COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-2
ARRÊT AU FOND
DU 13 AVRIL 2023
N°2023/138
Rôle N° RG 22/02511 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BI4LF
[N] [H]
C/
[M] [E]
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Marianne DESBIENS
Me Bruno BOUCHOUCHA
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TARASCON en date du 10 Février 2022 enregistré au répertoire général sous le n°20/00508.
APPELANT
Monsieur [N] [H]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 3] ([Localité 3]), de nationalité française, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Marianne DESBIENS de la SAS DM AVOCATS & PARTNERS, avocat au barreau de TARASCON
INTIME
Monsieur [M] [E]
ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de M. [N] [H], demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Bruno BOUCHOUCHA de la SELARL BSB, avocat au barreau de TARASCON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804, 806 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Février 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :
Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre,
et Madame Muriel VASSAIL, conseillère- rapporteur,
chargées du rapport qui en ont rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :
Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre
Madame Muriel VASSAIL, Conseillère
Madame Agnès VADROT, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Avril 2023..
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l’affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Avril 2023.
Signé par Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [N] [H] était exploitant agricole depuis le 31 décembre 1998, activité qu’il a cessé d’exercer depuis le 30 novembre 2015, date à laquelle il est devenu fonctionnaire territorial au sein de la commune de [Localité 4].
N’ayant toutefois procédé à aucune formalité auprès de la MSA, au titre des déclarations de revenus et n’a pas sollicité sa radiation auprès de cet organisme, celui-ci lui a fait délivrer des contraintes auxquelles M. [N] [H] n’a pas donné suite.
Par acte d’huissier du 9 mars 2020, la MSA l’a fait assigner en redressement judiciaire devant le tribunal judiciaire de Tarascon.
Par jugement du 12 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Tarascon a ouvert une procédure de redressement judiciaire au profit de M. [N] [H], fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 9 mars 2020 et désigné Me [M] [E] en qualité de mandataire judiciaire.
La période d’observation a été prolongée jusqu’au 12 novembre 2020 par jugement du 22 juillet 2021, puis le redressement paraissant manifestement impossible en l’état de la cessation d’activité du débiteur, de l’absence de comptabilité et de ressources suffisantes pour apurer le passif, le tribunal, par jugement du 10 février 2022, a dit n’y avoir lieu à prolongation exceptionnelle de la période d’observation, prononcé la liquidation judiciaire de M. [N] [H], fixé la date de cessation des paiements au 9 mars 2020 et désigné Me [M] [E] en qualité de liquidateur judiciaire.
M. [N] [H] a interjeté appel du jugement le 19 février 2022, l’appel portant sur les chefs de jugement expressément critiqués : en ce que le tribunal de commerce a dit n’y avoir lieu à la prolongation exceptionnelle de la période d’observation et prononce la liquidation judiciaire de M. [N] [H] domicilié [Adresse 2].
Aux termes de ses dernières écritures déposées et notifiées par RPVA le 27 mai 2022, M. [N] [H] demande à la cour de :
– déclarer son appel recevable,
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
– renvoyer M. [N] [H] devant le Tribunal judiciaire aux fins de présentation d’un plan de redressement,
– réserver les dépens.
Il fait valoir que dans le cadre du redressement judiciaire les créances de la MSA ont été admises à titre provisionnel pour la somme de 70 000 euros à titre privilégié et de 25 000 euros à titre chirographaire ; qu’il a pendant la période d’observation déclaré ses revenus agricoles qui sont inexistants et proposé un plan de continuation prévoyant le paiement intégral de la créance de la MSA sur 10 ans, plan jugé incomplet par le mandataire judiciaire dans son rapport du 13 janvier 2022 ; qu’il s’est vu proposer le rachat de ses terres agricoles dont il est propriétaire par la Safer pour le prix de 88 000 euros nets vendeur, prix qui lui permettrait d’apurer ses dettes, ce d’autant que le juge commissaire a admis les créances de la MSA pour les somme de 28 336,00 euros à titre privilégié et 10 169 euros à titre chirographaire, et que le seul autre créancier, Pôle Emploi a été admis pour la somme de 109,07 euros, étant rappelé qu’il n’y a aucun autre créancier ; qu’il a saisi le procureur de la République d’une demande de prolongation exceptionnelle de la période d’observation, lequel s’y est montré favorable sous réserve de la production à l’audience d’un plan de continuation régulier en la forme ; que celui-ci n’a pu être régularisé en temps utile.
Il considère que la procédure est irrégulière en application de l’article L 631-5 du code de commerce dans la mesure où la MSA l’a assigné en liquidation judiciaire plusieurs années après la cessation d’activité qui est une notion de fait et ne dépend pas nécessairement d’une radiation à un organisme de sécurité sociale ; que la procédure ouverte par assignation de la MSA en redressement judiciaire engagée plusieurs années après sa cessation d’activité est irrégulière et ne peut se poursuivre par la mise en liquidation judiciaire de M. [H].
Il soutient en outre que le débiteur peut, en application de l’article L 631-3 du code de commerce, après sa cessation d’activité, régler son passif provenant de son activité passée et que la jurisprudence considère que la cessation d’activité d’une personne physique ne fait pas obstacle à l’adoption d’un plan de redressement (sans continuation d’activité) ayant pour seul objet l’apurement de son passif sans continuation de l’activité, ce qu’il propose de faire par la vente de ses terres agricoles dont le produit permettra d’apurer le passif déclaré qui est inférieur à la valeur de l’actif réalisable.
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Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 11 juin 2022, Me [E] ès qualité sollicite de la cour qu’elle :
– juge que seul le procureur de la République a la possibilité de solliciter, à titre exceptionnel, la prolongation de la période d’observation pour une durée maximale de 6 mois ;
– confirme le jugement entrepris, en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à une prolongation exceptionnelle de la période d’observation,
– juge que le paiement du passif ne peut intervenir que par la vente des biens immobiliers du débiteur telle qu’elle a déjà été programmée et que le redressement de M. [N] [H] est manifestement impossible,
– juge que le jugement de redressement judiciaire n’ayant pas été frappé d’appel et ayant force et autorité de chose jugée, le délai d’un an visé par l’article L 631-5 alinéa 2 ne fait pas obstacle à la conversion du redressement en liquidation judiciaire,
– confirme le jugement entrepris en ce qu’il a prononcé la liquidation judiciaire de M. [N] [H],
– déboute M. [N] [H] de toutes ses demandes,
– ordonne l’emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que l’article L 631-5 du code de commerce n’est pas applicable au jugement de conversion en liquidation judiciaire et qu’en application de l’article L 621-2 du même code, le procureur de la République peut, seul, demander la prolongation de la période d’observation à titre exceptionnel pour une durée au maximum de 6 mois ; qu’en l’absence d’une telle demande du procureur de la République, celle-ci ne peut être ordonnée.
En outre il objecte que le plan proposé par M. [N] [H] ne mentionne pas la proposition d’acquisition des parcelles lui appartenant par la Safer pour le prix de 85 000 euros et qu’il n’est fait état que d’une promesse d’acquisition de la commune de [Localité 4]; que l’appelant ne s’explique pas sur ses sources de revenus ni leur montant, qui seraient susceptibles de permettre le redressement ; si les revenus mensuels de 1 582,78 euros déclarés par M. [H] lui permettent d’assumer ses besoins courants, ils ne lui permettent pas de contribuer au remboursement de ses dettes. Il rappelle enfin que la procédure collective ouverte à l’égard de M. [N] [H] pourrait très rapidement se clore par la vente des parcelles dont il est propriétaire.
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Le ministère public a conclu, aux termes d’un avis du 17 janvier 2023, à la confirmation du jugement du tribunal de commerce de Tarascon en date du 10 février 2022 en ce qu’il a jugé n’y avoir lieu à prolongation exceptionnelle de la période d’observation et que par ailleurs, la procédure ne peut être jugée irrégulière en ce que le délai d’un an prévu à l’article L 631-5 ne s’applique qu’au jugement d’ouverture, en l’espèce définitif, et non au jugement convertissant le redressement judiciaire en liquidation judiciaire.
Enfin, le redressement du débiteur parait manifestement impossible en l’état de la cessation de toute activité agricole depuis le 30 novembre 2015.
L’affaire a été fixée à l’audience du 15 février et la clôture a été prononcée le 19 janvier 2023.
SUR CE,
Pour rendre sa décision, le tribunal a retenu que la durée maximale de la période d’observation mentionnée à l’article L 621-3 peut être exceptionnellement prolongée à la demande du procureur de la République par décision spécialement motivée, pour une durée maximale de 6 mois ; que la demande du débiteur visant à la mise en place d’un plan de redressement par continuation de l’activité ne peut prospérer en raison de la cessation définitive de l’activité de M. [N] [H], qui exclut la possibilité d’un redressement de l’entreprise et qu’en conséquence, la liquidation judiciaire s’impose ; le tribunal mentionne qu’il appartiendra au liquidateur de poursuivre la vente des biens dépendant du patrimoine du débiteur aux fins d’apurement du passif.
Sur la régularité de la procédure
Selon l’article L 631-5 alinéa 2 du code de commerce, s’il n’y a pas de conciliation en cours, le tribunal peut être saisi d’une demande aux fins d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire par un créancier, quelque soit la nature de sa créance. Toutefois, lorsque le débiteur a cessé son activité professionnelle, cette assignation doit intervenir dans le délai d’un an à compter (…/…)
2° de la cessation d’activité s’il s’agit d’un artisan, d’un agriculteur ou d’une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante (…/…)
L’article L 640-5 du code de commerce édicte les mêmes règles concernant l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.
En l’espèce, M. [H] soutient que la procédure collective a été ouverte sur assignation de la MSA plusieurs années après sa cessation d’activité et que partant, le jugement ayant prononcé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire rendu le 12 novembre 2020 serait entaché d’irrégularité, celle-ci s’étendant à la procédure subséquente, sans en tirer pour autant les conséquences qui en découlent dans le dispositif de ses conclusions.
La cour rappellera que ce jugement qui n’a fait l’objet d’aucune voie de recours est devenu irrévocable et a acquis l’autorité de la chose jugée après expiration des délais de recours, le principe d’irrévocabilité ayant pour effet de purger la décision de tout vice l’affectant.
Par ailleurs, les dispositions de l’article L 640-5 alinéa 2 ne s’appliquant qu’au jugement d’ouverture d’une liquidation judiciaire et non pas au jugement de conversion d’un redressement judiciaire en liquidation judiciaire (cass. com. 9 janvier 2001 n° 97-18.325), de sorte que M. [H] ne peut utilement se prévaloir de la forclusion visée à l’alinéa 2 de l’article L 631-5 devant la cour d’appel appelée à statuer sur le jugement de conversion.
Sur la possibilité d’un plan de redressement :
Il se déduit des dispositions de l’article L 631-7 du code de commerce que la durée maximale de la période d’observation visée à l’article L 621-3 du même code peut être exceptionnellement prolongée à la demande de l’administrateur, du débiteur ou du procureur de la République, par décision spécialement motivée du tribunal pour une durée maximale de 6 mois. Elle peut en outre être exceptionnellement prolongée à la demande du procureur de la République pour une durée maximale de 12 mois.
Selon l’article L 630-3 du code de commerce invoqué par l’appelant, la procédure de redressement judiciaire est applicable à une personne exerçant notamment une activité agricole après la cessation de leur activité professionnelle si tout ou partie de leur passif provient de cette dernière, ce qui rend possible un plan de redressement sans que la poursuite de l’activité en soit une condition nécessaire, de manière à permettre au débiteur de régler son passif dans les délais fixés par le plan.
En l’espèce, la période d’observation ouverte par le jugement du 12 novembre 2020 a été prolongée par jugement du 22 juillet 2021, pour une durée maximale de 6 mois, soit jusqu’au 12 novembre 2021, à l’issue de laquelle, le tribunal, à défaut d’avoir été saisi par le ministère public d’une requête aux fins de prolongation exceptionnelle de la période d’observation, s’est prononcé sur un projet de plan de continuation remis postérieurement à l’expiration de la période d’observation par note en délibéré du 3 décembre 2021 du conseil de M. [H] (pour un délibéré au 9 décembre 2021) nécessitant la réouverture des débats ; qu’à l’occasion de celle-ci, le ministère public n’a pas davantage requis la prolongation à titre exceptionnel de la période d’observation afin de permettre au débiteur de finaliser le projet de plan et le soumettre à la consultation des créanciers sur le règlement des dettes.
La cour constate dès lors qu’à ce jour, la période d’observation est achevée depuis le 12 novembre 2021 et que le plan de redressement ‘par continuation’ versé aux débats, est identique à celui présenté au tribunal qui l’a rejeté.
Il est acquis et n’est pas contesté qu’à la date à laquelle la cour statue, l’état de cessation des paiements est toujours constitué et que l’actif disponible de M. [H] ne lui permet pas d’apurer le passif exigible.
Si, contrairement à ce qu’a retenu le tribunal judiciaire, M. [H] est éligible au bénéfice d’un plan de redressement lui permettant d’apurer son passif, quand bien même il ne poursuit aucune activité agricole depuis 2015 et n’envisage pas de le faire, il doit néanmoins être en mesure de solder son passif, sans aggravation de celui-ci, avec ses ressources propres, à défaut de quoi, s’il devait réaliser une partie substantielle de son patrimoine pour y parvenir, le redressement judiciaire paraît exclu et seule la voie de la liquidation judiciaire permettra la réalisation de tout ou partie de l’actif immobilier du débiteur aux fins d’apurement du passif.
En l’état des justificatifs qui ont été produits, les ressources de M. [N] [H], âgé de 54 ans pour être né le [Date naissance 1] 1969, sont constituées de son traitement de fonctionnaire municipal de l’ordre de 1 500 euros par mois (bulletin de paie de mai 2020), ne permettent pas d’envisager qu’il puisse solder son passif, même sur une durée de 10 ans (à raison de 120 mensualités de 483 euros). En cela, la cour estime que le redressement du débiteur est manifestement impossible et que la liquidation judiciaire s’impose.
Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à la prolongation exceptionnelle de la période d’observation et prononcé la liquidation judiciaire de M. [N] [H] domicilié [Adresse 2].
Sur les demandes accessoires :
Il y a lieu d’ordonner que les dépens d’appel soit employés en frais privilégiés de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt rendu contradictoirement et mis à disposition des parties au greffe,
Déboute M. [N] [H] de ses demandes ;
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Tarascon en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à la prolongation exceptionnelle de la période d’observation et en ce qu’il a prononcé la liquidation judiciaire de M. [N] [H], domicilié [Adresse 2] ;
Ordonne l’emploi des dépens d’appel en frais privilégiés de la liquidation judiciaire de M. [N] [H].
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE