
– déclarer l’appel de M. [M] recevable mais mal fondé et l’en débouter,
– déclarer leur appel incident recevable et bien fondée et y faire droit,
– confirmer le jugement en ce qu’il a constaté la résolution du contrat à la date du 14 avril 2018, dit que cette résolution est bien fondée et condamné M. [M] à leur restituer la somme de 6 146 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 septembre 2018,
– infirmer le jugement en ce qu’il n’a condamné M. [M] à leur payer que la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance et 700 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– infirmer le jugement en ce qu’il les a déboutés de leur demande de dommages-intérêts pour préjudice moral et résistance abusive,
– les déclarer recevables et bien fondés en leurs demandes et y faire droit,
– débouter M. [M] de toutes ses demandes,
– constater qu’à juste titre et aux torts de l’entreprise la résolution a été valablement prononcée,
– subsidiairement, prononcer la résolution judiciaire du contrat à la date du 14 avril 2018,
– condamner M. [M] à leur payer :
– au titre de la restitution de l’acompte versé en pure perte, la somme de 6 146 euros,
– à titre de dommages-intérêts, en réparation de leur préjudice moral, la somme de 5 000 euros,
– en réparation de leur préjudice de jouissance la somme de 5 000 euros,
– à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive la somme de 7 500 euros,
– la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance ainsi que 3 000 euros supplémentaires au titre des frais irrépétibles d’appel, ou 5 300 euros en appel en sus des 700 euros prononcés en première instance,
– condamner M. [M] aux entiers dépens, et accorder à maître Taillard le droit prévu à l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 décembre 2022.
MOTIVATION
Sur la résolution du contrat
En application de l’article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :
– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
– obtenir une réduction du prix ;
– provoquer la résolution du contrat ;
– demander réparation des conséquences de l’inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter.
L’article 1224 du code civil dispose que la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice.
Aux termes des dispositions de l’article L. 243-2 du code des assurances, les personnes soumises aux obligations prévues par les articles L. 241-1 à L. 242-1 du présent code doivent justifier qu’elles ont satisfait auxdites obligations.
Les justifications prévues au premier alinéa, lorsqu’elles sont relatives aux obligations prévues par les articles L. 241-1 et L. 241-2, prennent la forme d’attestations d’assurance, jointes aux devis et factures des professionnels assurés. Un arrêté du ministre chargé de l’économie fixe un modèle d’attestation d’assurance comprenant des mentions minimales.
Lorsqu’un acte intervenant avant l’expiration du délai de dix ans prévu à l’article 1792-4-1 du code civil a pour effet de transférer la propriété ou la jouissance du bien, quelle que soit la nature du contrat destiné à conférer ces droits, à l’exception toutefois des baux à loyer, mention doit être faite dans le corps de l’acte ou en annexe de l’existence ou de l’absence des assurances mentionnées au premier alinéa du présent article. L’attestation d’assurance mentionnée au deuxième alinéa y est annexée.
L’article 22-2 de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014, dans sa version en vigueur du 20 juin 2014 au 24 mai 2019, dispose que les personnes immatriculées au répertoire des métiers ou au registre des entreprises mentionné au IV de l’article 19 de la présente loi relevant du secteur de l’artisanat ainsi que les entrepreneurs relevant du régime prévu à l’article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale indiquent, sur chacun de leurs devis et sur chacune de leurs factures, l’assurance professionnelle, dans le cas où elle est obligatoire pour l’exercice de leur métier, qu’ils ont souscrite au titre de leur activité, les coordonnées de l’assureur ou du garant, ainsi que la couverture géographique de leur contrat ou de leur garantie.
Il n’est pas contesté que le devis du 09 octobre 2017 accepté par Mme [G] et M. [U] le 20 janvier 2018 ne comporte aucune référence ni mention relative à la souscription par l’entrepreneur d’une assurance garantissant sa responsabilité décennale.
Bien que les deux textes précités ne prévoient aucune sanction tant que les travaux devant être obligatoirement garantis n’ont pas débuté, il s’agit d’un manquement qui peut être reproché à l’entrepreneur.
Mme [G] et M. [U] considèrent également que M. [M] a commis une seconde faute en ne leur communiquant pas, nonobstant leur demande par lettre recommandée avec avis de réception du 23 mars 2018, la preuve de l’existence d’une assurance garantissant sa responsabilité décennale couvrant toutes les activités qu’il a été amené à exercer en exécution de leur chantier.
Dans sa réponse du 26 mars 2018, l’appelant a fourni aux maîtres d’ouvrage un document émanant de la SMABTP justifiant qu’il bénéficiait d’une couverture assurantielle au titre de la garantie décennale pour les activités VRD privatifs (canalisations) et terrassement.
Or, il apparaît que M. [M], qui a débuté le chantier au début le 05 mars 2018, a également entrepris des travaux de démolition d’un muret d’une certaine ampleur et la pose d’un portail motorisé sans être couvert au titre de la garantie de l’article 1792 du code civil et ainsi au mépris de l’obligation légale sanctionnée sur le plan pénal.
L’appelant ne peut justifier a posteriori d’une couverture assurantielle pour les activités précitées car le document qu’il produit n’est valable qu’à compter du 1er juin 2018, soit plusieurs mois après la date de réalisation des travaux non couverts sur le plan décennal.
Les manquements de l’entrepreneur sont suffisamment avérés pour justifier la résolution du contrat comme Mme [G] et M. [U] l’ont exprimé à l’entrepreneur dans leur seconde lettre recommandée avec avis de réception du 14 avril 2018. Le jugement entrepris ayant prononcé la résolution aux torts exclusif de M. [M] sera donc confirmé. Par conséquent, les demandes présentées par ce dernier tendant à obtenir le paiement de la totalité du prix du marché et d’une indemnité au titre de la perte du chance seront donc rejetées.
Sur les demandes indemnitaires de Mme [G] et M. [U]
La résolution du contrat ayant un effet rétroactif, M. [M] est donc tenu de rembourser les sommes versées par Mme [G] et M. [U] (6 146 euros),avec intérêts au taux légal à compter de la date de l’assignation en justice (11 septembre 2018).
En revanche, le marché n’ayant jamais existé, ces derniers ne peuvent arguer de désordres ou défauts d’exécution commis par l’entrepreneur pour solliciter le paiement du coût de travaux réparatoires. Cette prétention sera donc rejetée.
Le préjudice de jouissance a justement été évalué par le premier juge de sorte que la décision entreprise sera confirmée sur ce point.
Aucune atteinte à l’honneur ou la considération de Mme [G] et M. [U] ne justifie l’octroi de dommages et intérêts au titre d’un préjudice moral.
Il résulte de l’examen de la procédure que M. [M] a usé des voies de droit offertes à tout justiciable pour faire valoir ses prétentions. Il n’est pas démontré que celui-ci a agi de manière abusive, dilatoire, ou motivé par une intention de nuire, tant antérieurement au déclenchement de la procédure, notamment par la réclamation du solde du marché, que durant celle-ci. En conséquence, la demande de dommages et intérêts présentée par les intimés ne peut qu’être rejetée de sorte que la décision entreprise sera confirmée sur ce point.
Sur l’article 700 du code de procédure civile
Outre la somme mise à la charge de M. [M] en première instance, il y a lieu en cause d’appel de le condamner au versement à Mme [G] et M. [U], ensemble, d’une indemnité complémentaire de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et de rejeter les autres demandes de ce chef.
PAR CES MOTIFS
– Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Libourne ;
Y ajoutant ;
– Rejette la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [G] et M. [U] au titre du caractère abusif de l’appel relevé par M. [X] [M] ;
– Condamne M. [X] [M] à verser à Mme [L] [G] et M. [P]-[H] [U], ensemble, une somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Rejette les autres demandes présentées sur ce fondement ;
– Condamne M. [X] [M] au paiement des dépens d’appel qui pourront être directement recouvrés par maître Sirgue en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La présente décision a été signée par madame Paule POIREL, présidente, et madame Audrey COLLIN, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE