Droits des Artisans : 13 décembre 2022 Cour d’appel de Colmar RG n° 21/04710

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Droits des Artisans : 13 décembre 2022 Cour d’appel de Colmar RG n° 21/04710

ZEI

MINUTE N° 22/948

NOTIFICATION :

Pôle emploi Alsace ( )

Clause exécutoire aux :

– avocats

– délégués syndicaux

– parties non représentées

Le

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

ARRET DU 13 Décembre 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/04710

N° Portalis DBVW-V-B7F-HWTE

Décision déférée à la Cour : 08 Juillet 2016 par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE METZ

APPELANTE :

Madame [J] [B]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Bernard PETIT, avocat au barreau de METZ

INTIMEE :

S.A. UEM

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Philippe TOISON, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 08 Avril 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. EL IDRISSI, Conseiller

M. BARRE, Vice Président placé, faisant fonction de Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

– contradictoire

– prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

– signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [J] [B], née le 27 mai 1962, a été embauchée, à compter du 03 mai 1982, par l’UEM (Usine d’électricité de Metz), régie municipale de la ville de Metz devenue société anonyme d’économie mixte locale, suivant un contrat à durée indéterminée, en qualité de réceptionniste.

Mme [J] [B] a occupé différents postes au sein de l’entreprise et a été nommée, le 1er janvier 2008, chef de division au ‘service accueil et ventes – division accueil clients’, au statut cadre.

Elle percevait en dernier lieu un salaire annuel de 42.772,47 euros sur treize mois.

La relation contractuelle était régie par le statut national du personnel des industries électriques et gazières approuvé par le décret n°46-1541 du 22 juin 1946.

La direction de la société UEM a été informée de la possible implication, dans une affaire d’escroquerie par manipulation de compteurs d’électricité, de M. [M] [B], un de ses anciens agents et époux de Mme [J] [B].

Le 13 juin 2012, la société URM, entreprise gestionnaire du réseau de distribution d’électricité, a procédé à la vérification du compteur d’électricité installé au domicile de Mme [J] [B].

Cette vérification a donné lieu à l’établissement d’un procès-verbal de constatation des faits constitutifs d’un délit de soustraction frauduleuse d’énergie. Ledit procès-verbal a été transmis, le 11 juillet 2012, au directeur général de la société UEM.

La procédure disciplinaire, résultant de la circulaire PERS 846 du 16 juillet 1985 signée par les directeurs généraux de la société Électricité de France et de la société Gaz de France, et rendue applicable aux autres entreprises du secteur des industries électriques et gazières, a été mise en ‘uvre par l’employeur.

Par lettre du 7 mars 2013, notifiée le 9 mars 2013, Mme [J] [B] a été licenciée pour faute grave, mesure consistant statutairement en une mesure de mise à la retraite d’office.

Le 30 mars 2013, Mme [J] [B] a formé un recours gracieux auprès du directeur général de la société, lequel, après examen du recours, lui a notifié le 23 décembre 2014, le maintien de la sanction initiale.

Par acte introductif d’instance du 10 juillet 2015, Mme [J] [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Metz aux fins de contester la mesure de licenciement et d’obtenir diverses sommes à titre d’indemnités de rupture et de dommages-intérêts en réparation des préjudices moral, physique et financier.

Par jugement du 8 juillet 2016, le conseil de prud’hommes a :

– dit que Mme [J] [B] est prescrite en son action en application de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 et des articles L.1471-1 et suivants du code du travail,

– débouté Mme [J] [B] de l’intégralité de ses demandes,

– débouté la société UEM de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.

Par déclaration du 22 juillet 2016, Mme [J] [B] a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 20 mai 2019, la cour d’appel de Metz a confirmé le jugement querellé en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a dit que chacune des parties supporterait ses propres dépens et a condamné Mme [J] [B] aux dépens d’appel et de première instance, ainsi qu’au paiement d’une somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel.

Mme [J] [B] a formé un pourvoi contre cet arrêt.

Par arrêt du 8 septembre 2021 (pourvoi n°19-22.251), la chambre sociale de la Cour de cassation a :

– cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 20 mai 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Metz,

– remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Colmar,

– condamné la société UEM aux dépens,

– rejeté la demande formée par la société UEM au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée sur ce même fondement à payer à Mme [J] [B] la somme de 3.000 euros.

Par ordonnance du 24 novembre 2021, l’affaire a été fixée d’office à l’audience à bref délai du 8 avril 2022.

Aux termes de ses dernières écritures du 18 mars 2022, transmises par voie électronique le 23 mars 2022, Mme [J] [B] demande à la cour de :

– infirmer le jugement entrepris,

– dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– condamner la société UEM à lui payer les sommes suivantes :

* 10.851,48 euros brut au titre de l’indemnité de préavis,

* 1.058,14 euros brut au titre des congés payés y afférents,

* 31.864,66 euros net au titre de l’indemnité de licenciement,

ces sommes majorées des intérêts de droit à compter du 10 juillet 2015, date de la demande,

* 431.023,33 euros net à titre de dommages-intérêts, outre les intérêts de droit à compter du 8 juillet 2016, date du jugement du conseil de prud’hommes,

– condamner la société UEM aux entiers frais et dépens, ainsi qu’au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 25 février 2022, la société UEM demande à la cour de :

– à titre liminaire, confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que Mme [J] [B] était prescrite en son action et l’a déboutée, en conséquence, de l’intégralité de ses demandes,

– à titre subsidiaire, juger que la mise à la retraite de Mme [J] [B] pour faute grave est régulière et bien fondée, puis débouter celle-ci de l’ensemble de ses demandes,

– à titre très subsidiaire, ramener les demandes de Mme [J] [B] à de bien plus justes proportions,

– en tout état de cause, condamner Mme [J] [B] aux entiers dépens, ainsi qu’au paiement de la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il est, en application de l’article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, renvoyé au dossier de la procédure, aux pièces versées aux débats et aux conclusions des parties ci-dessus visées.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l’action

La société UEM a soulevé devant le conseil de prud’hommes de Metz la prescription de l’action de Mme [J] [B], expliquant qu’en application de la prescription abaissée à deux ans par la loi du 14 juin 2013, l’action ne pouvait être introduite que jusqu’au 17 juin 2015, de sorte qu’en ayant saisi la juridiction prud’homale le 10 juillet 2015, l’action en contestation du licenciement est prescrite, ce qu’ont reconnu l’ensemble des juges du fond, cassés dans leur raisonnement par la Cour de cassation qui a considéré que le délai de prescription de l’action en contestation du licenciement courrait à compter de la notification de la décision du directeur général statuant sur le recours gracieux.

Selon la Cour de cassation, le recours gracieux a donc interrompu le délai de prescription, ce que conteste la société UEM demandant à la présente cour de ‘résister’ à la Cour de cassation aux motifs :

– que la cour de cassation aurait visé à tort les dispositions du paragraphe 25 de la circulaire PERS 846, inapplicable au litige ;

– que la nouvelle décision après recours gracieux n’est pas une nouvelle sanction ou une nouvelle notification de sanction sur requête individuelle, mais la décision pour suite à donner sur un recours gracieux.

L’argument avancé par la société UEM, selon lequel la circulaire PERS 846, prise en application du statut national du personnel des industries électriques et gazières, ne prévoit pas de ‘recours gracieux sur recours gracieux’ est inopérant, celui-ci reposant exclusivement sur le paragraphe du personnel d’exécution et de maîtrise.

Contrairement à cette catégorie de personnel, les cadres, comme Mme [J] [B], peuvent user du recours gracieux, seule voie de recours qui leur est offerte (paragraphe 321 de la circulaire PERS 846), et ainsi solliciter une nouvelle révision de la sanction qui leur a été infligée.

Faire courir le délai de prescription à compter de la notification du licenciement et non de la seconde décision de l’employeur reviendrait à priver la procédure statutaire de tout effet utile.

L’introduction du paragraphe 3 de la circulaire PERS 846 rappelle que le statut national prévoit des voies de recours internes, indépendamment des voies de recours prévues à l’article L. 1333-1 du code du travail (saisine de la juridiction prud’homale).

Statuer différemment reviendrait à méconnaître la portée de la procédure statutaire de recours contre la décision de licenciement et la nature de cette dernière. En effet, la voie de recours interne amène l’employeur à revoir sa décision et le cas échéant à en prendre une autre, qui doit être notifiée au salarié concerné dans les mêmes conditions que la première.

Par ailleurs, et contrairement à ce qui est soutenu implicitement par la société UEM, la Cour de cassation n’a pas visé le paragraphe 31 de la circulaire précitée, mais le paragraphe 32 applicable aux cadres, qui renvoie expressément au paragraphe 25 s’agissant de la notification de la décision de l’autorité compétente pour prendre une décision après proposition formulée par la commission secondaire.

Ainsi, il ressort de l’ensemble de ces éléments que la prescription biennale a bien commencé à courir à compter de la décision du directeur général statuant sur recours gracieux, notifiée le 23 décembre 2014.

Mme [J] [B] ayant saisi le conseil de prud’hommes le 10 juillet 2015, aucune prescription n’est encourue et sa demande est donc recevable, ce en quoi le jugement entrepris sera infirmé.

Sur le licenciement

En application des articles L.1232-1, L.1232-6 et L.1235-1 du code du travail, lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception, qui doit comporter l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur.

Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige, et il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied à titre conservatoire, est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible la poursuite des relations de travail.

L’employeur qui entend arguer d’une faute grave supporte exclusivement la charge de prouver celle-ci, dans les termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, et si un doute subsiste il profite au salarié.

La lettre de licenciement de Mme [J] [B] du 7 mars 2013 est ainsi libellée :

‘Par courrier en date du 23 juillet 2012, je vous ai fait grief de faits constitutifs du délit de soustraction frauduleuse d’énergie au motif que votre installation de comptage avait subi des manipulations la rendant non conforme à de nombreux égards.

En effet, ces éléments ressortent clairement d’un procès-verbal en date du 14 juin 2012 – dont copie m’a été transmise le 11 juillet 2012 par M. [A], directeur général d’URM – établi par un agent assermenté suite à la visite à votre domicile à l’occasion d’une campagne de vérification de compteurs d’électricité menée avec la police chez certains clients suspectés d’un tel délit dans le cadre d’opérations frauduleuses de grande envergure préjudiciant économiquement et en termes d’image tant à UEM qu’à URM, réalisées essentiellement sur notre secteur de desserte est destinée à minorer le niveau de leurs consommations.

C’est ainsi que les manipulations opérées sur les installations d’autres clients d’UEM et d’URM convaincus de fraude ont également été constatées sur votre installation, comme mentionné dans le courrier susvisé.

L’ensemble des faits susmentionnés m’étant apparu comme constitutif de faute grave, je vous ai invitée à vous présenter dans mon bureau le jeudi 2 août 2012 en vue d’un entretien préalable destiné à entendre vos explications sachant que dans le contexte considéré, plusieurs dizaines de clients avaient déjà reconnu la fraude commise grâce aux interventions et manipulations réalisées sur leurs compteurs par votre époux, lequel avouait en être l’auteur.

Lors de cet entretien, vous avez immédiatement reconnu avoir vous-même écrit dans un calepin (répertoire téléphonique) saisi par la police, les noms et coordonnées téléphoniques de 136 personnes, dont une partie a été bénéficiaire de l’escroquerie dont il s’agit.

S’agissant des importantes anomalies affectant votre installation de comptage, vous avez fait valoir que l’agent assermenté aurait prescrit ses opérations de vérifications dans un cadre contradictoire lorsqu’il est venu inopinément à votre domicile en début de soirée accompagné de la police et que, partant, vous n’appréhendiez pas les vices de conformité et les marques de manipulation affectant votre installation. À cet égard, vous m’avez affirmé que cet agent ne vous avait pas montré les plombs se trouvant derrière le support disjoncteur et que votre installation avait été déplombée à votre insu à l’occasion d’une ancienne réparation de votre branchement. Des investigations effectuées par le gestionnaire de réseau de distribution ont pourtant démontré que la seule opération ayant affecté votre point de livraison depuis 1987 a été réalisée en amont de votre compteur et partant, n’a pu à aucun moment entraîner un déplombage de celui-ci. En outre, l’agent assermenté a constaté que les scellés donnant accès au mécanisme interne du compteur avait été soit cassé (oreille gauche) soit refermé grossièrement à l’aide d’une pince (oreille droite). Ces scellés n’ont pourtant pas vocation à être déposés ou manipulés hors des opérations de métrologie réalisées en laboratoire et en aucun cas chez le client.

Quant à la récente augmentation des consommations d’électricité de votre domicile, vous l’avez imputée à des problèmes de santé consécutif à la montée en puissance de cette affaire d’escroquerie qui en général, pour ce qui vous concerne, une incapacité de travail depuis le 14 novembre 2011, et pour ce qui concerne votre époux, une impossibilité de faire des coupes de bois de chauffage, ce qui aurait induit corrélativement ladite augmentation.

De tels moyens de défense ne résistant pas à l’analyse des faits qui vous sont reprochés, j’ai pris la décision, par courrier du 31 août 2012, de vous faire comparaître devant la commission supérieure nationale du personnel (CSNP) à l’issue de ce premier entretien, compte tenu notamment des considérations ci-après :

– les nombreuses anomalies ayant affecté votre installation de comptage et les manipulations observées indiquent clairement des manipulations frauduleuses répétées, identiques à celles révélées sur les installations des clients ayant reconnu avoir bénéficié du concours de votre époux pour minorer le niveau de leurs consommations ;

– il n’est pas concevable que vous ayez passivement – sans vous poser la moindre question – recopié pour le compte de votre époux retraité un important répertoire téléphonique comportant entre autres les coordonnées de bénéficiaires de l’escroquerie précitée.

Par ailleurs, je ne puis que constater que certains des moyens complémentaires (délai de prescription, un défaut de respect de la procédure présidant à l’entretien préalable …) que vous avez fait valoir depuis lors dans votre mémoire en défense devant la CSNP, prennent appui sur un document établi unilatéralement le 22 août 2012 entaché d’allégations sans fondement ou d’interprétations erronées (et dont vous m’avez transmis copie aux termes d’un courrier en date du 12 septembre 2012) et traduisent la fragilité du fond de votre argumentaire en tant qu’ils reposent sur des éléments étrangers au c’ur même du dossier.

Il est aisé d’établir qu’ils correspondent pas à la réalité de la chronologie des faits puisque j’ai eu seulement connaissance en juillet 2012 des manipulations effectuées sur votre installation de comptage caractérisant la soustraction frauduleuse d’énergie et en août 2012 de la tenue par vos soins du répertoire téléphonique – lequel constitue une pièce essentielle de l’instruction en cours -, ces éléments ayant motivé l’engagement de la présente procédure disciplinaire à votre encontre.

En effet, comme je vous l’ai indiqué dans mon courrier du 2 octobre 2012, le document dont il s’agit, qui procède d’un amalgame de divers éléments disparates s’échelonnant sur plusieurs mois, recouvre de prétendus comptes rendus de différents entretiens ne reposant pas sur une approche objective des faits, ne respecte pas le contexte des échanges que nous avons pu avoir et dénature à de nombreux égards mes propos. J’ai explicité ces différents points dans ledit courrier.

Dans le même esprit, il apparaît que les man’uvres d’intimidation faites par votre époux aux termes d’un courrier du 2 novembre 2012 ont manifestement eu pour objet de faire pression sur moi et d’interférer dans la procédure disciplinaire, en cours d’instruction à cette époque par la CSNP, en me menaçant d’une action judiciaire pour les motifs de harcèlement et, partant, s’inscrivent dans la tonalité générale du mémoire en défense évoquée supra.

Force est de constater que ces man’uvres, auxquelles j’ai répondu de manière circonstanciée par courrier du 19 novembre 2012, enlève tout crédit à vos moyens de défense.

En dernier lieu, il appert des mesures d’instruction diligentées par la CSNP – telles qu’elles ressortent des différentes pièces du dossier (v. en particulier note de M. [Y] en date du 8 novembre 2012 portant complément d’informations à son audition du 19 octobre 2012) – que vous effectuiez habituellement sur le lieu et pendant le temps de travail des opérations de vente de diverses marchandises (dont de la viande proposée sous vide en quantité importante). Il s’agit là d’un élément supplémentaire présentant une relation de connexité avec l’escroquerie évoquée supra dès lors que plusieurs bouchers/traiteurs sont impliqués dans le cadre des opérations de fraude initiée par votre époux.

Lors de la séance de la CSNP – sous-commission des agents cadres – du 27 novembre 2012, les délégations présentes au sein de cette instance ont émis un avis sur le vu de l’ensemble des pièces du dossier et des explications fournies par votre mandataire, M. [I] [Z], qui a pu faire valoir tous arguments propres à assurer votre défense.

Compte-tenu des considérants ayant fondé ces avis – tels que mentionnés dans mon courrier du 1er février 2013 – et sur le vu desdites pièces, j’ai décidé par courrier du 1er février 2013 de vous convoquer le 14 février 2013 à la seconde phase de l’entretien préalable, dans le cadre de la procédure prévue par la circulaire Pers 846 du 16 juillet 1985 applicable au personnel de nos industries.

Lors de cet entretien qui s’est déroulé en présence de M. [C], directeur des ressources humaines, et au cours duquel vous étiez assistée de M. [Z], j’ai rappelé les faits dont je vous ai fait grief et vous ai invitée en conséquence à exposer vos arguments en défense, et à me présenter tout élément nouveau éventuellement en votre possession.

En liminaire, j’ai insisté sur le fait que lors de notre premier entretien en date du 21 octobre 2011, vous m’aviez demandé si vous deviez démissionner dans un contexte où les turpitudes de votre époux étaient déjà parfaitement avérées. Comme je vous l’ai rappelé devant MM. [Z] et [C], je n’ai à aucun moment voulu profiter de votre état de vulnérabilité en acceptant votre démission alors qu’il m’aurait été facile de le faire, sachant de longue date que votre mari était impliqué dans cette affaire (la police avait informé des faits un an auparavant) ; vous l’avez d’ailleurs admis volontiers.

Dans ces conditions, il est patent que la procédure disciplinaire a été ultérieurement engagée pour des considérations totalement décorrélées de l’environnement de l’époque où je n’appréhendais pas encore les faits ayant objectivement fondé la procédure disciplinaire.

Pour ce qui concerne la tenue par vos soins du répertoire téléphonique de votre époux, vous m’avez assuré que vous ignoriez alors qu’il comptait les coordonnées de nombreux clients fraudeurs, tout en exprimant le regret que votre époux ne vous en ait pas parlé, préjudiciant par là-même à votre carrière professionnelle forte de 30 années de service sans reproches.

Pour ma part, je ne puis que m’attacher à la considération que si vous n’aviez pas été au courant des agissements frauduleux de votre époux – portant principalement sur le secteur UEM -, il aurait pris la précaution élémentaire de vous tenir à l’écart de tout élément susceptible de susciter des questions de votre part, et ne vous aurait pas confié un carnet contenant la liste de certains de ses ‘clients’ ni trafiquer un compteur dont le contrat correspondant est enregistré à votre nom.

S’agissant des nombreuses anomalies ayant affecté votre installation de comptage, vous avez à nouveau fait valoir d’une part que l’agent assermenté d’URM n’avait pas établi la matérialité des faits, faute de vous avoir montré les plombs se trouvant derrière le support disjoncteur au moment du contrôle effectué en présence de deux représentants de la police, d’autre part, qu’en aucune façon vous n’auriez laissé les choses en l’état depuis un an et demi si vous aviez effectivement participé à la fraude nonobstant l’absence réelle d’intérêt pour agir.

Sur ce plan, je ne puis accepter que vous mettiez en cause la validité le procès-verbal établi par l’agent assermenté d’URM – lequel était accompagné d’un autre agent assermenté – qui a constaté des manipulations identiques chez tous les clients ayant reconnus la fraude. Vous avez d’ailleurs été amenée à gérer des cas analogues durant votre carrière.

En dernier lieu, nous avons évoqué le commerce que vous effectuiez au temps et au lieu de travail, portant sur divers produits et denrées – dont de la viande – que vous écouliez auprès de vos collègues de travail, la viande portant sur des quantités importantes de matières diversifiées, et paraissant constituer la contrepartie des opérations de soustraction frauduleuse d’énergie effectuées au profit de certains bouchers convaincus de fraude.

Plusieurs agents ayant acheté des denrées se sont en effet rapprochés voici plusieurs semaines de leurs responsables hiérarchiques et ont exprimé leurs inquiétudes car ils craignaient de voir leur responsabilité solidairement engagée dans cette affaire.

Lors de l’entretien, vous avez réfuté formellement avoir été à l’origine de ces inquiétudes même si, comme cela ressort d’un récent courrier produit par vos soins à la CSNP, vous menacez de divulguer les noms d’autres collègues ayant – selon vous – également vendu des marchandises sur le lieu de travail.

De plus, vous faites valoir que s’agissant de la viande, elle n’avait été vendue qu’à une seule personne qui l’écoulait ensuite à votre insu auprès d’autres agents de l’entreprise.

Force m’est cependant de constater qu’en sus des faits évoqués supra, un tel commerce vous ramène encore au c’ur de cette affaire, étant bien entendu qu’au gré du déroulement de la procédure judiciaire, vous seriez très vraisemblablement amenée à vous justifier au regard de ce commerce, en fournissant des éléments plus précis et vérifiables, dans l’hypothèse où le juge viendrait à avoir connaissance des faits considérés.

En l’absence d’autres arguments nouveaux de votre part, je ne puis que conforter la matérialité de faits et les griefs détaillés dans mes précédents courriers.

Ces faits, contraires à l’obligation de loyauté à laquelle vous êtes tenue, sont incontestablement constitutifs de fautes graves et ont en outre entraîné une perte de confiance à votre égard.

En conséquence, j’ai décidé de procéder à votre licenciement pour faute grave consistant statutairement en une mesure de mise à la retraite d’office, par application de l’article 6, §1-6° du statut national du personnel des industries électriques et gazières.’

Il est reproché à Mme [J] [B] :

– d’avoir soustrait frauduleusement de l’énergie par dérivation du compteur d’électricité, situé à l’intérieur de son domicile,

– d’avoir tenu à jour sur un répertoire téléphonique une liste d’abonnés de la société UEM, avec leurs coordonnées téléphoniques, dont une partie a tiré profit de la fraude organisée par son époux,

– d’avoir vendu diverses marchandises sur le lieu de travail, dont des produits carnés.

Mme [J] [B] soutient d’abord que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse pour inobservation des dispositions des articles L. 1332-2 et L. 1232-6 du code du travail, et 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle conteste ensuite tant la réalité des faits reprochés que leur caractère grave.

1. Sur les inobservations soulevées par la salariée

Mme [J] [B] fait valoir en substance :

– que l’employeur a reçu le 17 novembre 2014 l’avis de la sous-commission de discipline, qui a examiné son recours gracieux le 7 octobre 2014, et qu’il ne lui a notifié le maintien de la sanction que le 23 décembre 2014, soit au-delà du délai d’un mois imparti par l’article L. 1332-2 du code du travail ;

– que cette notification du 23 décembre 2014 n’est pas motivée, comme exigé par l’article L. 1232-6 du code du travail ;

– que M. [L], qui a été désigné par le président de la sous-commission de discipline comme rapporteur et qui a procédé à l’audition d’un certain nombre de témoins, a siégé également lors des débats en manifestant une position identique à celle de l’employeur, ce dont il résulte un manque d’impartialité de l’enquêteur et une absence de séparation de l’autorité d’enquête et de jugement, le tout en méconnaissance de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En premier lieu, l’article L. 1332-2 du code du travail dispose en son dernier alinéa : ‘La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien. Elle est motivée et notifiée à l’intéressé.’

En l’espèce, Mme [J] [B] opère une confusion en assimilant l’avis de la sous-commission de discipline, qui a examiné son recours gracieux le 7 octobre 2014, à un entretien préalable à la sanction, et procède à une application erronée de ce texte.

En tout cas, Mme [J] [B] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 14 février 2013, puis elle a été licenciée le 7 mars 2013, soit dans le délai d’un mois imparti par ce texte, étant observé que le recours gracieux qu’elle a exercé n’a pas eu pour effet de suspendre cette sanction, en application du paragraphe 3 de la circulaire PERS 846, prise en application du statut national du personnel des industries électriques et gazières, et qu’il n’est justifié d’aucune disposition imposant à l’employeur de respecter le nouveau délai d’un mois allégué pour notifier sa décision relative audit recours gracieux.

En deuxième lieu, l’article L. 1232-6 du code du travail dispose : ‘Lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception.

Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur.

Elle ne peut être expédiée moins de deux jours ouvrables après la date prévue de l’entretien préalable au licenciement auquel le salarié a été convoqué.’

En l’espèce, Mme [J] [B] opère une autre confusion entre la décision rendue le 23 décembre 2014 par le directeur général de la société à la suite de son recours gracieux et la lettre de licenciement.

Force est de constater que la lettre de licenciement du 7 mars 2013 comporte l’énoncé des motifs invoqués par l’employeur, conformément au texte précité, et qu’il n’est justifié d’aucune disposition imposant à l’employeur de reprendre cet énoncé dans sa décision relative au recours gracieux.

En dernier lieu, la sous-commission de discipline a un rôle consultatif pour donner son avis, et ne peut dès lors être assimilée à un tribunal, étant de plus observé que la décision de maintien de la mesure de licenciement à la suite du recours gracieux a été prise par le seul directeur général de la société, de sorte que le moyen tiré du ‘manque d’impartialité de l’enquêteur et de l’absence de séparation de l’autorité d’enquête et de jugement’ est inopérant.

2. Sur la tenue d’un répertoire téléphonique avec une liste d’abonnés de l’entreprise

Il est constant que vers la fin de l’année 2011, l’autorité judiciaire a été informée de ce que M. [M] [B], ancien salarié de la société UEM et époux de Mme [J] [B], procédait à des manipulations sur les compteurs électriques de certains clients de la société UEM pour leur faire bénéficier de réductions de facture.

Lors de la perquisition au domicile des époux [B], les enquêteurs ont trouvé un carnet manuscrit comprenant une liste d’abonnés de la société UEM, avec leurs coordonnées téléphoniques.

L’ensemble des clients qui ont bénéficié de la fraude ont mis en cause M. [M] [B], et certains parmi eux ont indiqué que celui-ci obtenait auprès de son épouse les renseignements relatifs à leurs relevés de consommation d’électricité.

Ainsi, et à titre d’exemple, M. [G] [W], gérant d’un garage automobile, déclare : ‘Courant 2006, … j’ai été présenté à une personne prénommée [M], 55 ans, type européen, 1m70, il m’a parlé de sa femme, dans la discussion, [M] m’a dit qu’elle travaillait à l’UEM à la facturation, il n’a jamais demandé à avoir une facture pour les chiffres, il m’a dit qu’il avait tout par sa femme, je pense qu’elle devait le renseigner sur les dates de relevés, donc, il m’a dit qu’il pouvait manipuler mon compteur pour faire baisser la consommation … c’est lui qui passait d’initiative avant les relevés pour faire baisser la consommation et donc la facture. Il passait 4 fois par an avant les relevés, il avait une Mercedes, je ne suis jamais intervenu sur sa voiture, en échange de ses prestations, il demandait 150 euros par passage’.

M. [F] [H], restaurateur, déclare : ‘Je me rappelle qu’un jour en 2008 je pense, il m’a dit que les releveurs passeraient la semaine suivante mais que lui ne passerait pas car il n’y avait pas assez à enlever, je ne lui avais pas fourni mes relevés de consommation, il m’avait précisé qu’il avait quelqu’un à l’UEM qui lui donnait les renseignements, il ne m’a pas dit qui, il a précisé que c’était une femme, il parlait toujours d’ ‘elle’, qui lui donnait les renseignements … Comme il passait régulièrement acheter des produits, à peu près trois fois dans l’année, je lui rajoutais à sa commande trois bouteilles de champagne’.

M. [S] [K], artisan boucher, déclare : ‘Il est donc intervenu depuis 2005 je ne sais pas ce qu’il avait comme outil. Après les interventions j’ai remarqué une économie d’environ 200 euros, je ne sais plus trop. Il est intervenu jusqu’à la fin d’année dernière [2010] … Il a dû intervenir 2 ou 3 fois par an, ou 4 fois, je n’ai pas compté, avant de passer il m’appelait et proposait de passer avant les relevés. Je ne sais pas comment il faisait mais il passait toujours avant les relevés … A chaque passage, je donnais soit de la viande pour 100/150 euros, ou de l’argent 100 ou 150 euros, sur l’ensemble j’ai dû donner moitié l’un, moitié l’autre’.

M. [N] [O], artisan boucher, déclare : ‘Courant 2006, un collègue boucher, M. [U], m’a mis en relation avec un homme qui pouvait baisser les compteurs d’électricité et les factures. Ce monsieur se prénomme [B] [M] … il s’est présenté comme quelqu’un qui avait travaillé dans le contrôle des compteurs et il pouvait faire baisser la consommation avant chaque relevé … Pour la prestation, à chaque intervention, [M] prenait 100 à 200 euros (3 fois par an), et il passait prendre de la viande pour environ 50 euros par mois’.

C’est dans ces conditions que M. [M] [B] a été déclaré coupable et condamné par jugement du tribunal correctionnel de Metz en date du 10 septembre 2014 pour des faits de complicité d’escroquerie, commis entre le 1er janvier 2007 et le 23 novembre 2011 au préjudice de la société UEM.

Au cours l’enquête pénale, Mme [J] [B] a indiqué qu’elle n’était pas au courant des agissements de son époux et a commencé par nier avoir connaissance de l’existence du carnet manuscrit comportant les noms des personnes chez qui son époux intervenait pour modifier les compteurs électriques.

En effet, dans sa première audition du 25 janvier 2011, elle a déclaré : ‘Je peux vous assurer sincèrement que je ne savais pas ce que faisait mon mari et à aucun moment il ne m’a parlé de ça’.

Lors de son audition du 20 octobre 2011, soit neuf mois plus tard, l’enquêteur lui posait la question suivante : ‘Notre enquête a également démontré que votre mari détient un calepin où figure tous ces ‘clients’, avez-vous connaissance de ce calepin et où se trouve-t-il  », et Mme [J] [B] de répondre : ‘Non je n’ai pas connaissance de cet objet. C’est possible mais je n’ai jamais vu. Je ne fouille pas dans les affaires de mon mari’.

Pourtant, l’écriture de la salariée sur ce calepin a été reconnue par un agent de l’entreprise qui travaillait avec elle, ce qui a justifié le recours à une expertise graphologique, qui a été confiée à M. [P] [V], expert judiciaire, dont le rapport établi le 1er octobre 2012 fait ressortir qu’à l’exception de certaines mentions manuscrites, Mme [J] [B] est l’auteur des autres éléments graphiques.

Dans ses écritures, Mme [J] [B] reconnaît être ‘effectivement la personne qui a reporté les noms dans le répertoire téléphonique’ et ajoute : ‘Il ne saurait lui être reproché d’avoir indiqué à la police qu’elle ignorait l’existence d’un calepin autre dénomination du répertoire téléphonique, document qu’elle reconnaissait avoir renseigné’.

Toutefois, les explications de Mme [J] [B], et notamment la confusion qu’elle aurait opérée entre un calepin et un répertoire téléphonique, ne sont pas crédibles et manquent de sérieux, ce d’autant qu’elle ne justifie par aucun élément les raisons qui l’auraient conduite à inscrire par ses soins dans ce document les noms et coordonnées de certains clients de son employeur.

De plus, Mme [J] [B] reconnaît dans son audition du 20 octobre 2011 lors de l’enquête pénale que par le biais de l’outil informatique, elle avait accès aux dates approximatives des relevés des compteurs chez les abonnés de la société UEM.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que M. [M] [B] n’a pu procéder aux différentes interventions frauduleuses chez certains clients de la société UEM, et les inscrire sur la durée pendant plusieurs années, que par l’aide qui lui était apportée par son épouse, Mme [J] [B], qui tenait un carnet manuscrit précis avec les coordonnées de ces clients et qui lui communiquait les dates des relevés par les contrôleurs de leurs compteurs d’électricité, étant observé, et comme précisé par les témoins précités, que lesdites interventions avaient lieu trois à quatre fois par an, ce qui nécessitait une organisation et un suivi méthodique.

Il s’ensuit que le premier grief est caractérisé.

3. Sur la vente de produits carnés sur le lieu de travail

Mme [J] [B] demande que ce grief ne soit pas retenu au motif qu’il n’aurait pas été soumis à la procédure disciplinaire.

Toutefois, elle ne conteste pas que la question relative à la vente de marchandises sur le lieu de travail avait été soumise par l’employeur à la commission de discipline dès le 8 novembre 2022, soit avant la tenue de la séance du 27 novembre 2012, et qu’elle a pu fournir ses observations par courrier du 22 novembre 2012.

D’ailleurs, il a été fait allusion à ce point lors de la séance du 27 novembre 2012, puisqu’il est indiqué expressément en page 6 du procès-verbal y afférent : ‘M. le président rappelle l’objet du débat : la fourniture d’énergie et la tenue d’un carnet. Les reventes de biens de bouche ou de parfumerie sont un autre sujet’.

En tout cas, ce grief a bien été visé dans la lettre de convocation du 1er février 2013 à l’entretien préalable fixé au 14 février 2013, de sorte que Mme [J] [B] a pu présenter ses observations. Il convient donc d’examiner le grief.

Mme [J] [B] ne conteste pas avoir vendu de la viande sur son lieu de travail. En effet, dans son courrier adressé le 22 novembre 2011, elle écrivait ‘En ce qui concerne la vente de viande, effectivement il y a 5 ou 6 ans un ami nous a prêté sa carte Metro et j’ai eu la bêtise d’en faire profiter une de mes collègues mais j’ignorais totalement qu’elle en avait pris pour en revendre à son tour à d’autres personnes’.

Lors de l’enquête pénale, Mme [T] [E], salariée de l’entreprise, déclare : ‘[J] [[B]] m’a dit qu’une personne de la famille à son mari ([M]) travaillait à l’Usine Charal et qu’il pouvait avoir de la viande à prix coûtant. La proposition était intéressante … elle m’a fourni une liste avec les différentes pièces disponibles (bavette, entrecôte, filet de b’uf, côtes, onglets …), j’ai passé commande en fonction de ce qui était proposé avec le tarif précisé sur le papier libre et manuscrit qui m’était soumis, ces prix étaient intéressants … d’autres collègues m’ont demandé si elles pouvaient en bénéficier aussi, j’ai posé la question à [J] qui a accepté de leur vendre … Les paiements s’effectuaient pas chèque, nous ne mettions pas d’ordre à sa demande il me semble, puis sur la fin, nous payions en liquide … Un jour je suis allée chez elle à [Localité 7] pour récupérer un colis car [J] était en congés, son mari [M] m’a conduite dans le garage et ouvert un grand réfrigérateur … il était plein de viande, c’était impressionnant car cela semblait être une mini chambre froide …’

Force est de constater que Mme [J] [B] ne s’explique pas, dans ses écritures, sur cette vente de viande, ni sur son origine, d’autant qu’elle avait éludé la question lors de l’enquête pénale, en faisant croire qu’elle ne s’intéressait pas à la viande et que seul son époux s’en chargeait et en achetait pour ses besoins personnelles.

En tout cas, cette version est contredite tant par les témoignages de Mme [T] [E], salariée de la société UEM, M. [S] [K], et M. [N] [O], artisans bouchers, qui ont profité des interventions de son époux pour la manipulation de leurs compteurs électriques.

Il s’ensuit que le deuxième grief est caractérisé.

4. Sur la soustraction frauduleuse d’énergie

Il est constant que Mme [J] [B] est titulaire d’un abonnement d’électricité depuis 1987 pour son domicile situé [Adresse 2] à [Localité 6], et que les factures d’électricité sont établies à son nom.

