Droits des Artisans : 14 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 18/21355

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Droits des Artisans : 14 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 18/21355

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 2

ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2022

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/21355 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6N5I

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juillet 2018 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL – RG n° 17/01792

APPELANTES

Entreprise [E]

immatriculée sous le numéro SIRET 494 365 786 00016

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Isabelle NADAL, avocat au barreau du VAL-DE-MARNE, toque : PC0253

Société CCB

SARL immatriculée au RCS de Créteil sous le numéro 392 832 820

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Isabelle NADAL, avocat au barreau du VAL-DE-MARNE, toque : PC0253

SCI KENNES

immatriculée au RCS de Créteil sous le numéro 448 963 181

[Adresse 5]

[Localité 8]

Représentée par Me Isabelle NADAL, avocat au barreau du VAL-DE-MARNE, toque : PC0253

INTIMEE

Madame [M] [U]

née le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 9] (63)

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Michel BOURDON, avocat au barreau de PARIS, toque : D1394

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Jean-Loup CARRIERE, Président de Chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M. Jean-Loup CARRIERE, Président de Chambre

Mme Muriel PAGE, Conseillère

Mme Nathalie BRET, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Dominique CARMENT

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Jean-Loup CARRIERE, Président de Chambre, et par Dominique CARMENT, Greffière présente lors du prononcé.

* * * * * * * * * *

FAITS & PROCÉDURE

Mme [M] [U] est propriétaire occupante d’un appartement situé au rez de chaussée d’un immeuble en copropriété au [Adresse 4].

La société civile immobilière Kennes est propriétaire de l’appartement situé au-dessus.

Se plaignant depuis décembre 2007 d’infiltrations en provenance de l’appartement situé au-dessus du sien, ayant provoqué des désordres qui ont nécessité la pose d’étais en novembre 2012, Mme [U] a obtenu la désignation d’un expert en la personne de M. [H] [N] par ordonnance de référé du 31 mars 2015 au contradictoire de la SCI Kennes, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 4] et de la société La Sauvegarde, assureur du syndicat des copropriétaires.

Par ordonnance du 23 février 2016, les opérations d’expertise ont été rendues communes à l’entreprises [E], à la société CCB qui avaient réalisé des travaux dans l’appartement de la SCI Kennes, ainsi qu’à la société AXA, assureur de la société Kennes.

M. [N] a déposé son rapport le 6 décembre 2016 au terme duquel il conclut que l’origine des fuites affectant l’appartement de Mme [U] se situe dans les installations sanitaires de l’appartement de la SCI Kennes, lesquelles n’ont pas été réalisées suivant les règles de l’art et qui n’ont pas été réparées efficacement depuis décembre 2007. Il évalue le coût des travaux de remise en état à la somme de 54.474 € et à celle de 10.383,20 € l’indemnisation des préjudices subis par Mme [U].

Par actes des 3 et 13 février 2017, Mme [M] [U] a assigné devant le tribunal l’entreprise [E], la société CCB, la SCI Kennes et le syndicat des copropriétaires du [Adresse 4] aux fins de voir les sociétés déclarées responsables in solidum des désordres survenus dans son appartement tels que retenus par l’expert dans son rapport.

Par ordonnance du 31 août 2017, le juge de la mise en état, saisi d’une demande de complément d’expertise par l’entreprise [E], la société CCB et la SCI Kennes, a rejeté celle-ci.