Lors de son intervention le 13 juin 2012 à ce domicile, M. [D] [R], contrôleur assermenté, a relevé que l’installation de comptage, qui a pour objet de garantir que l’énergie électrique est livrée à l’utilisateur conformément aux conditions administratives, techniques et commerciales figurant dans le contrat de l’intéressée, présentait plusieurs irrégularités et notamment :

– l’absence du scellé sur le support du compteur, permettant la manipulation des fusibles de réseau et la réalisation des dérivations électriques avant ce compteur,

– l’absence du scellé sur le cache-borne du compteur, le sectionnement du scellé sur l’oreille métrologique gauche du compteur, l’utilisation de colle contact (type Loctite) pour maintenir le scellé, et desserrage de la vis de l’oreille métrologique droite du compteur, le repositionnement et l’écrasement à la pince plate du scellé de celle-ci, permettant la manipulation de tout le système et ainsi de ne plus enregistrer la totalité de l’énergie consommée,

– des marques multiples sur la vis tension du compteur, indiquant clairement des manipulations frauduleuses,

– l’absence du scellé sur le support du disjoncteur et sur la partie amont de celui-ci, permettant la modification du réglage de la puissance souscrite, et ainsi de ne pas payer la prime fixe attendue,

– le branchement de l’arrivée du compteur sur la partie aval du disjoncteur, confirmant une intervention sans autorisation sur un appareillage relevant de la seule responsabilité du gestionnaire du réseau de distribution (GRD),

– la présence incohérente et suspecte de différents modèles de plombs derrière le support du disjoncteur.

Le même contrôleur précise que l’installation du compteur ainsi modifiée permettait à Mme [J] [B] de réaliser une économie sur sa facture d’électricité, ce qui est corroboré par la consommation anormalement basse constatée notamment entre 2005 et 2010 dans la mesure où la consommation enregistrée de la salariée représentait seulement 37%, 40%, 59%, 52%, 58% et 74 % de la consommation moyenne des abonnés de l’entreprise qui utilisaient la même puissance de 18 kVA qu’elle, respectivement en 2005, 2006, 2007, 2008, 2009 et 2010.

De plus, le disjoncteur et le coffret coupe-circuit étaient en principe réglés à 30 ampères, mais avec la fraude constatée, le disjoncteur pouvait être réglé à 60 ampères et bénéficier d’une puissance supérieure à 18 kVA, ce qui permettait de consommer davantage d’électricité sans renforcer l’installation.

Le contrôleur assermenté a précisé encore, lors de son audition par la sous-commission disciplinaire en date du 19 octobre 2012, que les trois vis de tension étaient marquées, que l’une d’entre elles était tellement détériorée et cassée qu’il n’était plus arrivé à la desserrer, et que l’état de ces vis montre à l’évidence qu’elles avaient été manipulées à maintes reprises.

Les critiques du procès-verbal du contrôleur assermenté, développées par Mme [J] [B] dans son annexe n°28 et reprises en partie dans ses écritures, et le fait que celle-ci ait pu chauffer par moment sa maison d’habitation au bois, ne sont étayés par aucun élément probant, ne serait-ce que par la production d’un témoignage en ce sens.

De plus, Mme [J] [B] ne pouvait ignorer que l’installation intérieure dans son logement était déplombée et que sa consommation d’électricité relevée était très inférieure à la moyenne des clients de la société UEM utilisant la même puissance qu’elle, d’autant que de par ses fonctions, elle gérait les réclamations qui nécessitaient un certaine expertise, notamment dans l’analyse de consommations et de problèmes techniques.

Il s’ensuit que le dernier grief est également caractérisé.

Les manquements de Mme [J] [B] révèlent un comportement inadmissible, alors que de par son expérience et son ancienneté, elle avait la confiance de son employeur qui a évalué le préjudice résultant de la fraude à 472.141,06 euros dont seulement un montant de 228.271,53 a été recouvré.

Ces faits sont caractéristiques d’une faute grave rendant impossible le maintien de la salariée dans l’entreprise, ce d’autant qu’elle ne fournit aucune explication plausible à son attitude déloyale envers son employeur et qu’elle a perdu la confiance de celui-ci.

En conséquence, le licenciement pour faute grave est justifié, et il y a lieu de rejeter les demandes de Mme [J] [B] en paiement des indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes accessoires

Le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu »il a dit que chaque partie supporterait la charge de ses propres dépens, mais confirmé en ce qu’il a débouté la société UEM de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau sur le premier point, il y a lieu de condamner Mme [J] [B] aux dépens exposés en première instance.

À hauteur d »appel, Mme [J] [B], partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel, ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La demande de Mme [J] [B] au titre de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par mise à disposition de l’arrêt au greffe, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement rendu le 8 juillet 2016 par le conseil de prud’hommes de Metz, sauf en ce qu’il a débouté la société UEM de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

DÉCLARE la demande de Mme [J] [B] recevable ;

DIT que le licenciement de Mme [J] [B] repose bien sur une faute grave ;

REJETTE l’ensemble des demandes de Mme [J] [B] ;

CONDAMNE Mme [J] [B] à payer à la société UEM une indemnité de 2.500 € (deux mille cinq cents euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE la demande de Mme [J] [B] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [J] [B] aux dépens de première instance et d’appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 13 décembre 2022, signé par Madame Christine Dorsch, Président de chambre, et Madame Martine Thomas, Greffier.

Le Greffier, Le Président,

 


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