Par jugement du 17 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Créteil a :

– condamné in solidum l’entreprise [E], la société à responsabilité limitiée CCB et la société civile immobilière Kennes à faire réaliser et prendre en charge le coût des travaux de réfection tels que retenus par l’expert dans son rapport (détaillés pages 18 et 19 et dont le récapitulatif figure en page 20 de celui-ci) sous la direction d’un maître d’oeuvre du choix de Mme [M] [U] et du syndicat des copropriétaires, sous astreinte de 50 € par jour de retard passé le délai de 5 mois à compter de la signification de la décision à intervenir,

– dit que l’astreinte courrait pendant 4 mois,

– condamné in solidum l’entreprise [E], la société à responsabilité limitée CCB et la société civile immobilière Kennes à payer à Mme [M] [U] les sommes de :

‘ 8.000 € au titre du préjudice de jouissance,

3.871,20 € au titre des divers préjudices liés à la réalisation des travaux de réfection,

4.000 € au titre du préjudice moral,

– condamné in solidum l’entreprise [E], la société à responsabilité limitée CCB et la société civile immobilière Kennes aux dépens, en ce compris ceux de référé et les frais d’expertise, ainsi qu’à payer à Mme [M] [U] la somme de 4.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [T] [E], artisan en nom propre exerçant sous l’enseigne ‘Entreprise [E]’, la société à responsabilité limitée CCB et la société civile immobilière Kennes ont relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 26 septembre 2018.

Par ordonnance du 19 décembre 2018 le conseiller de la mise en état a ordonné l’exécution provisoire du jugement.

La procédure devant la cour a été clôturée le 23 février 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu les conclusions en date du 18 décembre 2018 par lesquelles M. [T] [E], artisan en nom propre exerçant sous l’enseigne ‘Entreprise [E]’, la société à responsabilité limitée CCB et la société civile immobilière Kennes, appelantes, invitent la cour à :

– infirmer le jugement en ce qu’il :

les a condamné in solidum à faire réaliser et prendre en charge le coût des travaux de réfection tels que retenus par l’expert dans son rapport sous la direction d’un maître d »uvre du choix de Mme [U] et du syndicat des copropriétaires, sous astreinte de 50 € par jour de retard passé le délai de 5 mois à compter de la signification de la décision à intervenir,

a dit que l’astreinte courrait pendant 4 mois,

les condamné in solidum à payer à Mme [U] les sommes de 8.000 € au titre du préjudice de jouissance, 3.871,20 € au titre des divers préjudices liés à la réalisation des travaux de réfection et 4.000 € au titre du préjudice moral,

les a condamné in solidum aux dépens, ainsi qu’à payer à Mme [U] la somme de 4.000 € par application de l’article 700 du code de procédure

– juger Mme [U] mal fondé en toutes ses demandes à leur encontre,

– juger qu’elles ne sont pas responsables des désordres survenus dans l’appartement de Mme [U],

– condamner Mme [M] [U] aux dépens, ainsi qu’à leur payer la somme de 3.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions en date du 14 mars 2019 par lesquelles Mme [M] [U], intimée, demande à la cour, au visa des articles 1240 et 1241 du code civil, 515 et 700 du code de procédure civile et la théorie des troubles anormaux du voisinage, de :

– confirmer le jugement,

– débouter l’entreprise, [E], la société CCB et la SCI Kennes de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

– condamner in solidum la SCI Kennes, l’entreprise [E] et la société CCB aux dépens d’appel, ainsi qu’à lui payer la somme supplémentaire de 3.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

SUR CE,

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel ;

En application de l’article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions ;

Les moyens soutenus par les appelants, ne font que réitérer sans justification complémentaire utile, ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu’il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d’une discussion se situant au niveau d’une simple argumentation,

Il convient seulement de souligner et d’ajouter les points suivants :

Sur les désordres et les responsabilités

Sur les désordres

Aux termes du rapport d’expertise, menée au contradictoire de toutes les parties, en présence du syndicat des copropriétaires, l’expert judiciaire M. [N] a constaté concernant l’étendue des désordres dans l’appartement de Mme [U], que dans la pièce de vie, le plafond était dégradé et en partie effondré, avec mise en place d’un étaiement limitant l’usage de la pièce, que la peinture sur la cloison séparatrice de la salle d’eau était dégradée de même que le plafond et les peintures de la salle d’eau ;

L’expert conclut, tout comme avant lui l’architecte mandaté par le syndic (pièce [U] n° 1) à une origine des fuites purement privative provenant des installations sanitaires de la société Kennes, lesquelles n’ont pas été réalisées dans les règles de l’art avec notamment l’absence d’étanchéité sous le carrelage de la cuisine et de la salle d’eau ;

Tout comme en première instance, M. [E] et les sociétés CCB et Kennes contestent ces conclusions faisant valoir que l’expert n’a pas procédé à toutes les investigations nécessaires, notamment qu’il a omis de visiter les appartements voisins alors même que des travaux ont été réalisés dans l’appartement de la SCI Kennes pour remédier à l’humidité et qu’il existe une fuite provenant des parties communes et notamment de la façade des conduits de cheminées ;

Le premier juge a exactement relevé qu’il ne ressort d’aucun élément qu’au cours des opérations d’expertise a été évoquée la possibilité d’une fuite provenant des parties communes et notamment des conduits de cheminées ;

Les appelants se prévalent des conclusions d’un rapport établi le 17 mars 2017 par la société Aquanef qui relève le mauvais état du ravalement de façade de l’immeuble et la présence d`un conduit de cheminée non chapeauté, avec un risque d’infiltrations pendant les intempéries ;

Ils produisent également aux débats un courrier du 31 janvier 2016 adressé par M. [S], propriétaire non occupant d’un appartement de la copropriété (au vu de 1’adresse mentionnée dans le courrier) faisant état de fuites provenant de la cheminée au-dessus de son bien, l’eau s’infiltrant dans les combles, et un courriel de Mme [W] [R] du 4 avril 2017 mentionnant des fuites dégradant les poutres dans les combles et dégradant l’appartement où elle habite ;

Comme l’a dit le tribunal, aucune de ces piéces versées aux débats ne permet d’imputer les désordres affectant l’appartement de Mme [U], situé quant à lui au rez de chaussée, aux dégradations des parties communes, et de remettre en cause les conclusions d’expertise ;

Comme l’a exactement relevé le premier juge, il résulte du rapport d’expertise (page 16) que les traces d’humidité et fuite se retrouvent au ‘sol de la salle d’eau autour de la cuvette du wc ainsi qu’au sol de la kitchenette’, que lors de la premiére réunion d’expertise il avait été également constaté une fuite au niveau du bas du pare douche après un arrosage et qu’il a noté que malgré les travaux faits en 2013 par la société CCB, les infiltrations ont persisté ; il est précisé enfin par l’expert que lors des réunions tenues sur place de juin 2015 à mars 2016, il n’a pas été constaté de baisse significative du taux d’humidité, confirmant que les fuites étaient toujours actives ;

Le premier juge a justement retenu que les désordres affectant l’appartement de Mme [U] proviennent du mauvais état des installations sanitaires de l’appartement de la société Kennes ;

L’expert retient à ce titre que les installations sanitaires de l’appartement de cette société n’ont pas été réalisées dans les règles de l’art, ni en conformité avec le réglement sanitaire et les DTU en vigueur en détaillant en page 17 de son rapport les malfaçons, et en concluant que ces ouvrages doivent être repris en totalité ;

Sur les responsabilités

Conformément à la théorie des troubles anormaux du voisinage, un copropriétaire est responsable des dégâts des eaux subis par un voisin et venant de ses installations sanitaires ;

Applicable en l’absence de toute faute de la part du copropriétaire, ce principe ouvre droit à l’attribution de dommages et intérêts, dès lors que le trouble provoqué excède les inconvénients normaux de voisinage, ce qui est le cas ici, l’appartement de Mme [U], dans lequel des étais ont été posés pour éviter l’effondrement du plancher haut, étant aussi insalubre qu’inhabitable du fait des infiltrations en provenance des installations sanitaires, défectueuses et non étanches, de l’appartement de la SCI Kennes ;

Par ailleurs, si le dommage est le résultat d’activités conjointes d’entrepreneurs, ce qui est le cas ici dans la mesure où les travaux réalisés par M. [E] et la société CCB n’ont pas été réalisés selon les règles de l’art et ont laissé les infiltrations perdurer, sans que l’on puisse dissocier la part de chacun dans la genèse du préjudice, ces derniers se verront condamnés in solidum ;

En effet, chacun des responsables d’un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité sans qu’il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il est procédé entre eux et qui n’affecte pas l’étendue de leurs obligations envers la partie lésée, peu importe à cet égard que les fautes soient de nature différente ;

Il résulte du rapport d’expertise que la responsabilité de la SCI Kennes et des entreprises ayant réalisé les diverses interventions est engagée envers Mme [M] [J] en vertu du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ;

Le jugement doit être confirmé en ce qu’il a dit que Mme [M] [U] est fondée à rechercher la condamnation in solidum de M. [E] et de la société CCB qui ont effectué les travaux critiqués ayant participé aux dommages, avec la SCI Kennes, propriétaire de l’appartement où se situe l’origine des désordres ;

Sur la réparation des préjudices

L’expert dans son rapport a détaillé les travaux nécessaires à la réfection et le coût de ces travaux (pages 18 et 19 du rapport et récapitulatif page 20) ;

Le jugement est confirmé en ce qu’il a condamné in solidum les sociétés [E], CCB et Kennes à faire réaliser et prendre en charge ces travaux retenus par l’expert de son rapport, sous le contrôle d’un maître d’oeuvre, sous astreinte ;

Mme [U] a en outre subi un incontestable préjudice de jouissance puisque depuis novembre 2012, des étais ont été mis en place afin d’éviter l’effondrement du plancher et que la pièce de vie de l’appartement est selon les termes mêmes de l’expert ‘difficilement utilisable’ sur un tiers de sa surface soit 8 m² ; en outre la salle d’eau est très dégradée et la pièce de vie, avec la présence des étais, présente un trou béant au plafond et une humidité importante ;

Le jugement est confirmé, en ce que, retenant que Mme [U] a subi un incontestable préjudice de jouissance depuis de nombreuses années, il a condamné in solidum M. [E], la société CCB et la SCI Kennes à payer à Mme [U] la somme de 8.000 € en réparation du préjudice de jouissance ;

Comme l’a dit le tribunal, il est établi en outre par les pièces versées au dossier et par le rapport d’expertise que l’importance des travaux de réfection à effectuer va contraindre Mme [U] à quitter son bien pendant la durée de ceux ci, pour une durée évaluée par l’expert à 2 mois ;

Le jugement est confirmé en ce qu’il a condamné in solidum M. [E], la société CCB et la SCI Kennes à payer à Mme [U] la somme de 3.871,20 € telle que chiffrée dans l’expertise sur la base des devis (3.000 € pour la location d’un meublé et 871,20 € pour le déménagement et la mise en garde meubles des biens) ;

Enfin, Mme [U] qui a dû subir, outre les tracas liés aux désordres importants affectant l’appartement qu’elle habite, ceux liés à une longue procédure judiciaire est fondée à réclamer la somme de 4.000 € en réparation de son préjudice moral ; le jugement est confirmé sur ce point ;

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens, qui comprennent ceux des référés et les frais d’expertise, et l’application qui y a été équitablement faite des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile .

M. [T] [E], la société à responsabilité limitée CCB et la société civile immobilière Kennes, parties perdantes, doivent être condamnés in solidum aux dépens d’appel ainsi qu’à payer à Mme [M] [U] la somme supplémentaire de 3.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l’article 700 du code de procédure civile formulée par M. [T] [E], la société à responsabilité limitée CCB et la société civile immobilière Kennes ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Confirme le jugement ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum M. [T] [E], la société à responsabilité limitée CCB et la société civile immobilière Kennes aux dépens d’appel, ainsi qu’à payer à Mme [M] [U] la somme supplémentaire de 3.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Rejette toute autre demande.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT

 


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